Dictionnaire de la Bible/Athènes

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Letouzey et Ané (Volume Ip. 1211-1212-1219-1220).
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ATHÈNES

ATHÈNES (Ἀθῆναι), primitivement Cécropia, du nom de son fondateur Cécrops, et Athènes depuis Érecthé, qui la voua au culte d’Athénè (Minerve), fut la capitale de l’Attique et la ville la plus célèbre de la Grèce (fig. 346).

Drachme d'Athènes
Drachme d'Athènes
846. — Drachme d’Athènes.
Tête casquée de Minerve (Athénè), à droite. — ℞. ΑΘΕ [des Athéniens]. ΔΑΜΩ. ΣΩΣΙΚΡΑΤΗΣ. ΚΑΕΙ… [noms de magistrats]. Chouette debout sur l’amphore renversée. Dans le champ, à droite, un arc et un carquois. Lettre d’amphore, Λ. Couronne de laurier au pourtour. — Monnaie frappée vers l’an 100 avant notre ère.

On ne peut redire ici son histoire et le rôle incomparable qu’elle a joué dans le développement de la civilisation antique, en philosophie, en littérature, dans les sciences et dans les arts. Elle ne se rapproche du cadre des études bibliques que parce que saint Paul, à la suite de son premier voyage en Macédoine, y prêcha et y séjourna quelque temps. Act., xvii, 15-34 ; I Thessal., iii, 1. À ce point de vue, il peut paraître intéressant de savoir ce qu’était alors cette grande cité, dont la vue excita chez lui un saint frémissement de compassion, par les cultes idolâtriques auxquels elle se livrait. Pétrone a dit très malicieusement, mais avec raison, qu’il était plus aisé d’y trouver des dieux que des hommes.

Après les désastres mal réparés de la guerre du Péloponèse, Athènes était passée de la domination macédonienne sous le joug des Romains. Plus récemment, Sylla l’avait saccagée. Il n’était pas jusqu’au courant de vie intellectuelle, seul reste de ses anciennes gloires, que des rivales comme Alexandrie et Tarse ne lui eussent ravi. Sa décadence était d’autant plus navrante, que la plupart de ses superbes monuments, toujours debout, rappelaient au visiteur son incomparable passé. Pausanias, qui la visita près d’un siècle après Paul, nous en a laissé une longue, mais malheureusement assez confuse description.

Des trois ports, Phalères, Munychie et le Pirée, par lesquels Athènes aboutissait à la mer, le Pirée était resté à peu près le seul fréquenté des marins. Les Longs Murs terminés par Périclès, détruits par les Lacédémoniens, et relevés par Conon après la victoire de Cnide, étaient définitivement tombés en ruines, obstruant l’ancienne route qu’ils devaient protéger, et une nouvelle voie (Hamaxitos), qui les longeait au nord, était devenue le chemin ordinaire par lequel les hommes et les marchandises débarqués au Pirée arrivaient à la ville. C’est sur cette route qu’à côté de cippes funéraires, de statues de héros ou de dieux et de monuments de toute sorte, se trouvaient aux promeneurs l’ail, les oignons, l’encens, les épices, les herbes fraîches, dont on était très friand, en même temps que des articles de toilette et le produit des industries les plus diverses. Une série de portiques, avoisinant l’Agora et ornés des chefs-d’œuvre de la statuaire et de la peinture antiques, servaient d’asile aux oisifs et conservaient encore leurs destinations d’autrefois. Au portique Royal on rendait la justice ; à celui des Douze-Dieux, les Athéniens, si curieux de nouvelles, venaient faire ou écouter la chronique du jour ; au Pécile, les successeurs de Zénon enseignaient toujours, mais sans éclat, cette philosophie stoïcienne qui, médiocrement appréciée des Athéniens amollis, était pourtant la consolation des âmes fortes chez les Romains, et, par quelques côtés, demeurait l’honneur
318. — Le Parthénon.
de loin en loin, si nous en croyons les anciens (Pausanias, I, I, 4 ; Philostrate, Vit. Apollon., VI, 2), des autels dédiés au Dieu inconnu : ΑΓΝΟΣΤΩ ΘΕΩ. Ces autels attirèrent l’attention de l’Apôtre. Il sentit aussitôt, et très douloureusement, tout ce qu’il y avait d’effréné dans cette idolâtrie qui, ayant épuisé le répertoire des dieux connus, dressait d’avance des autels à ceux que l’on inventerait encore. On sait l’heureux parti qu’il tira de cette inscription pour entrer en matière devant l’Aréopage. Act., xvii, 23.

Ayant abordé la ville par la porte Sacrée, près du Dipylon, dont les ruines ont été retrouvées récemment entre la gare du chemin de fer et l’église de la Sainte-Trinité, il dut suivre la grande rue du Céramique, ornée de statues de bronze et de marbre, pour atteindre l’Agora, qu’il faut chercher au nord-ouest et non au sud-ouest de l’Acropole. Sur cette place publique où Périclès, Socrate, Alcibiade, Démosthène, étaient remplacés par des Athéniens sans élévation dans la pensée et sans ardeur dans le patriotisme, à l’ombre des platanes ou sous des tentes provisoires, des marchands, classés par groupes, offraient de l’humanité livrée à ses seules forces. De ce centre de la vie publique, autour duquel se groupaient les temples d’Apollon Patroüs et de la Mère des dieux, quelques édifices destinés aux magistrats de la cité, le Bouleutérion pour les réunions du sénat, le Tholus, où les prytanes prenaient leurs repas, et des écoles publiques pour la jeunesse, telles que le portique d’Attale, dont on a récemment retrouvé les ruines, partaient deux rues principales, contournant en sens inverse l’Acropole et passant devant les nombreux monuments édifiés à ses pieds. L’une côtoyait la colline de l’Aréopage. C’est peut-être celle qui était bordée de ces hermès de marbre, sorte de gaines à tête de Mercure, que l’on avait ornés d’inscriptions choisies, aphorismes pour la plupart empruntés à la sagesse antique, et propres à exciter les passants à la vertu. À cette artère principale se soudaient d’autres rues conduisant aux collines des Nymphes, du Pnyx et des Muses, quartiers où les maisons des petits bourgeois étaient, comme on peut en juger par les arasements qu’on y voit encore, échelonnées les unes à côté des autres, dans des propor- tions si mesquines, qu’aucune d’elles ne suffirait aujourd’hui au plus modeste de nos artisans. Mais l’Athénien n’était jamais chez lui, et c’est à l’Agora, chez les marchands devin, dans les temples, chez le barbier, sous les portiques, dans les jardins publics, au théâtre, qu’il fallait aller le chercher. L’autre voie s’appelait la rue des Trépieds. Elle partait de cette tour d’Andronicus qui subsiste encore, et à l’horloge de laquelle Paul, trois cent cinquante ans après Socrate, regarda peut-être plus d’une fois l’heure des jours que son zèle impuissant trouvait bien longs. C’est là que les chefs d’orchestre, vainqueurs au concours du théâtre, aimaient à dresser, sur des monuments du goût le plus exquis, les trépieds qu’ils avaient obtenus en témoignage de leur talent. Celui de Lysicrate subsiste encore. La grande rue tournait au midi pour atteindre ce fameux théâtre de Bacchus où Eschyle, Sophocle, Aristophane, Ménandre, Euripide, avaient fait représenter leurs chefs-d’œuvre. Elle rejoignait de là la rue des Hermès, à une sorte de rond-point d’où l’on montait à l’Acropole. Voir le plan d’Athènes, fig. 347.

M. Beulé a retrouvé dans un mur de marbre blanc la porte dorique, défendue à droite et à gauche par une tour carrée, qui fut la véritable entrée de l’Acropole. Elle était dans l’axe même de la porte centrale des Propylées, et le coup d’œil sur le large escalier qui conduisait au célèbre portique devait être saisissant. En le gravissant, on laissait à droite le gracieux sanctuaire de la Victoire sans ailes, à gauche la statue colossale d’Agrippa, ami d’Auguste, et l’on pénétrait sous le péristyle des Propylées, formé de six colonnes doriques surmontées d’un entablement avec fronton encadré par deux portiques parallèles. À travers un vestibule divisé en trois travées par un double rang de trois colonnes ioniques, et un escalier atteignant cinq portes, dont celle du milieu était la plus grande, on débouchait, par un second portique de six colonnes doriques, sur la plate-forme de l’Acropole. Des ruines dorées par le soleil, et

349. — Plan de l’Acropole d’Athènes.
belles jusque dans leurs derniers fragments, permettent encore aujourd’hui au voyageur de reconstituer les Propylées, cet incomparable chef-d’œuvre de Mnésiclès. Sur les degrés qu’on y voit, et dont le dernier est en marbre noir, Paul est certainement passé.

La plate-forme de l’Acropole était peuplée de statues célèbres, que dominait celle de Minerve Promachos, coulée en bronze par Phidias, haute de vingt-cinq mètres, et dont le casque, scintillant aux rayons du soleil, était visible du cap Sunium. Appuyée fièrement sur sa lance et le bouclier au bras, la déesse semblait garder le Parthénon (fig. 348), qui, à quelques pas de là, s’élevait splendide, comme l’expression sublime, beaucoup moins de la foi d’un peuple à sa puissante protection, que du triomphe de l’art dans le temple même de celle qui en était l’inspiratrice.

Sur une largeur de cent pieds (30 mètres), rappelant ainsi l’Hécatompédon de Pisistrate, auquel il succédait, et sur une profondeur de deux cent vingt pieds (67 mètres), l’harmonieux rectangle avait un péristyle de huit colonnes sur les façades et de dix-sept sur les côtés. La construction intérieure se divisait en deux salles d’inégale grandeur, dont la plus importante, vers l’orient, était le sanctuaire de Minerve, et l’autre, à l’occident, l’Opisthodomos, ou la maison du trésor public. L’une et l’autre étaient précédées à leur entrée par un portique de six colonnes parallèles à celles des deux façades. Ictinus et Callicratès, en édifiant ce monument, le chef-d’œuvre incontesté de l’architecture antique, avaient voulu prouver aux bâtisseurs de tous les siècles que la beauté idéale est, non pas dans la recherche, mais dans la simplicité des lignes et dans l’exquise harmonie de leurs combinaisons. Phidias et un groupe d’artistes, dont les uns étaient ses élèves et les autres ses rivaux, avaient été chargés de décorer l’édifice. L’entablement, supporté par des colonnes de dix-sept mètres de haut, avait une frise dont les triglyphes, peints en bleu, s’harmonisaient heureusement avec la blancheur du

Plan d'Athènes
Vue d'Athènes moderne (1912)

marbre, tandis que, sur les métopes à fond rouge, on avait représenté en bas-reliefs la guerre des Amazones, les combats des Centaures et la guerre de Troie. Une autre frisé sous le péristyle, autour de la cella, représentait la fête des Panathénées. On y admire encore de jeunes Athéniens se préparant à la cavalcade sacrée, tandis que d’autres courent en avant sur leurs fières montures. C’est aux deux frontons surtout que Phidias avait voulu étaler la variété et la puissance de son génie. Dans le tympan tourné vers l’orient, il avait représenté la naissance de Minerve, et, dans celui qui regardait les Propylées, sa dispute avec Neptune pour le protectorat de l’Attique. Enfin dans la cella était la fameuse statue de la déesse, où le grand artiste avait essayé de sculpter, dans l’or et l’ivoire, le dernier mot de l’art (fig. 349). On comprend que Paul, voyant tout ce qu’un grand peuple avait mis d’empressement religieux, de dons naturels et de génie, au service du polythéisme le plus grossier, ait senti ce brisement de cœur, ce frémissement indigné de l’âme, cette immense pitié qu’inspire l’homme oublieux de sa propre destinée et rendant hommage à la plus dégradante erreur, quand il était fait pour glorifier la vérité.

Un peu plus au nord, dans trois sanctuaires rattachés l’un à l’autre sous le nom d’Érecthéion, on vénérait des souvenirs mythologiques se rapportant à l’origine d’Athènes. Minerve Poliade et Pandrose, fille de Cécrops, y avaient leurs prêtresses. Là se rendait périodiquement la procession fameuse des Panathénées, pour y offrir à la statue de Minerve tombée du ciel le péplum brodé par les jeunes Athéniennes. On peut dire que la roche tout entière de l’Acropole était remplie de sanctuaires idolâtriques, et, quand toute la plate-forme avait été envahie, on avait fouillé les flancs de la montagne ; et tout autour, dans des grottes artificielles, Pan, Apollon, Aglaure au nord, la Terre, Thémis, Vénus, les Nymphes et Esculape au sud, avaient leurs autels, leurs prêtres et leurs adorateurs. Sans doute, ainsi qu’il est dit au livre des Actes, xvii, 17, Paul allait à la synagogue se consoler d’un si douloureux spectacle, en louant, avec les rares Juifs et les prosélytes qui étaient à Athènes, le Dieu d’Israël. Là il essayait d’annoncer le Messie, que ce Dieu avait envoyé au monde ; mais ce cercle restreint du judaïsme ne suffisait plus à son zèle. Il se mit donc à chercher des auditeurs partout, dans l’Agora, Act., xvii, 17, 18, sous les portiques, dans les écoles des philosophes, au Lycée, au Cynosarge, à l’Académie, où les souvenirs de Platon devaient sourire à son âme en extase devant le divin idéal. Sa parole y fit impression, puisque les diverses sectes s’en émurent, et un jour on se saisit de l’étrange discoureur, qui fut amené à l’Aréopage, où il dut s’expliquer sur sa doctrine, nouvelle pour tous, et déraisonnable pour plusieurs.

Cette colline de Mars ou Aréopage, où il fut conduit, existe encore. C’est l’élévation rocheuse qui avoisine l’Acropole vers l’occident. Cf. Pausanias, I, xxviii, 5 ; Hérodote, viii, 52. On y monte par seize degrés taillés dans le roc, et conduisant à une plate-forme où trois bancs de pierre forment un rectangle ouvert du côté de l’escalier. Voir Aréopage, col. 941. Là Paul annonça le vrai Dieu, et, malgré un auditoire d’épicuriens qui ne voulait plus l’entendre parce qu’il prêchait la vie future, il put signifier aux faux dieux que l’heure était venue où ils allaient sortir de leurs temples, le Théséion qu’il avait à ses pieds vers le nord, l’Olympiéion vers le sud-est, le Parthénon sur sa tête. On eut beau sourire et lever la séance sans attendre la fin, sur le Pnyx qui s’élevait au midi, au delà de la route, avec ses grands souvenirs oratoires, Démosthène plaidant contre Philippe avait perdu sa cause ; sur l’Aréopage, Paul plaidant contre le paganisme gagna la sienne. Denys l’Aréopagite et une femme nommée Damaris ne furent que le prélude de plus nombreuses conquêtes. Act., xvii, 34. Avec le temps, le Dieu du Calvaire eut raison des dieux de l’Olympe. Une église dédiée à saint Denys, au pied même de l’Aréopage, a pris la place du sanctuaire des Euménides (fig. 350).

En dehors des anciens auteurs, qui sont la meilleure source sur la topographie d’Athènes, on peut consulter, parmi les modernes, les travaux de Kiepert et de Curtius, l’œuvre remarquable de C. Wachsmuth, Die Stadt Athen in Alterthum, in-8o, Leipzig, 1874 ; W. M. Leake, Topography of Athens, in-8o, Londres, 1821 ; 2e édit., 1841 ; Beulé, L’Acropole d’Athènes, 2 in-8o, Paris, 1854 ; G. F. Hertzberg, Athen, historisch-topographisch dargestelt, in-12, Halle, 1885.

E. Le Camus.