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Dictionnaire de la Bible/Babel

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Letouzey et Ané (Volume Ip. 1345-1346-1349-1350).
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BABEL (TOUR DE)

BABEL (TOUR DE). — 1o Histoire. — La Genèse, xi, 1-9, rapporte qu’après le déluge les hommes parlaient une langue unique et vivaient groupés dans la terre de Sennaar, en Babylonie, « et ils s’entre-dirent : Allons, faisons des briques et les cuisons au feu, » et ils se servirent de brique en guise de pierre, et de bitume en guise de ciment.
401. — État actuel des ruines de Birs-Nimroud.
Car ils s’étaient dit : « Allons, bâtissons une ville, avec une tour dont le faîte aille jusqu’aux cieux : ainsi nous ferons-nous un nom, de crainte que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre. » Cette entreprise ayant déplu à Jéhovah, il « descendit pour considérer la ville et la tour que bâtissaient les fils de l’homme, et il se dit : Voici, c’est [encore] un peuple unique, avec une seule langue pour eux tous ; allons, descendons, confondons leur langage, de sorte qu’ils n’entendent plus la langue l’un de l’autre ». Et Jéhovah les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi appela-t-on son nom « confusion (Babel), car Jéhovah avait là confondu le langage de toute la terre ». — Bérose, prêtre chaldéen de l’époque des premiers Séleucides, avait laissé un récit analogue dont il nous reste deux versions fort peu divergentes, l’une transmise par Abydène, l’autre par Alexandre Polyhistor, Historic, græcor. Fragm., édit. Didot, t. ii, p. 502 ; t. iv, p. 282 ; Eusèbe, Chron., i, 18, t. xix, col. 123 ; Præp. Ev., ix, 14. t. xxi, col. 701. La comparaison entre les fragments de Bérose et les textes cunéiformes, partout où elle a été possible, a toujours montré que celui-ci avait puisé réellement ses récits aux sources babyloniennes, et non pas dans les textes hébreux, comme on l’avait prétendu pour infirmer la valeur de ses témoignages corroborant les récits bibliques. — À la vérité, le récit babylonien de la construction de la tour de Babel n’a pas encore été découvert, et l’on n’en a pas non plus retrouvé de trace certaine sur les cylindres babyloniens. George Smith, dans sa Genèse chaldéenne, a bien publié un texte qu’il croyait, comme Chad Boscawen et Sayce le croient encore, avoir trait à cet événement ; mais le texte est si fruste, que la traduction n’offre qu’un mince degré de probabilité ; en outre, il s’y rencontre des mots de sens peu connu, et précisément celui de tammasle [?], qui est traduit par « langage ». Frd. Delitzsch fait remarquer que la traduction des mots les plus décisifs pour le sens du morceau est ce qui laisse le plus à désirer. Smith-Delitzsch, Chaldäische Genesis, 1876, p. 120-124, et Anmerk., p. 310.

Un texte de Nabuchodonosor, fils de Nabopolassar, est allégué avec plus de succès, soit pour le fait lui-même, soit pour la localisation de la tour de Babel et son identification avec le Birs-Nimroud actuel (fig. 401), à Borsippa, à douze kilomètres des ruines de la ville proprement dite, à dix-huit de celles de la cité royale de Babylone. Ce texte mentionne principalement deux temples, l’un nommé E-sak-ila (maison au sommet élevé), au nord de Babylone, sur la rive gauche de l’Euphrate, et dont les ruines forment le Babil actuel ; l’autre sur la rive droite, nommé E-zida (maison stable), à Borsippa, localité peut-être autrefois comprise dans l’agglomération de Babylone, dont les ruines forment le Birs-Nimroud. Nabuchodonosor les fit réparer tous les deux et orner d’une manière somptueuse. Le dernier, en particulier, n’avait jamais été achevé : un roi antérieur (maḥru) (cf. The cuneiform Inscriptions of Western Asia, t. i, pl. xxxviii, col. ii, l. 62) l’avait commencé, dit Nabuchodonosor, mais l’avait laissé inachevé à la hauteur de quarante-deux coudées ; les eaux pluviales, pénétrant les briques d’argile crue, l’avaient même fait tomber en ruines. Nabuchodonosor le répara entièrement, puis l’acheva. Cette traduction, qui est certaine, ne laisse aucune place à la confusion des langues, à laquelle le savant M. Oppert avait cru y voir une allusion ; ni à la date reculée « depuis les jours du déluge », que le même savant croyait voir attribuée à la pyramide : la formule « après le déluge » n’est pas inconnue à la langue assyrienne, où elle se lit arki abubi ; ultu umi rukuti, employé par Nabuchodonosor, est une formule d’usage fréquent, signifiant « depuis des jours éloignés ». Ces jours éloignés, et l’absence de désignation du sarru maḥru, du « roi antérieur », sont les seuls traits qui permettent d’attribuer à cette inscription quelque relation avec la tour de Babel. Cf. Cuneif. Inscript. of West. Asia, t. i, pl. 41, col. i, l. 27 ; col. ii, l. 15.

2o Site de la tour de Babel. — Le récit biblique nous apprend, comme Bérose, que la tour de Babel s’élevait à Babylone. C’est pourquoi H. Rawlinson la place aux ruines de Tell-Amram (Smith-Sayce, Chaldæan Account of the Genesis, 1880, p. 74, 171), dont M. Oppert fait les ruines des jardins suspendus ; Eb. Schrader, dans Biehm, Handwörterbuch des biblischen Altertums, t. i, p. 138, incline plus visiblement, suivant l’opinion de Pietro della Valle au siècle passé, pour l’amoncellement de ruines appelé le Babil, tandis que dans The Cuneiform Inscriptions and the Old Testament, t. i, p. 108, il laisse le choix entre le Babil et le temple de Borsippa ou Birs-Nimroud. Le nom de Babil semble être un souvenir traditionnel, et la situation du Babil dans Babylone même paraît aussi convenir aux exigences du texte biblique. — M. Oppert s’arrête au Birs-Nimroud, Expédition en Mésopotamie, t. i, p. 200-216 ; Id., Études assyriennes, p. 91-132, après Ker Porter et Rich, ainsi que A. H. Sayce, Lectures on the religion of the ancient Babylonians, p. 112, 113, 405-407. La tradition talmudique est en faveur de Borsippa : « Un homme à qui l’on demandait de quel pays es tu ? ayant répondu : de Borsoph (Borsippa). — Ne réponds pas ainsi, mais dis que tu es de Bolsoph, parce que c’est là que Dieu a confondu la langue de toute la terre
402. — Tour à étages.
Bas-relief assyrien. D’après G. Smith.
(b’lal s’pha). » Cependant entre l’époque de la composition du Pentateuque et celle de la compilation des légendes qui remplissent le Talmud de Babylone, d’où Buxtorf a tiré ce récit, Lexicon talmudicum, col. 313, il serait désirable d’établir quelques étapes : or la Bible n’a plus aucune allusion à la tour de Babel, même dans les oracles des prophètes contre Babylone. Il faut aussi avouer que beaucoup des localisations proposées par le Talmud pour la Babylonie sont fausses. De plus, Borsippa est à douze kilomètres au sud-ouest de l’ancienne Babylone : la Bible ne paraît pas supposer une telle distance. Il est vrai que Borsippa est enfermée dans l’enceinte extérieure, telle que la représente M. Oppert ; mais outre que cette immense étendue de Babylone paraît suspecte à beaucoup de savants (cf. G. Rawlinson, The five great monarchies, t. ii, p. 534-535), il n’est guère probable que ces limites extrêmes fussent atteintes au temps où nous reporte la Genèse.

3o Forme de la tour. — Bien qu’on ne connaisse donc pas avec certitude l’emplacement de la tour, il est facile de s’en faire une idée, car elle devait être bâtie suivant le plan unique adopté en Babylonie pour les constructions de ce genre (fig. 402), et dont on retrouve les vestiges dans les plus anciennes des pyramides d’Égypte, telles que celles de Saqqarah et de Meydoum. Ce sont de véritables cubes de maçonnerie, carrés ou rectangulaires, empilés par ordre de dimensions décroissantes : un plan incliné ou un escalier mène d’un étage à l’autre. Le nombre des étages varie ; les plus anciennes tours, celles d’Ur des Chaldéens et d’Arach, par exemple, n’en ont que deux ou trois ; le Birs-Nimroud en comptait sept, outre la haute terrasse sur laquelle se dressait le monument. Cf. Hérodote, i, 181 ; G. Rawlinson, The five great monarchies, t. ii, p. 547 ; Perrot, Histoire de l’art dans l’antiquité, t. ii, p. 381-407. Chaque étage était peint d’une couleur différente, suivant la planète à laquelle il était consacré. Généralement les angles de l’édifice, et non point, comme pour les pyramides d’Égypte, les faces, étaient exactement orientés aux quatre points cardinaux. Ces pyramides étagées, au haut desquelles il y avait un sanctuaire, servaient à la fois de temple et d’observatoire ; des gradins ou une sorte de rampe faisaient communiquer extérieurement un étage avec l’autre, peut-être y avait-il aussi un escalier intérieur.

Ces pyramides étaient bien, comme le dit la Bible, construites en briques ; l’intérieur était formé de briques séchées au soleil, mais il était protégé par un revêtement de briques cuites, où le bitume, fort abondant en Babylonie, servait de ciment. La remarque qu’en fait la Genèse
403. — Tour à étages de Khorsabad. La partie la plus noire est encore subsistante ; la partie supérieure plus claire est un essai de restauration. D’après V. Place.
est d’autant plus digne d’attention, que l’auteur hébreu n’avait pu, ni en Égypte ni en Palestine, être familiarisé avec cet usage du bitume. — Les tours à étages se nommaient en Assyrie zikurat ou zigurat, soit de la racine dekro, en syriaque « être pointu », comme veut Schrader ; soit d’une racine zakaru, « être élevé, » d’après Haupt ; soit, suivant une étymologie très intéressante, proposée par M. Vigouroux, de la racine zakaru, « se souvenir, » par allusion à la parole que la Bible met dans la bouche des constructeurs : « Allons, bâtissons une ville et une tour et faisons-nous un nom. » Quant au nom particulier de la tour des Langues, voir, à l’article Babylone, l’étymologie de Babilu. Voir aussi, à l’article spécial, la Confusion des langues. — Aucune de ces tours étagées n’a été conservée d’une manière complète ; mais les bas-reliefs assyriens où l’on en voit la représentation, ainsi que les restes relativement bien conservés de la tour de Khorsabad, au nord de Ninive, ont permis les restaurations qu’on voit dans Place, Ninive et l’Assyrie, t. i, p. 137-148 et pl. 30 et 33 (fig. 403). Des tours de Babylone et de Borsippa, le Babil n’offre plus qu’une sorte de quadrilatère irrégulier et raviné par endroits, de cent quatre-vingts à deux cents mètres de côté, d’environ quarante mètres de hauteur ; au nord et à l’est se découvrent les traces d’une vaste enceinte. Le Birs-Nimroud a encore quarante-six mètres de hauteur, bâti sur un plan rectangulaire et surmonté d’un énorme pan de mur dont la hauteur est de onze mètres et demi et qui provient de Nabuchodonosor, comme l’indiquent les inscriptions des briques : tous ces débris portent les traces d’un violent incendie qui les a vitrifiés. Suivant Hormuzd Rassam, une éruption volcanique aurait même fendu l’édifice, vitrifiant ainsi les briques au contact des flammes et de la lave. On comprend aisément que les Juifs de l’époque talmudique aient vu dans ces ruines à la fois si anciennes, si imposantes, et portant des marques si étonnantes de la colère céleste, les restes de la Tour de Babel. — Voir, outre les auteurs cités, Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 5e édit., t. i, p. 333-368 ; Schrader-Whitehouse, The Cuneiform Inscriptions and the Old Testament, t. i, p. 106-114 ; Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., t. i, p. 115-118.

E. Pannier.