Dictionnaire de la Bible/Serpent
SERPENT (hébreu : nâḥâš, ṡârâf, tannîn, ‘akšûb, ṣéfa‘, ṣif‘onî, ’êf‘éh ; Septante : ὄφις ; Vulgate : serpens, coluber), reptile dont le corps allongé, cylindrique et sans pieds, se meut au moyen de replis sur le sol. C’est un animal très souple et très agile. Ses yeux sans paupières ont une grande fixité, sa langue est fendue en deux. Plusieurs espèces sont ovipares et les autres ovovivipares, c’est-à-dire faisant éclore leurs œufs dans le sein même de la mère. Les serpents vivent surtout dans les pays chauds ; la plupart passent l’hiver cachés dans quelque trou et saisis par un engourdissement léthargique. Beaucoup de serpents sont pourvus d’une glande qui produit du venin. Ce venin est conduit à deux dents, appelées crochets, courbes, très pointues, munies d’un canal étroit et placées à la mâchoire supérieure. Les crochets, habituellement repliés et entourés par la gencive, se redressent quand l’animal veut mordre.
I. Les serpents de Palestine. — Les serpents sont très nombreux en Palestine ; les conditions climatériques et la nature du sol leur sont en effet des plus favorables. Une vingtaine d’espèces ont été reconnues, mais il y en a beaucoup d’autres qui n’ont pas été décrites. Treize d’entre elles sont inoffensives. Voir Couleuvre, t. ii, col. 1071. Cependant il y a de grosses couleuvres noires, coluber atro-virens, qui, à raison de leur taille et des dimensions de leur gueule, peuvent faire des blessures très profondes. Mais comme elles sont très craintives et fuient l’approche de l’homme, elles ne cherchent à mordre que quand on veut les prendre. Cf. Lortet, La Syrie d’aujourd’hui, Paris, 1884, p. 314. Les serpents venimeux appartiennent aux genres suivants : le cobra ou aspic, voir Aspic, t. i, col. 1124 ; cinq espèces de vipéridés : deux vipères proprement dites, vipera euphratica et vipera ammodytes ; la daboia xanthina, qui est appelée basilic par les versions, voir Basilic, t. i, col. 1495, le céraste, voir Céraste, t. ii, col. 432, et le scytale ou echis arenicola. Voir Vipère. À part la daboia, tous ces serpents ne se trouvent guère que dans la faune méditerranéenne et nord-africaine. Cf. Tristram, The natural History of the Bible, Londres, 1889, p. 269-280.
II. Les serpents de la Bible.
1o Le serpent du paradis. — Ce serpent est appelé du nom général de nâḥâš, qui ne désigne aucune espèce particulière. Il était « le plus rusé des animaux des champs. » Gen., iii, 1. Il parle à la femme pour la disposer à manger le fruit défendu et, avec habileté, il lui inspire le doute au sujet du commandement et de la menace de Dieu et finit par la persuader. Comme il n’est dans la nature du serpent ni de raisonner ni de parler, il ne faut voir ici dans cet animal que l’instrument ou la représentation d’un être supérieur capable d’entrer en communication avec la femme pour lui parler et la tenter de défiance et d’insoumission envers le Créateur. Cet être est clairement désigné dans d’autres passages bibliques. « C’est par l’envie du diable que la mort est venue dans le monde. » Sap., ii, 24. Satan « a été homicide dès le commencement. » Joa., viii, 44. « Le serpent ancien », c’est « celui qui est appelé le diable et Satan. » Apoc, xii, 9 ; xx, 2. Sur un cylindre babylonien, t. iv, fig. 564, col. 2124, deux personnages sont assis de chaque côté d’un arbre qui paraît être un palmier et qui porte deux fruits au-dessous du feuillage. Les personnages sont vêtus. Derrière le second personnage se dresse un serpent. Il est difficile de ne pas voir là une allusion à la tentation du paradis. Dans le poème de Gilgamès, quand le héros a trouvé la plante de vie, « un serpent sortit et lui ravit la plante. » Cf. Sauveplane, Une épopée babylonienne, tabl. ii, v. 305, p. 62 ; Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit, t. i, p. 276-282. La sentence portée par Dieu contre le serpent le condamne à être maudit entre tous les animaux, à marcher sur son ventre et à manger la poussière tous les jours de sa vie. Gen., iii, 14. Josèphe, Ant. jud., I, i, 4, conclut du récit biblique que, pour punir le serpent, Dieu lui a ôté la voix dont il avait si mal usé et l’a privé des pieds sur lesquels il marchait auparavant. Cette interprétation est trop servile. Dieu n’a pas changé la nature du serpent, il s’est contenté d’attacher une idée défavorable à sa démarche rampante. De même, « manger la poussière » veut seulement dire avoir la tête au niveau du sol, comme si l’animal mangeait de la poussière. L’inimitié établie entre la postérité de la femme et celle du serpent ne concerne pas ce dernier, mais seulement celui qui s’en est servi pour tenter.
2o Les verges changées en serpents. — Pour donner à Moïse une preuve de la mission qu’il lui confère, Dieu lui ordonne de jeter son bâton à terre ; ce bâton devient serpent, nâḥâš ; il lui commande de saisir ce serpent par la queue, et celui-ci redevient bâton. Exod., iv, 3, 4. Devant le pharaon, Moïse et Aaron exécutent le même prodige ; mais les magiciens égyptiens changent aussi leurs bâtons en serpents ; seulement celui d’Aaron dévore ceux des magiciens. Exod., vii, 9-12. Il y a un miracle divin du côté de Moïse et un prestige diabolique du côté des magiciens. Ceux-ci sont fort experts en prestiges. Il importe que les envoyés de Dieu triomphent d’eux sur leur propre terrain. Ceux qui les imitent aujourd’hui sont plus habiles à tromper les spectateurs qu’à exécuter des choses réellement merveilleuses. Voir Charmeur de serpents, t. ii, col. 595. « Dans un de nos voyages au Caire, en 1894, nous n’avions pu découvrir les procédés réels employés par les charmeurs de serpents de nos jours. Dans un nouveau voyage en 1899, nous avons eu la preuve qu’ils ne prenaient pas d’autres serpents que ceux qu’ils avaient habilement cachés ou dissimulés. Le P. E. Chautard, qui prit part avec nous à l’expérience, l’a racontée dans son livre Au pays des pyramides, in-4o, Tours, 1896, p. 112-116 » (F. Vigouroux).
3o Les serpents brûlants. — Au désert, les Hébreux murmurent à cause de la longueur du chemin et de la monotonie de la nourriture. Alors Dieu envoie des serpents brûlants qui les mordent et en font périr un grand nombre. Num., xxi, 6, 8 ; Deut., viii, 15. Ces serpents sont appelés ṡerâfîm, ὄφεις οἱ θανατοῦντες, « des serpents mortels », igniti serpentes. Ce nom de ṡerâfîm vient de ṡâraf, « brûler ». On ne peut dire à quelle espèce appartenaient ces serpents. Mais la presqu’île sinaïtique abonde en serpents très dangereux. Les Hébreux furent effrayés des blessures cuisantes et mortelles qu’ils en reçurent. Pour arrêter le fléau, Moïse dressa le serpent d’airain. Voir Serpent d’airain, col. 1674. Cf. Judith, viii, 25 ; I Cor., x, 9.
4o Les serpents volants. — Isaïe, xiv, 29, dans son oracle sur les Philistins, dit que, si la verge qui les frappait a été brisée, de la race du serpent sortira un basilic, dont le fruit sera un ṡârâf me‘ôfêf, « un serpent volant ». Ce serpent représente les fléaux qui châtieront les Philistins. Les Septante traduisent par ὄφεις μετάμενοι, « serpents ailés », et la Vulgate par absorbens volucrem, « dévorant l’oiseau ». Ailleurs, le prophète énumère, parmi les animaux qui infestent le désert entre la Palestine et l’Égypte, le šârâf me‘ôfêf, ἕκγονα ἀσπίδων πετομένων, regulus volans, « le serpent volant ». Is., xxx, 6. Hérodote, ii, 75 ; iii, 107, 109, parle aussi de serpents ailés qui, au commencement du printemps, volent d’Arabie en Égypte, mais sont arrêtés et tués par les ibis. Il ajoute que ces serpents gardent les arbres à encens en Arabie, et qu’on les en écarte en brûlant du styrax. On ne connaît pas de serpents ailés. Il existe seulement un petit saurien, appelé dragon, draco ou dracunculus, pourvu de deux membranes latérales formées par un repli de la peau. Le dragon ne peut pas se servir de ces appendices pour voler ; il les utilise seulement pour se maintenir en l’air quand il saute de branche en branche. Ce dragon n’habite pas les déserts, mais les forêts, comme le suppose Hérodote qui en fait le gardien des arbres. Il suit de là que les serpents auxquels Isaïe fait allusion sont simplement des serpents de sable, qui se meuvent avec une grande rapidité, à moins que le prophète ne prête des ailes à certains serpents pour marquer qu’ils sont plus agiles et plus dangereux que toutes les autres espèces connues. Cf. Tristram, The natural History of the Bible, p. 278.
5o Traits bibliques sur les serpents. — 1. Il est souvent question du venin des serpents. Deut., xxxii, 33, Ps. lviii (lvii), 5, etc. Voir Venin. C’est en mordant que le serpent inocule le venin contenu dans ses crochets ; du reste, pour y réussir, le serpent frappe plutôt avec ses crochets qu’il ne mord. Am., ix, 3 ; Sap., xvi, 5. — 2. Les serpents ont la langue très effilée et très mobile. Les méchants aiguisent leur langue comme le serpent ; mais le venin est sous leurs lèvres et non au bout de leur langue. Ps. cxl (cxxxix), 4. — 3. Le serpent fait entendre un sifflement qui effraie, surtout dans les ténèbres. Sap., xvii, 9. — 4. Les serpents rampent dans la poussière. Deut., xxxii, 24. Pour caractériser cette attitude, les auteurs sacrés disent qu’ils mangent ou lèchent la poussière, Is., lxv, 25 ; Mich., vii, 17, comme nous disons de quelqu’un qui est tombé dans le combat, qu’il mord la poussière. — 5. Le serpent fréquente les rochers ; mais il est impossible de reconnaître sa trace sur le roc. Prov., xxx, 19. On s’expose à la morsure du serpent quand on met la main sur le mur de pierres sèches où il se cache, Am., v, 19, ou qu’on renverse ce mur. Eccle., x, 8. Du reste, le serpent est extrêmement rusé pour fuir le danger. Gen., iii, 1. Notre-Seigneur recommande à ses disciples d’être prudents comme le serpent, Matth., x, 16, car le serpent ne s’expose jamais au péril et il se dérobe à la moindre menace. — 6. Le serpent venimeux est toujours à craindre et à fuir. Il faut fuir le péché comme le serpent, Eccli., xxi, 2, et se défier du vin, qui finit par mordre comme le serpent. Prov., xxiii, 32. Un père se garde bien de donner un serpent à son fils qui lui demande un poisson. Matth., vii, 10 ; Luc., xi, 11. Notre-Seigneur traite les scribes et les pharisiens de serpents et de race de vipères, à cause de leur influence néfaste sur le peuple. Matth., xxiii, 33. Il faut une protection particulière de Dieu pour fouler aux pieds ou saisir impunément les serpents. Ps. xci (xc), 13. Le Sauveur donne ce pouvoir à ses disciples, Marc., xi, 18 ; Luc., x, 19, indiquant par là qu’il les prémunit contre la malice de tous les ennemis. — 7. Saint Jean voit des chevaux qui ont des queues semblables à des serpents, par conséquent très dangereuses. Apoc., ix, 19. Il voit aussi Satan sous la forme d’un grand serpent. Apoc., xii, 9, 14, 15 ; xx, 2. — Sur le serpent tortueux de Job, xxvi, 13, voir Dragon, t. ii, col. 1504, et sur celui d’Isaïe, xxvii, 1, voir Léviathan, t. iv, col. 213. Sur le qippôz, dans lequel les versions voient un hérisson, Is., xxxiv, 15, et beaucoup d’auteurs un serpent, le serpens jaculus, voir Duc, 3o, t. ii, col. 1509.