Dictionnaire de la Bible/Veau d’or
VEAU D’OR (hébreu : ‘êgél massêkâh ; Septante : μόσχος χωνευτός ; Vulgate : vitulus conflatilis), veau de métal fabriqué pour être l’objet d’un culte idolâtrique.
1o Au désert. — Pendant les quarante jours que Moïse demeura sur le Sinaï pour y recevoir la loi de Jéhovah, Exod., xxiv, 18 ; Deut., ix, 11, les Israélites se découragèrent en s’imaginant qu’il ne reviendrait plus pour les guider. Ils s’adressèrent donc à celui qui était le plus qualifié pour leur venir en aide, Aaron, et lui demandèrent de leur faire ’êlohîm ’âšér yêlkû lepanênû, θεούς οἴ προπορεύσονται, deos qui nos præcedant. Ce pluriel, qu’on reproduira bientôt en l’appliquant à une effigie unique, Exod., xxxii, 1, 4, est évidemment à entendre au singulier, sinon dans la pensée du peuple, du moins dans celle d’Aaron. Peut-être le peuple réclamait-il plusieurs simulacres, figurant, comme en Égypte, les différents attributs de la divinité. Il est possible d’ailleurs, comme l’insinue saint Paul, I Cor., x, 7, que ce désir n’ait pas été partagé par le peuple tout entier. Il était en effet radicalement contraire à la loi du Décalogue qui venait d’être promulguée. Exod., xx, 4. Aaron ne se sentit pas en mesure de résister à la requête qui lui était adressée par des hommes égarés, capables de se porter à de redoutables extrémités, peut-être même de reprendre le chemin de l’Égypte. Quelle responsabilité n’eût-il pas encourue aux yeux de Moïse, si celui-ci, à son retour, n’eût plus retrouvé qu’un peuple révolté et disséminé à travers le désert ? Il se décida donc à faire ce qu’on lui demandait, mais à une condition qui devait donner à réfléchir et qui peut-être ferait renoncer le peuple à son exigence. Il demanda qu’on lui apportât les anneaux d’or que les femmes, leurs fils et leurs filles portaient aux oreilles. Le sacrifice fut consenti sans hésitation et Aaron dut exécuter ce qu’on attendait de lui. Il fit fondre le métal précieux et fabriquer un veau d’or. Voir Or, t. iv, col. 1839. Tenta-t-il, en faisant exécuter hâtivement un simulacre grossier, de décourager les Israélites et de leur faire comprendre l’inconvenance de leur désir ? Il n’y réussit certainement pas ; car, dès que l’œuvre fut achevée, ses inspirateurs dirent à tout le peuple : « Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte. » Les Septante et le Syriaque attribuent ces paroles à Aaron lui-même. Il serait donc possible que, par un changement de ponctuation, les anciens transcripteurs hébreux aient mis le pluriel, pour atténuer la responsabilité d’Aaron. Tous savaient que Jéhovah avait été l’auteur de la délivrance de son peuple. On ne pouvait donc voir dans l’effigie d’or qu’une représentation de Jéhovah, que seuls les plus grossiers seraient tentés de confondre avec lui. — Voyant l'état d’esprit du peuple et ne sachant lui-même quand Moïse reparaîtrait, Aaron dressa un autel devant le veau d’or et dit : « Demain, il y aura fête en l’honneur de Jéhovah ! » C’était une manière d’affirmer la souveraineté de Dieu qui s’était révélé à Moïse et d’empêcher des écarts nettement idolâtriques. Par la célébration de la fête, Aaron pouvait aussi gagner du temps et calmer l’impatience inquiète des Israélites. Averti par le Seigneur, Moïse intercéda pour son peuple et descendit de la montagne. Il trouva tout le camp en fête, s’indigna vivement et interpella Aaron : « Que t’a fait ce peuple, pour que tu aies amené sur lui un tel péché ? » Aaron s’excusa en rappelant les exigences des Israélites. Moïse broya le veau d’or et le fit réduire en poudre ; il répandit cette poudre dans l’eau et ordonna aux enfants d’Israël de la boire. Profitant de ce que la plupart des coupables étaient désarmés, il fit appel à ceux qui voudraient venger l’offense faite à Jéhovah. Les enfants de Lévi se présentèrent, fondirent sur les prévaricateurs au milieu de leurs festins et en massacrèrent 3 000 (et non 23 000, comme porte la Vulgate actuelle). De retour auprès de Jéhovah sur la montagne, Moïse implora et obtint le pardon de son peuple. Exod., xxxii, 1-35. — Cette tentative avait mis en lumière les instincts idolâtriques des Israélites. Le grossier emblème du veau d’or fut détruit ; mais, par la suite, le Seigneur ordonna la construction de l’Arche d’alliance, qui devait être comme le signe sensible de sa présence au milieu de son peuple. Moïse revint plus tard sur ce triste épisode. Il rappela combien Jéhovah avait été irrité contre son peuple, et particulièrement contre Aaron qu’il eût fait périr sans la supplication de Moïse. Deut., ix, 8-21. Aaron s’était donc montré gravement coupable de faiblesse, en se prêtant à l’exécution d’un pareil attentat contre la gloire de Jéhovah. Cf. Ps. cvi (cv), 19-23 ; II Esd., ix, 18 ; Act., vii, 40, 41.
2o En Samarie. — En attribuant à Jéroboam la
royauté sur dix tribus, le Seigneur lui promit, s’il
était fidèle à ses lois, de bénir sa maison comme il
l’avait fait pour David. III Reg., xi, 37, 38. La division
du royaume demeurait donc compatible avec le maintien
du culte traditionnel. Jéroboam n’eut pas une foi
suffisante en cette promesse divine. Il s’imagina que
la fréquentation du Temple de Jérusalem par ses sujets
porterait préjudice à la solidité de son pouvoir et
amènerait fatalement les Israélites à se replacer sous
la domination des descendants de David. Pour parer
à ce danger, il fit fabriquer deux veaux d’or, qu’il
544. — Taureau sacré.
Modèle de sculpture, au musée de Gizéh.
installa aux deux extrémités de son royaume, à Dan et
à Béthel. Puis il dit aux Israélites, comme on avait dit
autrefois au désert : « Israël, voici ton Dieu qui t’a
fait sortir du pays d’Égypte. » Enfin il institua
un nouveau culte et un nouveau sacerdoce, pour que
son peuple n’eût rien à envier à celui de Juda. Le
Seigneur fit signifier à Jéroboam combien son entreprise
lui déplaisait. III Reg., xii, 26-33 ; xiii, 1-10. Le
roi d’Israël n’avait pas le dessein d’ériger des idoles,
mais seulement des représentations visibles de Jéhovah.
Néanmoins son initiative était condamnée par le texte
du Décalogue et par les suites qu’avait entraînées
l’aventure du veau d’or d’Aaron. En outre, la nouvelle
institution détournait pratiquement les Israélites du
culte qui leur était prescrit dans le Temple de Jérusalem.
Abia, roi de Juda, reprocha en vain à Jéroboam
son entreprise sacrilège. II Par., xiii, 8. Les deux
veaux d’or demeurèrent en place. Jéhu fit disparaître
les idoles de Baal, mais laissa subsister les veaux d’or.
IV Reg., x, 29. À quelques exceptions près, les Israélites
leur rendaient un culte assidu. Tob., i, 5. Osée,
viii, 6, prédit la mise en pièces du veau de Samarie. Il
reproche à Israël de s’abaisser à adorer des veaux. Ose.,
xiii, 2. Il était inévitable, en effet, que les Israélites en
vinssent peu à peu à prendre l’effigie pour la divinité
elle-même et à tomber ainsi dans la plus grossière
idolâtrie. Cette adoration des veaux d’or est signalée
comme l’une des impiétés qui amenèrent la ruine du
royaume d’Israël. IV Reg., xvii, 16. En souvenir de ce
culte idolâtrique, le nom de Béthaven, « maison de la
vanité » ou « de l’idole », fut attribué à Béthel. Voir
Béthaven, t. i, col. 1666.
3o Raison du symbole. — Il y a lieu de se demander quel motif put déterminer Aaron et plus tard Jéroboam à choisir un jeune taureau comme symbole de Jéhovah. Les Hébreux sortaient d’Égypte, où ils avaient vu les habitants adorer un bœuf. En faisant fondre un veau d’or, Aaron devait savoir qu’il répondrait ainsi à la pensée des Israélites accoutumés à voir plusieurs divinités égyptiennes qui se personnifiaient dans un taureau, principalement le dieu Apis (Hapi) qui est la seconde vie de Phtah ; il était honoré à Memphis. Apis mort était Osiris, d’où les Grecs firent Sérapis. On trouve aussi représenté sous forme de bœuf ou de taureau : Mnévis ou l’âme de Râ à Héliopolis ; le dieu Kem à Thèbes ; Mentou à Hermonthis. Voir Apis, t. i, col. 741. Ces dieux étaient censés marquer de certains stigmates les sujets qu’ils animaient. Ces stigmates consistaient en taches noires disposées comme dans la figure 544 ; Cf. Mariette, Notice des principaux monuments, 1876, p. 222, n. 666 ; Maspero, Histoire ancienne, t. i, p. 119. Le choix de cette représentation divine rappelait d’ailleurs aux Hébreux de vieilles traditions ancestrales. Les Babyloniens et les Assyriens avaient un dieu Hadad ou Adad, qui présidait aux vents, aux orages et aux tonnerres. Identique à Rammân, voir Remmon, t. v, col. 1036, il était symbolisé par le taureau, comme l’Indra védique. Or, au Sinaï, Jéhovah venait de se manifester au milieu des éclairs et des tonnerres. Exod., xix, 16-20. Il était donc naturel que, pour rappeler à son peuple la présence de Jéhovah qui l’avait tiré d’Égypte, Aaron empruntât le symbole du dieu babylonien des orages, Hadad, le dieu sémite, pour représenter la protection divine assurée à Israël. Hadad devint le dieu le plus vénéré et le plus répandu de la Syrie. Voir Hadad, t. iii, col. 391. Les rois de Damas, comme ceux d’Assyrie, aimaient à faire entrer son nom dans la composition du leur. — Jéroboam fit plus tard comme Aaron en érigeant ses veaux d’or à Dan et à Béthel. Il fusionnait ainsi dans un même symbole l’idée du vrai Dieu et celle d’une des divinités sémites les plus populaires. Cf. Dhorme, Les Sémites, dans Où en est l’histoire des religions, Paris, 1911, t. i, p. 147, 165, 166, 177 ; Lagrange, Études sur les religions sémitiques, Paris, 1905, p. 93, 94 ; H. Vincent, Canaan, Paris, 1907, p. 467.