Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines/Diasia

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DIASIA (Διάσια). — C’est une des plus anciennes fêtes grecques de l’Attique. Elle eut dans l’origine beaucoup d’importance[1], mais le développement du culte de Dionysos, des grandes fêtes des Lénéennes et des Anthestéries, placées à une époque voisine, contribua certainement à en diminuer le prestige à l’époque classique. Elle avait lieu le 23 du mois Anthestérion (14 mars) et était célébrée en l’honneur de Zeus Meilichios[2] [meilichios] ; les sacrifices offerts à cette divinité, qui avait un caractère chthonien et mystérieux, se faisaient après le soleil couché et même pendant la nuit[3].

Ces cérémonies avaient leur place dans le culte public et privé. La fête publique comptait au nombre des πάτριοι θυσίαι[4]. L’archonte roi accomplissait le sacrifice, probablement sur l’autel commun d’Hestia (ἐπὶ τῆς κοινῆς ἑστίας) placé dans le Prytaneion[5]. On sait que chaque maison particulière de quelque importance avait aussi son autel d’Hestia [ara, domus] et c’est là que le chef de la famille devait procéder aux cérémonies du même genre en l’honneur de Zeus Meilichios[6]. Le sacrifice public était suivi de cérémonies religieuses auxquelles toute la population de l’Attique était conviée et qui, d’après un texte de Thucydide qu’on a malheureusement des raisons de croire interpolé, avaient lieu en dehors de la ville (ἔξω τῆς πόλεως)[7]. On présume que l’emplacement choisi était le bord de l’Ilissus, à proximité du temple de Jupiter Olympien[8].

Quel était le caractère de ces cérémonies ? Thucydide dit que tous les assistants n’offraient pas des sacrifices ἱερεῖα, mais des θύματα ἐπιχώρια[9]. Le scholiaste explique ἱερεῖα par πρόβατα, c’est-à-dire des bestiaux de tout genre et plus spécialement des moutons ou des brebis[10]. Ces ἱερεῖα prenaient évidemment place dans le sacrifice officiel présidé par l’archonte. Le porc était aussi une victime usitée dans les sacrifices à Zeus Meilichios[11], comme ceux qu’on offrait à Déméter, à Coré et à d’autres divinités des Mystères [voyez cérès, p. 1068]. Quant aux θύματα ἐπιχώρια, le scholiaste dit que c’étaient de simples gâteaux façonnés en forme d’animaux qu’on plaçait sur l’autel du dieu[12]. Cette substitution s’explique par le grand concours de population qui était convoquée aux Diasia et dont la majorité n’était pas suffisamment riche pour faire la dépense d’une victime réelle. Hérodote confirme cette explication en rapportant qu’en Égypte les gens pauvres, au lieu de sacrifier des porcs, pétrissent de la pâte de farine à l’image de ces animaux, les font cuire et les offrent en sacrifice sous cette forme[13]. On connaît de nombreux exemples de cette espèce de tricherie économique, pratiquée à l’égard des dieux et des morts et qui respectait les principes religieux en sauvegardant les intérêts privés[14].

On peut inférer d’un texte de Xénophon, comme du caractère général attribué au culte de Zeus Meilichios, que l’offrande des victimes était essentiellement propitiatoire et exigeait l’holocauste, c’est-à-dire la crémation complète de l’animal, sans aucune part réservée aux vivants[15]. Il est probable aussi que le vin était proscrit des libations et que les boissons νηφάλια, l’eau pure ou l’eau miellée, étaient rituelles[16].

Le caractère grave et sombre de ces fêtes est marqué par les mots συγνότης et σκυθρωπός, ἀνίαι, ἆσαι[17], qui rappellent les phases de tristesse et de deuil par lesquelles passaient aussi les assistants dans les grandes fêtes des Mystères [eleusinia]. Il y avait cependant une part pour les réjouissances : on donnait aux enfants des jouets, entre autres de petites voitures (ἀμαξίδες)[18]. Il y eut aussi des concours littéraires, des lectures d’ouvrages[19], mais cet usage ne date sans doute que de l’époque gréco-romaine où les joutes oratoires devinrent le complément ordinaire des fêtes religieuses[20].

Un scholiaste a voulu établir, d’après un texte d’auteur ancien, une distinction essentielle entre les Diasia et les fêtes de Zeus Meilichios, en les assimilant aux Dipoleia[21] [dipoleia]. Cette distinction et cette assimilation paraissent être également erronées[22]. E. Pottier.


  1. Thucyd. I, 126 : Διάσια, ἂ καλεῖται Διὸς ἕορτὴ Μελιχίου μεγίστη. Voy. toute l’histoire de Cylon dans ce chapitre de Thucydide. Cf. Schol. Aristoph. Equit. 443.
  2. Schol. Aristoph. Nub. 407. M. Oskar Band, Die attischen Diasien, p. 10, croit pouvoir en fixer l’époque avec plus de précision encore, du coucher du soleil du 13 mars à celui du 14. M. A. Mommsen (Heortologie, p. 19 et 379) pense qu’à l’époque la plus ancienne, les Diasia étaient fixées à une autre date dans le mois Anthestérion.
  3. Paus. X, 33, 4.
  4. Band. l. c. p. 10.
  5. Plutarch. Quaest. conviv. VI, 8, 1. Cf. Hauvette-Besnault, De archonte rege, p. 65.
  6. Aristoph. Nub. 407.
  7. Thucyd. I, 126. Cf. Mommsen, op. l. p. 384-385 ; O. Band. op. l. p. 4 ; M. Mommsen, op. l. p. 381, pense que la mention ἔξω τῆς πόλεως se rapporte à une époque postérieure à Cylon.
  8. Mommsen, op. l. p. 379-380 ; O. Band, Op. l. p. 11.
  9. Thucyd. l. c.
  10. Schol. Thucyd. eod. loc.
  11. Xenoph. Anab. VII, 8, 5.
  12. Schol. Thucyd. l. c. : τινὰ πέμματα εἰς ζώων μορφὰς τετυπωμένα ἔθυον.
  13. Herodot. II, 47 ; cf. Servius, Ad Aen. II, 116 ; IV, 454.
  14. Cf. Pottier et Reinach. La nécropole de Myrina, Index analytique, s. v. Substitutions.
  15. Xenoph. Anabas. VII, 8, 5 ; cf. Band, Op. l. p. 13.
  16. Corp. insc. att. I, no 4 ; Band, Op. l. p. 8 et 13.
  17. Schol. Aristoph. Nub. 407 ; Schol. Lucian. Tim. 7 et 43 ; Icarom. 24 ; Hesych. s. v. Διάσια ; Suidas, s. cod. v. ; Etym. Magn. s. eod. v. ; cf. Band, Op. l., p. 15, 17.
  18. Aristoph. Nub. 863 et Schol. ad h. loc. D’après le scholiaste, ces petites voitures seraient elles-mêmes des gâteaux comme les offrandes en forme d’animaux.
  19. Lucian. Charidem, 1. Il cite un ἐγκώμιον Ἡρακλέους couronné aux Diasia.
  20. Voy. Lafaye, De poetarum et oratorum certaminibus apud veteres, Paris, 1883.
  21. Schol. Aristoph. Nub. 407. Cette assertion est contredite formellement par le texte de Thucydide et la plupart des autres.
  22. C’est aussi sans doute à une erreur qu’est due la restitution du mot Διασίων dans une inscription de Sardes (Corp. insc. gr. no 3461) ; cette fête est essentiellement attique. — Bibliographie. Hermann, Lehrbuch der gottesdientl. Alterth. der Griechen, 1858, § 58, p. 308 ; Id. Philologus, II (1847), p. 1-11 ; A. Mommsen, Heontologie, 1864, p. 379-386 ; O. Baud, Die altischen Diasien (Programm der Victoriaschule), Berlin, 1883.