Dictionnaire des antiquités grecques et romaines/ABIGERE PARTUM

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ABIGERE PARTUM. Pour les Grecs, voyez amblosis. — Ces mots désignaient, à Rome, le crime d’avortement. D’après l’opinion qui tend à prévaloir en Allemagne, et qui s’appuie d’ailleurs sur un grand nombre de textes, l’avortement volontaire ne fut pas considéré comme un délit pendant la durée de la République. Ni les philosophes de l’école stoïcienne ni les jurisconsultes ne voyaient encore un être humain dans l’enfant simplement conçu ; il était regardé seulement comme pars viscerum matris 1[1]. Cet acte ne constituait pas un cas particulier de meurtre, mais seulement une action immorale. Si le père de l’enfant l’avait autorisée, il appartenait à la juridiction censoriale [censor], chargée de la haute surveillance des mœurs, d’apprécier les motifs de l’avortement et de le punir au besoin. S’il avait eu lieu à l’insu du mari, soit parce que la mère redoutait les périls de l’enfantement, soit par suite de son aversion pour son époux, celui-ci trouvait dans son autorité ou dans le tribunal domestique [judicium domesticum] des moyens suffisants de punition. Un passage de Plutarque 2[2] semble prouver que les anciennes lois s’étaient occupées de ce point ; mais ni le sens ni la pureté du texte ne paraissent bien certains 3[3]. Quant à l’avortement d’une femme non mariée, l’État ne s’en occupait pas.

Lorsque la corruption eut envahi la cité romaine, cette criminelle pratique s’accrut dans des proportions effrayantes 4[4]. L’État dut enfin intervenir, et l’emploi des moyens d’avortement fut sévèrement interdit. Bynkershœk 5[5] admet qu’une peine publique fut prononcée dès le temps de Cicéron contre les femmes coupables d’avortement. Celui-ci raconte, en effet 6[6], qu’une femme de Milet fut frappée d’une peine capitale pour avoir détruit son fruit ; mais, comme le font observer G. Noodt 7[7] et Rein 8[8], Cicéron n’aurait pas eu recours à un exemple puisé dans une législation étrangère, si l’avortement avait été puni à Rome d’une peine capitale.

On ne trouve de trace d’une loi pénale contre l’abortio partus que 200 ans environ après Jésus-Christ, sous le règne de Septime Sévère et de son fils Antonin Caracalla 9[9]. Le jurisconsulte Marcien nous apprend 10[10] qu’en vertu d’un rescrit de ces empereurs la femme coupable d’avortement volontaire doit être envoyée, par le président de la province, en exil temporaire, parce qu’il serait indigne qu’une femme pût impunément enlever à son mari l’espoir d’une postérité. Tryphoninus 11[11] se réfère au même rescrit, en appliquant cette peine à la femme divorcée qui se fait avorter, ne jam inimico marito filium procrearet. On voit encore apparaître ici, comme un motif de pénalité, l’intérêt du mari. Longtemps auparavant, du reste, la même idée se montre déjà dans Tacite 12[12] lorsqu’il nous raconte les accusations odieuses que Néron élevait contre la fidélité conjugale d’Octavie. Mais l’avortement n’en était pas moins puni d’une manière absolue, et indépendamment du préjudice causé au mari, comme le prouvent très-bien Platner 13[13] et Rein 14[14]. On punissait aussi ceux qui procuraient des breuvages abortifs, abortionis poculum, ou qui en vendaient 15[15] même sans dol, et sur les prières de la femme. En raison du péril public, mali exempli, la peine des mines était prononcée contre les coupables de basse condition, et la relégation dans une île avec confiscation partielle contre les autres [poenæ, exsilium, confiscatio]. Si la femme avait péri, celui qui avait procuré le breuvage était frappé du dernier supplice 16[16]. Justinien 17[17] range l’avortement volontaire de la femme parmi les causes de répudiation [divortium] permise au mari, indépendamment des peines à infliger d’après les anciennes lois. Du reste, ce crime demeura fréquent dans l’empire romain malgré la vigilance que les empereurs chrétiens apportèrent dans l’application de la pénalité 18[18]. G. Humbert.

Bibliographie. Matthacus, De criminitatis. 47, 5, 1 ; Bochmer, De caede infant. 1740 ; Rein, Das Criminalrecht, p. 445, note 2. Leipzig, 1844.

  1. ABIGERE PARTUM. 1 Rein, Das Criminalrecht der Römer, p. 445 ; Plut. Plac. philos. V, 15 ; 1. 9, § I, Dig. Ad leg. Falcid. XXXV, 2 ; I. I, § 1, Dig. De insp. ventr. XXV, 4 ; L. 1 ; De mort. infer. Dig. XI, 8 ; Cicer. Pro Cluent. XI ; L. I, § 8, Dig. Unde cognat. XXXVIII, 8. —
  2. 2 Rom. 22. -
  3. 3 Rem. Das Criminalrecht, p. 446, note. —
  4. 4 Ovid. Amor. II, 14, 36, sq. ; Juven. Sat. II, 32 ; VI, 595 sq. ; Suet. Dom. 22 ; Senec. Ad Helv. 10, etc. —
  5. 5 De jure Occid. c. 7. —
  6. 6 Pro Ciuent. 11. —
  7. 7 Ad Jul. Paul. Sent. ob. c. 11. —
  8. 8 P. 447.
  9. 9 Gros. VII, 17 et sq. —
  10. 10 I. 4, Dig. De extraord. crimin. XLVII, II. —
  11. 11 I. 39, Dig. De poenis, XLVIII, 19.
  12. 12 Ann. XIV, 63.
  13. 13 Quaest. de jure crim. Rom. p. 211.
  14. 14 Op. cit. p. 448 ; I. 8, Dig. Ad leg. Cornel. De sicar. XLVIII, 8 ; I. 38, § 5, De poenis, XLVII, 19.
  15. 15 l. 3, § 1 et 2, Dig. Ad leg. Corn. De sicar.
  16. 16 Paul. Sent. V. 23, 14. —
  17. 17 Novell. 22, c. 16.
  18. 18 Tertull. Apol. 9 ; Hiéron. Epist. p. 22, ad Eustach. ; Amm. Marc. XVI, 10, et Rein, op. l. p. 449.