EXTRAITS D’AUTEURS CÉLÈBRES.
Nous donnons quelques exemples des énormités relevées chez les grands maîtres. Ce sont ces pensées que Flaubert devait faire copier par ses deux bonshommes, qui, furieux de n’avoir pas trouvé dans la science la certitude qu’ils cherchaient, se vengeaient en notant les stupidités qui, pour le commun des hommes, tiennent lieu de science en société.
Morale :
Les souverains ont le droit de changer quelque chose aux mœurs.
L’étude des mathématiques, en comprimant la sensibilité et l’imagination, rend quelquefois l’explosion des passions terribles.
L’eau est faite pour soutenir ces prodigieux édifices flottants que l’on appelle des vaisseaux.
Shakespeare lui-même, tout grossier qu’il était, n’était pas sans lecture et sans connaissance.
Style ecclésiastique :
Mesdames, dans la marche de la société chrétienne, sur le railway du monde, la femme, c’est la goutte d’eau dont l’influence magnétique, vivifiée et purifiée par le feu de l’Esprit saint, communique aussi le mouvement au convoi social sous son impulsion bienfaisante ; il court sur la voie du progrès et s’avance vers les doctrines éternelles.
Mais si, au lieu de fournir la goutte d’eau de la bénédiction divine, la femme apporte la pierre du déraillement, il se produit d’affreuses catastrophes.
Périphrases. — Imbéciles :
Je trouverais mauvais qu’une fille peu sage vécût avec un homme avant le mariage.
Style romantique :
Sibylle, jouant de la harpe, était généralement adorable. Le mot ange venait aux lèvres en la regardant.
Style des souverains :
La richesse d’un pays dépend de la prospérité générale.
Style catholique :
L’enseignement philosophique fait boire à la jeunesse du fiel de dragon dans le calice de Babylone.
Les inondations de la Loire sont dues aux excès de la presse et à l’inobservation du dimanche.
Idées scientifiques. — Histoire naturelle :
Les femmes en Égypte se prostituaient publiquement aux crocodiles !
Les puces se jettent, partout où elles sont, sur les couleurs blanches. Cet instinct leur a été donné afin que nous puissions les attraper plus aisément.
Le melon a été divisé en tranches par la nature afin d’être mangé en famille ; la citrouille, étant plus grosse, peut être mangée avec les voisins.
Souci de la vérité :
Toute autorité, mais surtout celle de l’Église, doit s’opposer aux nouveautés, sans se laisser effrayer par le danger de retarder la découverte de quelques vérités, inconvénient passager et tout à fait nul, comparé à celui d’ébranler les institutions et les opinions reçues.
La maladie des pommes de terre a pour cause le désastre de Monville. Le météore a plus agi dans les vallées, il a soustrait le calorique. C’est l’effet d’un refroidissement subit.
Poissons :
Je remarque sur les poissons que c’est une merveille qu’ils puissent naître et vivre dans l’eau de la mer, qui est salée, et que leur race ne soit pas anéantie depuis longtemps.
De la chimie :
Est-il nécessaire d’observer que cette vaste science (la chimie) est absolument déplacée dans un enseignement général ? À quoi sert-elle pour le ministre, pour le magistrat, pour le militaire, pour le marin, pour le négociant ?
Bêtises sur les grands hommes :
Malgré la réputation dont jouit cet écrivain (La Bruyère), il y a beaucoup de négligence dans son style.
(Descartes), rêveur fameux par les écarts de son imagination et dont le nom est fait pour le pays des chimères.
Rabelais, ce boueux de l’humanité.
Lulli :
Ses airs tant répétés dans le monde ne servent qu’à insinuer des passions les plus déréglées.
Molière :
C’est dommage que Molière ne sache pas écrire.
Molière est un infâme histrion.
Byron :
Le génie byronien me semble, au fond, un peu bête.
À mon avis, Byron, très justement rejeté de la famille et de la patrie, c’est-à-dire mis au bagne pour avoir été mari infidèle et citoyen scandaleux, s’il eût été homme de sens et vraiment grand par l’esprit et par le cœur, aurait fait tout simplement pénitence, afin de reconquérir le droit d’élever sa fille et de servir son pays.
Injures aux grands hommes :
C’est (Bonaparte) en effet un grand gagneur de batailles ; mais, hors de là, le moindre général est plus habile que lui.
Bonaparte :
On a cru qu’il (Bonaparte) avait perfectionné l’art de la guerre, et il est certain qu’il l’a fait rétrograder vers l’enfance de l’art.
Bacon :
Bacon est absolument dépourvu de l’esprit d’analyse ; non seulement ne savait pas résoudre les questions, mais ne savait pas même les poser.
Bacon, homme étranger à toutes les sciences et dont toutes les idées fondamentales étaient fausses.
Gœthe :
La postérité, à laquelle Goethe a donné son œuvre à juger, fera ce qu’elle a à faire. Elle écrira sur ses tablettes d’airain :
« Goethe, né à Francfort en 1749, mort à Weimar en 1832, grand écrivain, grand poète, grand artiste. »
Et, lorsque les fanatiques de la forme pour la forme, de l’art pour l’art, de l’amour quand même et du matérialisme, viendront lui demander d’ajouter :
« Grand homme ! » elle répondra : Non !
23 juillet 1873.
Idées sur l’art. — Imbéciles :
Nul doute que les hommes extraordinaires, en quelque genre que ce soit, ne doivent une partie de leurs succès aux qualités supérieures dont leur organisation est douée.
Jocrisses :
Sitôt qu’un Français a passé la frontière, il entre sur le territoire étranger.
15 décembre.
Quand la borne est franchie, il n’est plus de limites.
Imbéciles :
L’épicerie est respectable. C’est une branche du commerce. L’armée est plus respectable encore, parce qu’elle est une institution dont le but est l’ordre.
L’épicerie est utile, l’armée est nécessaire.
26 octobre 1865.
L’aptitude de Gustave Flaubert pour découvrir ce genre de bêtises était surprenante, dit Maupassant. Un exemple est caractéristique.
En lisant le discours de réception de Scribe à l’Académie française, il s’arrêta net devant cette phrase qu’il nota immédiatement :
La comédie de Molière nous instruit-elle des grands événements du siècle de Louis XIV ? Nous dit-elle un mot des erreurs, des faiblesses ou des fautes du grand roi ? Nous parle-t-elle de la révocation de l’Édit de Nantes ?
Il écrivit au-dessous de cette citation :
Révocation de l’Édit de Nantes, 1685.
Mort de Molière, 1673.
En dehors de ces citations, nous devons mentionner celles contenues dans l’album (voir p. 406) sur lequel une main amie, celle de M. Jules Duplan, croyons-nous, a recopié, également d’après nos grands auteurs, tous les exemples de style d’un grotesque incomparable. Quelques citations sont précédées d’une croix, indiquant probablement la décision de Flaubert de les utiliser. Nous donnons les principales :
Elle avait des rayons d’août dans les yeux, des parfums de tubéreuse dans le cœur, des ondoiements de blé mûr dans tout elle.
De fins sourcils nets et réguliers comme l’arche d’un pont.
Des dents d’ivoire et des lèvres pourprées dont la cerise ne demandait qu’à être cueillie.
Sa bouche entr’ouverte laissait passer un souffle aussi pur qu’un petit vent qui aurait traversé un rosier.
Une taille à tenir dans une jarretière et que faisaient plus fine encore à l’œil le ressaut des hanches et le rebondissement de rondeurs ballonnant la robe, une taille impossible, ridicule de minceur, adorable comme tout ce qui, chez la femme, a la monstruosité de la petitesse.
Puissance du ciel ! j’entendais alors dans mes rêves le lacet de ses bottines qui fouettait son cou-de-pied lorsqu’elle se déchaussait. J’entendais les bottines mollement pressées tomber à terre, l’une après l’autre, et je me torturais en vain l’esprit pour trouver le moyen de les lui voler.
Les édifices humains ne conservent leur solidité qu’autant qu’ils restent sur leurs bases.
Une femme de génie porte ses entrailles dans sa tête.
Homme heureux qui a obtenu la gloire pendant sa vie, le seul moment où l’on puisse en jouir.
Un vieillard honnête qui digère paisiblement au coucher du soleil. Le ravissant tableau !
Je demanderai à la société si la fumée d’une vieille bouffarde ne gênerait pas sa respiration ?
Je mijote à l’étuvée la cuisine de mon âme.
Voltaire est infiniment méprisable ; rien de plus hideux que le cynisme de ce vieux satyre dans la moitié de ses écrits et dans les trois quarts de ses lettres familières. Pour son célèbre et merveilleux esprit, je ne trouve pas qu’il en eut tant.
En somme, tous les jugements de Voltaire sont cassés ou par la science ou par la probité ; il n’a pleinement l’admiration que des sots et pleinement l’estime que des drôles. Voltaire a fait non seulement le métier le plus vil, mais encore le plus sot du monde. Sa prose est d’ailleurs jolie.
Eh ! bon Dieu, qui pense aujourd’hui à Voltaire ? quelque sot ignorant, en retard d’un demi-siècle, un épicier parvenu de la rue Quincampoix peut-être, ou un maire de village qui veut faire peur à son curé.
Il faut que l’inimitié sociale s’océanise dans la coupe de l’anarchie ; car le besoin de vérité est au fond du vase et il faut avaler jusqu’à la dernière goutte avant de pouvoir atteindre à ce sédiment si nécessaire.
En admettant que l’hippophagie devienne générale et que les estomacs les plus délicats s’en accommodent, trouvera-t-on assez de coursiers pour défrayer nos tables ?
Il est plus méprisable de garder rancune que les pourceaux.
L’alexandrin parle des vertus et des vices avec toute l’autorité convenable, c’est son vrai langage. Sous la main de Molière, il se brisait, il s’assouplissait pour suivre les détours de la conversation. On eût dit le gendarme qui, rentré dans son ménage, débarbouille ses enfants et leur trempe la soupe.
De quel philtre les Parisiennes se servent-elles pour être toutes jolies au mois d’avril, même celles qui ne le sont pas ? Est-ce un don qu’elles tiennent du serpent qui les a tant aimées depuis le jardin d’Éden ?