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Dictionnaire des mœurs/Texte entier/A

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DICTIONNAIRE
DES MŒURS.

A

Abandon = C’eſt l’état le plus triſte, quand on peut l’attribuer à ſes malheurs ; & le plus affreux, quand on doit l’imputer à ſes fautes.

Abbé = Il y en a de deux ſortes : les uns factices, les autres vrais. C’eſt la différence de l’original à la copie ; mais ici la copie eſt ſouvent plus eſtimée que l’original.

Abbesse = Femme dont le retraite n’eſt point une ſolitude, & qui doit connoître le monde, pour diriger des eſprits qui l’ont quitté ſans le connoître ; & s’en font quelquefois un portrait flatteur, qui ne peut être détruit que par des vérités bien étudiées & bien ſenties.

Abominable = Caractere qu’on ne cache qu’au ſecond rang, & qui réuſſit preſque toujours au premier.

Absence = Situation qui rend quelquefois à l’amour ce que l’habitude lui fait perdre.

Absolu = Caractere que les femmes ſemblent chérir dans un amant, parce qu’il fait excuſer leur foibleſſe.

Abstinence = Eſt quelquefois un état de raffinement.

Abstrait = Genre d’eſprit qui doit être une qualité auprès de quelques femmes ; & un défaut auprès de beaucoup d’autres.

Absurdité = Elle peut être une recommandation auprès de quelques femmes. On les amuſe comme original, ou en leur convient comme imbécille. = La fortune imite, ſouvent, par ſes préférences, le ſexe dont elle a les travers.

Abyme = Profondeur qui n’eſt qu’un terre-à-terre pour la paſſion.

Accoupler = Unir par l’hymen deux êtres ſans amour & ſans deſir, qui ne ſe propoſent que l’indépendance, ou la fortune.

Acquérir = On acquiert une maîtreſſe, quand on la paie. Elle reſte cependant libre ; & il n’eſt point d’être plus éloigné de l’eſclavage, que la femme qui s’eſt vendue.

Acquiescement = Image des engagements ordinaires. Des ſoins ne ſont que des propoſitions ; on les accepte, ou on les refuſe.

Adieu = Dernier mot que ſe diſent deux amis, ou deux amants qui vont vivre éloignés l’un de l’autre. C’eſt ſouvent leur derniere impoſture.

Adjoint = Terme inuſité dans la galanterie, & dont elle devroit s’enrichir.

Adonis = Eſpece de ſot, dont on fait ſouvent un amant.

Adorer = Terme d’uſage. La femme qui s’y laiſſe ſurprendre avoue le beſoin d’être occupée, & annonce le malheur d’être trahie.

Adversité = État où l’on reçoit des leçons de tout le monde.

Adultere = Action cachée qui n’eſt ignorée de perſonne, & qui donne de la célébrité, lorſqu’elle eſt punie.

Affabilité = Supplément à l’eſprit & au ſentiment ; habitude avantageuſe, art cruel.

Affectueux = Homme preſque toujours faux, qui veut cacher le défaut de ne point ſentir, ou abuſer de la ſenſibilité des autres.

Afféterie = Défaut qui affoiblit les graces, & double les ridicules. Afficher = Crime de la fatuité, dont on ne punit que les ſots.

Agacer = Jeu de la coquetterie, dont la vertu paie ſouvent les frais.

Aguerrir = Expreſſion de guerre qui s’adapte aux mœurs : elle en fait ſuppoſer la perte.

Aïeul = Meuble de parade pour beaucoup de Gentilshommes qui ſurchargent la terre.

Aimer = C’eſt un art inſpiré par la nature, & perfectionné par l’eſprit. Il n’a point de regle certaine, ni de ſuccès aſſuré.

Amant = C’eſt un homme qui a des devoirs qu’il remplit avec plaiſir, ou des plaiſirs dont il n’eſt pas digne.

Ambitieux = Homme qui ne peut rien connoître de plus doux que ſes ſuccès, & de plus affreux que ſes revers.

Ame = Objet inviſible, auquel l’imagination donne une phyſionomie. Amitié = Lorſqu’elle eſt réciproque, c’eſt un échange continuel d’où l’intérêt eſt toujours banni.

Amour = C’eſt le ſentiment le plus doux ou le plus funeſte. Lorſqu’il n’eſt pas l’un ou l’autre, il perd ſon nom.

Amphibie = Monſtre que la nature commence, que le vice acheve ; & qui domine la ſociété par la mauvaiſe foi.

Anarchie = État de la ſociété en France ; principe de mille maux dont on ne voudroit pas trouver le remede.

Anatheme = Ancien abus.

Ancetres = Perſonnes mortes, que l’orgueil rappelle ſouvent du tombeau.

Anciens = Eſpece d’idoles qui doivent plus peut-être à la vanité, qu’à la reconnoiſſance ; & à la diſpute, qu’au mérite. Anecdote = Hiſtoire ſecrette qui ſert de modele aux romans de la malignité.

Angleterre = Royaume abſolument ſoumis au point de vue.

Annales = Les mœurs ont leurs annales ; & le livre eſt fini.

Anniversaire = Cérémonie de deuil & de vénération, où il ne manque que de la douleur & du reſpect.

Anobli = Homme qui a quitté au habit de drap, pour en prendre un de ſoie dont il a payé cher la façon, & qui ſouvent lui ſied bien mal.

Anonyme = Homme qui généralement emprunte le maſque de la modeſtie, parce qu’il n’a pas aſſez d’impudence, ou parce qu’il a beaucoup de vanité.

Antagoniste = Ennemi rarement généreux, & plus rarement modeſte. Antropophage = Eſpece de Sauvage, introduit dans la ſociété par l’ambition, & qui dévore ſouvent ſous une forme agréable.

Antichambre = Lie où la ſervitude ſe conſole par l’inſolence, & s’égaie par la malignité.

Antipathie = Maladie de l’ame qu’on éprouve ſans douleur, & dont on ne voudroit pas guérir.

Antipodes = La ſociété a ſes antipodes ; & ce ſont les hommes qui en éprouvent quelquefois l’accueil le plus flatteur.

Apathie = État qui plonge preſque toujours dans la férocité, lorſqu’il ne conduit pas à la retraite. Il eſt ſouvent factice.

Apocryphe = Genre qui devient très-rare, puiſque tout devient poſſible, & permis.

Apogée = Les mœurs ont leur apogée : nous y touchons.

Apologie = Action de la charité qui autoriſe la défiance.

Apologue = Tableau moral des paſſions ; remede trop foible pour un grand mal.

Apparat = Le vice & la vertu ont leur Apparat. Ce qui doit rendre l’un plus odieux, & l’autre moins recommandable, produit preſque toujours l’effet contraire.

Appareiller = Uſage du monde poli à l’égard des Amants.

Apparence = Forme artificieuſe qui réuſſit moins par l’invention que par la ſottiſe.

Applaudir = Art de tromper, rendu légitime par la vanité qui l’exige.

Apprécier = Fonction délicate & difficile, preſque toujours remplie par des frippons, & par des ſots.

Apprentissage = Relativement aux mœurs, c’eſt le temps le plus court de la vie ; elles ſe corrompent, à meſure qu’on les apprend.

Apprivoiser = C’eſt généralement le talent le plus commun ; & le ſervice le plus dangereux.

Approfondir = Travail toujours pénible ; entrepriſe ſouvent funeſte.

Appui = Le meilleur auroit beſoin d’être étayé lui-même, tant la foibleſſe & la viciſſitude mettent d’égalité entre les hommes.

Arbitrage = Précaution de la Juſtice, ſouvent contraire à ſes vues.

Archives = Dépôt de beaucoup de chimeres reſpectables, & de beaucoup d’impoſtures utiles.

Aréopage = Lieu autrefois unique, deſtiné à l’aſſemblée des ſages ; ſéjour multiplié par la folie, & conſacré par le faux eſprit.

Argent = Métal dont la valeur ne peut être fixée que par l’uſage.

Argument = Fléau de l’eſprit, abus de la parole.

Argus = Eſpion de la conduite, qui contribue à l’égarement par la ſévérité.

Aristocratie = État qui, à l’égard de l’eſprit, donne ſouvent le pouvoir à des téméraires, & la réputation à des ſots.

Arithmétique = Science qui diſpenſe d’avoir de l’eſprit, & empêche d’avoir des ſentiments.

Arlequin = Bouffon de théâtre ou de ſociété, qui dit des impertinences dont la ſympathie eſt le réſultat.

Armes = Inſtruments des paſſions les plus cruelles, & qui ſervent quelquefois aux actions les plus nobles.

Armoiries = Affiche pompeuſe d’une piece ſouvent médiocre.

Arrérages = Ceux du cœur ſont les plus mal payés.

Arret = Chaque Tribunal rend les ſiens ; & chaque paſſion a ſon tribunal.

Arrhes = Signe de la bonne foi ; piege de la mauvaiſe.

Arriere-main = Reſſource quelquefois néceſſaire ; talent ſouvent mépriſable.

Arrondir = On arrondit ſa ſituation par de petits moyens clandeſtins qui demandent du génie & de la baſſeſſe.

Arsenal = L’eſprit eſt celui du cœur ; le génie celui des paſſions.

Art = Invention de l’eſprit, perfectionnée par le goût.

Aspic = Animal tantôt homme, tantôt ſerpent, dont les traits les plus mortels ſont réſervés pour la ſociété.

Aspirant = Homme qui confie ſon repos à la fortune, & ſa vertu à l’ambition.

Assassin = Il y en a dont l’air eſt très-doux, & à qui on ne peu s’empêcher de ſe livrer ſoi-même.

Assemblée = Lieu où la ſincérité ne ſe trouve preſque jamais avec l’eſprit.

Association = Action importante que, pour l’ordinaire, on fait légérement.

Assortir = On s’aſſortit dans le mariage par la fortune, & dans l’amitié par l’ambition. Le goût vient, s’il peut, & eſt toujours moins ſenti que la convenance.

Assujettissement = Supplice adouci par la raiſon ; baſſeſſe autoriſée par l’uſage.

Assurances = Sûreté dans le commerce ; impoſture dans la ſociété.

Astrologue = La raiſon en a ſouvent les erreurs & les défauts.

Asyle = Lieu où le vice eſt ſouvent plus en ſûreté que la vertu.

Athée = Eſpece de fou qui en impoſe par un faux air de raiſon.

Atôme = Corpuſcule du ciel, qui deſcend fréquemment ſur la terre.

Atrabilaire = Homme qui doit ſon eſprit à ſon humeur, & qui peut compter ſur des ſuccès.

Atroce = Qualité d’eſprit qui n’eſt rare que parce qu’elle naît du génie.

Attachement = Sentiment né du deſir, & affoibli par la poſſeſſion.

Atteindre = C’eſt arriver au terme des deſirs par la jouiſſance.

Attendrissement = Mouvement qui livre à la foibleſſe, & prépare à l’inconſtance.

Attente = État d’illuſion, quelle que ſoit la réalité qui doit le ſuivre.

Atterrer = État où généralement on jouit en proportion du défaut de délicateſſe.

Attestation = Aſſurance ſouvent accordée par la foibleſſe, ou haſardée par la paſſion.

Attiser = Talent de bien des gens ; plaiſir de beaucoup d’autres.

Attraits = Armes dangereuſes pour la liberté : leur uſage eſt ſoumis à des regles.

Attribuer = Imprudence qui ſe renouvelle tous les jours dans la ſociété ; & dont la méchanceté profite pour porter des coups qu’on ne peut lui reprocher.

Avare = Homme en qui les deſirs ſe perpétuent par la jouiſſance ; & le ſeul qui ſoit auſſi occupé de ce qu’il poſſede, que de ce qu’il deſire.

Auberge = Il y en a telle qui a coûté un million, & où un dîner qu’on croit recevoir gratis peut coûter davantage.

Audace = Qualité ordinaire des ſots ; reſſource néceſſaire des frippons.

Audience = Forme préparatoire de Juſtice, qui ne peut tromper qu’une fois.

Auditoire = Perſonnes aſſemblées pour écouter un diſcours inſtructif, & qui preſque toujours s’attachant plus à la parole qu’à la penſée, y portent une attention étrangere à leurs beſoins, & inutile à leurs maux.

Avenir = Objet du deſir chez les fous, & de la précaution chez les ſages.

Aventure = Événement qui n’eſt jamais aſſez imprévu pour déconcerter la raiſon, quand on a bien défini le haſard.

Aventurier = Homme plus à portée de développer les reſſources de ſon eſprit, que le ſage tranquille ; & qui peut compter ſur l’engouement s’il s’éleve au-deſſus de l’opinion, comme ſur les regrets s’il fait diſparoître à propos.

Aveu = Confirmation des ſignes par la parole ; jouiſſance de l’ame par la ſincérité.

Aveugle = Perſonnage qui, dans la ſociété, fait vivre les ſots, & rire les gens d’eſprit.

Augure = Le ſage y croit ; le ſot s’y fie ; le fou s’y livre.

Avili = C’eſt ſouvent l’être qui en impoſe le plus, & qui s’abuſe le moins.

Avis = Remedes aux maux de l’ame & de l’eſprit ; ils donnent ſouvent des convulſions à l’amour-propre.

Avisé = Homme plus près de la fineſſe que de l’eſprit ; rarement digne de confiance, & capable d’amitié.

Avisée = Femme qui épargne bien des maux lorſqu’elle ſe borne à ſe défendre.

Avocat = Homme que la raiſon trompe quelquefois, & que la Loi inſtruit ; homme qui trompe plus ſouvent la raiſon ; & dont l’art eſt plus funeſte à la Loi que l’erreur.

Austérité = Elle eſt ſouvent le faſte de la vertu, l’impoſture du vice, l’artifice de l’orgueil, le voile de l’ambition.

Auteur = Médecin qui quelquefois ne croit pas à ſes remedes ; Marchand qui étale ſes effets ſans les eſtimer, & en exige un grand prix ſans l’attendre.

Autorité = Impôt établi ſur le peuple, pour entretenir l’exiſtence des Grands ; nourriture de l’orgueil qui reflue dans les canaux des paſſions, & rend très-propre à la tyrannie.

Autrui = Membre de ſociété, avec lequel on vit dans une diviſion intérieure, ou dans une paix intéreſſée.