Dictionnaire des proverbes (Quitard)/repentir

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repentir. — Qui se repent est presque innocent.

Quem pænitet peccasse pene est innocens. Ce beau proverbe qu’on trouve dans le recueil de Philippe Garnier, a pu être présent à l’esprit de Chénier, lorsque, assimilant le repentir à l’innocence, il a dit de Dieu avec une élégance exquise :

Pour lui le repentir est encor l’innocence.

« Il n’appartenait qu’à la religion chrétienne d’avoir fait deux sœurs de l’Innocence et du Repentir. » (M. de Chateaubriand, Génie du christ., liv. i, ch. 6)[1].

Le repentir est une bonne chose, mais il faut se garder de ce qui y expose. (Proverbe danois.)

  1. La forme originale de cette phrase est devenue un objet de controverse pour les grammairiens. Les uns l’ont sévèrement blamée, comme contraire aux habitudes reçues ; les autres l’ont beaucoup louée, mais sans nous faire connaître la véritable raison pour laquelle l’innocence et le repentir, qui sont des noms dont le genre est différent, ont pu être légitimement désignés, dans le nom pluriel sœurs, par le même genre, et par le genre féminin plutôt que par le masculin. Voici, je crois, cette raison. Le nom sœurs n’est point en rapport immédiat avec l’innocence et le repentir, mais avec un nom pluriel ellipsé, et la construction pleine est celle-ci : Il n’appartenait qu’à la religion chrétienne d’avoir fait deux sœurs, des deux vertus, l’innocence et le repentir. Les mots sont disposés dans la phrase avec tout l’art nécessaire pour faire passer ce qu’il y a de singulier et d’imprévu. Le mot sœurs s’offre le premier ; immédiatement après lui vient celui d’innocence, qui donne à entendre que les deux sœurs sont des vertus. Le repentir n’arrive qu’en dernier lieu, et revêtu, pour ainsi dire, du caractère particulier sous lequel l’imagination du lecteur l’a déjà entrevu. M. de Chateaubriand, considérant le repentir comme une autre innocence, a fait sa construction selon l’idée qu’il avait dans l’esprit, plutôt que selon les mots, en vertu de la figure de grammaire nommée syllepse ou synthèse. L’usage de la syllepse du genre est assez fréquent dans notre langue. J’en pourrais citer beaucoup d’exemple ; mais je me bornerai à celui-ci, de Voltaire : Joue-t-on Tancrède ? personne ne m’en dit rien. Réussit-elle ? Est-elle tombée ? Mon intention, en choisissant cette phrase, est de montrer que l’idée peut en être reproduite sous la même forme que celle de M. de Chateaubriand, sans donner prise à la critique ; et, pour cela, il n’y a qu’à dire : Joue-t-on Zaïre et Tancrède ? Le public applaudit-il toujours ces deux charmantes sœurs ?