Dictionnaire historique, littéraire et critique de Barral/Aristote
ARISTOTE, nommé le Prince des Philosophes, & fondateur d’une secte qui a fait disparoître toutes les autres, naquit à Stagyre ville de Macedoine environ 384 a. avant la naissance de J. C. La mort prématurée de son père & le négligence de son Tuteur ne lui ayant procuré qu’une mauvaise éducation, il dissipa tout son bien par libertinage, prit le parti des armes ; & se dégoûtant bientôt de ce métier, il vint à Athenes sur la foi de l’Oracle de Delphes, & il y étudia pendant 20 ans sous Platon avec tout le succès qu’on devoit attendre d’un genie supérieur. Après la mort de ce Philosophe Aristote fut appellé à la Cour de Philippe pour veiller à l’éducation du jeune Alexandre. Il avoit été destiné à cet important & glorieux emploi dès le moment de la naissance du Prince par une Lettre qui fait autant d’honneur à Philippe qu’à Aristote. Il demeura quelques années dans cette Cour, occupé à enseigner à son auguste éleve tout ce qui pouvoit former un grand Roi, & il revint à Athenes lorsque ce Prince partit pour l’expédition d’Asie, où ce Philosophe ne crut pas devoir l’accompagner. Il fut reçu dans cette ville avec la plus grande distinction, & on lui donna le Lycée pour fonder une nouvelle Ecole de Philosophie. Le concours des Auditeurs fut extraordinaire : le matin il enseignoit la Philosophie & le soir la Rhétorique ; & comme il donnoit ordinairement ses leçons en se promenant, ses disciples furent appellés Peripateticiens. Le merite supérieur du Philosophe excita l’envie contre lui ; elle n’osa éclater
du vivant d’Alexandre que l’on savoit aimer tendrement son Maître, & qui avoit coutume de dire qu’il devoit le jour à son Pere & à son Maître la science de se bien conduire, & que s’il regnoit avec gloire, il en avoit toute l’obligaion au dernier. Mais après la mort du Conquérant ses ennemis s’éleverent de concert contre lui, & par le ministere d’un Prêtre de Ceres qui voulut bien servir leur haine, ils l’accuserent d’impiété devant le luge ; comme cette accusation pouvoit avoir des suites facheuses & que l’exemple de Socrate étoit encore récent, le Philosophe ne crut pas devoir attendre le succès du jugement, & il se retira secrettement à Chalcis dans l’île d’Eubée. Ses amis firent de vains efforts pour l’arrêter : Empêchons, leur dit-il en partant, qu’on ne fasse une nouvelle injure à la Philosophie. Il faisoit allusion à la mort de Socrate. Après avoir quelque tems soutenu son infortune, ce Philosophe mourut, soit du chagrin de n’avoir pu comprendre le flux & le reflux de l’Euripe ce qui est peu vraisemblable, soit en se précipitant dans cette mer en disant : que l’Euripe m’engloutisse, puisque je ne puis le comprendre ce qui l’est encore moins, ou ce qui paroit plus probable d’une colique, en la soixante troisieme année de son âge, & 2 ans
après la mort d’Alexandre. Il reçut de grands honneurs dans Stragire sa patrie, ruinée par Philippe & rebâtie par son fils en faveur d’Aristote. Les habitans lui consacrerent un jour de fête, enleverent son corps & lui dresserent des autels. Ce Philosophe laissa de Pithia, sœur d’Hermias tiran d’Artane son ami, un fils nommé Nicomachus qu’il aimoit tendrement & à qui il dédia ses Livres de Morale, & d’une concubine une fille qui fut mariée à un petit fils de Demarate Roi de Perse. Quoique la vie d’Aristote ait toujours été fort tumultueuse, soit à la Cour de Philippe, soit au Lycée, il a cependant trouvé le tems de consposer une mul titude prodigieuse d’ouvrages dont la destinée fut singuliere. Il les avoir confiés à Théopbraste fon difciple fidele & son successeur dans le Lycée avec défense de les.rendre publics. Celui-ci en mourant les remit à un nommé Nélée de la ville de Sceptis en Mysie, & les héritiers de cet homme les cacherent dans un caveau, pour les dérober aux recherches du Roi de Pergame qui enlevoit par tout des Livres pour sa Bibliothèque. Ils demeurerent prés de 130 ans dans cette voute, & ils en furent enfin tirés presque tout gâtés & vendus à Apellicon, riche Athenien qui les mit dans sa bibliotheque d’où
Sylla les fit transporter à Rome, ou un Grammairien nommé Tyrannion obtint la permission d’en tirer une copie. Cette copie ayant été communiquée à Andronic le Rhodien, non-seulement il les tira de la confusion où ils étoient, mais il repara ce qui étoit endommagé, & en les publiant il eut la gloire d’être le restaurateur des ouvrages d’Aristote. On peut les reduire à 4 classes : 1°. ceux qui roulent sur l’art Oratoire & la Poétique, ouvrages composés pour Alexandre, les plus complets & les plus estimés que l’antiquité nous ait laissés sur cette matiere & très-propres à faire dire de leur auteur, qu’à la place d’encre, il trempoit sa plume dans le bon sens. 2°. Ses Traités.de Morale où l’on trouve un caractère d’honnête homme qui plait infiniment, mais une morale seche qui refroidit le Lecteur, en n’offrant que des vues générales, & des propositions Metaphisiques plus-propres à orner l’esprit qu’à toucher le cœur. 3°. Sa logique où il découvre les principales sources de l’art de raisonner : il approfondit l’abîme de l’esprit humain, & en penetre tous les ressorts par la distindion exacte qu’il fait de ses opérations. Cette methode quoique louée par tous les Philosophes n’est pas à beaucoup près exempte de défauts. 4°
Ses Traités de Physique qui comprennent les 8 Livres des Principes Naturels, où il y a plusieurs questions très-sublimes que l’Auteur pousse & éclaircit en grand maître, mais dont le total ne vaut rien ; les 2 Livres de la génération & de la corruption ; ce qu’il a écrit sur les animaux & les plantes. Ce dernier ouvrage qui doit sa naissance aux libéralités d’Alexandre le Grand contient des choses interessantes mêlées de beaucoup de fautes d’Anatomie & de beaucoup d’erreurs populaires. Ce Philosophe a eu une foule de Commentateurs anciens & modernes, & on a pensé bien diversement selon la différence des tems, de ses Ecrits. Il fut condamné par les premiers docteurs de l’Eglise, loué dans le VI siecle, approuvé universellement dans le IX, enseigné, commenté par les Maures & les Arabes dans toute l’Afrique & l’Espagne. Les Commentaires d’Averroês & d’Avicenne sur Aristote le mirent en honneur dans l’Université de Paris ; mais en 1210 ses Livres furent brulés, parce qu’un hérétique en avoir abusé pour soutenir ses erreurs, & il fut défendu de les lire. On apporta ensuite quelque modération à ce décret & enfin en 1366 les défenses furent levées, & tous les ouvrages du Philosophe furent permis. Depuis ce tems sa doctrine a pré-
valu dans l’université de Paris, jusqu’à cc que les heureuses découvertes du dernier siecle aient ouvert les yeux aux savans, & leur aient fait embrasser un systême de Philosophie bien différent des anciennes opinions de l’Ecole. Il y a eu plufieurs autres Aristotes Orateurs, Historiens, Grammairiens, mais trop peu connus pour que nous en parlions ici. On trouve encore un Archirecte de ce nom né à Boulogne au XV siecle, si versé dans la méchanique qu’il remua une tour de sa place, & la transporta par le moyen de ses machines dans un lieu qui n’étoit pas éloigné. Jean Basilides Grand Duc de Moscovie l’attira dans ses Etats, & le chargea de la construction de plusieurs Eglises.