Dictionnaire historique de Feller/Nlle éd., 1847/ARISTOTE

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ARISTOTE, surnommé le prince des philosophes, naquit à Stagire, ville de Macédoine, l’an 584 avant J.-C. Son père Nicomachus était médecin, et descendait, dit-on, d’Esculape. Aristote l’ayant perdu fort jeune, dissipa son bien, se livra à la débauche, prit le parti des armes, et le quitta ensuite pour la philosophie. L’oracle de Delphes lui ordonna d’aller à Athènes ; il s’y rendit, entra dans l’école de Platon, et en devint l’âme et la gloire. On dit qu’il fut obligé, pour vivre, d’exercer la pharmacie. Continuellement livré au travail, il mangeait peu, et dormait encore moins. Diogène Laérce rapporte, que, pour ne pas succomber à l’accablement du sommeil, il étendait hors du lit une main, dans laquelle il tenait une boule d’airain, afin que le bruit qu’elle ferait en tombant dans un bassin, le réveillât. Après la mort de Platon, Aristote se retira à Atarne, petite ville de la Mysie, auprès de son ami Hermias, usurpateur de ce pays. Ce prince ayant été mis à mort par ordre du roi de Perse, Aristote épousa sa sœur qui était restée sans biens. Quand Alexandre le Grand eut atteint environ 14 ans, Philippe son père appela Aristote pour le lui confier. La lettre qu’il lui écrivit à l’occasion de sa naissance, fait honneur au prince et au philosophe : « Je vous apprends, lui disait-il, que j’ai un fils. » Je remercie les dieux, non pas tant de me l’avoir » donné, que de me l’avoir donné du temps d’A- » ristote. J’espère que vous en ferez un successeur » digne de moi et un roi digne de la Macédoine. » Les espérances de Philippe ne furent pas trompées. Le maître apprit à son disciple les sciences qu’il possédait, et cette sorte de philosophie qu’il ne communiquait à personne, comme dit Plutarque ; ce qui ne donne pas de cette philosophie une bien bonne idée ; ear le vrai sage ne songe qu’à répandre ses lumières : on est allé jusqu’à croire que cette philosophie était celle de Machiavel. L’usage qu’en a fait Alexandre confirme cette idée. Pilippe lui érigea des statues, et fit rétablir sa ville natale, ruinée par les guerres. Lorsque son élève se disposa à ses conquêtes, Aristote, qui préférait le repos au tumulte des armes, retourna à Athènes. Il y fut reçu avec les honneurs dus au précepteur d’Alexandre, et au premier philosophe de son temps. Les Athéniens, auxquels Philippe avait accordé beaucoup de grâces à sa considération, lui donnèrent le Lycée pour y ouvrir son école. Il donnait ordinairement ses leçons en se promenant, ce qui fit appeler sa secte, la secte des Péripatéticiens. Le succès de la philosophie d’Aristote ne fut pas ignoré d’Alexandre. Ce prince lui écrivit de s’appliquer à l’histoire des animaux, lui envoya 800 talents pour la dépense que cette étude exigeait, et lui donna un grand nombre de chasseurs et de pécheurs, pour faire des recherches. Aristote au comble de sa gloire, ne fut pas au-dessus des passions et des folies qui en sont l’effet naturel. Son amour pour la courtisane Pythaïs devint une espèce de fureur, qui le porta à l’ériger en divinité, et à lui rendre après sa mort le même culte que les Athéniens rendaient à Cérès. Eurymédon, prêtre de cette déesse, l’accusa de ne pas y croire. Aristote se retira à Chalcis, dans l’ile d’Eubée (aujourd’hui Négrepont), pour empêcher qu’on ne commit une injustice contre la philosophie ; mais il aurait eu plus de bonne philosophie à ne pas diviniser l’objet de ses folles amours. C’est sans fondement que quelques critiques modernes ont nié cette anecdote, comme si la vérité de l’histoire devait être sacrifiée à la gloire des hommes célèbres. Aristote mourut à 63 ans, l’an 322 avant J.-C, deux années après la mort d’Alexandre. Les Stagyrites lui dressèrent des autels, et lui consacrèrent un jour de fête. Il ne paraît cependant pas trop qu’il dût exciter tant d’admiration par ses vertus, ni par sa doctrine religieuse et morale. Sans parler des crimes dont Diogêne Laërce et Athénée le disent coupable avec Hermias, de sa conduite insensée et impie envers Pythaïs, on connaît les efforts qu’il fit pour décrier tous ceux qui avaient acquis quelque réputation, les médisances et les injures avec lesquelles il les opprima, les faussetés manifestes qu’il leur imputa, la manière dont il abandonna Hermias dans ses disgrâces, ses jalousies contre Speusippe, ses animosités contre Xénocratc, les troubles qu’il fomenta dans la cour de Philippe et d’Alexandre le Grand ; enfin sa perfidie envers ce même Alexandre son bienfaiteur, découvre assez quel était le fond de son cœur. Xiphilin nous apprend que l’empereur Caracalla fit brûler tous les livres de ce chef des péripatéticiens, en haine du conseil détestable qu’il avait donné à Antipater d’empoisonner Alexandre. Il prétendait que Dieu était sujet aux lois de la nature, sans prévoyance, sourd et aveugle pour tout ce qui regarde les hommes, croyait le monde éternel, et, selon l’opinion commune de ses commentateurs, l’âme mortelle. Il tourna en ridicule ceux qui voulurent ramener les hommes à la croyance d’un seul Dieu, disant que cette manière de penser était, il est vrai, d’un sage et d’un homme de bien, mais qu’elle manquait de prudence, puisqu’en agissant ainsi, ils nuisaient à leurs propres intérêts, et s’exposaient an ressentiment des polythéistes. Belle morale et digne d’un chef des philosophes ! (Voy. PLATON STILPON.) Si nous en croyons Diogène Laërce, sa mort fut semblable à sa vie : il s’empoisonna, pour se soustraire à la colère de Médon. Mais saint Grégoire, de Nazianze, saint Justin et d’autres écrivains disent qu’il se précipita dans l’Euripe. Il laissa de Pythaïs une fille qui fut mariée à un petit-fils de Démaratus, roi de Lacédémone. Il avait eu d’une autre concubine un fils, nommé Nicomachus, comme son aïeul ; c’est à lui qu’il adressa ses livres de Morale. Le sort d’Aristote, après sa mort, n’a pas été moins singulier que durant sa vie. Il a été longtemps le seul oracle des écoles, et on l’a trop dédaigné ensuite. Le nombre de ses commentateurs, anciens et modernes, prouve le succès de ses ouvrages. Quant aux variations que sa mémoire a éprouvées, elles lui sont communes avec tous les fondateurs des sectes philosophiques, et tiennent autant aux caprices de la postérité qu’à la nature des systèmes enseignés. Diogène Laërce rapporte quelques-unes de ses sentences qui n’ont rien de bien extraordinaire, et dont quelques-unes sont outrées ou fausses, d’autres trop recherchées. « Les » sciences ont des racines amères ; mais les fruits » en sont doux… Il y a la même différence entre un » savant et un ignorant qu’entre un homme vivant » et un cadavre… L’amitié est comme l’âme de » deux corps… Il n’y a rien qui vieillisse sitôt qu’un » bienfait… L’espéiance est le songe d’un homme » éveillé… Soyons amis de Socrate et de Platon, et » encore plus de la vérité… Les lettres servent d’or- » nement dans la prospérité, et de consolation dans » l’adversité. » Aristote confia en mourant ses écrits à Théophraste, son disciple et son successeur dans le Lycée ; mais ils ne sont pas parvenus en entier et sans altération jusqu’à nous. (Voy. APELLICON.) Les plus estimés sont sa Dialectique, sa Morale, son Histoire des animaux, sa Poétique et sa Rhétorique. Le précepteur d’Alexandre montra, dans ce dernier ouvrage, que la philosophie est le guide de tous les arts. Il creusa avec sagacité les sources du bel art de persuader. Il fit voir que la dialectique en est le fondement, et qu’être éloquent, c’est savoir prouver. Tout ce qu’il dit sur les trois genres, le délibératif, le démonstratif et le judiciaire ; sur les passions et les mœurs ; sur l’élocution, sans laquelle tout languit ; sur l’usage et le choix des métaphores, mérite d’être étudié. Aristot-e fit cet ouvrage suivant les principes de Platon, sans s’attacher servilement à la manière de son maître. Celui-ci avait suivi la méthode des orateurs : son disciple crut devoir |, référer celle des géomètres. Sa Poétique est un traité digne du précédent ; l’un et l’autre furent composés pour Alexandre. Quant à la philosophie, il mêle à des vues justes et profondes, des erreurs grossières et des obscurités qui ont donné bien de l’exercice à ses commentateurs. L’n de ses principes favoris est que l’âme acquiert ses idées par les sens ; principe combattu par de célèbres métaphysiciens et qui dans le sentiment même d’Aristote doit s’entendre occasionnellement, comme s’exprimaient les Arabes, c’est-à-dire, que les sens sont l’occasion des idées que l’ànie se forme elle-même des choses matérielles. « Mais il y a, dit un philosophe, bien » des idées dont les sens ne sauraient même être » l’occasion. Il n’y a rien que nous concevions plus » distinctement que notre pensée même, ni de pro- » position qui puisse nous être plus claire que celle- » ci, je pense, donc je suis. Qu’on nous dise, si l’on » peut, par quel sens sont entrées dans notre esprit » les idées de l’être et de la pensée. » Sa Rhétorique a été traduite en français par Cassandre et par M. Gros, sa Poétique par Dacier et Le Batteux, ses Politiques par Champagne, 1797, par Millon, 1805, et plus anciennement par L. Leroi, dit Regius ; dans le même volume sont la République et le Phédon de Platon, traduits aussi en français par le même, Paris, 1600, in-fol. L’Histoire des animaux par Camus avec le texte grec à côté, et des notes, 1783, in-i. Le traité de Mundo, attribué à Aristote, se trouve en grec et en français dans l’Histoire des causes premières de Le Batteux, Paris, 17GS, in-8. ( Voy. ces articles. ) La meilleure édition des ouvrages d’Aristote est celle de Paris, au Louvre, 1619, donnée par Duval, en 2 vol. in-fol., grec et latin. On peut consulter un ouvrage de Jean de Launoi : De varia Aristotelis fortuna, celui de Patricius, Peripateticœ discussiones, et un traité du P. Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote.