Dictionnaire historique des personnages célèbres de l’antiquité/1e éd, 1806/Préface

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PRÉFACE.


J’ai souvent entendu, dans la conversation ; demander le sens d’un nom propre, sur-tout des grands hommes de la Grèce ou de Rome, et exprimer le désir de voir paraître un ouvrage où l’on pût, au besoin, satisfaire cette curiosité, désir d’autant mieux fondé que la plupart de nos prénoms ou noms de baptême sont tirés des langues grecque et latine. Un savant italien avait jugé ce sujet assez intéressant pour lui consacrer ses veilles, lorsque la mort le prévint. Cette anecdote, qui m’a été racontée par M. de Villoison, m’a confirmé dans le projet que j’avais de m’en occuper. En effet, je ne connais pas d’ouvrage où cette matière ait été traitée ex professo. On trouve bien, çà et là, dans les philologues, des traces de cette sorte d’érudition, mais elles sont éparses, sans ordre et sans méthode, et coûtent des recherches longues, pénibles, et souvent infructueuses.

D’ailleurs, c’est rarement sous le point de vue de l’étymologie que ces auteurs ont envisagé les noms propres, ce qui réduit à peu de chose les secours qu’on cherche dans leurs écrits.

Je me suis fortifié dans mes idées en remarquant qu’il n’y avait aucune étymologie de nom propre dans l’ouvrage estimable publié par M. Morin, sous le titre de Dictionnaire étymologique des Mots français dérivés de la Langue Grecque ; j’ai pensé que ce nouveau lexique réparerait cette omission, et ferait en quelque sorte le complément du premier ; et sans me flatter du même succès, je me suis proposé le même but, l’utilité publique.

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Je n’avais d’abord le projet que de donner les noms grecs ; mais les noms romains n’ayant pas une valeur moins déterminée, j’ai cru qu’on me saurait gré de les joindre aux autres, et j’ai consulté avec le même soin les sources que j’espérais trouver les plus sûres et les plus abondantes.

Les historiens sont ceux qui doivent présenter une plus riche nomenclature ; je les ai parcourus, sans oublier les écrivains qui, comme Elien, Diogène Laerce, Athénée, etc., offrent un grand nombre de noms propres.

On a dit des étymologies, qu'elles étaient comme les bons mots : plus on les recherche, moins on ch trouve ; aussi plusieurs personnes sont-elles prévenues contre les étymologistes, qui ne sont pas, il faut en convenir, toujours heureux dans leurs découvertes. Ménage, dont les étymologies sont souvent tirées, avouait qu’il était difficile d’assigner avec certitude l’origine de tous les mots. En cela, il était de l’opinion de Cicéron, qui disait de Chrysippe : Magnam molestiam suscepit Chrysippus, reddere rationem omnium vocabulorum. « Chrysippe a formé une pénible entreprise, celle de rendre raison de tous les termes ; » et Cicéron lui-même s’est souvent égaré sur les pas de Platon, Cependant, l’exercice n’en est pas à négliger. Les stoïciens en faisaient une des bases de leur philosophie ; les jurisconsultes romains y trouvaient quelquefois la solution des difficultés les plus importantes et l’explication des antiquités de leur jurisprudence. C’est sur leur autorité que Cicéron adopte l’étymologie de fides, qui venait, selon eux, de l’exactitude à faire ce qu'on promet : Credamus, quià fiat quod dictum est, appellatam fidem, Quintilien combattait les détracteurs de cette science utile, et par l’autorité de César qui ne dédaigna pas d’écrire un ouiij

vrage sur l’analogie, et par des raisons non moins solides que des autorités, concluant ainsi : Minus igitur ferendi sunt qui hanc artem ut tenuem et jejunam cavillantur, quœ nisi fundamenta fideliter jecerit, quidquid superstruxeris corruet. « N’écoutez donc pas les détracteurs de cet art qu'ils rabaissent comme frivole et stérile ; c’est un fondement nécessaire, sans le secours duquel tout s’écroule. » Tel était aussi le sentiment de Locke, qui regarde l’étymologie comme si utile, qu’il n’a pas craint d’y consacrer une partie considérable de son Traité de l’Entendement, « Il est constant, dit le président Desbrosses, que cette matière, considérée avec des vues métaphysiques, devient une partie essentielle de l’histoire de l’esprit humain. » Diderot trouve aussi dans le résultat de la science étymologique, une partie importante de l’analyse d’une langue, c’est-à-dire la connaissance complète du système de cette langue, de ses élémens radicaux, de la combinaison dont ils sont susceptibles : selon lui, le fruit de cette analyse est la facilité de comparer les langues entr'elles, sous toutes sortes de rapports, grammatical, philosophique, historique, etc. (1) [1]

Si ces réflexions peuvent avec justesse s’appliquer à l’étymologie des mots en général, qui, dans les langues primitives, ont été formés, tantôt d’après le sentiment que font éprouver les objets qu'ils désignent, tantôt d’après la sensation qu’ils excitent, quelquefois par onomatopée ou imitation de son, combien plus ne trouvent-elles pas leur application

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dans l’étymologie des noms propres qui, pour la plupart, ne sont dans l’origine que des noms appellatifs, soit simples, soit composés, et combien l’étymologiste a moins à craindre de se perdre ! A-t-il remonté au nom appellatif ? sa tâche est finie ; il s’abstient de faire un pas de plus, parce que ce pas l’engagerait dans les routes de l’arbitraire.

Voilà le principe que j’ai suivi ; je me suis attaché en général à des explications simples et naturelles. Ce n’a été que par respect pour Platon et pour Cicéron, que j’ai rapporté les étymologies forcées qui étaient tant du goût du Platonisme ; et lorsque j’ai essayé de remonter aux radicaux de noms moins ordinaires, je ne l’ai fait qu'avec la plus grande circonspection.

Mais tous ces soins n’auraient abouti qu'à produire une nomenclature sèche et fastidieuse. Quoique, l’étymologie fût l’objet principal de l’ouvrage, j’ai cherché le moyen d’y remédier : pour y parvenir, j’ai présenté, dans des esquisses rapides, les traits caractéristiques des personnages célèbres, tels que les victoires d’un conquérant, les principes politiques d’un prince, les dogmes d’un philosophe, les chefs-d’œuvre d’un artiste, les dits et faits mémorables, les anecdotes peu connues, etc. ; enfin tout ce qui pouvait rendre cet ouvrage plus attrayant pour les jeunes gens, auxquels il est surtout destiné.

Sans doute, quelques soins que j’aie mis à mes recherches, des noms me seront échappés ; mais ce ne seront vraisemblablement que des noms obscurs, et d’ailleurs l’habitude de décomposer les termes et de remonter aux radicaux, contractée par l’usage de ce Dictionnaire, suffira pour mettre sur la voie, et donnera le secret des autres décompositions.

La manie qu'ont eue les savans depuis la renaisv

sance des lettres, de se masquer d’un nom grec ou romain, m’a fait penser qu’il me serait permis de lever ce masque et d’emprunter ainsi quelques personnages à l’histoire moderne ; mais ils sont en petit nombre, et c’est l’histoire ancienne qui est la base et le fond de l’ouvrage.

Je l’ai fait précéder d’un Essai historique sur les Noms propres, dont les articles du Lexique sont, pour ainsi dire, les pièces justificatives. Ce sujet n’a jamais été traité, du moins comme je l’ai conçu, et donnera peut-être l’idée d’un travail plus régulier et plus complet.

C’est dans cette vue que j’y ai joint une Notice analytique des sources où j’ai puisé, méthode qui était celle des anciens érudits, et que bien des personnes désireraient voir renaître, comme un garant de la bonne foi, du scrupule et de l’exactitude des auteurs.

Un autre but non moins important que je me suis proposé dans la publication de ce Dictionnaire, c’est de contribuer pour ma part à ressusciter le goût des solides études et sur-tout celui de la langue grecque, qui renaissent de toutes parts, et qui nous promettent pour le siècle où nous sommes entrés, une révolution heureuse dans les lettres et dans les mœurs, lesquelles ont entr’elles un rapport beaucoup plus intime qu'on ne le pense. Si ce but est rempli, je ne regretterai ni mon temps, ni mes peines ; et à ce prix, je souffrirai qu’on m’applique cet ingénieux apologue :

« L’horizon s’empourprait des derniers rayons du soleil, lorsqu’un pèlerin se trouva égaré dans le fond d’un bois, théâtre de meurtre et de brigandage. Il errait depuis long-temps, le cœur palpitant d’épouvante, lorsqu’il arrive en un endroit où la route se partageait en deux. Plein d’un nouveau

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trouble, il s’arrête, et s’écrie en soupirant : «Ah ? qui me remettra dans mon chemin ? » Son œil effaré se porte de tous côtes, et découvre enfin, à droite, une colonne élevée dont le bras étendu indiquait la route. Il y lit ces mots : « Dans un mille d’ici, je te mets en sûreté. » Le pauvre pèlerin baise la colonne tutélaire qui bannissait l’effroi de son ame. Mais, quelques pas après, un nouveau doute le saisit : « Guide bienfaisant, s’écrie-t-il, il m’est encore facile de me perdre ; ô si tu pouvais m’accompagner ! — Ami, répond le conseiller, c’est trop exiger de moi ; je montre le chemin, mais je ne marche pas. » (1) [2]

  1. (1) C’est ce qu'a bien senti l’auteur d’un Dictionnaire des Sciences et des Arts, qui vient de paraître, M. Lunier ; et c’est avec justice qu’on lui a fait un mérite de ne laisser aucun mot sans une étymologie, qui souvent est une véritable définition.
  2. (1) Cet apologue est traduit de l’allemand, de M. Pfeffel.