Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Amélius

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AMÉLIUS, philosophe platonicien, au IIIe. siècle, était de Toscane. Son vrai nom était Gentilianus, et il aurait mieux le surnom d’Amérius que celui d’Amélius. Il fut disciple de Plotin à Rome, pendant vingt-quatre ans ; après quoi il se retira dans Apamée, ville de Syrie. Il y était quand Plotin mourut. Il adopta un certain Justin Hésychius, natif de la même ville[a]. Voilà sans doute les sources du mensonge que Suidas a débité, quand il a dit qu’Amélius était d’Apamée. Il ne se trompe guère moins quand il assure que Porphyre fut disciple d’Amélius (A). Ce qu’il y a de certain est qu’Amélius fut fort estimé de son maître, et qu’il répondit à cette estime par une singulière vénération pour Plotin. Lorsqu’il commença d’étudier sous ce fameux philosophe, il ne savait que ce qu’il avait appris d’un certain Lysimachus[b] ; mais, par son application au travail, il devança tous ses condisciples. Il savait par cœur une partie des leçons de Numénius. Il les avait ramassées et copiées presque toutes. Il faisait aussi de gros recueils de tout ce qu’il entendait dans les conférences de philosophie ; et il composa de ces recueils une centaine de Traités qu’il donna à son fils adoptif. Il n’avait encore osé produire que cela, lorsque Porphyre vint à Rome[c], c’est-à-dire, après avoir profité des instructions de Plotin pendant l’espace de dix-huit ans. Depuis il composa XL livres contre Zostrianus, l’un de ces anciens hérétiques, tant en philosophie qu’en religion, qui faisaient un si horrible mélange des doctrines de l’Évangile et de celles des philosophes. Il s’éleva un grand nombre de ces hérétiques au temps de Plotin ; et c’est ce qui l’obligea d’armer contre eux. Il prit sur lui la défaite des gnostiques, pendant qu’Amélius combattrait contre Zostrianus, et que Porphyre attaquerait les prétendues révélations de Zoroastre. Après cela, Amélius ayant ouï dire que l’on accusait Plotin de s’être paré des dépouilles de Numénius, prit la plume pour justifier son maître ; et dans trois jours il composa un ouvrage qu’il dédia à Porphyre, et auquel celui-ci donna pour titre, De la différence qui se trouve entre la doctrine de Numénius et celle de Plotin. Ce que je vais dire suffit à faire connaître l’estime que Plotin avait pour Amélius. Comme Plotin se souciait peu d’étaler ses forces, il laissait des doutes dans l’esprit de ses auditeurs, et il avait en quelque façon besoin d’être forcé à montrer le meilleur de sa doctrine. C’est ce qui fit que Porphyre lui proposa par écrit plusieurs objections, pour prouver que nos idées sont hors de notre entendement[d]. Voilà ce que le père Mallebranche a renouvelé de nos jours. Plotin ayant lu ces objections les donna à réfuter à Amélius. L’opposant répliqua : Amélius dupliqua ; et enfin Porphyre comprenant la doctrine de Plotin, y donna les mains, et lut sa rétractation en plein auditoire. Longin, dont le goût était si sûr et la critique si redoutable, trouvait à la vérité trop de verbiage dans les écrits d’Amélius ; mais il le mettait néanmoins au petit nombre des philosophes dont les ouvrages lui semblaient dignes de considération (B). Il écrivit une longue lettre contre celle qu’il avait reçue d’Amélius, touchant les manières de la philosophie de Plotin. Amélius était un dévot du paganisme, grand observateur des nouvelles lunes et des fêtes [e] (C). Il avait cité dans l’un de ses livres le commencement de l’évangile de saint Jean, pour confirmer la doctrine de Platon. Eusèbe a rapporté ce passage[f] ; mais non pas aussi amplement que Théodoret[g] et que saint Cyrille[h].

  1. Porphyrius in Vitâ Plotini.
  2. C’était un philosophe stoïcien.
  3. En 263.
  4. Διὸ καὶ ἀντιγράψας προσήγαγον δεικνῦναι πειρώμενος, ότι ἔξω τοῦ νου ὔϕεςηκε τὸ νόημα. Quapropter eum contrà scribendo provocare tentavi, conatus ostendere ea quæ intelliguntur extrà intellectum esse. Porphyr. in Vitâ Plotini.
  5. Tiré de la Vie de Plotin, composée par Porphyre.
  6. Dans sa Præparat. Evangel., lib. XI, cap. XIX.
  7. Græc. Affection., lib. II, p. 500.
  8. In Julian., lib. VIII.

(A) Suidas assure que Porphyre fut disciple d’Amélius. ] Porphyre dit lui-même que lorsqu’il commença d’être disciple de Plotin, il y avait dix-huit ans qu’Améhus étudiait sous ce philosophe[1]. Il ajoute qu’il fut le condisciple d’Amélius pendant six ans ; après quoi, ils partirent de Rome, lui pour aller en Sicile, et l’autre pour aller à Apamée. Ils demeurèrent pour le moins jusqu’à la mort de Plotin au lieu où ils s’étaient retirés. Or, comme Porphyre avait alors environ trente-huit ans, et qu’il avait eu à Rome plus de réputation qu’Amélius, il n’y a nulle apparence qu’il soit devenu son disciple. Joignez à cela qu’Amélius, en lui dédiant son Apologie de Plotin, le prie d’en excuser et d’en corriger les défauts[2]. Enfin le silence de Porphyre, de quelle force n’est-il point contre Suidas ? Porphyre fait mention d’Amélius à tout moment dans la Vie de Plotin, et il n’aurait jamais dit un mot des études qu’il aurait faites sous la discipline d’un tel maître. Suidas pourrait bien avoir été trompé par Théodoret, qui appelle Amélius le chef de l’école de Porphyre[3], c’est-à-dire, selon l’interprétation de M. de Tillemont, de l’école de Plotin où Porphyre étudiait[4]. Aussi Suidas le fait maître de Porphyre : (c’est M. de Tillemont qui parle.) On peut mettre encore entre ses disciples Castricius Firmus, homme.... qui rendait toutes sortes de services à Amélius. Voilà donc un auteur moderne qui donne dans l’erreur de Suidas, et qui va même plus loin ; car il est visible par la Vie de Plotin, à laquelle il nous renvoie touchant Castricius, que c’était du vivant de Plotin que Castricius avait à Rome un si grand attachement pour Amélius. Or il est incontestable que, pendant que ce dernier a été à Rome, il n’a point eu de disciples. Il était disciple de Plotin, et ne dressait point autel contre autel.

(B) Longin..… le mettait au petit nombre des philosophes dont les ouvrages lui semblaient dignes de considération. ] Ce nombre était si petit qu’il ne comprenait que deux auteurs, Plotin et Amélius. La gloire de ce dernier en était d’autant plus grande : cependant cela ne fit pas que ses écrits ne déchussent assez tôt de leur première réputation. Eunapius les met dans la même catégorie que ceux de deux autres condisciples de Porphyre, et prononce cet arrêt contre tous : Συγγράμματά γε αὐτῶν περισώζεται· λόγος δε αὐτῶν οὐδὲ εἷς[5]. Quorum extant quidem volumina, sed existimatio propè nulla est[6]. Il en donne pour raison qu’ils étaient destitués des ornemens du langage, et purement dogmatiques.

(C) Il était grand observateur des nouvelles lunes et des fêtes. ] Je n’ignore pas, qu’au lieu des nouvelles lunes, il serait plus sûr de dire, des premiers jours du mois, comme a fait Marsile Ficin[7] ; mais j’ai cru que mon expression serait plus facilement entendue. Voici les termes de Porphyre : ϕιλοθύτου δε γεγονότος τοῦ Ἀμελίου, καὶ τὰ ἱερὰ κατὰ νουμηνίαν, καὶ τὰς ἑορτὰς ἐκπεριΐοντος[8]. Qu’on aille dire après cela que les philosophes sont des impies ! S’ils l’avaient été, ils n’auraient pas tant écrit en faveur du paganisme : ils n’auraient pas été les seules plumes que les chrétiens eurent à combattre ; car pour les prêtres et les sacrificateurs, ils ne se mêlèrent pas de cela : leur ignorance les en dispensait.

  1. Porphyr. in Vitâ Plotini.
  2. Ibidem.
  3. Theodor. Græcar. Affect., pag. 500.
  4. Tillemont, Hist. des Emper., tom. III, pag. 1084, édition de Bruxelles.
  5. Eunap. in Vitis Sophistarum, pag. 20.
  6. Je rapporte la version d’Hadrianus Junius, où il me semble que propè est superflu.
  7. Per Calendas sacra faceret, dit-il.
  8. Porphyr. in Vitâ Plotini.

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