Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Lucrèce 2
LUCRÈCE, en latin Titus Lucretius Carus (A), a été un des plus grands poëtes de son siècle. Il naquit selon la Chronique d’Eusèbe, l’an 2 de la 171e. olympiade (B), et il se tua lui-même à l’âge de quarante-quatre ans. Cela veut dire qu’il se tua l’an de Rome 702. On lui avait donné un philtre qui le fit tomber en fureur. Cette manie lui laissait des intervalles lucides, pendant lesquels il composa les six livres de rerum Naturâ (C), où il explique savamment la physique d’Épicure. La même Chronique nous apprend que cet ouvrage fut corrigé par Cicéron, après la mort de l’auteur (D). Jamais homme ne nia plus hardiment que ce poëte la providence divine (E), et cependant il a reconnu un je ne sais quoi qui se plaît à renverser les grandeurs humaines (F) ; et l’on ne saurait nier que son ouvrage ne soit parsemé de plusieurs belles maximes contre les mauvaises mœurs (G). S’il eût fait autant d’attention aux accidens des particuliers, qu’à ceux des grands, il eût reconnu peut-être un je ne sais quoi qui se plaît à chagriner les petites conditions ; mais peut-être aussi qu’il eût rejeté cette hypothèse (H), et se fût fait fort d’expliquer physiquement cette affaire-là. Ceux qui ont écrit sa vie assurent qu’il était parfaitement honnête homme[a]. Quelques-uns veulent que l’invocation qui se trouve à la tête de son poëme (I) soit propre à montrer qu’il s’est contredit, et que dès la première ligne il a quitté son système. Ils auraient raison, s’il était vrai que cette prière fût autre chose qu’un jeu d’esprit (K), où il voulut bien s’accommoder en quelque façon à la coutume. Il est aisé de prouver qu’en plusieurs rencontres il a conformé son style au langage commun, et aux sentimens qui selon lui n’étaient qu’erreurs populaires (L). Un prétend qu’il a été disciple de Zénon. Ceux qui ont critiqué cela n’ont pas trop bien réussi (M). Nous dirons, en réfutant M. Moréri (N), et quelques autres écrivains (O), plusieurs choses qui concernent Lucrèce. Ceux qui désirent de savoir les éloges qu’on lui a donnés, n’ont qu’à consulter les auteurs que Barthius nous indique[b]. M. Creech qui donna en 1695, une édition de ce poëte[c], accompagnée d’une excellente paraphrase et de belles notes, en avait déjà publié une traduction anglaise. C’est dommage qu’un tel auteur n’ait pas été de longue vie[d], et que sa fin ait été conforme en quelque manière, à celle de l’auteur romain qu’il avait traduit et paraphrasé. Je suis sûr que la traduction française de M. l’abbé de Marolles n’aurait point eu le des fin qu’elle eut (P), si elle eût été aussi bonne que cette version anglaise[* 1].
Il ne sera pas hors de propos d’examiner un paralogisme et une contradiction que l’on reproche à Lucrèce. Le paralogisme regarde l’un des argumens dont il s’est servi pour faire voir qu’il faut mépriser la mort. Épicure l’avait déjà employé, mais d’une telle manière que Plutarque l’en critique sévèrement (Q). La contradiction se rapporte à la doctrine de Lucrèce touchant la nature de l’âme de l’homme. Il a soutenu que cette âme meurt avec le corps, et néanmoins il remarque qu’elle s’en retourne au ciel lorsque l’homme meurt. Ceux qui prétendent qu’il n’a pu parler de la sorte sans se contredire n’avaient guère lu son ouvrage, ou n’avaient guère compris ses sentimens (R). Cette objection ne l’eût point embarrassé : il aurait eu infiniment plus de peine à maintenir les attributs de ses dieux (S) ; car il fournit lui-même des armes à ceux qui les veulent attaquer, et c’est en cet endroit-là que son système ne paraît pas la production d’un esprit qui sait raisonner conséquemment.
- ↑ * Lagrange, mort en 1775 à trente-sept ans, a donné une nouvelle traduction française et qui est très-estimée, du poëme de Lucrèce, 1768, deux vol. in-8o., 1768, deux vol. in-12, 1794, deux vol. grand in-4o., (les exemplaires sur papier nom de Jésus sont en trois vol.), et 1821, deux vol. in-12.
(A) Titus Lucretius Carus. ] Lambin conjecture que notre poëte était, ou de la famille des Lucrèces surnommés Vespillo, ou de la famille des Lucrèces surnommés Ofella, et que le surnom de Carus fut en lui un quatrième titre, qui marquait ou son grand génie, ou la douceur de son naturel, ou quelque chose de cette nature[1]. Il produit quelques exemples de gens qui avaient deux surnoms. M. le baron des Coutures passe plus avant[2] ; il affirme comme un fait certain que Lucrèce fut surnommé Vespillon ou Ofelle, parce qu’il tirait apparemment son origine d’une de ces deux maisons. Le même Lambin conjecture que Lucrèce était ou frère, ou cousin germain des deux orateurs dont Cicéron parle, l’un surnommé Vespillo, et l’autre Ofella, ou bien de Lucrétius Vespillo dont parle Jules César. Ce dernier Lucrèce était sénateur ; mais cela n’empêche point qu’il ne pût être proche parent de notre poëte ; car il y avait des familles où quelques-uns s’élevaient à la dignité de sénateur, pendant que les autres demeuraient dans le rang des chevaliers. Pour le prouver, Lambin se sert d’une fausse supposition. Il dit que si le frère de Cicéron n’eût point aspiré aux grandes charges, on aurait vu deux frères, l’un sénateur, l’autre simple chevalier ; mais il reconnaît que le frère de Cicéron ne fit point cela. Finge ex his duobus fratribus alterum se ad honores petendos, et Remp. gerendam contulisse : alterum luce populari carere, suum negotium agere, intrà pelliculam, se continere voluisse (quod tamen secùs factum est) sed finge ita evenisse, procul dubio is qui ædilitatem majorem, præturam, consulatum adeptus esset, ut Marcus, senatorii ordinis factus esset : ille alter qui nullum magistratum gessisset, in equestri ordine mansisset[3]. M. le baron des Coutures passe encore ici plus avant ; il affirme que notre Lucrèce resta toujours dans l’ordre des chevaliers, et que Cicéron, qui posséda toutes les plus considérables charges de la république, eut toujours Quintus Tullius, son frère, dans l’ordre des chevaliers.
(B) Il naquit l’an 2 de la 171e. olympiade. ] C’est une opinion assez commune[4], que Lucrèce vint au monde douze ans après Cicéron, sous le consulat de Lucius Licinius Crassus et de Quintus Mucius Scévola, l’an de Rome 658. M. le baron des Coutures[5] est le premier que je sache, qui ait mis la naissance de Cicéron douze ans après celle de Lucrèce. Il marque d’ailleurs, pour la naissance de l’un et de l’autre, les consulats qui sont marqués par les autres écrivains. Lambin fait ici trois fautes. Il dit qu’Eusèbe a mis la naissance de Lucrèce à l’olympiade 171, c’est-à-dire sous le consulat de Cn. Domitius Énobarbe, et de Caïus Cassius Louginus, l’an de Rome 657, et que d’autres la mettent à l’olympiade 172, c’est-à-dire sous le consulat de L. Licinius Crassus, et de Q. Mucius Scévola, l’an 658 : d’où il paraît, ajoute-t-il, que ce poëte était plus jeune de douze ou onze ans que Cicéron, qui naquit sous le consulat de Q. Servilius Cépion, et de C. Attilius Séranus. 1o. Eusèbe met la naissance de Lucrèce à l’an 2 de la 171e. olympiade. Or, Domitius Énobarbe et Cassius Longinus furent consuls l’année d’auparavant. 2o. Leur consulat et celui de Licinius Crassus, et de Mutius Scévola n’appartiennent pas à l’olympiade 172, mais à l’olympiade précédente. Il est un peu étrange que Lambin nous distingue si froidement l’olympiade 171 et l’olympiade 172, par les années 657 et 658 de Rome. 3o. Puisque le consulat sous lequel Cicéron naquit tombe à l’an de Rome 647, il fallait dire que Lucrèce était plus jeune que Cicéron de dix ou douze ans, et non pas de douze ou de onze. Gifanius, et son copiste Daniel Paréus[6], en mettant la naissance de Lucrèce à l’an 658, ont tort de le faire naître douze ans avant Cicéron.
J’ai compté jusqu’à huit fautes dans huit lignes du père Briet[7]. Il veut que Lucrèce soit né l’an 2 de la 175e. olympiade, et que cette année-là soit la 543e. de Rome. Il veut que Lucrèce soit mort l’an de Rome 584, à l’âge de trente-six ans, ou plutôt à l’âge de quarante, sous le consulat de Pompée et de Crassus ; et que cette année-là suit celle où Virgile prit la robe virile. Enfin, il impute à saint Jérôme d’avoir dit que Lucrèce s’ôta la vie à l’âge de quarante ans. Comptons bien ses fautes. En 1er. lieu, il devait mettre la naissance de Lucrèce sous la 171e. olympiade, et non pas sous la 175e. En 2e. lieu, l’année olympique qu’il marque répond à l’an de Rome 674, et non pas à l’an 543. En 3e. lieu, il est absurde de dire qu’un homme né l’an 543, et mort l’an 584, est mort à l’âge de trente-six ans : cela, dis-je, est absurde, encore qu’on le corrige par ces paroles, ou plutôt à l’âge de quarante ; car outre qu’il fallait dire quarante-un et non pas quarante, on ne doit jamais se servir d’une telle disjonctive, à trente-six, ou à quarante, lorsqu’il est constant que la première partie de cette proposition est fausse. Le père Briet est dans le cas : il pose sans balancer la naissance de Lucrèce à l’an de Rome 543, et sa mort à l’an 584 ; il n’a donc point dû avancer deux opinions sur la durée de la vie. En 4e. lieu, comme Crassus et Pompée ont été consuls deux fois ensemble, c’est une faute que de marquer simplement qu’une telle chose est arrivée sous le consulat de ces deux hommes. Il faut spécifier sous quel consulat. En 5e. lieu, Crassus et Pompée furent consuls la première fois, l’an de Rome 683, et non pas l’an 584. En 6e. lieu, ou il ne fallait point parler de Virgile, ou il en fallait parler comme Donat, qui marque que ce poëte prit la robe virile le même jour que Lucrèce décéda. La plus grande force de la singularité consiste dans la rencontre du jour ; Le père Briet l’énerve en se contentant d’observer que Virgile prit la robe virile l’année de la mort de Lucrèce. En 7e. lieu, ce fut sous le deuxième consulat de Crassus et de Pompée, que Virgile prit cette robe, l’an de Rome 698[8] : il ne fallait donc pas mettre à l’an de Rome 584 la mort de Lucrèce. En 8e. lieu, saint Jérôme a dit clairement que Lucrèce se tua à l’âge de quarante-quatre ans. Propriâ se manu interfecit anno ætalis quadragesimo quarto[9]. Joignez à ces huit fautes celle que le père Briet a faite un peu après, en disant qu’Ovide a donné à Lucrèce l’épithète de divin :
Carmina divini tunc sunt peritura Lucretî,
Exitio terras cùm dabit una dies.
Il y a sublimis, et non divini, dans
Ovide[10]. Gassendi s’est étrangement
abusé sur le passage de saint Jérôme : il a cru que l’année de la
mort y avait été marquée, et non
pas celle de la naissance ; ce qui lui
a fait conclure que Lucrèce était
plus âgé que ce Zénon l’épicurien,
dont Cicéron et Atticus avaient été
auditeurs[11]. M. Creech a mis la
naissance de Lucrèce à l’an 659, et
la mort à l’an 702, et il prétend que
Virgile vint au monde le jour que
mourut Lucrèce ; ce qui pourrait
faire croire à un sectateur de Pythagore,
que l’âme de Lucrèce passa
dans le corps de Virgile. Vix absoluto
opere moritur, eo ipso die quo
natus est Virgilius, et aliquis Pythagoreus
credat Lucretii animam, in
Maronis corpus transiisse, ibique longo
usu et multo studio exercitatam
poëtam evasisse[12]. Cette faute est
considérable ; car il en faudrait conclure
que Virgile fit ses églogues à
l’âge de huit ou neuf ans. Voilà comment
les plus doctes brouillent leurs
idées. Ils convertissent le jour que
Virgile prit la robe virile en celui de
sa naissance. Lambin avait fait le
même faux pas[13].
Si l’on en jugeait par le style, ou s’imaginerait aisément que Lucrèce a été plus vieux que Cicéron ; mais cette règle serait trompeuse. Combien avons-nous d’auteurs plus jeunes que Balzac, qui écrivaient en vieux gaulois pendant que Balzac écrivait éloquemment et poliment ? Quoi qu’il en soit, j’ai lu dans quelques modernes que Lucrèce a précédé Cicéron. Paulò antiquior fuit Terentio Varrone, et M. Tullio, ut quidam scripserunt. C’est Crinitus qui dit cela[14]. Charles Étienne, Lloyd et Hofman l’ont bien copié ; mais Décimator, le copiant sans bien poser les virgules, a débité un gros mensonge. Lucretius, dit-il[15], poëta latinus paulà antiquior Terentio, Varrone et M. Tullio. Dans un autre livre[16] il avait dit tout simplement que Lucrèce est plus ancien que Térence et que Cicéron. Un illustre Anglais[17] que je cite assez souvent, veut que Lucrèce ait été contemporain de Cicéron et de Varron, mais un peu plus âgé qu’eux. Il met en marge que Lucrèce florissait 105 ans avant Jésus-Christ. Or selon lui la naissance de Jésus-Christ tombe sur l’an de Rome 751[18] : il croit donc que notre Lucrèce florissait l’an de Rome 646. Il faut donc qu’il le fasse naître environ l’an 620. C’est bien s’écarter de l’opinion ordinaire, et de l’opinion de saint Jérôme. La Vie de Lucrèce, par Lambin, dans l’édition dont je me sers[19], porte qu’il mourut à l’âge de quarante-trois ans, sous le troisième consulat de Pompée, l’an de Rome 751, le jour que Virgile naquit. Des deux fautes qu’il y a là, l’une est sans doute une faute d‘impression[20] ; l’autre est une faute d’auteur. Lambin, au lieu de mettre le jour que Virgile prit la robe virile, a mis le jour de la naissance : et quand on le rectifierait ainsi, on ne l’exempterait point d’erreur ; car ce fut sous le deuxième consulat de Pompée que Virgile prit la robe virile, l’an 698[21].
(C) Cette manie lui laissait des intervalles lucides, pendant lesquels il composa les six livres de Rerum Naturâ. ] Ceux qui liront dans M. de Thou[22], que le Tasse était sujet à de grands accès de folie, qui ne l’empêchèrent pas de faire d’excellens vers, ne trouveront pas incroyable ce qu’on nous dit ici de Lucrèce : Amatorio poculo in furorem versus, quùm aliquot libros per intervalla insaniæ conscripsisset[23]. Quelques-uns croient que Stace a voulu parler de cette fureur, quand il a dit :
Et docti furor arduus Lucretî[24] ;
mais d’autres estiment qu’il n’a voulu
désigner que l’enthousiasme poétique,
et qu’il a fait allusion à ces termes
du 1er. livre de Lucrèce :
………… Sed acri
Percussit thyrso laudis spes magna meum cor.
Voyez Barthius, sur ces paroles de
Stace.
(D) ....... Eusèbe nous apprend que cet ouvrage fut corrigé par Cicéron, après la mort de l’auteur. ] Il semble que le père Briet le croie, puisqu’il se sert de ces paroles : In suis versibus, duris quidem, sed valdè latinis, et Tullii limâ dignissimis. Quelques-uns[25] croient qu’il a voulu dire que les poésies de Lucrèce avaient besoin de passer par la lime de Cicéron ; mais d’autres jugent qu’il a voulu dire qu’elles font honneur à Cicéron, par qui elles ont été corrigées, ou qu’il paraît bien qu’elles ont passé par la lime de ce grand homme.
(E) Jamais homme ne nia plus hardiment…… la Providence divine. ] Car il entre en matière par cet impie début :
Omnis enim per se Divûm natum necesse est
Immortali ævo summâ cum pace fruatur,
Semota à nostris rebus, sejunctaque longè.
Nam privata dolore omni, privata periclis,
Ipsa suis pollens opibus, nihil indiga nostri,
Nec benè promeritis capitur, nec tangitur irâ[26].
Il continue par donner des louanges
infinies à Épicure, qui avait eu le
courage d’attaquer la religion, et
qui en avait triomphé.
Humana ante oculos fœdè cum vita jaceret
In terris oppressa gravi sub relligione :
Quæ caput à cœli regionibus ostendebat,
Horribili super adspectu mortalibus instans :
Primùm Graius homo mortaleis tollere contrà
Est oculos ausus, primusque obsistere contrà :
Quem nec fama Deum, nec fulmina, nec minitanti
Murmure compressit cœlum, sed eò magis acrem
Virtutem inritat animi, confringere ut arcta
Naturæ primus portarum claustra cupiret.
.........................
Quarè relligio pedibus subiecta vicissim
Obteritur ; nos exæquat victoria cœlo[27].
Il dit dans le même livre, qu’une des
choses qui l’encouragent le plus est
la louange qu’il espère de mériter
en traitant d’une matière toute neuve,
et en rompant les liens de la religion[28].
(F) Il a reconnu un je ne sais quoi qui se plaît à renverser les grandeurs humaines. ] Ayant parlé de la peur qui saisit les amiraux à la vue d’une tempête, il ajoute que c’est en vain qu’ils font des vœux ; tant il est vrai qu’une force occulte semble se jouer des dignités de la terre.
Summa etiam cùm vis violenti per mare venti
Induperatorem classis super æquora verrit,
Cum validis pariter legionibus, atque elephantis :
Non Divûm pacem votis adit ? ac prece quæsit
Ventorum pavidus pace, animasque secundas ?
Nequicquam : quoniam violento turbine sæpè
Conreptus nihilo fertur minùs ad vada lethi :
Usquè adeò res humanas vis abdita quædam.
Obterit, et pulchros Fasceis, sævasque Secureis
Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtur[29].
Voilà un philosophe qui a beau nier
opiniâtrement la Providence et la
force de la Fortune[30], et attribuer
toutes choses au mouvement nécessaire
des atomes, cause qui ne sait
où elle va, ni ce qu’elle fait, l’expérience
le contraint de reconnaître
dans le cours des événemens une affectation
particulière de renverser
les dignités éminentes qui paraissent
parmi les hommes. Il n’est presque
pas possible de méconnaître cette
affectation, quand on étudie attentivement
l’histoire, ou seulement ce
qui se passe dans les pays de sa connaissance.
Une vie médiocrement
longue suffit pour nous faire voir des
hommes, qui, étant montés par une
suite précipitée de bons succès à
une haute fortune, retombent dans
le néant par une suite semblable de
mauvais succès. Tout leur réussissait
auparavant, rien ne leur réussit aujourd’hui ;
ils ont part à mille infortunes
qui épargnent les conditions
médiocres, posées pour ainsi dire
au même chemin. C’est contre eux
que la Fortune paraît irritée, c’est
leur ruine qu’il semble qu’elle ait
conspirée, pendant qu’elle laisse en
repos les autres hommes. Je ne m’étonne
donc point que Lucrèce se soit
aperçu d’une telle affectation, inexplicable
selon ses principes, et très-malaisée
à expliquer selon les autres systèmes : car il faut demeurer d’accord
que les phénomènes de l’histoire
humaine ne jettent pas les philosophes
dans de moindres embarras que
les phénomènes de l’histoire naturelle.
Ce qu’il y a de plus sensible
dans l’histoire humaine, est l’alternative
d’élévation et d’abaissement[31]
dont je parle ailleurs[32], et
qui, au dire d’Ésope, est l’occupation
ordinaire de la Providence. Comment
accorder cela avec les idées
d’un Dieu infiniment bon, infiniment
sage, et directeur de toutes choses ?
L’Être infiniment parfait se peut-il
plaire à élever une créature au plus
haut faîte de la gloire, pour la précipiter
ensuite au plus bas degré de
l’ignominie ? Ne serait-ce pas se conduire
comme les enfans, qui n’ont
pas plus tôt bâti un château de cartes,
qu’ils le défont et qu’ils le renversent ?
Cela, dira-t-on, est nécessaire, parce
que les hommes, abusant de leur
prospérité, en deviennent si insolens,
qu’il faut que leur chute soit la punition
du mauvais usage qu’ils ont
fait des faveurs du ciel, et la consolation
des malheureux, et une leçon
pour ceux à qui Dieu fera des grâces
à l’avenir. Mais ne vaudrait-il pas
mieux, répondra quelqu’autre, mêler
à tant de faveurs celle de n’en
point abuser ? Au lieu de six grands
succès, n’en donnez que quatre, et
ajoutez-y pour compenser les deux
autres, la force de bien employer les
quatre. Il ne sera plus nécessaire,
ni de punir l’insolent, ni de consoler
le malheureux, ni d’instruire
celui qui est destiné à l’élévation.
La première chose que ferait un père,
s’il le pouvait, serait de fournir
à ses enfans le don de se bien servir
de tous les biens qu’il voudrait leur
communiquer ; car sans cela les autres
présens sont plutôt un piége
qu’une faveur, quand on sait qu’ils
inspireront une conduite dont il faudra
que la punition serve d’exemple.
Outre que l’on ne remarque point
les utilités de ces exemples : toutes
les générations jusques ici ont eu besoin
de cette leçon, et il n’y a nulle
apparence que les siècles à venir
soient moins exempts de cette vicissitude
dont parlait Ésope, que ceux
qui ont précédé. Ainsi cette alternative
ne porte point le caractère d’un
être infiniment bon, infiniment sage,
infiniment immuable. Je sais
bien qu’on peut inventer mille raisons
contre ces difficultés ; mais on
peut aussi inventer mille répliques :
l’esprit de l’homme est encore plus
fécond en objections qu’en solutions ;
de sorte qu’il faut avouer que, sans
les lumières de la révélation, la philosophie
ne se peut débarrasser des
doutes qui se tirent de l’histoire humaine.
C’est aux théologiens, et non
pas aux philosophes, qu’il appartient
d’aplanir cela. Les poëtes du paganisme
recoururent à une hypothèse
qui fut fort goûtée des peuples : ils
prétendirent que dans ce grand nombre
de divinités qui se mêlent du
gouvernement du monde, il y en a
qui portent envie aux hommes heureux,
et qui, pour apaiser le chagrin
que cette envie leur cause,
mettent tout en œuvre afin de perdre
ces hommes-là. D’où vint que le paganisme
eut un soin tout particulier
d’apaiser ces dieux jaloux : la déesse
Némésis, qu’on se figurait à leur
tête, avait autant de part qu’aucune
autre divinité aux cultes et aux honneurs
de la religion ; et lors même
que l’on croyait avoir été abattu, autant
que ces êtres envieux eussent pu
le souhaiter, on les suppliait très-humblement
de cesser leur persécution[33].
Si l’on admettait une fois
cette hypothèse, on expliquerait pourquoi
les grandeurs humaines sont
plus exposées aux revers de la fortune
que les conditions médiocres ;
chacun comprendrait la cause de
l’affectation que Lucrèce même n’a
pu nier. Or, de tous les systèmes de
philosophie, il n’y en a point qui
succombe sans ressource autant que
celui d’Épicure, aux difficultés dont
je parle. Lucrèce ne savait à quoi se
prendre, il ne pouvait se servir, ni
de l’hypothèse des poëtes, ni d’aucune sorte de moralité : car il ne
donnait aux dieux aucune part au
gouvernement de l’univers, et il ne
reconnaissait dans notre monde aucun
composé invisible, qui connût
ou qui voulût quelque chose, et par
conséquent son vis abdita quædam
est une preuve convaincante contre
lui-même. Il renversait par-là ses
principes.
Je dirai en passant qu’il lui eût été très-facile de concilier avec son système l’existence de ce qu’on nommait Fortune, Némésis, bons Génies, mauvais Génies. Il pouvait laisser les dieux dans l’état où il se les figurait, contens de leur propre condition, et jouissant d’une souveraine félicité, sans se mêler de nos affaires, sans punir le mal, sans récompenser le bien, etc. ; mais il pouvait supposer que certains amas d’atomes, qu’il aurait nommés tout comme il aurait voulu, étaient capables de jalousie par rapport à l’homme, et capables de travailler invisiblement à la destruction des hautes fortunes. Il y a longtemps que je suis surpris que ni Épicure, ni aucun de ses sectateurs, n’aient pas considéré que les atomes qui forment un nez, deux yeux, plusieurs nerfs, un cerveau, n’ont rien de plus excellent que ceux qui forment une pierre[34], et qu’ainsi il est très-absurde de supposer que tout assemblage d’atomes, qui n’est un homme, ni une bête, est destitué de connaissances. Dès qu’on nie que l’âme de l’homme soit une substance distincte de la matière, on raisonne puérilement, si l’on ne suppose pas que tout l’univers est animé, et qu’il y a partout des êtres particuliers qui pensent ; et que comme il y en a qui n’égalent point les hommes, il y en a aussi qui les surpassent. Dans cette supposition, les plantes, les pierres, sont des substances pensantes. Il n’est pas nécessaire qu’elles sentent les couleurs, les sens, les odeurs, etc. ; mais il est nécessaire qu’elles aient d’autres connaissances, et comme elles seraient ridicules de nier qu’il y ait des hommes qui leur font beaucoup de mal, qui les déracinent, qui les brisent ; comme, dis-je, elles seraient ridicules de le nier, sous prétexte qu’elles ne voient pas le bras et la hache qui les maltraitent, les épicuriens sont de même très-ridicules de nier qu’il y ait des êtres dans l’air ou ailleurs qui nous connaissent, qui nous font tantôt du mal, tantôt du bien, ou dont les uns ne sont enclins qu’à nous perdre, et les autres ne sont enclins qu’à nous protéger : les épicuriens, dis-je, sont très-ridicules de nier cela sous prétexte que nous ne voyons pas de tels êtres. Ils n’ont aucune bonne raison de nier les sortiléges, la magie, les larves, les spectres, les lémures, les farfadets, les lutins, et autres choses de cette nature. Il est plus permis de nier cela à ceux qui croient que l’âme de l’homme est distincte de la matière ; et néanmoins, par je ne sais quel travers d’esprit, ceux qui tiennent que l’âme des hommes est corporelle, sont les premiers à nier l‘existence des démons.
(G) Son ouvrage est parsemé de belles maximes contre les mauvaises mœurs. ] Un savant critique, qui a travaillé sur ce poëme autant que qui ce soit, en porte ce témoignage : Ambitionem etiam suæ ætatis gravissimis versibus libro tertio et quinto reprehendit (Lucretius). Quam sanctis denique fuerit moribus poëta testis est locupletissimus opus gravissimum, multisque præclaris ad bonos mores conformandos adhortationibus illuminatum[35]. Ainsi l’on ne sait que penser du père jésuite qui a osé soutenir que tout le monde convient des mauvaises mœurs de Lucrèce, lesquelles, ajoute-t-il, on ne voit que trop étalées dans son ouvrage[36]. C’est sur le témoignage de ce jésuite que M. Baillet a raison de débiter[37], que les uns ont trouvé mauvais que Lucrèce n’ait point dissimulé plus qu’il n’a fait la corruption de ses propres mœurs, d’autant plus qu’il avait moins d’occasion de la faire paraître. Mais il est certain que ce jésuite s’abuse, et qu’il n’y a rien dans le poëme de Rerum Naturâ, d’où l’on puisse raisonnablement inférer que l’auteur était débauché ; tant s’en faut que l’on puisse dire qu’il y étale la corruption de ses propres mœurs. J’avoue qu’il y explique en termes fort sales certaines choses qui concernent la génération ; mais nos médecins les plus estimés et les plus honnêtes n’en disent-ils pas pour le moins autant, dans les livres où ils traitent de ces matières, et de plusieurs autres ? Lisez les dissertations de M. Menjot, qui était de la religion, et un parfaitement honnête homme ; lisez, dis-je, sa dissertation de Sterililate, vous y trouverez des vers de Lucrèce précédés d’une explication, qui, pour ne rien dire de pis, ne cède point aux vers mêmes. Causis etiam sterilitatis annumeratur incompositus inter coëundum motus, dum scilicet clunibus et coxendicibus sublevatis lumborum crispitudine fluctuat, sive ut dixit Martialis [* 1] vibrat sinè fine pruriens lascivos docili tremore lumbos fæmina οἰϕόλις (Latini crissare, Græci πτερυγίζειν appellant) undè belluæ à naturâ edoctæ in congressu citrà σόϐησιν quietæ perstant, Lucretius [* 2] quem nescias utrumne inter poëtas an inter philosophos numeres, hanc rationem reddit,
Nec molles opu’ sunt motus uxoribus bilum,
Nam mulier prohibet se concipere atque repugnat,
Clunibus ipsa viri venerem si læta retractet,
Atque exossato ciet omni pectore fluctus.
Ejicit enim sulci rectâ regione viâque
Vomerem, atque locis avertit seminis ictum.
Idque suâ causâ consuerunt scorta moveri
Ne complerentur crebrò, gravidæque jacerent[38].
Il y a une grande différence entre les
poëtes qui publient des saletés à la
manière de Catulle et d’Ovide, et les
poëtes qui, pour expliquer les effets
de la nature, sont obligés de se servir
de mots obscènes. Lucrèce doit être
mis dans cette dernière classe, et par
conséquent son style ne peut point tirer
à conséquence contre ses mœurs.
Il n’en va pas de même de Catulle et
de ses semblables, qui ne publient
des ordures que pour faire l’histoire
de leurs amours, ou qu’afin d’exciter
le monde à la débauche la plus impure.
En un mot Lucrèce est un poëte
physicien, et les autres font des vers
galans : il lui est permis de se servir
du style des médecins ; mais l’obscénité
n’est point supportable dans des
vers de galanterie. Je ne parle point
du poëme où l’abbé Quillet apprend
aux hommes à faire de beaux enfans[39] :
je n’ignore point les coups que
M. Baillet lui porte[40] ; ainsi je
m’abstiens de dire que si un poëte
chrétien, un poëte ecclésiastique[41],
ne s’est point banni du nombre des
honnêtes gens, par les descriptions
qu’il a données sur le sujet de la génération[42],
Lucrèce n’en doit point
être banni.
Je ne me veux point prévaloir du témoignage de Denys Lambin. C’est un auteur qui voulant prouver par des exemples la pudeur avec laquelle les anciens poëtes décrivaient ce qui concerne l’exercice vénérien[43], allègue entre autres passages celui de Lucrèce que j’ai cité ci-dessus[44]. Ad genera verecundiora redeo. Pindarus Apollinis cum Cyrenâ concubitum narrans, ita tectis verbis utitur, ut ne virginales quidem aures eis offendi posse videantur hoc modo
Ἦ ῥὰ καὶ ἐκ λεχέων
Κεῖρεν μελιηδέα ποίαν, etc.
(Pyth. 9. 64.)
id est, licetne ex ejus cubili suavem
herbam tondere ? et ibid. de Antei filiâ,
quam pater optimè currenti præmium
proposuerat.
… χρυσοςεϕάνου δέ οἱ ἥϐας
Καρπὸν ἀνθήσαντ᾽ ἀποδρέψαι ἔθελον,
(Pyth. 9. 192.)
id est, cursores autem florentem ei pubertatis
aureæ fructum decerpere volebant.
Lucret. libr. 4. in extr. de muliere
motum adhibente in concubitu.
Ejicit enim sulci rectâ regione, viâque
Vomerem ; atque locis avertit seminis ictum[45].
Ce qui m’empêche de me prévaloir de
ce témoignage, est que Lambin se connaissait
peu en délicatesse sur ce chapitre ;
car nous regarderions aujourd’hui
comme quelque chose de très-grossier
les expressions qui seraient
semblables à celles qu’il cite. L’un des
exemples de Pindare contenus dans
les paroles que j’ai copiées, répond à
cette expression française, ils voulaient
lui ôter la fleur de sa virginité.
Les exemples qu’il cite d’Homère[46]
sont pour la plupart aussi forts que
les expressions de copulation charnelle,
et de cohabitation, que les notaires
de village n’oseraient presque
plus insérer dans les contrats de mariage,
comme on faisait autrefois. Il
nous allègue encore ces mots d’Horace,
Inachiam ter nocte potes, où,
dit-il, verbum in quo turpitudo et
obscœnitas inest tacetur : mais encore
que deux poëtes, natifs de Vire en
Normandie[47], aient usé de la même
suppression qu’Horace, en traduisant
ces paroles, leur traduction ne laisse
pas d’être sale. Je laisse à dire que
l’ode dont Lambin a pris cet exemple
d’une si honnête conduite, fournit
un exemple tout contraire peu
après.
Inachiâ langues minùs, ac me.
Inachiam ter nocte potes : mihi semper ad unum
Mollis opus : pereat malè, quæ te
Lesbia, quæranti taurum, monstravit inertem !
Cùm mihi Cous adesset Amyntas,
Cujus in indomito constantior inguine nervus,
Quàm nova collibus arbor inhæret[48].
Ne nous fions donc point à Lambin,
il n’est point juge compétent : ce
qu’il appelle expressions chastes et
honnêtes ne se souffre point aujourd’hui
dans les pièces de poésie galante,
dans un ouvrage de bel esprit,
dans un sermon, dans une harangue.
Il n’y a que des physiciens,
ou des avocats, ou ceux qui font des
relations historiques, ou un dictionnaire,
etc., qui les puissent louablement
employer.
Finissons par le bel éloge qu’un excellent commentateur de Lucrèce vient de lui donner. Rien ne prouve mieux ce que je viens d’affirmer dans le texte de cette remarque. Huic calumniæ ita profligatæ succedit alia elatior aspectu, et voce truculentior ; clamitans vesanum esse, immodestum, impium, voluptatis magistrum, omni denique spurcitie, quæ decet porcum ex Epicuri grege, inquinatum : Ego verò numquàm animum, meum inducere potui ut credam, Pomponii Attici, castissimi viri familiarem utriusque Ciceronis delicias, et eximium suæ ætatis ornamentum, tot vitiis (de impietate aptior erit dicendi locus) fœdatum. Testes igitur quæro, sed nullibi inveniam ; scripta evolvo, at in illis omnia longè dissimilia, multa adversùs metum fortiter, intemperantiam severè, libidinem castè disputantur, quæ hortari ad virtutes, ab avaritiâ, ambitione, luxuriâ possint deterrere plurima : et qui ad illius præcepta vitam moresque componit, illum privati habebunt integerimum amicum, civem respublica[49].
Le jésuite Possevin, tout rempli qu’il est de scrupules, et quelque soin qu’il ait pris de recommander que l’on ne fasse pas lire aux étudians certains endroits de Lucrèce[50], ne laisse pas d’être d’avis qu’on leur montre les beaux préceptes de morale qui sont dans ce poëte, sur le mépris de la mort, sur la fuite de l’amour, et sur les moyens de réfréner les passions, et d’acquérir la tranquillité de l’âme. Non negaverim perlegi posse in Lucretio quæ de morte contemnendâ, de amore fugiendo, de coërcendis cupiditatibus, de sedandis animarum motibus, de mentis tranquillitate comparandâ … disputat[51].
(H) Il eût reconnu peut-être un je ne sais quoi qui se plaît à chagriner les petites conditions, mais peut-être aussi qu’il eût rejeté cette hypothèse. ] Il y a très-peu de gens qui n’aient pris garde que l’on se plaint que l’infirmité et la mort s’attachent plus ordinairement aux personnes chères, qu’aux personnes indifférentes ou haïes. Voyez un tel, vous dit-on, il aimait sa femme, et il avait raison de l’aimer : il l’a perdue dès la seconde année, il en est inconsolable ; et pendant qu’il pleure cette triste séparation, beaucoup de maris soupirent depuis vingt ans après l’état de viduité, et se croient menacés de la longue vie de leurs femmes. Voyez cette veuve, elle pleure nuit et jour un bon mari que la mort lui a enlevé dans la fleur de sa jeunesse. Cent autres maris se portent bien depuis longtems, et vivront encore plusieurs années, et continueront à maltraiter leurs épouses sans sujet et sans raison. S’ils mouraient, la patience ne serait plus nécessaire dans leur logis. La consolation, le repos, l’épargne y régneraient agréablement, et c’est pour cela que l’on doit croire qu’ils vivront beaucoup. On vient d’enterrer un enfant, un fils unique, les délices de son père et de sa mère. Il promettait beaucoup, il était bien digne de recueillir la succession opulente qui l’attendait ; la mort l’a choisi entre cent autres qu’elle a épargnés, et qui sont à charge à la famille. Cet honnête homme qui faisait un si bon usage de son esprit et de ses richesses, est mort depuis peu. Sa vie a été bien courte : il n’avait jamais joui d’une parfaite santé, et s’il eût été vigoureux, il eût rendu encore plus de services à son prochain qu’il n’a pu faire. Il est mort, et vingt autres dans le voisinage se portent bien, et ne sont jamais malades, eux qui ne cherchent qu’à inquiéter le tiers et le quart, et qui abusent de leur santé, et de leur esprit, et de leurs richesses, pour opprimer l’innocence, et pour scandaliser le public par une mauvaise vie. Voyez ce coquin, vagabond et sans aveu, il est tombé d’un troisième étage, et ne s’est fait aucun mal. Un fils de famille, un fils unique, un honnête homme, se seraient brisé tous les os à beaucoup moins. Tous mes lecteurs conviendront qu’on entend partout de semblables plaintes, et il est même vrai qu’on dit assez ordinairement que les souhaits du public pour la mort d’un méchant homme ont une vertu particulière de lui allonger la vie. Il serait aisé d’expliquer cela par l’hypothèse de ces divinités jalouses, envieuses et malignes que les païens admettaient. La bonne théologie peut raisonner là-dessus solidement ; mais Lucrèce, qu’aurait-il pu dire ?
S’il y avait des divinités qui se chagrinassent du bonheur des hommes, et qui aimassent à les mortifier, elles affecteraient sans doute de faire périr à la fleur de l’âge un fils unique, ou un mari tendrement aimé, une épouse qui fait le bonheur de son époux ; et de conserver la vie à un fripon qui fait enrager son père et sa mère, et à un mari, et à une femme, qui sont la croix l’un de l’autre. Si elles voulaient mettre en deuil une famille, elles choisiraient l’enfant qui promet le plus, et qui est le plus chéri ; et si elles voulaient persécuter une paroisse, elles y affligeraient ceux qui en sont le soutien par leurs charités et par leur sagesse. Elles les mettraient dans le lit d’infirmité, et puis au sépulcre, et protégeraient la vie des malhonnêtes gens. Elles se plairaient à mortifier le public en conservant les objets des imprécations, et en détruisant bientôt les objets de l’espérance, et les délices du peuple, les Marcellus, les Germanicus. Considérez ce que dit Tacite en décrivant le triomphe de Germanicus, et l’inquiétude que l’éclat de ce grand jour fit naître dans l’esprit de ceux qui se souvinrent que l’amitié du peuple romain portait malheur : Augebat intuentium visus, eximia ipsius (Germanici) species, currusque quinque liberis onustus : sed suberat occulta formido reputantibus, haud prosperum in Druso patre ejus favorem vulgi, avunculum ejusdem Marcellum flagrantibus plebis studiis intrà juventam ereptum, breves et in faustos populi Romani amores[52]. Chacun sait la réflexion de Virgile, que Marcellus mourrait jeune, que les destins se contenteraient de le montrer, parce que les dieux jugeraient que Rome serait trop puissante si elle le possédait long-temps. Il y a beaucoup d’apparence que
Ostendent terris hunc tantùm fata : neque ultrà
Esse sinent : nimiùm vobis Romana propago
Visa potens, superi, propria hæc si dona fuissent[53].
Virgile avait en vue la jalousie qu’on attribuait
aux dieux. Mais nos théologiens
raisonnent d’une manière infiniment
plus solide. Ils ne nient point
généralement parlant les distinctions
qu’un païen profane et impie aurait
nommées affectation de chagriner,
ou acception de personnes, ou même
pure malignité et envie du destin. Ils
trouvent dans ces distinctions une
providence pleine de honte, de sagesse,
et de justice. Dieu nous sépare
des personnes que nous aimions le
plus tendrement : il le fait afin de
nous détacher de la terre, et de nous
apprendre que le vrai bien doit être
cherché au ciel. Il nous laisse exposés
long-temps à des malheurs domestiques,
afin d’éprouver notre patience,
et de nous purifier dans ce creuset.
Il se sert de la longue vie des méchans,
afin de punir les péchés des
hommes. C’est un fléau de sa justice.
Il ne fait souffrir que ce qu’on a mérité.
Ainsi la bonne théologie ne trouve
rien là qui l’embarrasse ; mais Lucrèce
ni Épicure ne s’en seraient pas
tirés trop facilement. Ils eussent peut-être
nié le fait, et soutenu que ceux
qui débitent les murmures, les plaintes,
les observations qu’on a vues ci-dessus,
calculent mal. Il est ordinaire
à l’homme de ne compter pas assez
d’un côté, et de compter trop de l’autre.
Qu’on méchant homme, qu’un
méchant mari, meure bientôt ; on y
prend garde sur-le-champ, et l’on oublie
sa réflexion peu après. Qu’un
très-honnête homme, qu’un bon mari,
soit fauché en herbe, on considère
cela attentivement, et on ne
l’oublie pas, la mémoire est alors un
bon registre. Il meurt peut-être autant
d’enfans selon les désirs de leurs
pères et de leurs mères, que de fils
uniques idolâtrés. La mort de ceux-là
ne fait point de bruit, on n’y songe
que légèrement ; mais la mort des autres
excite mille clameurs, mille réflexions.
Outre cela, il faut savoir
que les hommes sont plus enclins à se
plaindre qu’à se louer de leur destinée,
et qu’ils s’imaginent faussement
en mille rencontres que la prospérité
de leur prochain surpasse la leur[54].
Il y en a d’assez ingrats et d’assez impertinens
pour dire, Mon fils est
mort de ses blessures ; si ç’avait été le
fils d’un autre, il en serait réchappé.
Ajoutons que Lucrèce aurait recouru
à sa physique. Ne vous étonnez pas,
eût-il dit, qu’un fils que l’on aime
tendrement meurt plutôt qu’un fils
dont on n’a nul soin. Celui-ci devient
robuste, il s’endurcit au froid
et au chaud : l’autre s’effémine par la
mollesse de l’éducation, la moindre
incommodité l’emporte. Un jeune
homme d’un esprit extraordinaire est
maladif, et meurt avant l’âge de
trente ans : un sot, un lourdaud,
n’est jamais malade, ou bien il guérit
des plus fortes maladies, et devient
fort vieux. Avez-vous tenu registre,
répondrait Lucrèce, de tous
les savans du premier ordre qui ont
vécu quatre-vingts ans, et de tous les
sots qui n’ont pas atteint l’âge viril ?
Reprenez vos jetons, et calculez
bien, vous trouverez que vos comptes
n’étaient pas justes. Mais après tout,
pourquoi s’étonner qu’un grand esprit
ne soit pas d’une forte complexion ?
Il est composé d’un tissu d’atomes
fin et délié : sa résistance aux
autres corps doit donc être plus petite.
Un gros paysan est pétri de molécules
plus massives, plus entrelacées ;
elles doivent donc durer davantage.
Si les atomes de l’imagination se
meuvent avec une rapidité extraordinaire,
ils dérangent et ils ébranlent
les parties du cerveau, ils y font
des ouvertures par où s’exhalent et
s’évaporent une infinité d’atomes nécessaires
à l’entretien des organes. Il
faut donc que la machine s’exténue,
et que les principes de la vie se gâtent
bientôt. Et voilà l’explication de
l’axiome.
Immodicis brevis est ætas, et rara senectus[55].
Telle est la loi du ciel, nul excès n’est durable :
S’il passe le commun, il passe promptement[56].
Il s’en faut bien que ces réponses, que je suppose que Lucrèce aurait pu donner, satisfassent à tout ce qui est contenu au commencement de cette remarque.
(I) L’invocation qui se trouve à la tête de son poëme. ] M. le baron des Coutures observe[57] que cette invocation surpris beaucoup de savans, connue contraire à la doctrine d’Épicure. Lambin, ajoute-t-il, cite un Florentin qui prétend en avoir trouvé la raison, parce que ce philosophe ayant soutenu que nos crimes n’attiraient point la colère des dieux, non plus que nos bonnes actions leurs bienfaits, il admettait néanmoins les prières, et voulait qu’ils écoutassent celles des hommes. Je n’examine point si sous prétexte qu’Épicure a fait profession d’honorer les dieux, il est permis de conclure qu’il a fait aussi profession de les invoquer, et d’attendre qu’ils exauceraient ses prières. Il n’y a nulle conséquence de l’une de ces deux choses à l’autre. On peut estimer, respecter, vénérer un être, à cause des perfections de sa nature, sans pourtant lui adresser des prières, car on pourrait être persuadé qu’il ne se mêle de rien, et qu’il ne dispense ni les biens ni les maux. Je n’examine point non plus si Épicure n’a fait semblant d’honorer la divinité, que pour s’exempter des peines établies contre l’athéisme. Je renvoie mon lecteur au traité du savant M. du Rondel[58]. Mais j’ose bien assurer que Lucrèce n’a point invoqué la déesse Vénus, pour se conformer aux principes que ce Florentin attribue à Épicure, que les dieux sont dignes de nos prières encore qu’ils ne gouvernent pas le monde. Je ne suis pas du sentiment de Lambin, (c’est M. le baron des Coutures qui parle[59]) qui applaudit à ce Florentin : lui-même n’explique pas mieux la chose, en ajoutant que Lucrèce ne s’est peut-être adressé à Vénus, que suivant la coutume des poëtes, et que ce n’est point en qualité de philosophe qu’il prétendait que ses charmes obtiendraient de Mars la paix que les Romains souhaitaient ; ou peut-être qu’Épicure, mettant le souverain bien dans la fuite de la douleur, s’était adressé à la maîtresse des plaisirs, ou parce qu’enfin elle était mère d’Énée, d’où sortait le fondateur de Rome. Pour moi je soutiens que Lucrèce ne s’est point éloigné du sentiment d’Épicure, en invoquant Vénus : ce n’est point une saillie de poëte, ni une reconnaissance romaine ; c’est une réflexion de philosophe. Il n’a point regardé la maîtresse de Mars comme une déesse, puisque lui-même dans son second livre dit que Bacchus et le vin, Cérès et le blé sont les mêmes choses : il ne s’est pas non plus imaginé que Mars fût un dieu ; mais comme il écrivait un poëme de la nature des choses, pouvait-il mieux s’adresser qu’à la génération qu’il entend par la mère des amours, et que tous les naturalistes ont connu pour cet appétit secret qui a été donné à chaque espèce pour sa propagation ? Cela n’ôte point la difficulté, car il est sûr que Lucrèce considère Vénus selon les idées de ceux qui la prenaient pour une déesse. Il ne la regarde point comme la passion naturelle qui porte les sexes à s’unir : car selon cette notion Vénus n’est pas plus la mère d’Énée, que la mère d’Épicure ; et néanmoins il la désigne d’abord par l’épithète d’Æneadum genitrix. Ce qu’il y a de plus raisonnable, ce me semble, est de dire que tout ceci n’est qu’un jeu d’esprit. Lucrèce, voyant que tous les poëtes invoquaient les muses au commencement d’un grand ouvrage, ne voulut pas que son poëme fut privé d’un ornement de cette espèce : il débuta donc par invoquer Vénus, comme la divinité la plus convenable à un physicien. Mais il ne prétendit nullement que ce fût un acte de religion, ni que la Vénus qu’il comblait de tant d’éloges fût un être qui entendît rien. C’est ainsi qu’il a invoqué dans un autre endroit, la muse Calliope[60], sans prétendre s’adresser à aucun être intelligent. Il n’a donc rien fait contre ses principes. J’aimerais autant accuser Lipse d’avoir fait un acte d’idolâtrie païenne, par les vers qu’il adresse à la planète de Vénus, en faveur de son jardin[61], que d’imputer à notre Lucrèce d’avoir fait un acte de religion, par la prière qu’il adresse à la mère d’Énée. Notez qu’une infinité de poëtes chrétiens, mille fois plus ennemis de tous les dieux du paganisme que Lucrèce ne l’était, invoquent souvent les Muses ou Bacchus dans leurs poésies. C’est pour imiter les anciens, et non pas pour faire aucun acte de religion, car ils ne songent point alors à invoquer Dieu. Notez aussi qu’on a mis en parallèle cette invocation de Lipse ad stellam Venerem, et l’invocation de Lucrèce, et qu’on l’a fait à dessein de convaincre Lipse d’une impiété[62] ; mais ce n’est qu’au cas que cette prière ne soit point un jeu d’esprit[63]. Ce n’était que cela.
Au reste, le Florentin dont parle M. des Coutures est le docte Pierre Victorius. M. Minutoli me l’écrivit l’an 1693. Voici ses paroles, plus amplement que je ne les ai rapportées dans l’article d’Épicure[64]. « Il y a dans le même recueil[65], à la page 19, une lettre de Petrus Victorius à Jean della Casa, archevêque de Bénévent, qui roule sur la question si le poëte Lucrèce, qui dans le commencement de son poëme invoque Vénus, ne pèche pas en cela contre la doctrine d’Épicure son patron, et si cela est compatible avec cette inaction qui est attribuée aux dieux par ce philosophe. M. du Rondel, dont je n’ai pas lu l’ouvrage, qui fait l’apologie d’Épicure à cet égard, fait-il mention de cette difficulté, et cite-t-il cette lettre ? » Tycho Brahé fut consulté sur cette question par Isaac Pontanus, l’an 1596, et répondit pertinemment. Ad quæstionem illam jocosam, dit-il[66], et nonnihil criticam antiqui Lucretii, cùm is sectam philosophorum deos eorumque providentiam inficiantium profiteretur, Venerem nihilominùs, Æneadum genitricem, primordio sui operis, ejusque opem imploret, non habeo seriè dicere, quomodo hæc resolvenda sit, siquidem non ad Veneris sidus cœleste, quod nos unà cum ceteris subindè scrutamur, sed ad terrestrem illam Venerem, Æneadum, uti fingebant poëtæ, matrem, et aliorum, quoque hominum, genitricem pertineat……[67]. Si quid tamen in his nostri valent lusus, crediderim Lucretium ad imitationem aliorum poëtarum sic exorsum esse, non quòd reverà aliquam deam, quæ Venus appellaretur, aut ulla alia numina statueret. Ideòque sub hoc nomine voluptatem corpoream, quam etiam deum subindè nuncupare non veretur, intellexisse arbitror.
(K) Ils auraient raison, si… cette prière fût autre chose qu’un jeu d’esprit. ] Avant que d’abandonner cette matière, il faut que je dise que si Lucrèce avait invoqué ou Vénus ou Calliope, avec la persuasion que sa prière lui procurerait quelque bien, il se serait contredit d’une manière tout-à-fait indigne, non-seulement d’un philosophe, mais même d’un homme médiocrement capable de raisonnement. Car à peine a-t-il fini cette prétendue invocation de la maîtresse de Mars[68], qu’il établit pour principe que les dieux ne se soucient, et ne se mêlent de rien[69] ; et dans tout son livre il prend à tâche d’expliquer les phénomènes de la nature par le mouvement des atomes, et de réfuter ceux qui y font intervenir le ministère des dieux. On ne peut point inférer de là, ni qu’il n’ait point cru leur existence, ni qu’il n’ait point eu du respect et de la vénération pour eux, car selon ses principes il n‘est point absurde qu’il se soit formé des êtres beaucoup plus parfaits que l’homme, et contens de leur condition, et nullement curieux ou de savoir, ou de réformer les actions et les affaires d’autrui : et comme il est très-certain que nous admirons avec beaucoup de vénération le mérite de quelques grands hommes, sans avoir jamais reçu d’eux aucun bienfait, ni sans en attendre aucune faveur, ou en craindre nul mauvais office, rien n’empêche que les sectateurs d’Épicure n’aient effectivement vénéré les dieux. Mais on peut très-bien inférer du système de Lucrèce, que cet homme n’a point dû les invoquer, et qu’il a dû regarder comme une chose très-inutile tout le culte de religion qui se pratiquait dans Rome, les vœux, les sacrifices, les fêtes, etc. Il se présente ici une réflexion à faire sur la conduite des prêtres athéniens par rapport à Épicure. Ils ont fait punir en divers temps les philosophes qu’ils accusaient d’athéisme, et ils firent un grand procès a Anaxagoras pour un simple acte de profanation[70]. D’où vient donc qu’ils ne harcelèrent point Épicure ? Fut-ce à cause qu’il ne se brouilla jamais avec eux par quelque intérêt personnel, par quelque offense personnelle, comme avaient fait peut-être ceux qu’ils poursuivirent, et que peut-être ils n’accusèrent d’irréligion que pour contenter leurs passions particulières sous le manteau de la piété ? Fut-ce à cause qu’Épicure eut la politique de se conformer au culte public, et de l’approuver hautement ? Je crois bien qu’ils étaient capables de se contenter de l’extérieur, comme l’on fait aujourd’hui, sans vouloir fouiller dans les pensées ; mais ne fallait-il pas comme aujourd’hui que cet extérieur fût conservé jusque dans les livres et dans les leçons ? Souffraient-ils qu’on dogmatisât dans son école le contraire de ce qu’on disait dans les rues et dans les temples ? Il est difficile de s’imaginer cela. Cependant le système d’Épicure combattait formellement et clairement le culte des dieux, tel que les Athéniens le pratiquaient : il ne pouvait compatir qu’avec l’estime, le respect, les louanges des dieux ; et nullement avec les prières, les sacrifices et les actes de pénitence. Ainsi tous les inconvéniens que l’on pouvait craindre de l’athéisme, l’anéantissement de la confiance en la protection du ciel, la destruction de l’espérance d’être heureux en bien vivant, et de la peur d’être malheureux en vivant mal ; tous ces inconvéniens, dis-je, sans en excepter un seul, coulaient aussi naturellement et aussi nécessairement de la doctrine d’Épicure que de la doctrine des athées. Les esprits le moins pénétrans comprennent très-bien, que tous les usages de la religion sont fondés, non pas sur le dogme de l’existence de Dieu, mais sur le dogme de sa providence : puis donc qu’Épicure a été souffert dans une ville où l’on punissait les athées, il s’en suit que l’acception de personnes y avait lieu, et qu’on y avait double poids et double mesure ; ou que les Athéniens, si fins et si défiés dans le reste, étaient fort stupides sur le chapitre de la religion. Ils se laissaient jouer comme des enfans : ils ne s’apercevaient pas qu’en dogmatisant comme Épicure, on se moquait d’eux si l’on protestait que l’on approuvait l’usage des sacrifices et des prières, et toutes les autres parties du culte public. Cette raison-là me paraîtrait forte pour prouver que ce philosophe a dogmatisé la providence de Dieu, comme le prétend M. du Rondel ; elle me paraîtrait, dis-je, bien forte, si je ne voyais que Lucrèce, combattant manifestement la providence, sans détour ni équivoque, et sans qu’on puisse former pour lui les apologies que l’on forme pour Épicure, a vécu dans une entière tranquillité à Rome, ville qui n’était pas moins jalouse de la religion, ni moins sévère contre les impies, que le peuple athénien. Notez en passant que les bonnes mœurs de tout homme qui reconnaît comme Lucrèce l’existence, la sainteté, le bonheur, l’immortalité de Dieu, sans reconnaître sa providence, sont une aussi bonne preuve de cette thèse, l’athéisme n’est pas nécessairement conjoint avec les mauvaises mœurs, que la preuve que l’on tirerait de la bonne vie de ceux qui nieraient tout à la fois la providence de Dieu et son existence : car il est visible que la foi de l’existence, sans la foi de la providence, ne peut pas être un motif à la vertu, ou un frein contre le vice.
(L) Il a confirmé son style au langage commun, et aux sentimens… populaires. ] Je n’en donnerai que deux exemples. Il croyait que le ciel et la terre ne dureraient pas toujours ; et il annonce à celui à qui il a dédié son livre, que peut-être la destruction de ce monde arriverait de leur vivant : fasse la Fortune qui gouverne toutes choses, ajoute-t-il, que ce malheur soit détourné loin de nous !
Il est visible que le vœu, ou le souhait,
ou la prière, qu’il pousse ne
venait que de l’habitude qu’il avait
prise de parler comme les autres. Il
se trouvait tous les jours avec des
personnes dont le langage était parsemé
de parenthèses que l’on aurait
pu appeler dévotes, si elles n’eussent
été plutôt un effet de la coutume,
qu’un acte de réflexion. Sa femme,
sa servante, ses amis, tous les Romains
en général, étaient stylés à
mêler un vœu dans le récit de quelque
mauvais présage ou de quelque
triste accident. Deus avertat, Dieu
nous en garde, disaient-ils. Si un tel
malheur arrivait, quod abominor, ce
qu’à Dieu ne plaise. Les auteurs se servaient
aussi de ces façons de parler,
Dî, prohibete minas, Dî talem avertite casum[73].
Je ne doute pas que Lucrèce, accoutumé
dès l’enfance à ces formules du
discours, ne s’en servît dans ses entretiens
familiers, ou sans correctif,
ou en substituant le mot de Natura,
de Fortuna, à celui de Deus. C’est
ainsi que les protestans ont substitué
la parenthèse Dieu veuille avoir son
âme, à celle de que Dieu absolve. Les
catholiques romains se servent de
celle-ci quand ils font mention de
leurs parens décédés, mais comme
elle ne conviendrait pas à ceux qui
nient le purgatoire, les protestans ne
l’ont point admise, et se sont néanmoins
accommodés à la coutume par
une phrase située comme l’autre, et
tournée selon leurs maximes de religion.
Lucrèce se trouvant accoutumé,
et par ses lectures, et par ses conversations,
à l’usage de cette sorte de parenthèses,
inséra le vœu ou le souhait
que l’on a vu ci-dessus. Rien
n’était plus inutile que cela dans
l’hypothèse qu’il soutenait, et l’on
ne peut pas prétendre qu’il ignorât
l’incompatibilité d’un pareil vœu
avec la doctrine des atomes ; il savait
trop bien que la Nature ou la Fortune,
qui les poussait, n’était pas capable
de changer, ou de retarder leur
cours, ni d’entendre même les souhaits
des hommes. Si la fuite de leur
mouvement devait amener bientôt la
ruine du monde, cette ruine était
inévitable ; les prières les plus dévotes
du genre humain, les sacrifices et
les processions n’y pouvaient apporter
le moindre délai. D’où vient donc
que Lucrèce invoque en quelque façon
la Nature ou la Fortune, afin
qu’elle renvoie à un autre temps la
destruction de la terre ? C’est qu’il
parlait quelquefois selon le style courant.
Notons que le dogme de la fatalité
n’exclut pas tous les souhaits ;
car, sans s’écarter de ses principes,
Épicure aurait fort bien pu souhaiter
que la disposition des atomes fut favorable
à sa santé. Il n’aurait pas pu
demander qu’elle changeât, mais désirer
seulement que leur nature les
eût amenés à un tel, ou à un tel point.
Lucrèce va plus avant, comme il paraît
par ses expressions. Voilà le premier
exemple que je veux donner.
Le second n’est pas éloigné de celui-là, vu qu’immédiatement après les six vers que j’ai apportés, on trouve ceci :
Qua priùs aggrediar quàm de re fundere fata
Sanctiùs, et multò certâ ratione magis, quàm
Pythia, quæ tripode è Phœbi lauroque profatur ;
Multa ubi expediam doctis solatia dictis[74].
Il promet là des oracles beaucoup
plus certains que ceux de Delphes,
et il s’était servi ailleurs du même comparatif pour relever l’importance
de la doctrine des anciens philosophes
de la Grèce.
Quamquàm multa benè ac divinitùs invenientes
Ex adyto tamquàm cordis responsa dedêre
Sanctiùs, et multò certà ratione magis, quàm
Pythia, quæ tripode ex Phœbi, lauroque profatur[75].
Qui ne voit que dans l’un et l’autre
de ces deux passages il s’exprime selon
les idées du peuple, et non pas
selon les principes de sa secte ? Car
selon lui les réponses de la prêtresse
d’Apollon ne pouvaient être que les
fantaisies d’un cerveau malade, ou
d’un imposteur ignorant. Il ne reconnaissait
aucune divinité dans les
oracles : ce n’était donc pas donner
une grande idée d’un dogme philosophique,
que d’assurer qu’il était
meilleur que les oracles de Delphes.
C’est comme si nous disions aujourd’hui,
que les pensées de M. Descartes
sont plus dignes d’attention que les
prophéties de ces diseuses de bonne
aventure qui courent de lieu en lieu.
Il est donc clair que Lucrèce accommodait
son langage aux opinions populaires,
et que l’on serait coupable
d’une chicanerie ridicule, si l’on
soutenait que la force de la vérité lui
arracha quelquefois des confessions
qui renversaient son système, et qui
le convainquaient de se contredire
grossièrement : que par exemple il a
reconnu en deux endroits de ses poésies,
qu’il y avait quelque chose de
divin, d’inspiré, de surnaturel et
de prophétique, dans les oracles
d’Apollon.
(M) On prétend qu’il a été disciple de Zénon. Ceux qui ont critiqué cela n’ont pas trop bien réussi. ] Si l’on admet une fois le sentiment de ceux qui disent que Lucrèce fut envoyé à Athènes pour y étudier, on ne pourra guère révoquer en doute qu’il n’ait été l’un des disciples de Zénon, le chef de l’école d’Épicure en ce temps-là. Aussi voyons-nous que Lambin et Gifanius joignent ensemble ces deux opinions : Credibile est Lucretium… sese Athenas contulisse ibique Zenonem illum epicureorum coryphæum audivisse[76]. Voilà ce que dit Lambin, et voici les paroles de Gifanius[77] : Præerant hortis eo tempore Zeno acriculus ille senex et Phædrus homo, ut Cicero ait, humanissimus, itaque his videtur usus præceptoribus Titus, quos etiam Atticus paulò licet hoc poëta grandior audivit. M. le baron des Coutures a suivi les mêmes traces : il est vraisemblable, dit-il[78], que Lucrèce… alla à Athènes, où Zénon qui était l’honneur de la secte épicurienne, s’était acquis une estime générale. On a inséré dans la Bibliothéque Universelle[79] une lettre qui contient quelques remarques contre ce baron. La dernière est celle-ci : Enfin la 5e bévue est que Zénon est dit avoir été l’honneur de la secte épicurienne, au lieu qu’il est reconnu pour le chef des stoïciens. Le censeur n’a pas pris garde qu’il y a eu plus d’un Zénon : il a cru qu’on avait voulu parler du fondateur des stoïques, et sur ce pied-là il devait trouver dans les paroles qu’il critiquait une insigne faute de chronologie dont il ne parle pas. Zénon, le chef des stoïciens, mourut la 1re. année de la 129e. olympiade ; il faut donc dire que sa mort a précédé de plus de 160 ans la naissance de Lucrèce. On devait donc soupçonner que l’auteur que l’on censurait avait eu en vue un Zénon différent du fondateur des stoïques ; et si ce soupçon avait engagé à quelques recherches, on aurait trouvé un fameux épicurien nommé Zénon[80], qui enseignait dans Athènes au temps de Lucrèce.
(N) En réfutant M. Moréri. ] 1o. Il ne devait pas dire que notre poëte s’appelait T. Carus Lucrèce. Carus n’était point son nom, mais son surnom, cognomen ; 2o. par ces mots, Romain de nation, Moréri a voulu dire sans doute que Lucrèce était né à Rome. C’est mal exprimer sa pensée ; car où est l’auteur exact qui ferait difficulté de soutenir que Cicéron et Tite-Live sont Romains de nation, comme Démosthène et Thucydide sont Grecs de nation ? 3o. On n’a nulle preuve que Lucrèce soit né à Rome ; il ne fallait donc pas lui donner affirmativement cette patrie, comme a fait Moréri ; 4o. encore moins fallait-il dire que Lucrèce témoigne lui-même qu’il était natif de Rome. Je n’ai trouvé dans Lucrèce qu’un passage sur quoi l’on se puisse fonder, pour dire qu’il se donne cette patrie ; mais ce passage n’est d’aucune force. Le voici,
Funde, petens placidam Romanis incluta pacem,
Nam neque nos agere hoc patriaî tempore iniquo
Possumus æquo animo[81] ..........
Cicéron, Tite-Live, Florus, Sénèque,
n’eussent point parlé autrement, eux
qui étaient nés hors de Rome. Tous
les habitans d’un pays pourraient dire
dans un temps de guerre civile, que
leur patrie est affligée, encore que le
lieu particulier de leur naissance fût
exempt du malheur public. De plus
savans hommes[82] que Moréri ont
affirmé ce qu’il affirme : M. Morhof
plus sage qu’eux, me dira-t-on, s’est
servi de la particule peut-être ; mais
il est sûr que son fortè se rapporte à
un autre doute : nous le pouvons
donc compter entre ceux qui disent
positivement que Lucrèce vint au
monde dans Rome même[83]. 5o. Il
ne fallait pas affirmer que les parens
de Lucrèce l’envoyèrent étudier à
Athènes. Il y a, je l’avoue, beaucoup
d’apparence à cela ; mais enfin,
puisqu’on n’en a nulle preuve, il
n’en fallait parler qu’en conjecturant,
ou tout au plus il se fallait contenter
de dire qu’on n’en doutait point.
C’est ce qu’a fait Gifanius. Adolescentulus
autem, dit-il, quin à parentibus,
seu propinquis, consideratâ
ejus ad bonas artes natâ penè divinâ
indole, Athenas more patrio sit missus,
Athenas non ita pridem à P.
Sullâ crudeliter vastatas, non dubito ;
postulat hoc Romanorum consuetudo,
ac doctrinæ ratio[84]. 6o. Il n’est pas
vrai que Velleius Paterculus et Cicéron
aient dit que l’éloquence de
Lucrèce le rendait le plus sublime des
poëtes de son temps. Cicéron ne parle
qu’une fois de lui, et l’on ne sait pas
encore certainement si les louanges
qu’il lui donne sont grandes ou médiocres ;
car on est fort partagé sur
la leçon de son passage[85] : les uns[86]
y trouvent qu’il n’y avait pas
beaucoup d’esprit dans le poëme de
Lucrèce, mais que néanmoins il y
avait beaucoup d’art, les autres[87]
y trouvent que cet ouvrage brillait
de grands traits d’esprit, et que néanmoins
l’art y paraissait beaucoup. Se
rangeant tant qu’on voudra à la leçon
la plus favorable, on ne trouve point
que Cicéron dise ce que Moréri lui
attribue. Quant à Velleius Paterculus,
il s’est contenté de mettre Lucrèce
dans la liste des grands esprits, eminentium
ingeniorum notare tempora[88] :
il n’en a rien dit de particulier.
7o. Ce n’est pas une petite faute que
de dire qu’une femme nommée Lucilia
fit avaler à Lucrèce un philtre
amoureux qui le fit tomber dans une
étrange frénésie. C’est avoir omis une
circonstance capitale, savoir qu’on
dit que Lucilia était femme de Lucrèce[89].
8o. Il n’est pas vrai que Cicéron
dise que Lucrèce Ofella… était
plus propre à faire des harangues
qu’à prononcer des jugemens[90]. 9o.
Cicéron, Velleius Paterculus, et César
ne parlent point d’un autre qui
était apparemment frère ou oncle du
poëte. Il est bien vrai que celui dont
Cicéron et César parlent, celui-là
dans ses lettres à Atticus[91], celui-ci
dans la guerre civile, est le même
homme : mais celui dont Velleius
Paterculus parle est différent de celui-là,
et apparemment ne diffère point
de celui qui haranguait mieux qu’il
ne plaidait.
(O)…… et quelques autres écrivains. ] Voyez ci-dessus la remarque (B). M. le baron des Coutures fait dire à Lambin, que l’élocution de Lucrèce est préférable à celle de César et de Cicéron. Il faut qu’il se soit servi d’une édition différente de celle que j’ai consultée, où j’ai trouvé ces paroles, hoc non dubitanter affirmabo nullum in totâ linguâ latinâ scriptorem Lucretio latinè meliùs esse locutum : non M. Tullii, non C. Cæsaris orationem esse puriorem[92]. C’est à Pierre Victorius que l’on pourrait imputer quelque chose de semblable ; car il préférait hautement Lucrèce à Virgile[93]. Il est surprenant, après le passage qu’on vient de voir, que l’on accuse Lambin de dire qu’il trouve méchante la latinité de Lucrèce. Quo respexit fortè Dionysius Lambinus cùm Lucretium malum latinitatis autorem vocat, quâ tamen cum sententiâ ille minimè audiendus est[94]. Borrichius suppose que Cicéron, Aulu-Gelle et Scaliger ont loué Lucrèce de s’être servi d’une très-pure latinité : Certè purissimæ latinitatis esse omnia in confesso est… laudaturque hoc nomine Ciceroni, Gellio, Scaligero, aliis[95]. Nous avons vu ci-dessus que l’éloge de Cicéron n’a nul rapport à la pureté du style. Glandorp[96] se trompe, quand il suppose que Lucrèce a suivi les sentimens d’Empédocle : s’il avait pris garde au Ier livre de Rerum Naturâ, où Empédocle est réfuté, il n’aurait point dit cela.
(P) La traduction…… de M. l’abbé de Marolles n’aurait pas eu le destin qu’elle eut. ] La reine Christine l’aurait remercié de la dédicace d’un si beau livre. Son silence mortifia sans doute l’abbé, qui ne laissa pas d’être bien content de son travail. Il faut l’entendre lui-même[97]. Quand l’édition de la version de Lucrèce fut achevée, le brave M. du Morhier, pour qui j’ai toujours eu tant d’estime, trouva bon que j’en fisse un présent à la reine Christine de Suède [98] : toutefois cela ne servit de rien, et je ne sais pas même si elle reçut le livre que M. Hérauld, qui faisait ici ses affaires avec tant de soin et de fidélité, m’assura de lui avoir envoyé. Du moins n’en ai-je point reçu de réponse, contre la coutume de cette princesse, qui était alors assez libérale de ses complimens aux gens de lettres. Quoi qu’il en soit, le livre n’a pas laissé d’être assez bien accueilli du public : et j’ai vu quelques savans hommes, M. le comte de Pagan, feu M. le Pailleur, le docte M. d’Avisson, M. de la Courvée, médecin de la reine de Pologne, et quelques autres, qui m’en ont remercié pour l’intérêt du public, après avoir satisfait en quelque façon aux difficultés qu’on y pouvait former à cause de la doctrine de ce poëte, dans son troisième volume, où il traite de la nature de l’âme. Je l’ai depuis fort corrigé, et mis en bien meilleur état pour en faire une seconde édition. M. l’abbé de Marolles n’entendait pas assez bien la langue latine, et la physique d’Épicure, pour réussir dans une telle version. Cependant elle a été imprimée deux fois ; 1o. l’an 1650, dédiée à la reine de Suède ; 2o. l’an 1663, augmentée de la traduction du Xe. livre de Diogène Laërce, et dédiée à M. le premier président.
(Q) Plutarque critiqua Épicure sévèrement. ] Pour commenter avec ordre ces paroles-là, il faut d’abord représenter le but d’Épicure et de Lucrèce. Ils se proposent de prouver qu’il ne faut point craindre la mort, que la mort n’est rien, que nous n’y avons aucun intérêt, qu’elle ne nous concerne pas.
Nil igitur mors est, ad nos neque pertinet hilum[99].
Leur preuve était prise de ce que les
choses dissoutes ou séparées ne sentent
point, et que les choses qui ne
sentent pas ne sont rien à notre
égard. Voici les paroles d’Épicure :
Ὁ θάνατος οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς· τὸ γὰρ διαλυθὲν ἀναισθητεῖ· τὸ δὲ ἀναισθητοῦν οὐδὲν
πρὸς ἡμᾶς[100]. Plutarque[101] trouvait
que ce philosophe faisait là un
très-mauvais syllogisme, et qu’il y
manquait une proposition nécessaire,
savoir celle-ci, la mort est la séparation
du corps et de l’âme, ὁ θάνατος
ψυχῆς καὶ σώματος διάλυσις. Aulu-Gelle,
prenant le parti d’Épicure,
convient que le syllogisme, pour
être en forme, devait contenir cette
proposition-là, mais il soutient qu’Épicure
ne s’étant pas engagé à conformer
son raisonnement aux règles
syllogistiques, l’a supprimée tout
exprès, parce qu’elle était assez connue
par elle-même. Et il ne faut pas
trouver étrange que la conclusion
ait été mise non pas à la fin, mais à
la tête de l’argument ; car il est arrivé
plusieurs fois au philosophe Platon
de raisonner de cette manière,
c’est-à-dire de renverser l’arrangement
des propositions du syllogisme.
Voilà ce que répond Aulu-Gelle à la
censure de Plutarque. Il n’a pas été
au fait, et on le critiqua durement
au XVIe. siècle. On l’accusa d’avoir
montré sa folie en voulant couvrir
celle d’autrui, et de n’avoir pas
même entendu de quoi il était question :
Nactus autem est patronum
(Epicurus) tali prorsùs cliente dignum
Gellium : qui dum alienam stultitiam
tegere vult, prodit suam. Tantùm
enim abest ab eo defendendo, ut ne
intellexisse quidem videatur, quid in
eo reprehenderetur[102]. On aurait
pu ajouter qu’il ignorait en général
ce que c’est qu’un syllogisme ; car il
suppose que réellement celui d’Épicure
est conforme aux règles, et que
pour l’être formellement il suffit d’y
insérer la proposition que l’auteur a
sous-entendue. Or voici quel serait
ce syllogisme, en y ajoutant ce qu’Épicure
a sous-entendu.
La mort est la dissolution du corps et de l’âme,
Donc la mort ne nous touche pas.
Ce syllogisme ne vaut rien du tout, puisqu’il contient quatre termes manifestement et sans équivoque[103]. Il faut donc croire que l’objection de Plutarque n’était pas fondée sur la suppression de la majeure, comme le prétend Aulu-Gelle, mais sur ce que la majeure qu’on sous-entendait, n’était nullement un principe dont on pût tirer la conclusion. C’est assurément la mauvaise qualité de ce principe, et vous voyez clairement qu’après avoir accordé la majeure et, la mineure du syllogisme que je viens de rapporter, on en peut nier la conséquence. Muret s’emporte là-dessus contre Épicure, et le traite d’un impertinent dialecticien. Illius artis (dialectices) ignoratione ruebat in dicendo : sæpèque aliquid probare aggressus, ea sumebat, quibus datis ac concessis, id tamen quod probare instituerat, non concluderetur. Quale est, quod cùm docere vellet, mortem nihil ad nos pertinere, ita ratiocinabatur : Ὁ θάνατος οὐδὲν πρός ἡμᾶς· τὸ γὰρ διαλυθὲν ἀναισθητεῖ· τὸ δὲ ἀναισθητοῦν οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς. Neque enim sequitur, si id quod dissolutum est, sensu vacat, idcircò ipsam quoque dissolutionem non sentiri. Neque mors est τὸ διαλυθὲν, ἀλλὰ αὐτὴ ἡ διάλυσις. Meritòque Plutarchus secundo librorum, quos de Homero composuit, imperfectè, atque præposterè, atque inscitè syllogismo usum esse eum dixerat : non quòd prætermisisset illud λῆμμα, ὁ θάνατος ψυχῆς καὶ σώματος διάλυσις : quo addito, nihilò magis efficietur, quod ipse voluit : sed quod, stupiditate quâdam, et crassitudine ingenii, non pervidisset, quantùm inter id, quod dissolutum est, et ipsam dissolutionem interesset[104]. Et pour nous convaincre que le défaut qui a été reproché à Épicure par Plutarque, ne consiste pas dans la simple suppression de la majeure, il rapporte un passage d’Alexandre d’Aphrodisée[105], où l’argument d’Épicure est censuré précisément comme il suppose que Plutarque le critique. Je ne saurais me persuader que Plutarque eût voulu se mettre en frais pour la censure d’une chose dont les meilleurs dialecticiens se peuvent servir. Rien ne leur défend de se servir de l’enthymème, qui est un syllogisme mutilé, ou de la majeure, ou de la mineure. On l’emploie sur les bancs encore aujourd’hui, sans que les plus grands esclaves des formalités de la dispute y trouvent rien à redire, pourvu que la proposition sous-entendue soit telle qu’il faut, mais quelles huées ne feraient-ils pas si elle était défectueuse comme celle dont il est ici question ? Développons-en le paralogisme.
Épicure et Lucrèce supposent que la mort est une chose qui ne nous concerne pas, et à laquelle nous n’avons aucun intérêt. Ils concluent cela de ce qu’ils supposent que l’âme est mortelle, et par conséquent que l’homme ne sent plus rien après la séparation du corps et de l’âme.
Nil igitur mors est, ad nos neque pertinet hilum,
Quandòquidem natura animi mortalis habetur :
Et velut anteacto nil tempore sensimus ægri,
Ad confligendum venientibus undique Pœnis ;
Omnia cum belli trepido concussa tumultu,
Horrida contremuêre sub aliis ætheris auris ;
In dubioque fuit sub utrorum regna cadendum
Omnibus humanis esset, terrâque marique :
Sic ubi non erimus, cùm corporis, atque animaî
Discidium fuerit, quibus è sumus uniter apti,
Scilicet haud nobis quidquàm, qui non erimus tùm
Accidere omninò poterit, sensumque movere :
Non si terra mari miscebitur, et mare cœlo[106].
Ils ont raison de dire que rien de
tout ce qui peut arriver à l’homme
lorsqu’il ne sent plus ne le concerne ;
car c’est toute la même chose
à l’égard de la statue de Socrate, de
la mettre en pièces, ou de briser la
statue de César. Puis donc que la
rupture de la statue de César n’intéresse
en rien la statue de Socrate,
celle-ci n’a nul intérêt à sa propre
destruction : elle n’en voit rien, elle
n’en sent rien, non plus que si l’on
brûlait un arbre sous le pôle méridional.
Mais ils ne laissent pas de
donner dans le sophisme par deux
endroits. Ils ne peuvent point nier
que la mort n’arrive pendant que
l’homme est doué encore de sentiment.
C’est donc une chose qui concerne
l’homme, et de ce que les
parties séparées ne sentent plus, ils
ont eu tort d’inférer que l’accident
qui les sépare est insensible[107].
Voilà donc leur première inconséquence ;
ils ont conclu des parties
séparées à la séparation même : celle-ci
pouvant être douloureuse, et accompagnée
de mille sortes de sentimens
importuns, est un mal qui appartient
proprement et réellement à
l’homme, et cela en vertu même de
leur principe, que si les morts n’ont
nul intérêt à leur état, c’est à cause
qu’ils ne sentent rien. Le second
défaut du raisonnement de ces philosophes
est qu’ils supposent que
l’homme ne craint la mort que parce
qu’il se figure qu’elle est suivie d’un
grand malheur positif. Ils se trompent,
et ils n’apportent aucun remède
à ceux qui regardent comme
un grand mal la simple perte de la
vie. L’amour de la vie est tellement
enraciné dans le cœur de l’homme,
que c’est un signe qu’elle est considérée
comme un très-grand bien ;
d’où il s’ensuit que de cela seul que
la mort enlève ce bien, elle est redoutée
comme un très-grand mal. À
quoi sert de dire contre cette crainte :
vous ne sentirez rien après votre
mort ? Ne vous repondra-t-on pas
aussitôt, c’est bien assez que je sois
privé de la vie que j’aime tant ; et si
l’union de mon corps et de mon âme
est un état qui m’appartient, et que
je souhaite ardemment de conserver,
vous ne pouvez pas prétendre que la
mort qui rompt cette union est une
chose qui ne me regarde pas. Concluons
que l’argument d’Épicure et
de Lucrèce n’était pas bien arrangé,
et qu’il ne pouvait servir que contre
la peur des peines de l’autre monde.
Il y a une autre sorte de peur qu’ils
devaient combattre ; c’est celle de la
privation des douceurs de cette vie.
Ils eussent pu dire qu’à tout prendre
l’insensibilité des morts est un gain plutôt qu’une perte ; car on gagne
l’exemption des malheurs de cette
vie. Or, soit que les maux de cette
vie surpassent les biens, comme l’ont
cru beaucoup de gens, soit qu’ils ne
fussent que les égaler, c’est un avantage
que d’être insensible ; car il n’y
a point d’homme bien éclairé sur ses
intérêts, qui ne préférât quatre heures
de bon sommeil, à deux heures de
plaisir, et à deux heures de déplaisir,
l’un égalent l’autre[108].
Voyons un nouveau paralogisme de Lucrèce. Il prétend que la mort ne nous concernerait pas quand même le sentiment subsisterait dans les parties dissoutes, ou quand même le hasard produirait avec le temps une nouvelle réunion du corps et de l’âme. Sa raison est que nous sommes un composé d’âme et de corps, et qu’ainsi rien ne nous concerne que ce qui nous appartient, en tant que nous sommes ce composé. Comme donc l’âme séparée du corps n’est point un homme, ce qu’elle pourrait sentir en cet état-là ne serait point un sentiment d’homme ; et sous prétexte que l’âme de Scipion serait malheureuse après la mort de Scipion, il ne serait pas vrai de dire que Scipion serait malheureux. Je me sers de cet exemple, quoiqu’il ne soit pas contenu dans ces paroles de Lucrèce :
Et si jam nostro sentit de corpore, postquàm
Distracta’st animi natura, animæque potestas :
Nil tamen hoc ad nos, qui cœtu, conjugioque
Corporis atque animæ consistimus uniter apti[109].
Il croit, possible que les mêmes atomes
dont un homme a été composé, et
qui se dissipent par la mort, reprennent
avec le temps la même situation,
et reproduisent un homme :
mais il veut que les accidens de ce
nouvel homme ne concernent en
aucune manière le premier : l’interruption
de la vie, ajoute-t-il, est
cause que nous n’avons aucun intérêt
à ce qui arrivera, en cas que
les siècles à venir nous redonnent la
même nature humaine que nous
avons eue. L’état ou nous étions
autrefois nous est aujourd’hui une
chose entièrement indifférente : disons
le même de tous les états où
nous pourrons nous trouver à l’avenir.
Nec, si materiam nostram conlegerit ætas
Post obitum, rursùmque redegerit, ut sita nunc est ;
Atque iterùm nobis fuerint data lumina vitæ,
Pertineat quidquam tamen ad nos id quoque factum,
Interrupta semel cùm sit repetentia nostra,
Et nunc nil ad nos de nobis attinet, antè
Qui fuimus, nec jam de illis nos afficit angor,
Quos de materiâ nostrâ nova proferet ætas.
Nam cùm respicias immensi temporis omne
Præteritum spatium, tum motus materiaî
Multimodi quàm sint ; facilè hoc adcredere possis,
Semina sæpè in eodem, ut nunc sunt, ordine posta :
Nec memori tamen id quimus deprendere mente.
Inter enim jecta’st vitaî pausa, vagèque
Deerrârunt passim motus ab sensibus omnes[110].
Si Lucrèce a espéré de persuader ces
deux points de physique aux personnes
qui savent approfondir une
question, il s’est mal servi de ses
lumières. Voici un exemple qui nous
le fera voir clairement, quoique je
le suppose à plaisir. Représentons-nous
une montre, et supposons
qu’elle est animée, et qu’elle sent,
et qu’elle connaît ce que l’horloger
lui dit. Supposons après cela qu’il
lui annonce qu’il s’en va la démonter,
et qu’il ne laissera pas deux roues
l’une proche de l’autre ; mais qu’universellement
toutes les pièces seront
séparées, et mises chacune à part
dans une boète ; que le sentiment se
conservera malgré cette destruction,
et que l’âme ou le principe de la vie
retiendra ses facultés par rapport à
la douleur et à la joie, etc. N’est-il
pas certain dans cette supposition,
que la montre se devra intéresser à
ces sentimens, qu’on lui dit que la
dispersion de ses parties ne finira
pas ? Elle n’en sera point affectée
en tant que montre, mais il suffit
pour son malheur qu’en tant que
substance sensitive, elle souffre le
chaud et le froid, la douleur et le
chagrin, etc. Elle sera très-certainement
la même substance qui avait
été exposée à ces malheurs-là dans la
montre, et le mal qu’elle souffrira
après la destruction du composé ne sera qu’une continuation du mal
qu’elle avait souffert pendant que
le composé subsistait. Appliquez cela
à notre âme, et vous verrez que si
elle conservait le sentiment après
notre mort, il serait très-vrai de dire
que la même nature qui avait souffert
la faim, le froid, la fièvre, la
gravelle, etc., dans le corps humain,
souffre d’autres choses hors
du corps humain, et que la consolation
de Lucrèce est chimérique et
ridicule. Que vous importe, dit-il,
que votre âme soit misérable après
votre mort ? vous êtes un homme,
elle ne sera point un homme, et par
conséquent les malheurs de l’âme ne
vous appartiennent point. Conséquence
pitoyable ! C’est comme si
Pythagore avait dit à un mourant,
votre âme ira dans le corps d’un
bœuf, qui sera presque toujours attaché
à la charrue, et qu’on laissera
périr de faim quand il sera vieux,
mais cette souffrance ne vous regarde
pas, puisqu’un bœuf n’est pas un
homme. Ne serait-ce pas une belle
consolation ? On ne prend pas assez
garde à cette doctrine, que le sujet
des accidens demeure toujours le
même en nombre dans toutes les
transformations des corps. Les mêmes
atomes qui composent l’eau sont dans
la glace, dans les vapeurs, dans les
nues, dans la grêle, dans la neige :
ceux qui composent le blé accompagnent
la farine, la pâte, le pain,
le sang, la chair, les os, etc. S’ils
étaient malheureux sous la forme
d’eau, et sous la forme de glace, ce
serait la même substance en nombre,
qui serait à plaindre sous ces deux
états, et par conséquent tous les désastres
qui seraient à craindre sous
la forme de farine, appartiennent
aux atomes qui font le blé : et il n’y
a rien qui doive s’y intéresser autant
que les atomes du blé, encore qu’ils
ne doivent pas les souffrir, en tant
qu’ils forment le blé.
Réfutons présentement l’autre illusion de Lucrèce ; et servons-nous encore de l’exemple d’une montre. Si l’horloger lui disait : Je tiendrai trois ou quatre ans vos parties dans la dispersion, mais au bout de ce temps-là je les rejoindrai, et je vous remonterai. Pendant la séparation aucune partie ne sentira nulle peine, elles seront toutes dans un parfait assoupissement ; mais dès qu’elles auront été rétablies dans leur ancienne situation, leur travail, leur contrainte et leur état de souffrance reviendront : n’est-il pas vrai qu’une montre qui ajouterait foi à ces paroles serait très-persuadée qu’elle-même et non autre serait la montre qu’on remonterait au bout de trois ou quatre ans ? Elle aurait la plus grande raison du monde de le croire, et de s’intéresser comme à son sort et à son destin, à celui de cette nouvelle montre. Cependant sa première vie aurait été interrompue. Disons donc que Lucrèce examinait trop légèrement cette matière, lorsqu’il prétendait que la mort, mettant un long intervalle entre la première vie des atomes d’un corps humain, et la seconde vie des mêmes atomes, empêcherait que cette première et seconde vie n’appartinssent à un même homme. Je sais bien qu’en supposant cette espèce de résurrection, on ne laisserait pas de pouvoir dire que les malheurs qu’on aurait soufferts à Rome au temps de Marius et de Sylla, ne contribuent quoi que ce soit à notre fortune présente. Un oubli total nous séparait de ces temps-là, mais pourtant nous y eussions été malheureux, et nous serions les mêmes hommes qui auraient passé alors parlant de misères : d’où il résulte que si nous revenions encore au monde d’ici à mille ans, tous les malheurs que nous aurions à souffrir dans cette nouvelle vie nous appartiendraient proprement : et la connaissance certaine d’un tel avenir nous devrait causer de l’inquiétude. Lucrèce n’a donc pas raisonné comme il fallait. Il n’y a que deux partis à prendre pour calmer raisonnablement les frayeurs de l‘autre vie. L’un est de promettre la félicité du paradis ; l’autre est de promettre la privation de toute sorte de sentiment. Notez que les spinosistes ne peuvent avoir aucune part ni à l’une ni à l’autre de ces deux consolations. Toute leur ressource consiste à se préparer à une circulation perpétuelle et infinie de formes, que la pensée accompagnera toujours, mais sans qu’ils sachent s’ils y seront plus heureux ou plus malheureux que sous la figure humaine.
(R) Ceux qui prétendent qu’il n’a pu parler de la sorte sans se contredire n’avaient guère……… compris ses sentimens. ] Lactance lui reproche cette contradiction, et s’imagine que la force de la vérité le vainquit, et se glissa dans son âme sans être aperçue. Denique idem Lucretius oblitus quid assereret et quod dogma defenderet, hos versus posuit :
Cedit item retrò de terrâ quod fuit antè
In terram, sed quod missum est ex ætheris oris
Id rursùs cœli fulgentia templa receptant.
Quod ejus non erat dicere, qui perire
animas cum corporibus disserebat ;
sed victus est veritate, et imprudenti
ratio vera surrepsit[111]. Un dominicain
qui a écrit depuis peu sur l’Idolâtrie
chinoise, approuve parfaitement
cette observation de Lactance,
et s’en sert pour soutenir ce qu’il
doit prouver contre les jésuites.[112]
« Ce ne serait pas une chose
surprenante que les Chinois se contredissent
eux-mêmes, puisque Lucrèce,
l’un des plus savans philosophes
de la secte des épicuriens,
qui osa combattre ouvertement la
doctrine de l’immortalité de l’âme,
confessa néanmoins que si elle se
dissipait après la mort, c’est que
ce qu’elle avait de grossier se perdait
dans la terre, et que ce qu’elle
avait de plus subtil et de céleste
remontait dans la troisième région
de l’air ou dans le ciel. C’est ainsi,
dit Lactance, qu’il tomba dans une
contradiction manifeste sur le sujet
de l’âme[113]……… Le sentiment
des savans de la Chine sur ce point
ressemble tout-à-fait à celui de Lucrèce :
ils s’expliquent à peu près
comme lui. Ce philosophe soutient
que l’âme périt avec le corps ; et
cependant il confesse que les plus
subtiles de ses parties vont se rejoindre
au ciel, d’où elles sont descendues.
Il se contredit, tout habile
homme qu’il est ; et vous nous
objectez[* 3] comme un grand inconvénient,
que les Chinois, qui sont
des gens d’un esprit très-médiocre,
sans subtilité, sans pénétration et
presque sans principes, comme
vous le témoignez dans vos mémoires,
se contrediraient eux-mêmes,
s’ils croyaient que les tableaux des
morts sont les siéges de leurs esprits. »
Si la contradiction des
Chinois n’est pas plus crasse que celle
dont on accuse Lucrèce, les adversaires
des jésuites n’y gagneront rien ;
car il est sûr que Lactance n’a nulle
raison de croire que Lucrèce se soit
contredit. Voyez les vers que j’ai
rapportés dans la remarque (G) de
l’article Jupiter[114]. Ils précèdent
immédiatement ceux que Lactance
rapporte, et ils ne signifient
autre chose sinon que la terre, imprégnée
des atomes qui tombent du
ciel avec la pluie, produit les plantes,
et les bêtes, et les hommes. Lucrèce
veut prouver en cet endroit-là
que deux sortes de matières, insensibles
l’une et l’autre, peuvent
composer un tout sensible. La terre
est insensible, les semences qu’elle reçoit
dans son sein, et que le ciel lui
envoie, sont insensibles ; cependant
la terre, rendue féconde par ces semences,
produit et nourrit des corps
qui ont la vie et le sentiment. La
mort désunit les parties de ces corps-là,
et ne détruit aucune matière.
Celles que la terre avait fournies sont
redonnées à la terre ; et celles qui
étaient descendues de la région de
l’éther y remontent. Cela veut dire
manifestement que les parties subtiles
qui composent l’âme, selon le système
d’Épicure, s’évaporent et s’exhalent
quand l’homme meurt, et se
dissipent dans l’air à peu près comme
nous voyons que par l’analyse chimique
des mixtes, les parties spiritueuses
gagnent le haut, et les terrestréïtés
demeurent au fond du vase.
Lucrèce ne prétend pas, comme le
suppose le dominicain, que les parties
de l’âme vont se rejoindre au ciel,
d’où elles sont descendues ; de sorte
qu’elles persévèrent dans l’état d’âme
et de substance pensante. Il les suppose
dissipées et insensibles comme
elles l’étaient avant la vie de l’animal[115] :
il ne croit donc point que l’âme, en tant qu’âme, survive à
l’homme : il n’y a donc aucune contradiction
dans sa doctrine, et il ne
peut pas être allégué comme un exemple
des contradictions où tomberaient
les Chinois, s’ils assuraient d’un
côté que l’âme n’est autre chose que
les parties les plus subtiles du Thi-Kié,
ou de la matière, et s’ils prétendaient
de l’autre, qu’elle descend
dans les tableaux des morts de la plus
haute région de l’air où elle était remontée[116].
(S) Il aurait eu infiniment plus de peine à maintenir les attributs de ses dieux. ] Une tranquillité parfaite, et un bonheur accompli étaient les qualités principales qu’il attribuait aux dieux[117]. Il soutenait d’autre côté que la nature des choses ne contenait que le vide et que les corps.
Omnis, ut est, igitur, per se, natura, duabus
Consistit rebus ; nam corpora sunt, et inane[118].
Il allègue ses raisons et puis il conclut :
Ergò præter inane, et corpora, tertia per se
Nulla potest rerum in numero natura relinqui ;
Nec, quæ sub sensus cadat ullo tempore nostros,
Nec, ratione animi quam quisquam possit apisci.
Nam, quæcunque cluent, aut hic conjuncta duabus
Rebus ea invenies : aut horum eventa videbis[119].
Sans être habile l’on peut s’apercevoir
aisément que ces deux dogmes
de Lucrèce s’accordent très-mal ensemble.
J’aurais pu donc découvrir
la difficulté qu’on verra bientôt ; mais
je n’en ai pas eu le temps, je l’ai trouvée,
je l’ai lue toute faite dans un ouvrage
du sieur Cotin, avant que j’eusse
considéré cette matière. Or comme
il est juste de rendre à chacun ce
qu’on lui doit, je me servirai des
paroles de cet écrivain. Les dieux ont
des corps, ou comme des corps, puisque
outre le vide, les corps, et ce
qui résulte de leur union, on ne peut
pas seulement concevoir une autre
nature. C’est ce qu’Épicure enseigna
positivement.
Rien n’est dans l’univers que le vide et les corps,
Et ce qui se fait d’eux par discordans accords :
dit l’interprète du philosophe, lequel
croit davantage, que si l’âme était incorporelle,
elle ne pourrait rien faire
ni rien souffrir. Quelle serait donc la
félicité des dieux, s’ils étaient incorporels[120] ?
………… Leurs corps
sont composés d’atomes ? ……… et il y
a du vide entre les parties qui composent
ces corps divins ? …… puisque
le vide et les atomes sont les principes
de tout. Tout corps …… se peut résoudre
aux parties qui le composent,
et l’amas des atomes ……… ne peut
subsister éternellement, de même sorte :
ils sont trop inquiets, et trop
mobiles pour demeure toujours en
repos[121]. Cotin infère de tout cela :
« Que les dieux d’Épicure, quoique
déchargés des affaires humaines,
ne sont point si heureux ni si tranquilles
qu’il s’imagine : ils ne sont
point sans appréhension et sans
crainte de cette dernière séparation
d’atomes, qui étant une fois
épandus par le vide, ne se rassembleront
jamais. Ainsi, dit ce philosophe,
les parcelles qui composent
l’âme étant une fois éparses, ne se
pourront réunir de tous les siècles,
autrement nous pourrions être,
après n’avoir plus été : c’est-à-dire
que la résurrection serait possible
naturellement. Hypothèse pourtant
qui peut être tirée de l’épicurisme[122] :
car pourquoi le même hasard
qui a jadis réuni les petits
corps dont furent faits Pythoclès et
Métrodore, ne les pourra-t-il pas
un jour rassembler ?… Davantage,
les dieux épicuriens ayant
établi leur séjour entre les mondes
innombrables qui se renversent
les uns sur les autres, et dont le
fracas est épouvantable, comment
peuvent-ils soutenir sans une extrême
inquiétude, la pesanteur de tant de masses tombantes autour
d’eux, et peut-être dessus leurs
têtes ? car le hasard ne les connaît
pas pour les respecter[123]. » Notez
que cet écrivain observe[124]
que la plupart des épicuriens ont dit
que les dieux…… ne sont point composés
d’atomes. On peut voir ce que
j’allègue là-dessus dans la remarque
(G) de l’article d’Épicure[125]. Ils
comprirent que la félicite éternelle
qu’ils attribuaient aux dieux ne pouvait
point compatir avec un tissu
d’atomes : il fallut donc leur attribuer
une autre nature ; mais par-là
ils renversèrent les articles fondamentaux
de leur système, ce dogme capital
qui est la base de leur physique,
que les atomes et le vide sont
les principes de toutes choses. Je ne
pense pas que Lucrèce eût jamais pu
se tirer de ce mauvais pas. Il lui eût
fallu abandonner, ou l’éternité bienheureuse
de ses divinités, ou le nombre
binaire de ses principes ; car il
n’y a point de moyen de retenir l’un
et l’autre de ces deux dogmes. Nous
pouvons juger par-là que l’hypothèse
de l’existence des dieux, qui dans
le système d’Anaxagoras, et de quelques
autres philosophes, est le plus
beau fleuron de la couronne, et la
plus noble et la plus excellente pièce
de la machine, est l’endroit faible
du système des épicuriens. Leur chef
s’étant délivré de toute crainte par
rapport à la justice divine, se trouva
d’ailleurs plus embarrassé de ses
dieux, que s’il leur eût attribué une
providence. Il n’osait les nier, et il
ne savait qu’en faire, ni où les placer.
Tout ce qu’il en pouvait dire
faisait une brèche à son système, et
l’exposait à des objections insurmontables.
Voyez comment Cicéron l’a
tourné en ridicule, et sur la subtilité
du corps des dieux[126], et sur
leur figure humaine[127], etc.
Le sieur Cotin lui reproche de s’être visiblement contredit sur le chapitre de la providence de Dieu. « Que diriez-vous, si par un passage précis et formel d’Épicure je vous fais voir que non-seulement il a cru une déité ; mais qu’il a même reconnu sa providence ?…… C’est en l’Épître à Ménécée[* 4]. Il est certain qu’il y a des dieux : mais il faut bien prendre garde d’attribuer à Dieu, remarquez, lequel est un être immortel et bienheureux, aucune qualité qui répugne à son immuable félicité. Non, celui n’est point impie, qui ne croit pas cette foule de dieux que la plus grande partie des hommes imagine et ne vit jamais : mais celui qui croit d’eux des choses indignes et basses. Les dieux envoient à ces profanes qui les déshonorent par leurs fausses opinions, des calamités sans nombre, et comblent de biens au contraire les bons et les sages. En voici la raison ; pour ce qu’ils aiment leurs semblables, et croient que ce qui n’est pas conforme à la vertu, n’est pas aussi convenable à leur nature. Sénèque, Épictète, et Platon même, ne pourraient pas parler plus divinement. Tu es religieux, Épicure, au fond de l’âme, pour ce que la nature ne se peut totalement démentir. C’est dommage seulement, que tu ne puisses dire ce que tu dis sans être contraire à toi-même[128]. » Voilà une apostrophe et une moralité que l’auteur aurait mieux placées s’il les avait mises dans quelqu’un de ses sermons. Où qu’il les eût mises, elles eussent été mal fondées, car il n’est point vrai qu’Épicure ait jamais écrit à Ménécée ce que Cotin lui a imputé. Rapportons les paroles grecques avec l’interprétation latine du docte Gassendi, nous y verrons nettement la pensée d’Épicure, et nous l’y trouverons aussi éloignée du sens de Cotin, que le ciel l’est de la terre. Ἀσεϐὴς δὲ οὐχ’ ὁ τοὺς τῶν πολλῶν Θεοὺς ἀναιρῶν, ἀλλ᾽ ὁ τὰς τῶν πολλῶν δόξας Θεοῖς προσαπτων. Οὐ γὰρ προλήψεις εἰσὶν, ἀλλ᾽ ὑπολήψεις ψευδεις αἱ τῶν πολλῶν ὑπὲρ Θεῶν ἀποϕάσεις. Ἔνθεν καὶ μεγίςας βλάβας οἴονται, τοῖς κακοῖς ἐκ Θεων ἐπάγεσθαι, καὶ ὠϕελείας τοῖς ἀγαθοῖς. Ταῖς γὰρ ἰδίαις οἰκειούμενοι διὰ παντὸς ἀρετᾶις τοὺς ὁμοίους ἀποδέχονται, πᾶν τὸ μὴ τοιοῦτον, ὡς ἀλλότριον νομίζοντες. est proindè, non is qui vulgareis multitudinis deos tollit ; sed is qui multitudinis opiniones diis adhibet. Non enim germanæ prænotiones sunt, sed suspiciones falsæ, ea quæ de diis ab hominibus è vulgo traduntur. Arbitrantur quippè et malis detrimenta maxima ; et bonis præsidia à diis advenire : siquidem propriis virtutibus, seu affectibus innutriti, simileis sui deos admittunt, et quicquid affectuum suorum non est, id existimant ab ipsis alienum[129].
En tout cas, cette contradiction ne regarde point Lucrèce : et si je l’ai rapportée, c’est pour faire voir le mal et le bien de son critique.
- ↑ (*) 5. Epigr. 79.
- ↑ (*) L. 4.
- ↑ (*) Mémoires du père le Comte, lettre 8.
- ↑ (*) Diog. Laërt., en la Vie d’Épicure.
- ↑ Cùm ad commune totius familiæ cognomen aut Vespillonis, aut Ofellæ, cognomen Cari accessisset, vel propter ingenii magnitudinem ac præstantiam, vel propter morum suavitatem et comitatem vel propter aliquid tale. Lambinus, in Vitâ Lucretii.
- ↑ Dans la Vie de Lucrèce, au-devant de sa traduction française de ce poëte, imprimée à Paris, l’an 1685.
- ↑ Lambinus, in Vitâ Lucretii.
- ↑ Lambin, Gifanius, Daniel Pareus in Vitâ Lucretii, l’approuvent.
- ↑ Dans la Vie de Lucrèce.
- ↑ Le Scoliaste Dauphin avant mis à la tête de son Lucrèce la Vie de ce poëte, faite par Daniel Paréus, devait savoir qu’à quelques retranchemens près, c’est mot à mot celle que Gifanius a composée.
- ↑ De Poëtis Latinis, pag. 9.
- ↑ Decimo septima anno ætatis virilem togam cepit illis consulibus iterùm quibus natus erat. Evenitque ut eo ipso die Lucretius poëta discederet. Donatus in Vitâ Virgilii.
- ↑ In Chronic. Eusebii.
- ↑ Ovid. Amor. lib. I, eleg. XV. vs. 23.
- ↑ Aliquantò vetustior, sed Romæ, fuit T. Lucretius Carus ; obiit enim juxtà Eusebium olympiade 171. cùm ageret annum ætatis quadragesimum tertium. Gassend. de Vitâ Epicuri, lib. II, cap. VI.
- ↑ Thom. Creech, in Præfat. Lucretii.
- ↑ Voyez la fin de cette remarque.
- ↑ De Poëtis latinis, lib. II, pag. m. 657.
- ↑ In Thesauro Linguarum, voce Lucretius.
- ↑ In IIa. part. Sylvæ Vocabulorum, imprimée à Francfort, in-8o., l’an 1591.
- ↑ Pope Blount, Censura Authorum, p. 39.
- ↑ Voyez ce qu’il dit de la mort de Cicéron, pag. 40.
- ↑ C’est celle du Scoliaste Dauphin de Lucrèce.
- ↑ 751 au lieu de 701. Il y a 651 dans l’édit. de Francfort, 1583.
- ↑ Donatus, in. Vitâ Virgilii.
- ↑ Thuan. Hist., lib. CXIII, pag. 686, ad ann. 1595.
- ↑ Chron. Eusebii.
- ↑ Stat., silv. VII, lib. II, vs. 76.
- ↑ Voyez Baillet, Jugemens sur les poëtes, tom. II, pag. 89.
- ↑ Lucret. lib. I, vs. 59.
- ↑ Ibid. vs. 64.
- ↑ Primum quod magnis doceo de rebus et arctis religionum animos nodis exsolvere pergo. Ibid. pag. m. 30, vs. 930.
- ↑ Idem, lib. V, vs. 1225.
- ↑ Entendez ici par Fortune une divinité qui agit avec connaissance, mais qui est bizarre maligne, injuste, imprudente, etc.
- ↑ Quidquid in altum fortuna tulit ruitura levat modicis rebus longius ævum est. Seneca, in Agam. Le Polyanthea, au mot Fortuna, est tout plein de telles sentences.
- ↑ Dans l’article d’Ésope, remarque (I). tom. VI, pag. 284.
- ↑
Vos quoque Pergameæ jam fas est parcere genti,
Dîque deæque omnes, quibus obstitit Ilium et ingens
Gloria Dardaniæ.
Virg. Æneid. lib VI, vs. 63. - ↑ Conférez avec ceci ce qui a été dit dans l’article d’Hobbes, tom. VIII, pag. 168, remarque (N).
- ↑ Gifanius, in Vitâ Lucretii.
- ↑ Sed de vitæ huius annis scriptores minùs conveniunt, de insaniâ omnes et turpissimis moribus, quos nimis prodidit in suis versibus. Philippus Brietius, de Poët. latinis, pag. 10.
- ↑ Jugemens sur les Poëtes, tom. II, p. 95.
- ↑ Antonius Menjotius, dissertat. pathologicarum, parte III, pag. 41. Voyez aussi sa dissertation de Furore uterino.
- ↑ Voyez M. Baillet, Jugem. sur les poëtes tom. V, pag. 61. Ce poëme de l’abbé Quillet a pour titre Callipædia.
- ↑ Là même, et pag. 62.
- ↑ C’est selon la supposition de M. Baillet. Voyez l’article Quillet, tom. XII.
- ↑ Baillet, Jugemens sur les poëtes, tom. V, pag. 61.
- ↑ Libet hùc annotare quàm verecundè, quàm lectis verbis soleant poëtæ rei venereæ turpitudinem signficare. Lambinus in Horat. ode V, lib. II.
- ↑ Citation (38) : il est dans le IVe. livre, vs. 1263.
- ↑ Lambin. in Horat. ode V, lib. II, pag. m. 128., 129.
- ↑
Εὐνῇ δ’ οὔποτ’ ἔμικτο.
Lecto cum eâ nunquàm commiscebatur.
(Odys. ch. 1er. v. 433.)
.....μίγη φιλότητι καὶ εὐνῇ.
....Cum eo lectum habuit communem.
(Ili. ch. VI. v. 25.) - ↑ Robert et Antoine le Chevalier d’Agneaux, frères.
- ↑ Horat. Epod. XII.
- ↑ Thomas Creech, in præfatione Lucretii Oxonii editi è Theatro Sheldoniano, 1695, in-8o.
- ↑ Possevin. Bibliotheca selecta, tom. II, lib. XVII, cap. XXIII, pag. 432.
- ↑ Idem, ibid. pag. 433.
- ↑ Tacitus, Annal. lib. II, cap. XLI.
- ↑ Virgil. Æneid. lib. VI, vs. 870.
- ↑
Fertilior seges est alienis semper in agris,
Vicinumque pecus grandius uber habet.
Ovid., de Arte amandi, lib. I, vs. 349. - ↑ Martial., lib. VI, epigr. XXIX.
- ↑ Voyez les Lettres de Bussi Rabutin, IVe. part., lettre CCCLXIX, pag. 479, édit. de Hollande.
- ↑ Remarques sur le 1er. livre de Lucrèce, au commencement, pag. 340.
- ↑ Jacob. Rondellus, de Vitâ et Moribus Epicuri, Amstelod., 1693, in-12. Voyez l’article Épicure, tom. VI, pag. 184, remarque (L).
- ↑ Remarques sur le 1er. livre de Lucrèce, pag. 343.
- ↑
Tu mihi supremæ præscripta ad candida calcis
Currenti spatium præmonstra callida musa,
Calliope, requies hominum, divûmque voluptas ;
Te duce, ut insigni capiam cum laude coronam,
Lucret, lib. VI, vs. 91. - ↑ Vous les trouverez à la fin de la XXVIIe. lettre de la 1re. centurie miscellan.
- ↑ Georgius Thomson., in Vindice Veritatis, pag. 3.
- ↑ Aut ergò tu ludis in precibus, et votis ad Venerem : aut Venus est tibi verus deus. Idem, ibid., pag. 2.
- ↑ Citation (117) tom. VI, pag. 185.
- ↑ C’est le volume des Lettres recueillies par Jean-Michel Brutus.
- ↑ Voyez les Lettres publiées par M. Matthæus, à Leyde, l’an 1695, in-8o., pag. 162.
- ↑ Ibid., pag. 163.
- ↑
Nam tu sola potes tranquilla pace juvare
Mortaleis : quoniam belli fera mœnera Mavors
Armipotens regit : in gremium qui sæpè tuum se
Reficit, æterno devinctus vulnere amoris.
Lucret., lib. I, vs. 32. - ↑ Voyez la remarque (E), citation (26).
- ↑ Miror cur Anaxagoras reus factus sit, quia solem esse dixit lapidem ardentem, negans utique Deum, cùm in eâdem civitate gloriâ floruerit Epicurus, vixeritque securus, non solum solem vel ullum syderum Deum esse non credens, sed nec Jovem nec ullum Deorum omninò in mundo habitare contendens, ad quem preces hominum supplicationesque perveniant. August., de Civit. Dei, lib. XVIII, cap. XLI.
- ↑ Quelques manuscrits ont Natura. C’est la même chose quant au sens. Voyez le Commentaire de Lambin, in hunc locum, pag. m. 593.
- ↑ Lucret., lib. V, vs. 105, pag. m. 255.
- ↑ Virgil., Æn., lib. III, vs. 265.
- ↑ Lucret., lib. V, vs. 111.
- ↑ Idem, lib. I, vs. 737, pag. 40, 41.
- ↑ Lambinus, in Vitâ Epicuri.
- ↑ In Vitâ Epicuri.
- ↑ Dans la Vie de Lucrèce.
- ↑ Tome XXII, pag. 185, 186.
- ↑ Il était de Sidon. Voyez Jonsius, de Scriptor. Histor. Philosoph., pag. 112.
- ↑ Lucret., lib. I, vs. 41.
- ↑ Lambinus et Gifanius, in Vitâ Lucretii. Thomas Creech, præfat. Lucretii Onoxii editi 1695.
- ↑ Ecquos ergò in totâ hâc aureâ ætatis classe qui potissimum hæc censeri debebat urbanitas, Romanos habebimus præter duos fortè Lucretium et J. Cæsarem. Morhofius, de Patavinitate Livianâ, pag. 156.
- ↑ In Vitâ Lucretii.
- ↑ Lucretii poëmata, ut scribis, lita sunt multis luminibus ingenii, multæ tamen artis. Cicero, ad Quinctum fratrem, lib. II, epist. XI. Quelques-uns prétendent qu’il faut mettre non ita et non pas lita.
- ↑ Charles Étienne, Glandorp, Lloyd, Hofman, Baillet, Pope, Blount, etc.
- ↑ Tanaquillus Faber, le baron des Coutures, etc.
- ↑ Lib. II, cap. XXXVI.
- ↑ C’est à elle qu’on applique ces paralos : Livia virum suum occidit quem nimis oderat, Lucilia suum, quem nimis amaverat. Lloyd les attribue à Sénèque, mais elles n’en sont point.
- ↑ Voyez, dans ce volume, pag. 494, la fin de la remarque (A) de l’article Lucrèce, dame romaine.
- ↑ Epist. IV, lib. VIII.
- ↑ Lambinus, in Vitâ Lucretii, sub fin. Voyez aussi ses Notes sur Horace, od. V, l. II.
- ↑ Passant par Florence, j’avais rencontré un commentaire de Victorius, sur un livre d’Aristote, dans lequel ce commentateur chagrin accuse Virgile : quelle entreprise, bon dieu ! et quels attentats ! de prendre des mots les uns pour les autres, et d’être moins pur et moins latin que Lucrèce. Balzac, troisième défense à Ménandre, pag. m. 405 des Œuvres diverses.
- ↑ Morbofius, de Patavin. Livianâ, p. 156.
- ↑ Borrichius, de Poëtis latinis, pag. 45.
- ↑ Onomast., pag. 557.
- ↑ Marolles, Mémoires, pag. 186, 187, à l’ann. 1650.
- ↑ C’est-à-dire, que je le lui dédiasse.
- ↑ Lucret., lib. III, vs. 842, pag. m. 172.
- ↑ Diog. Laërt., lib. X, num. 139. Aulus Gellius. lib. II, cap. VIII, pag. m. 55.
- ↑ Plut., lib. II de Homero, apud Gellium, ibidem.
- ↑ Muretus, Variar. Lect., lib. XI, cap. XVI, pag. m. 1080.
- ↑ Voyez, dans les Notes de Gassendi sur le Xe. livre de Diogène Laërce, Oper. tom. V, pag. 131, quelle forme on peut donner à cet argument d’Épicure.
- ↑ Muretus, Var. Lect., lib. XI, cap. XVI, pag. 1079.
- ↑ Ex Commentario in primum Topicarum.
- ↑ Lucret., lib. III, vs. 842, pag. 172.
- ↑ Epicurus… negavit mortem ad nos pertinere ; quod enim dissolvitur, inquit, sensu caret, et quod sensu caret nihil ad nos. Dissolvitur autem et caret sensu non ipsa mors, sed homo qui eam patitur. At ille ei dedit passionem cujus est actio. Quòd si hominis est pati mortem, dissolutionem corporis et peremptionem sensùs, quàm ineptum, ut tanta vis ad hominem non pertinere dicatur ? Tertull., de Animâ.
- ↑ Voyez Lucrèce, lib. III, vs. 913 et suivans ; où il recourt à la comparaison du sommeil pour réfuter ceux qui allèguent les biens dont la mort nous prive. Il réfute aussi très-bien les autres raisons de ceux qui se fâchent de mourir.
- ↑ Lucret., ubi suprà, vs. 855, p. m. 173.
- ↑ Idem, ibid., vs. 859.
- ↑ Lactant., lib. VII, c. XII, p. m. 480.
- ↑ Lettre d’un docteur de l’ordre de Saint-Dominique, sur les Cérémonies de la Chine, au R. P. le Comte, de la compagnie de Jésus, pag. 43, 44, édit. de Cologne, 1700.
- ↑ L’auteur met ici les paroles de Lactance, que l’on a vues ci-dessus, citation (111).
- ↑ Citation (58).
- ↑
Et nebula ac fumus quoniàm discedit in auras :
Crede animam quoque diffundi, multoque perire
Ocius, et citiùs dissolvi corpora prima,
Cùm semel omnibus è membris ablata recessit, etc.
Lucret., lib. III, vs. 437, pag. 155. - ↑ Lettre d’un docteur… au père le Comte, etc., pag. 43.
- ↑ Voyez la remarque (E), au commencement.
- ↑ Lucretius, lib. I, vs. 420.
- ↑ Idem, ibid., vs. 446.
- ↑ Cotin, Théoclée ou la vraie Philosophie des principes du Monde, dialogue III, pag. 54.
- ↑ Là même, pag. 56.
- ↑ Nous avons vu ci-dessus, citation (110), que Lucrèce reconnaît positivement cette possibilité.
- ↑ Cotin, Théoclée, dialogue III, p. 57.
- ↑ Là même, pag. 58.
- ↑ Citation (81) et suivantes.
- ↑ Cicero, de Naturâ Deor., lib. I, sect. LXVIII, pag. 95, et lib. II, sect. LIX, pag. 313.
- ↑ Idem, ibid., lib. I, sect. XCI, p. 132.
- ↑ Cotin, Théodée, pag. 59.
- ↑ Diog. Laërt., lib. X. (num. 123, 124), pag. 46, tom. V Operum Gassendi.