Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Épicure

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ÉPICURE, l’un des plus grands philosophes de son siècle, naquit à Gargettium (A) dans l’Attique, l’an 3 de la 109e. olympiade[a] (B). Son père Néoclès, et sa mère Chérestrata (C), furent du nombre des habitans de l’Attique que les Athéniens envoyèrent dans l’île de Samos[b]. C’est ce qui fit qu’Épicure passa dans cette île les années de son enfance. Il ne revint à Athènes qu’à l’âge de dix-huit ans[c]. Ce ne fut pas pour s’y fixer ; car à l’âge de vingt-trois ans il alla trouver son père qui demeurait à Colophon ; et depuis, il séjourna en divers endroits avant que de se fixer à Athènes, comme il fit à l’âge d’environ trente-six ans[d]. Il se mit à ériger une école dans un beau jardin qu’il acheta[e] : il y vécut avec ses amis fort tranquillement, et il y éleva un grand nombre de disciples. Ils vivaient tous en commun avec leur maître (D), et l’on n’avait jamais vu de société mieux réglée que celle-là. Le respect que ses sectateurs conservèrent pour sa mémoire est admirable. Son école ne se divisa jamais ; on y suivit sa doctrine comme un oracle[f]. Son jour natal était encore solennisé du temps de Pline, et l’on fêtait même tout le mois de sa naissance. Ils mettaient son portrait partout[g]. Il écrivit beaucoup de livres, et il se piquait de ne rien citer (E). Il mit dans une extrême réputation le système des atomes. Il n’en était pas l’inventeur[h] ; mais il y changea quelque chose, et ce ne fut pas toujours une vraie réparation : car, par exemple, ce fut gâter le système, que de ne pas retenir la doctrine de Démocrite touchant l’âme des atomes (F). Ce qu’il enseigna sur la nature des dieux est très-impie (G). Quant à sa doctrine touchant le souverain bien ou le bonheur, elle était fort propre à être mal interprétée, et il en résulta de mauvais effets qui décrièrent sa secte : mais au fond elle était très-raisonnable, et l’on ne saurait nier qu’en prenant le mot de bonheur comme il le prenait, la félicité de l’homme ne consiste dans le plaisir. C’est en vain que M. Arnauld a critiqué cette doctrine (H). Les stoïciens qu’on pourrait nommer les pharisiens du paganisme, firent tout ce qu’ils purent contre Épicure, afin de le rendre odieux et de le faire persécuter. Ils lui imputèrent de ruiner le culte des dieux, et de pousser dans la débauche le genre humain. Il ne s’oublia point en cette rencontre[i] : il exposa ses sentimens aux yeux du public ; il fit des ouvrages de piété, il recommanda la vénération des dieux, la sobriété, la continence ; et il est certain qu’il vécut exemplairement, et conformément aux règles de la sagesse et de la frugalité philosophique[j] : mais on fit courir des impostures contre ses mœurs (I), et il y eut un transfuge de sa secte, qui en dit beaucoup de mal (K). Un fort savant homme a soutenu depuis deux ans[k] que ce philosophe n’a point nié la providence divine (L). Quoiqu’il ne nous reste aucun des ouvrages d’Épicure, il n’y a point d’ancien philosophe dont les sentimens soient plus connus que les siens. On est redevable de cela au poëte Lucrèce et à Diogène Laërce, et plus encore au savant Gassendi, qui a travaillé avec une extrême diligence à ramasser tout ce qui se trouve sur la doctrine et sur la personne de ce philosophe dans les anciens livres, et à le réduire en un système complet. Si jamais on a eu sujet de connaître que le temps fait enfin justice à l’innocence opprimée, c’est à l’égard d’Épicure : car il s’est élevé tant d’illustres défenseurs de sa morale (M) pratique, et de sa morale spéculative, qu’il n’y plus que des entêtés ou des ignorans qui en jugent mal. Il mourut dans les douleurs d’une rétention d’urine, avec une patience et une constance toute particulière, l’an 2 de la 127e. olympiade[l]. Il commençait d’entrer dans sa soixante-douzième année. On ne saurait dire assez de bien de l’honnêteté de ses mœurs, ni assez de mal de ses opinions sur la religion. Une infinité de gens sont orthodoxes et vivent mal : lui au contraire, et plusieurs de ses sectateurs, avaient une mauvaise doctrine, et vivaient bien (N). N’oublions pas qu’il avait une très-bonne morale par rapport à l’obéissance qui est due aux magistrats (O). Il fut beaucoup plus célèbre après sa mort que pendant sa vie (P), comme Sénèque l’a remarqué, et comme Métrodore l’avait prédit.

Il ne sera pas inutile de donner ici un exemple de la malignité et de la mauvaise foi que l’on employait en censurant Épicure. Il fit un ouvrage intitulé le Festin, et il y traita la question : Quel est le temps le plus propre a s’approcher d’une femme ? Ses censeurs voulant avoir un prétexte de médire représentèrent infidèlement son procédé, ils en changèrent les circonstances. Il faut bien qu’il ait été innocent, puisque Plutarque a eu l’équité de faire voir qu’il n’y avait rien là qui ne fût digne d’un philosophe (Q). Le même Plutarque a fait un traité exprès pour prouver que l’on ne peut vivre agréablement dans les principes d’Épicure. Il fait voir entre autres choses que la doctrine qui rejette la providence de Dieu, et l’immortalité de l’âme, ôte à l’homme une infinité de consolations pendant la vie, et le réduit au désespoir quand il faut mourir (R). Je ne regrette point que cet auteur se soit abstenu d’examiner si ceux qui niaient la providence dogmatisaient plus conséquemment que ceux qui la reconnaissaient, le veux dire, si en supposant, comme faisaient tous les philosophes, que la matière ne devait qu’à elle-même son existence, il n’était pas d’un plus solide raisonnement de soutenir que les dieux n’agissaient point sur la matière, que de soutenir qu’ils en disposaient à leur fantaisie. Encore un coup, je ne regrette point que Plutarque ne soit point entré dans l’examen de cette question : car il était trop prévenu contre l’épicuréisme, et trop engagé dans certaines hypothèses, pour ne pas embarrasser et embrouiller ce grand sujet ; mais je suis fâché de n’avoir lu aucun livre où il y eût quelque chose touchant cette discussion. Il me semble que parmi tant d’apologistes d’Épicure, il y en devait avoir quelques-uns qui en condamnant son impiété, s’efforçassent de montrer qu’elle coulait naturellement et philosophiquement de l’erreur commune à tous les païens sur l’existence éternelle de la matière (S). Je ferai quelques observations là-dessus, qui montreront entre autres choses, 1o. que quand on n’est point dans le système de l’Écriture à l’égard de la création, plus on raisonne conséquemment plus on s’égare ; 2o. que ce système est le seul qui ait l’avantage d’établir les fondemens solides de la providence et des perfections de Dieu (T). Il n’y a rien de plus pitoyable que la méthode dont Épicure se servait pour expliquer la liberté (U) des actions humaines.

  1. Diog. Laërt., in Epicuro, lib. X, num. 14.
  2. Diog. Laërt., in Epicuro, lib. X, num. 1.
  3. Ibidem.
  4. Voyez Gassendi de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. I, cap. III.
  5. Laërt., in Epicuro, lib. X, num. 10.
  6. Voyez la remarq. (D).
  7. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. II, cap. IV, ex Ciceron., lib. V, de Finib., init. et ex Plinio. lib. XXXV, cap. II.
  8. Voyez l’art. de Leucippe, tome IX.
  9. Rondellus, de Vitâ et Moribus Epicuri, pag. 19, 20.
  10. Voyez la remarque (N).
  11. On écrit ceci l’an 1695.
  12. Diog. Laërt., lib. X, num. 15 et 23.

(A) Il naquit à Gargettium. ] C’est pour cela que Stace le nomme Gargettius auctor[1], et Senior Gargettius :

Deliciæ quas ipse suis digressus Athenis
Mallet deserto senior Gargettius horto[2].


Cicéron lui en avait montré l’exemple. Catius... quæ ille Gargettius, etiam antè Democritus ἔιδωλα, hic spectra nominat[3]. Élien[4] et plusieurs autres se sont servis du même surnom en parlant de notre Épicure. Je m’étonne donc que Cruquius ait pu croire que Stobée, en se servant de ce surnom, a désigné un autre Épicure. Toutefois, dit-il, Stobée fait souvent mention d’un certain Épicure qu’il surnomme aussi Gargettien. On ne parle pas ainsi quand il s’agit du grand Épicure, ou, si on le fait, on mérite d’être sifflé, comme ce bon provincial qui disait un nommé Turenne[5]. C’est à Cruquius à choisir, et, quelque parti qu’il prenne, il se convaincra d’une bévue. S’il dit qu’il a cru que le Gargettius Epicurus de Stobée est le fondateur de la secte des Épicuriens, il avouera qu’il a parlé impertinemment : on ne se sert pas des termes Epicuri cujusdam, quand on parle de ce fondateur[6]. S’il dit qu’il a ignoré que l’épithète de Gargettius fût propre au grand Épicure, il reconnaîtra qu’un fait très-commun ne lui était pas connu. Je ne le crois point coupable de l’incivilité rustique, ou plutôt de l’impertinence qui se trouve dans les termes un certain Épicure, appliqués à celui de cet article. Je crois que, se souvenant qu’il y a eu diverses personnes du nom d’Épicure[7], il s’est figuré que celui à qui Stobée donne l’épithète de Gargettien est un de ceux qui sont différens du fondateur de la secte épicurienne. Afin que mes lecteurs puissent juger si ma conjecture est bien fondée, je rapporterai tout le passage de Cruquius. Je le tire de son Commentaire sur ces paroles d’Horace, Gallis hanc Philodemus, qui sont au vers 121 de la IIe. satire du Ier. livre. Fuit hic Philodemus Epicurus (ut Strabo scribit) patriâ Gadaræus, quem Asconius Pedianus in oratione Cic. pro Lucio Pisone scribit Epicureum fuisse eâ ætate nobilissimum : sed arbitror apud Asconium legendum esse pro Epicureum, Epicurum dictum, ut habet Strabo, vel hunc ex illo restituendum : tamen Epicuri cujusdam (quem etiam Gargettium nominat) frequens est mentio apud Stobæum. Ce tamen témoigne que l’auteur aimerait mieux que l’on mît le mot Epicurus dans Asconius Pedianus, que si l’on mettait dans Strabon le mot Epicureus, et je ne sais même s’il n’a pas voulu insinuer que l’Épicure Gargettius de Stobée, et l’Épicure Gadaræus de Strabon, ne diffèrent que parce que les copistes ont altéré l’orthographe. En tout cas, il insinue manifestement que puisque Stobée a fait mention d’un Épicure Gargettien, il est très-probable que Strabon parle d’un Épicure Gadarien. Or, c’est distinguer, ce me semble, ces deux Épicures d’avec celui qui fut fondateur de secte. On pourrait critiquer bien d’autres choses à Cruquius. 1o. Le Philodème d’Horace n’est point celui d’Asconius Pédianus, car les maximes de celui d’Horace, en matière d’amour, sont directement opposées à celles du Philodème de Pedianus[8]. 2o. Il n’est pas vrai qu’on puisse lire dans Strabon[9] Epicurus au lieu d’Epicureus. 3o. La harangue de Cicéron n’est pas pour Pison, mais contre Pison, et d’une manière très-violente.

(B) ...... l’an 3 de la 109e. olympiade. ] Il faut relever ici une faute de Vossius. Il met la mort d’Épicure à la 107e. olympiade. At Epicurus est mortuus Olymp. CVII, quo tempore Philippus Alexandri M. parens, duodecimum regnabat annum[10]. On ne peut pas le disculper en disant qu’il avait écrit Olymp. CXXVII, qui est le vrai temps de la mort de ce philosophe[11], mais que l’imprimeur oublia deux lettres numérales. Cette apologie serait ici très-inutile : ce serait le précipiter dans une erreur aussi palpable que celle dont on le voudrait justifier ; on le chargerait d’avoir cru que l’an 12 du règne de Philippe, père d’Alexandre-le-Grand, appartient à la 127e. olympiade. Concluons donc que la faute était dans son manuscrit. Or il est bien étrange que sa mémoire ait été assez infidèle ce jour-là, pour lui laisser écrire qu’Épicure sortit du monde avant qu’Alexandre montât sur le trône.

(C) Et sa mère Chérestrata. ] Je ne sais sur quoi se fonde M. Moréri, quand il dit qu’elle était sortie d’une famille très-noble. Laërce et Gassendi qu’il cite n’en disent rien. Il la nomme Chérécrate dans l’article d’Épicure : c’est sa seconde faute. Ses péchés d’omission lui peuvent être reprochés, car il y avait deux choses curieuses à dire sur cette femme.

I. Elle s’en allait avec son fils jusque dans les maisons désertes, pour en chasser les lutins à force de prières. C’est ainsi que le docte M. du Rondel[12] a rendu ce grec de Diogène Laërce : Σὺν τῇ μητρὶ περιϊόντα αὐτὸν ἐς τὰ οἰκίδια καθαρμοὺς ἀναγινώσκειν[13]. Il a expliqué la chose plus amplement dans son édition latine, et toujours d’une manière avantageuse à Épicure. Certum est, dit-il[14], Epicurum utpotè pusionem et matris asseclam hinc hausisse pietatem suam ineffabilem, ὁσιότητα ἄλεκτον, ex illoque tempore fuisse divis addictissimum, ut patet ex illâ portentificâ superstitione, quâ cum matre Epicurus circumeundo ædiculas carmina lustralia, καταρμοὺς, legeret, vel ad affectus moderandos, vel ad spectra abigenda ; quasi Hecates diaconi fuissent, in cujus nomine pleraque patrare tum poterant miracula. Quand je dis qu’il a tourné la chose d’une manière avantageuse à Épicure, je ne prétends pas lui imputer d’avoir prétendu que l’occupation de Chérestrata fût honorable. Il a trop d’esprit et d’érudition pour ne savoir pas qu’on regardait comme un emploi vil et mercenaire celui de ces vieilles femmes, qui allaient lire certains formulaires de prières afin de purifier les maisons ou les personnes[15]. Ce métier d’exorciste ne passait point pour honorable. L’orateur Eschine, fils d’une femme qui l’avait exercé, essuya mille reproches honteux sur ce sujet de la part de Démosthène. Épicure et lui se trouvaient dans le même cas : ils avaient aidé chacun sa mère dans cette cérémonie ; Démosthène le reproche à l’un et les stoïciens à l’autre. Voici ce qu’un des nouveaux commentateurs de Laërce[16] a remarqué sur ces paroles καθαρμοὺς ἀναγινώσκειν. Eadem exprobrat Æschini Demosthenes in orat. de Coron[17]. Τῇ μητρὶ τελούσῃ τὰς βίϐλους ἀνεγίνωσκες καὶ τἆλλα συνεσκευώρον, etc. Nempe Epicuri mater dicitur fuisse anicula piatrir quæ domos circumibat, et piaculo aliquo contactos solvebat, aut totam domum expiabat. Epicurus verò matri præibat carmen piaculare : utrumque ministerium ἄτιμον. Notez qu’il y a eu des auteurs célèbres, qui ont composé de ces formulaires d’expiation[18]. On me dira peut-être qu’on ne trouve point que les formulaires de Chérestrata et de son fils Épicure aient été des exorcismes de lutins ; mais qu’importe ? M. du Rondel ne laisse pas d’avoir eu un fondement légitime pour avancer ce qu’il a dit, car il est indubitable que les païens ont eu des cérémonies destinées à chasser les spectres. M. Loméier a cité Ovide[19], Valérius Flaccus[20] et Lucien[21]. Or, voici de quelle manière le tour qu’a pris M. du Rondel est avantageux à Épicure. Ce philosophe, ne croyant pas que les dieux se mêlassent de nos affaires, était suspect d’irréligion : cela le rendait odieux et l’exposait à l’infamie. Il n’y a donc rien de plus propre à lui conserver sa réputation, que de dire que depuis sa plus tendre jeunesse il allait lire des prières dans les maisons, pour le service de son prochain. C’était un acte de piété superstitieuse.

II. La seconde chose curieuse qu’on pouvait dire de Chérestrata, c’est qu’au dire de son fils, elle avait eu dans son corps cette quantité d’atomes dont le concours est nécessaire pour former un sage. Ἡ δὲ μήτηρ ἀτόμους ἔσχεν ἐς αὐτῇ τοσαύτας, οἷαι συνελθοῦσαι σοϕὸν ἂν ἐγέννησαν. Matrem quoque suam in se tot tantasque habuisse atomos, quarum congressu sapiens ederetur[22]. Plutarque allègue cela comme une preuve de la vanité d’Épicure. Cette preuve n’est pas mal choisie, car c’est une grande présomption que de croire que l’on a été formé de l’élite des atomes, et qu’on a eu une mère en qui la nature avait rassemblé tout autant d’ingrédiens qu’il en fallait pour la formation d’un sage. Je ne vois personne qui ait rapporte fidèlement ce passage de Plutarque. Tout le monde s’imagine que ce fut Néoclès, frère d’Épicure, qui dit cela de sa mère. Gassendi, qui entendait bien le grec, n’aurait point commis cette faute[23], s’il avait eu recours à l’original ; mais comme il crut que les traductions étaient fidèles, il ne passa pas plus loin. La version latine et la version d’Amyot sont telles, que l’on ne pourrait pas soutenir qu’elles ne contiennent pas le sens de l’original : néanmoins elles sont défectueuses, parce qu’elles sont également susceptibles de deux interprétations. Elles peuvent aussi bien signifier que Néoclès disait cela, qu’Épicure le disait. D’où l’on peut recueillir en passant que les Vaugelas et les Bonhours ont plus de raison qu’on ne pense de recommander un arrangement de mots qui exclue jusqu’aux moindres ambiguïtés. Naudé, avant Gassendi, avait commis cette faute. Néoclès, dit-il[24], disait à la louange d’Épicure son frère, que, lors de sa génération, la nature avait assemblé tous les atomes de la prudence dans le ventre de sa mère. Il est clair que c’est une paraphrase bien libre du grec de Plutarque, ou plutôt que c’en est une falsification. Le père Rapin s’est égaré encore plus. Épicure, dit-il[25], était naturellement sage, puisqu’il était né philosophe jusque dans le plaisir : il était si éclairé que son frère Néoclès dit, dans Plutarque, que la nature avait assemblé tous les atomes de la sagesse et de la science pour composer sa personne, pendant qu’il dit lui-même qu’il ne sait rien. Ce qu’il y a ici de rare est de voir que l’on allègue comme une preuve de la modestie d’Épicure ce que Plutarque avait allégué pour le convaincre d’orgueil. On suppose qu’il rejette très-humblement les éloges que son frère lui présente, et c’est lui-même qui se donne ces éloges dans l’auteur qu’on cite. Tant il est vrai que quand on s’amuse à appliquer des passages pris hors de la source, ou qu’on se hasarde à en tirer des conséquences avant que d’être assuré du sens littéral et original, on s’expose à d’étranges menteries !

M. Chevreau a suivi l’erreur de Gassendi et du père Rapin. Voyez la deuxième page du premier tome du Chevræana.

(D) Ses disciples vivaient tous en commun avec leur maître. ] Laërce[26] témoigne qu’Épicure avait tant d’amis, que les villes mêmes n’auraient pu les contenir. On allait à lui de toutes les villes de la Grèce et de l’Asie[27]. L’Égypte même lui envoyait des disciples[28]. La ville de Lampsaque, où il avait professé la philosophie[29], lui en envoyait beaucoup. Il ne voulut pas imiter Pythagoras, qui enseignait qu’entre amis les biens doivent être communs : il trouvait qu’un tel établissement marquait de la défiance[30], et il aimait mieux que les choses fussent sur un pied que chacun contribuât volontairement aux besoins des autres quand cela était nécessaire. Il est sûr que cette idée approche plus de la perfection que ne fait la communauté des biens, et qu’on ne saurait assez admirer l’union des disciples d’Épicure, et l’honnêteté avec laquelle ils s’entr’aidaient, chacun demeurant le maître de son patrimoine. Voici un beau passage de Cicéron. De quâ (amicitiâ) Epicurus quidem ita dicit, omnium rerum quas ad beatè vivendum sapientia comparaverit, nihil esse majus amicitiâ ; nihil uberius, nihil jucundius. Neque verò hoc oratione solùm, sed multò magis vitâ et moribus comprobavit. Quod quàm magnum sit, fictæ veterum fabulæ declarant, in quibus tam multis tamque variis ab ultimâ antiquitate repetitis, tria vix amicorum paria reperiuntur, ut ad Orestem pervenias profectus à Theseo. At verò Epicurus unâ in domo, et eâ quidem angustâ, quàm magnos, quantâque amoris conspiratione consentientes tenuit amicorum greges ? Quod fit etiam nunc ab Epicureis[31]. Qu’on nous vienne dire après cela que des gens qui nient la providence, et qui établissent pour leur dernière fin leur propre satisfaction, ne sont nullement capables de vivre en société ; que ce sont nécessairement des traîtres, des fourbes, des empoisonneurs, des voleurs, etc. Toutes ces belles doctrines ne sont-elles pas confondues par ce seul passage de Cicéron ? Une vérité de fait, comme celle que Cicéron vient d’attester, ne renverse-t-elle pas cent volumes de raisonnemens spéculatifs ? Voici la secte d’Épicure dont la morale pratique sur les devoirs de l’amitié ne s’est nullement démentie pendant quelques siècles : et nous allons voir qu’au lieu que les sectes les plus dévotes étaient remplies de querelles et de partialités, celle d’Épicure jouissait d’une paix profonde. On y suivait sans contestations, sans contradictions, la doctrine du fondateur[32]. Dolet profectò mihi eos (successores Platonis) omnia molitos non esse, ut plenam sibi atque integrum in omnibus cum Platone consensionem defenderent. Et eâ quidem Plato dignus erat, qui magno illo Pythagorâ ut melior non fuerit, non fuit tamen fortassè deterior : quem discipuli quòd sequuti omnes ac venerati fuerint, id etiam egere potissimùm, ut summo apud omnes in pretio habeatur. Hoc ipsum Epicurei, perperam illi quidem, sed tamen cùm intelligerent, nullâ unquam in re ab Epicuro dissidere visi sunt, sed potiùs eadem omninò se cum sapiente suo sentire professi, jure proptereà id nominis habuêre. Quin etiam, qui longissimo deinceps intervallo consequuti Epicurei sunt, ii nec abs se mutuo, nec ab eodem Epicuro tantillùm, quod quidem meminisse attineat, discessere. Imò sceleris apud eos, vel potius impietatis ille damnetur, qui novi quippiam incexerit. Quare nemo prorsùs id audeat. Sed eorum dogmata ob constantem illam omnium inter se perpetuam-que concordiam, in altissimâ quâdam et tranquillissimâ pace versantur. Ita hæc Epicuri secta veræ cuidam reipublicæ persimilis est, quam ab omni seditione remotissimam, mens quædam una communis, unaque sententia moderetur. Quam illi disciplinam et anteà sequuti sunt multi perlibenter, et sequuntur etiamnum, atque adeò, ut simillimum veri est, in posterum sequentur. At stoïcos inter factiones extitêre, quæ ab ipsis eorum commissæ principibus, ad nos usque propagatæ sunt[33]. Voilà ce que dit un homme qui vivait dans le IIe. siècle : l’union des disciples d’Épicure s’était conservée jusqu’à ce temps-là, et ne paraissait point menacée de quelque revers. C’est ce que Numénius témoigne. Sa conjecture n’a pas été démentie, que je sache.

Parlons ici d’une chose que j’ai promise dans les dernières lignes de l’article de Carnéade. L’une des accusations intentées à Épicure fut d’avoir parlé satiriquement des plus illustres philosophes. Diogène Laërce[34], voulant montrer que c’était une calomnie insensée, se contente de dire qu’on avait des témoignages suffisans de l’honnêteté et de la débonnaireté extrême d’Épicure envers tout le monde. Il allègue les statues d’airain érigées à ce philosophe, le grand nombre de ses amis, l’attachement immuable de tous ses disciples, et la succession perpétuelle de son école. Il dit que les leçons d’Épicure furent un chant de sirène qui captiva tous ses auditeurs, excepté Métrodore de Stratonice, qui le quitta pour s’attacher à Carnéade : Οἵτε γνώριμοι πάντες, ταῖς δογματικαῖς αὐτοῦ σειρῆσι προκατασχεθέντες, πλὴν Μητροδώρου τοῦ Στρατονικέως πρὸς Καρνεάδην ἀποχωρήσαντος, τάχα ϐαρυνθέντος ταῖς ἀνυπερϐλήτοις αὐτοῦ χρηςότησιν. C’est-à-dire, selon la version latine imprimée avec le grec de Diogène Laërce : Prætereà omnes discipuli quos illius dogmaticæ syrenes occupârunt, præter unum Metrodorum Stratonicensem, qui ab illo se ad Carneadem contulit : cui fortè gravis erat viri incomparabilis bonitas. Selon cette traduction, la bonté extraordinaire d’Épicure fut cause que ce Métrodore le quitta. Ce sens choque d’abord les lecteurs, mais il s’accorde parfaitement bien avec le but de Diogène Laërce, et quand on a fait une sérieuse attention aux bizarreries du cœur humain, on ne trouve point incroyable qu’il y ait des gens qui se trouvent rebutés, importunés et fatigués de l’excessive bonté de leur bienfaiteur. C’est pourquoi, si l’on suppose que Diogène Laërce a voulu dire que Métrodore, qui de tous les disciples d’Épicure fut le seul qui l’abandonna, ne le fit peut-être, que parce que les trop grandes bontés d’Épicure lui étaient à charge, on trouvera un raisonnement suivi et un fait assez possible : on trouvera que la désertion même de Métrodore sert à prouver l’humanité incomparable dont il s’agissait d’assurer la louange et la possession à Épicure. Mais, comme il arrive plus fréquemment, sans comparaison, que les marques excessives d’amitié attirent les gens, qu’il n’arrive qu’elles les éloignent, il y a une interprétation des paroles de Laërce mille fois plus naturelle que celle qui a couru jusqu’ici ; c’est de dire que Métrodore ne se sépara d’Épicure pour s’attacher à Carnéade, que parce peut-être qu’il se trouva accablé du poids des bontés que Carnéade avait eues pour lui. Cette interprétation est moins favorable au but de l’auteur que la première, et néanmoins elle ne le traverse pas beaucoup ; car si vous supposez que rien ne débaucha Métrodore que l’amitié extraordinaire, et que les caresses excessives de Carnéade, vous ne pourrez pas soutenir que sa désertion ébranle ce que l’on a dit du bon naturel d’Épicure, et qu’on a prouvé entre autres raisons par l’attachement fidèle de ses disciples. Ainsi rien n’empêche que nous ne prenions pour plus naturel ce nouveau sens des paroles de Diogène Laërce. Ce n’est pas peut-être ce qu’il a voulu dire, car cet auteur n’ayant guère plus d’exactitude dans ses raisonnemens que dans ses récits, on peut fort bien se tromper en lui imputant les pensées qui semblent avoir la plus grande liaison avec ses phrases. Quoi qu’il en soit, faisons savoir au public que M. de la Monnoie est l’auteur de la nouvelle interprétation que l’on a vue ci-dessus ; mettons ici l’extrait d’une de ses lettres : « Je suis persuadé avec Gassendi, que lorsque Diogène écrit que, de tous les disciples d’Épicure, Métrodore est le seul qui le quitta pour s’attacher à Carnéade, on ne doit pas entendre que Métrodore ait été auditeur d’Épicure, mais simplement qu’il a été le seul épicurien qui ait changé de secte, et renoncé à la philosophie d’Épicure pour suivre celle de Carnéade. M. Ménage déclare qu’il serait volontiers de ce sentiment sans ces mots de Diogène, τάχα βαρυνθέντος ταῖς ἀνυπερϐλήτοις αὐτοῦ χρηςότησιν, par où il paraît, dit-il, que, nonobstant toutes les explications de Gassendi, il fallait que ce Métrodore fût contemporain d’Épicure, puisque ce ne fut que pour se défaire des honnêtetés fatigantes d’un si bon maître desquelles il était accablé, qu’il cessa d’être épicurien, et passa de ce parti à celui de Carnéade. M. Ménage ni M. Gassendi n’ont pas vu que le véritable sens du passage de Diogène est que, si Métrodore, d’épicurien qu’il était auparavant, devint sectateur de Carnéade, ce ne fut peut-être qu’à cause des bontés sans bornes dont celui-ci l’accablait. Le pronom αὐτοῦ, qui doit être entendu de Carnéade, a été jusqu’ici mal rapporté à Épicure, et c’est ce qui a fait tout l’embarras[35]. »

Ceux qui rapportent le pronom αὐτοῦ à Épicure, doivent convenir que Diogène Laërce est coupable d’une insigne fausseté ; c’est-à-dire, qu’il a cru que Carnéade et Épicure ont philosophé en même temps. Gassendi[36] montre fort bien que c’est une erreur grossière. Il fait voir qu’Épicure mourut avant que Carnéade naquît. Il remarque que Métrodore n’a point passé de la secte d’Épicure à l’école du Carnéade, dont Cicéron a parlé à la fin du Ve. livre de Finibus ; car ce Carnéade était lui-même épicurien, Epicuri familiaris. Il prouve aussi que Métrodore de Stratonice n’a point été auditeur d’un Carnéade contemporain d’Épicure et d’Arcésilas, mais du Carnéade qui fut le quatrième successeur d’Arcésilas, et qui fonda la troisième académie. On peut ajouter à ses preuves ce que Jonsius[37]
observe, que Métrodore de Stratonice n’a pu être ami d’Épicure, qui était mort avant que la ville de Stratonice fût fondée. Notez que Jonsius[38] et M. Ménage[39] s’accordent à dire que Diogène Laërce s’est exprimé en homme qui voulait apprendre à ses lecteurs qu’Épicure et Carnéade florissaient en même temps. C’est rejeter l’explication de Gassendi[40] ; et je ne m’étonne point qu’ils la rejettent, car elle est forcée au dernier point. Il se figure que l’historien n’a voulu dire que ceci : c’est que Métrodore était le seul épicurien qui eût quitté le parti, et qu’il l’avait quitté à cause que la tendresse d’Épicure, mort depuis assez long-temps, vivait encore dans la secte : Quòd bonitas verò Epicuri gravis illi (Metrodoro Stratoniceo) fuisse dicatur, intelligi potest de eâ quam Epicurus tametsi mortuus spiraret adhuc in summâ illâ consensione, charitate, et suî memoriâ apud sectatores[41]. On n’a pas besoin d’un si mauvais dénoûment, quand on explique le passage comme fait M. de la Monnoie. Il ne faut pas que j’oublie que M. Foucher[42] se prévalut de ces paroles de Diogène Laërce, pour soutenir sa fausse supposition que Carnéade et Épicure avaient vécu en même temps. M. Lantin lui répondit entre autres choses que, Diogène Laërce n’est pas un auteur bien sûr, et qu’il est aisé de remarquer dans son histoire plusieurs endroits qui se contrarient à cause qu’il a suivi des auteurs qui sont contraires[43]. Nous trouverons une de ces contradictions sans sortir de notre sujet : nous avons vu qu’il assure que Métrodore de Stratonice était le seul qui eût abjuré, et néanmoins peu auparavant il avait dit que Timocrate, disciple d’Épicure, avait quitté cette école[44], et publié ensuite bien des médisances contre son ancien professeur[45]. Je n’ai lu personne qui ait relevé cette faute. Si Gassendi l’eût aperçue, il n’aurait pas employé le raisonnement que l’on va voir : Sanè, dit-il[46], si Metrodorus à vivente adhuc Epicuro defecisset, quæsitum non fuisset ex Arcesilâ (qui duodecim annis Epicuro supervixit) [* 1] cur homines à cæteris ad epicureos, ab epicureis verò ad cæteros non commigrarent. N’est-il pas certain que Timocrate se sépara d’Épicure ? Puis donc que sa désertion n’empêcha point la demande qui fut faite à Arcésilas, pourquoi passe-t-on des autres écoles à celle d’Épicure, et non pas de celle-ci aux autres ? La désertion de Métrodore n’eût point empêché cette demande, et par conséquent Gassendi se sert d’une très-mauvaise preuve. Le proverbe, une hirondelle ne fait pas le printemps, est la solution de ceci ; car quoiqu’on sût l’inconstance d’un seul sectateur d’Épicure, on ne laissait pas de juger en gros que personne ne quittait l’épicuréisme.

(E) Il écrivit beaucoup de livres, et il se piquait de ne rien citer. ] Diogène Laërce, en parlant des philosophes qui ont le plus écrit[47], met Chrysippe au premier rang et Épicure au second : c’est ainsi qu’il dispose des places dans sa préface ; mais dans son Xe. livre, il dit absolument et sans réserve qu’Épicure est celui de tous les auteurs qui a le plus composé[48]. Ses ouvrages, continue-t-il, montent à 300 volumes, et l’on n’y voit rien qui ne soit de lui : il n’y rapporte les paroles d’aucun auteur, il ne cite personne. Mais pour Chrysippe, qui ne voulait point souffrir qu’Épicure le surpassât en nombre de compositions, il ne faisait qu’entasser témoignage sur témoignage, de sorte que si on lui eût ôté ce qu’il citait, on l’eût réduit à la carte blanche. Καὶ Ἀπολλόδωρος δε ὁ Ἀθηναῖος ἐν τῇ συναγωγῇ τῶν δογμάτων βουλόμενος παρις άνειν, ὅτι τὰ Ἐπικούρου οικείᾳ δυνάμει γελραμμένα, καὶ ἀπαράθετα ὅντα, μυρίῳ πγλείω ἐςὶ τῶν Χρυσίππου βιϐλίων, ϕησὶν οὕτως αὐτῇ τῆ λέξει, Ἐι γὰρ τις ἀϕέλοι τῶν Χρισἰππου βιϐλίων οσ᾽ ἀλλότρια παρατέθειται, κενὸς αὐτῷ ὁ χάρτης καταλελείψεται. Apollodorus quoque Atheniensis in collectione dogmatum, cùm vellet asserere Epicurum viribus suis fretum conscripsisse et absque auctorum testimoniis, esse ejus incomparabiliter plura quàm Chrysippi opera, sic ad verbum dixit : Nam si quis tollat de Chrysippi libris, quæ aliena sunt, vacua illi charta relinquetur[49]. Son émulation était telle, qu’aussitôt qu’il voyait paraître quelque nouveau livre d’Épicure, il en composait un autre[50] ; et cela si à la hâte, pour ne demeurer pas long-temps en reste, qu’il ne relisait point sa composition, ce qui l’engageait à des redites, et lui faisait avancer bien des choses peu correctes. Diogène cite ailleurs[51] Apollodore, qui prouva par cette raison qu’Épicure avait composé plus de livres que Chrysippe. Celui-ci n’avait fait que copier ce que d’autres avaient dit ; mais Épicure avait tout tiré de son propre fonds.

Puisque l’occasion s’en présente, disons quelque chose sur ces deux manières de composer, je parle de celle d’Épicure et de celle de Chrysippe. On aurait grand tort de prétendre, généralement parlant, que la méthode d’Épicure est celle des grands génies, et celle qui coûte le plus, et que la méthode de Chrysippe est celle des petits esprits, et celle qui coûte le moins. Prenez bien garde que par la méthode de Chrysippe j’entends seulement la coutume de ramasser des autorités. Je n’entends pas la négligence personnelle de ce philosophe, et les excès où il se portait en compilant. Cela posé, je soutiens qu’il y a d’aussi grands auteurs et des génies aussi sublimes dans la secte de Chrysippe, que dans la secte opposée ; et je le prouve par les trois grands noms que Gabriel Naudé va produire sur les rangs. Il me semble, dit-il[52], qu’il n’appartient qu’à ceux-là qui n’espèrent jamais d’être cités, de ne citer personne ; et c’est une trop grande ambition de se persuader d’avoir des conceptions capables de contenter une si grande diversité de lecteurs sans rien emprunter d’autrui ; car s’il y eut jamais auteurs qui pussent véritablement s’estimer tels, ç’ont été sans controverse Plutarque, Sénèque et Montagne, qui n’ont autrefois rien laissé chez les autres de ce qui pouvait servir à l’embellissement de leurs discours ; témoin les vers grecs et latins qui se rencontrent presque à chaque ligne de leurs œuvres, et entre autres cette consolation de sept ou huit feuilles que le premier envoya à Apollonius, dans laquelle on peut remarquer de compte fait plus de cent cinquante vers d’Homère, et presque autant d’Hésiode, Pindare, Sophocle et Euripide. Et de plus je ne crois point que ces nouveaux censeurs de la façon d’écrire soient si peu judicieux, que d’opposer aux autorités précédentes celle d’Épicure, lequel en trois cents volumes qu’il laissa, n’avait pas mis et inséré une seule allégation, parce que ce serait me fournir les moyens de leur condamnation, vu que les œuvres de Plutarque, Sénèque et Montagne sont tous les jours lues, feuilletées, vendues et réimprimées, où à grande peine le catalogue de celles d’Épicure nous est-il reste dans Diogène Laërce. On pouvait joindre Cicéron à ces trois exemples, et l’on ne saurait condamner ceux qui y joignent Apulée, puisque c’était un des hommes de son siècle qui avait le plus d’esprit. Comptez bien tous les exemples qui suivent. « Nous voyons dans ce beau dialogue des plus illustres orateurs de Rome qu’ils ne croyaient pas que leur éloquence pût être corrompue par des citations, le discours d’Aper nous apprenant qu’on désirait alors que les oraisons fussent parées des beautés de la poésie d’Horace, de Virgile ou de Lucain ; pour ne rien dire de celle d’Ennius ou de Nevius, qui remplit des pages entières dans les œuvres philosophiques de Cicéron[53]... et nous pouvons encore remarquer par l’Apologie d’Apulée, l’une des plus éloquentes pièces de toute l’antiquité, nonobstant les impuretés de quelques locutions dont nous avons déjà parlé, que du temps des Antonins on ne pensait pas que les passages grecs et latins dussent gâter un bel ouvrage, vu que celui-là est rempli de textes de Platon et de plusieurs autres philosophes, avec un grand nombre de vers d’Homère, de Catulle et de Virgile[54]. » La Mothe-le-Vayer plaide là sa cause, car c’était le plus grand citateur du monde. On dira tant qu’on voudra que ses livres seraient meilleurs, s’ils n’étaient pas si farcis de pensées étrangères : on ne niera jamais, sans manquer de discernement et de goût, qu’il n’eût beaucoup de génie. On dira tant qu’on voudra que les écrits de Costar sont trop pleins d’autorités, on l’appellera tant qu’on voudra le protecteur des lieux communs[55], il n’en sera pas moins vrai que c’était un fort bel esprit. M. Ménage qui lui donne cet éloge est lui-même l’un des auteurs qui feront le plus d’honneur à la France. Je ne vois guère de gens qui lui contestent le titre de Varron français [56]. En un mot, c’est un grand auteur ; cependant il disait lui-même : Mademoiselle de Scudéri.……. a fait 80 volumes qu’elle a tous tirés de sa tête, et moi j’ai tiré de côté et d’autre tout ce que j’ai composé[57]. Contentons-nous de ces exemples : n’alléguons point les Tiraqueau, les Brisson, les Servin, et telles autres grandes lumières du parlement de Paris ; ne disons pas qu’ils citaient prodigieusement, et qu’on le faisait aussi dans ces pièces d’apparat que les premiers présidens où les gens du roi récitaient en ce siècle-là[58] à l’ouverture des audiences. Ne parlons point non plus des excellens et des admirables plaidoyers de M. le Maître, l’ornement du même barreau au siècle suivant. Qui ne sait qu’ils sont pleins de citations[* 2] ?

C’est donc une vérité de fait incontestable, qu’il se trouve de grands génies et de grands auteurs dans la secte de Chrysippe, et que ce n’est pas le propre des génies et des auteurs de cette espèce, de ne citer rien ou de citer peu. Parlons présentement de l’autre question : examinons quelle méthode de composer est la plus pénible.

Je crois qu’on peut réduire à deux classes les grands citateurs : il y en a qui se contentent de piller les auteurs modernes, et de ramasser en un corps les compilations de plusieurs autres qui ont travaillé sur la même matière. Ils ne vérifient rien, ils ne recourent jamais aux originaux : ils n’examinent pas même ce qui précède et ce qui suit dans l’auteur moderne qui leur sert d’original ; ils n’écrivent point les passages ; ils marquent seulement à leur imprimeur les pages des livres imprimés d’où il faut tirer ces passages. On ne peut nier que cette méthode de faire des livres ne soit très-aisée, et que, sans fatiguer beaucoup la tête d’un écrivain, elle ne le puisse mener bientôt à dix gros volumes. Il y a d’autres citateurs, qui ne se fient qu’à eux-mêmes ; ils veulent tout vérifier, ils vont toujours à la source, ils examinent quel a été le but de l’auteur, ils ne s’arrêtent pas au passage dont ils ont besoin, ils considèrent avec attention ce qui le précède, ce qui le suit. Ils tâchent de faire de belles applications, et de bien lier leurs autorités : ils les comparent entre elles, ils les concilient, ou bien ils montrent qu’elles se combattent. D’ailleurs ce peuvent être des gens qui se font une religion, dans les matières de fait, de n’avancer rien sans preuve. S’ils disent qu’un tel philosophe grec croyait ceci ou cela, qu’un tel sénateur ou capitaine romain suivait certaines maximes, ils en produisent les preuves tout aussitôt ; et parce qu’en certaines occasions la singularité de la chose demande plusieurs témoignages, ils en ramassent plusieurs. Je ne crains point de dire de cette méthode de composer, qu’elle est cent fois plus pénible que celle de notre Épicure, et qu’on ferait un livre de mille pages en moins de temps selon la dernière méthode, qu’un livre de quatre cents pages selon la première. On comprendra mieux cela par un exemple. Qu’un habile homme ait à prouver qu’un tel père de l’église a été d’un tel sentiment [59], je suis sûr qu’il lui faudra plus de jours afin d’assembler les passages qui lui seront nécessaires, qu’afin de raisonner à perte de vue sur ces passages. Ayant une fois trouvé ses autorités et ses citations, qui peut-être ne rempliront pas six pages, et qui lui auront coûté un mois de travail, il aura dans deux matinées vingt pages en raisonnemens, en objections et en réponses à des objections : et par conséquent ce qui naît de notre propre génie coûte quelquefois beaucoup moins de temps que ce qu’il faut compiler[60]. Je suis sûr que M. Corneille aurait eu besoin de plus de temps pour justifier une tragédie par un grand ramas d’autorités, que pour la faire ; et je suppose le même nombre de pages dans la tragédie, et dans la justification. Heinsius mit peut-être plus de temps à justifier[61] contre Balzac, son Herodes infanticida, qu’un métaphysicien espagnol n’en met à un gros volume de disputes où il débite tout de son crû. Je pense que les plaidoyers où M. le Maître ramassa quantité d’autorités, lui coûtèrent plus que les autres ; et qu’ils furent composés avec plus de peine que ceux de M. Patru qui ne citait presque rien.

Je n’entre point dans la question de la préférence : je dirai seulement que les auteurs qui n’empruntent rien sont pour l’ordinaire moins instructifs que ceux qui répandent leurs recueils. Une bonne pensée, de quelque endroit qu’elle parte, vaudra toujours mieux qu’une sottise de son crû [62], n’en déplaise à ceux qui se vantent de trouver tout chez eux, et de ne tenir rien de personne[63]. J’ajoute qu’il n’y a pas moins d’esprit ni moins d’invention à bien appliquer une pensée que l’on trouve dans un livre, qu’à être le premier auteur de cette pensée. Cela paraît dans les entretiens de Voiture. On a ouï dire au cardinal Du Perron, que l’application heureuse d’un vers de Virgile, était digne d’un talent[64]. Je laisse ceux qui comparent la première production d’une pensée avec l’acte de la génération, et l’art d’appliquer les vieilles pensées avec la puissance de ressusciter. C’est se déclarer trop partial pour les recueils : néanmoins, j’alléguerai les paroles de celui qui s’est montré si prévenu. « Comme beaucoup de personnes pèchent en l’usage immodéré des allégations, il y en a assez d’autres ridicules dans une sotte affectation de ne citer jamais personne, et de prendre tout chez eux ; semblables à cet Hippias Élien, qui se vantait hardiment de ne rien porter que ses mains n’eussent fait. Car j’attribue facilement à cette vanité le grand mépris que quelques-uns font de toute sorte d’autorités, pour montrer qu’ils ne produisent rien que d’eux-mêmes, que les belles pensées sortent de leur tête, comme Pallas de celle de Jupiter, et qu’ils engendrent comme lui sans l’aide d’autrui. À quoi néanmoins on pourrait répondre, que la génération se fait par une action si commune dans tous les ordres de la nature, qu’il n’y a pas lieu de faire tant de cas d’une chose si facile ; au lieu que c’est un miracle de ressusciter les morts en les faisant parler de telle sorte, que comme on a dit dans la religion que les ossemens avaient opéré plus de merveilles que les corps animés, on peut soutenir de même dans la rhétorique, que ceux qui ne sont plus ont beaucoup plus de force à nous persuader, que n’en ont les vivans[65]. »

(F) Ce fut gâter le système des atomes... que de ne pas retenir la doctrine de Démocrite touchant l’âme des atomes. ] Saint Augustin ne nous permet pas de douter que Démocrite n’ait cru que tous les atomes étaient animés. Democritus, dit-il[66], hoc distare in naturalibus quæstionibus ab Epicuro dicitur, quod iste sentit inesse concursioni atomorum vim quandam animalem et spiritalem..., Epicurus verò neque aliquid in principiis rerum ponit præter atomos. Prétendre qu’un assemblage d’atomes inanimés peut être une âme, et peut envoyer des images qui nous donnent des pensées ; c’est se payer d’une hypothèse plus confuse que le chaos d’Hésiode. C’était néanmoins la prétention d’Épicure. Quorum corpusculorum concursu fortuito et mundos innumerabiles, et animantia, et ipsas animas fieri dicit, et Deos quos humana forma, non in aliquo mundo, sed extra mundos, constituit, et non vult omninò aliquid, præter corpora, cogitare : quæ tamen ut cogitet, imagines dicit ab ipsis rebus, quas atomis formari putat, defluere, atque in animum introire subtiliores, quàm sunt illæ imagines, quæ ad oculos veniunt[67]. Mais en supposant une fois que tous les atomes ont une âme, on conçoit sans peine que leurs divers assemblages forment diverses espèces d’animaux, diverses manières de sentimens, diverses combinaisons de pensées ; et par-là on est à l’abri de l’objection foudroyante de Galien : Cùm atomus una dolere non possit, quòd alterationis, et sensûs incapax sit, si dum caro acu pungitur, atomus una non sentiat, non sensuras duas, nec treis, nec quatuor, nec plureis ; perindèque fore, ut si adamantum, aliarumve rerum invulnerabilium acervus fodiatur. Et, ut digiti connexi absque dolore separantur ; sic iri atomos diductum, absque ullo doloris sensu, cùm sese mutuò solùm contingant[68]. Plutarque avait déjà fait une semblable objection à Colotes[69]. Qu’on se tourne de tous les côtés imaginables, comme ont fait Lucrèce et Gassendi[70], pour soudre cette difficulté, on ne pourra pas même l’effleurer, et ce qu’on dira de meilleur est que tous les philosophes qui reconnaissent que les principes des corps mixtes sont privés de sentiment, s’exposent autant qu’Épicure à la même difficulté. Il faut dire les choses comme elles sont, l’hypothèse de l’âme du monde, ou celle des automates, est la seule voie de se tirer de cet embarras ; car il serait dangereux de reconnaître dans les bêtes une âme immatérielle comme dans l’homme : et pour ce qui est de la distinction de nos péripatéticiens entre la matière et l’âme matérielle des bêtes, c’est un vain subterfuge qui n’est pas moins foudroyé par l’objection de Galien, que les atomes d’Épicure[71]. Au reste, il n’est pas plus absurde de supposer que les atomes sont essentiellement animés, que de supposer qu’ils existent et qu’ils se meuvent d’eux-mêmes. Voyez l’article de Leucippe, à la remarque (E).

Ceux qui voudront voir d’autres différences entre Démocrite et Épicure n’auront qu’à consulter Cicéron [72].

(G) Ce qu’il enseigna sur la nature des dieux est très-impie. ] Ce serait observer un peu trop négligemment les lois sacrées de l’équité, que d’accuser Épicure d’avoir cru que les dieux ne méritent pas notre culte, nos respects et nos hommages : car il a professé ouvertement le contraire, et publié d’excellens livres sur le culte que l’on doit aux dieux[73]. J’avoue qu’on lui objectait qu’en agissant selon ses principes il ne devait avoir nulle religion ; mais en cela on ne faisait que disputer sur le droit, on ne niait pas le fait, on tombait d’accord de sa religion extérieure. Nous ne saurions produire un témoin plus digne de foi que Sénèque. Or voici ce qu’il en dit : Tu denique, Epicure, Deum inermem facis ; omnia illi tela, omnem detraxisti potentiam... hunc non habes quare verearis, nulla illi nec tribuendi nec nocendi materia est... Atqui hunc vis videri colere, non aliter quàm parentem : grato, ut opinor, animo : aut si non vis videri gratus, quia nullum habes illius beneficium, sed te atomi et istæ micæ tuæ fortè ac temerè conglobaverunt, cur colis ? Propter majestatem, inquis, ejus eximiam, singularemque naturam. Ut concedam tibi : nempe hoc facis nullâ spe, nullo pretio inductus. Est ergò aliquid per se expetendum, cujus te ipsa dignitas ducit : id est honestum[74]. Nous avons là en peu de mots la religion qu’Épicure professait : il honorait les dieux à cause de l’excellence de leur nature, encore qu’il n’attendît d’eux aucun bien, et qu’il n’en craignît aucun mal [75]. Il leur rendait un culte qui n’était point mercenaire ; il ne considérait aucunement son propre intérêt, mais les seules idées de la raison qui demandent que l’on respecte et que l’on honore tout ce qui est grand et parfait. On ne se trompait pas peut-être, lorsqu’on l’accusait de n’agir ainsi que par politique[76], et afin d’éviter la punition qui lui eût été immanquable s’il eût renversé le culte des dieux ; mais quand même cette accusation aurait été bien fondée, elle n’aurait pas laissé d’être téméraire. L’équité veut que l’on juge de son prochain sur ce qu’il fait, et sur ce qu’il dit ; et non pas sur les intentions cachées que l’on s’imagine qu’il a. Il faut laisser à Dieu le jugement de ce qui se passe dans les abîmes du cœur. Dieu seul est le scrutateur des reins et des cœurs. Et après tout, pourquoi ne voudrions-nous pas qu’Épicure ait eu l’idée d’un culte que nos théologiens les plus orthodoxes recommandent comme le plus légitime et le plus parfait ? Ils nous disent tous les jours que quand on n’aurait ni le paradis à espérer, ni l’enfer à craindre, l’on serait pourtant obligé d’honorer Dieu, et de faire tout ce que l’on croirait lui être agréable[77]. Je rapporterai ci-dessous[78] le témoignage que Diogène Laërce a rendu à la piété d’Épicure.

Ainsi la seule preuve du texte de cette remarque est qu’Épicure réduisait la nature divine à l’inaction : il lui ôtait le gouvernement du monde, il ne la reconnaissait point pour la cause de cet univers. C’est une énorme impiété. Les auteurs ne s’accordent pas sur la question, s’il enseignait que les dieux étaient composés d’atomes. S’il avait enseigné cela, il aurait ôté à la nature divine l’éternité et l’indestructibilité, dogme affreux et infiniment blasphématoire ; mais je ne crois point qu’on puisse le lui imputer ; car l’un de ses premiers principes était que Dieu étant bienheureux et immortel, ne fait du mal à personne, et ne se mêle d’aucune affaire. In illis selectis ejus brevibusque sententiis quas appellant κυρίας δόξας, hæc, ut opinor, prima sententia est, quòd beatum et immortale est, id nec habet, nec exhibet cuiquam negotium[79]. Nous voyons que le premier point de méditation qu’il donnait à ses disciples était l’immortalité et la félicité de Dieu. Πρῶτον μὲν, τὸν Θεὸν, ζῶον ἄϕθαρτον καὶ μακάριον νομίζων, ὡς ἡ κοινὴ τοῦ Θεοῦ νόησις ὑπεγράϕη· μηθὲν μήτε τῆς ἀϕθαρσίας ἀλλότριον, μήτε τῆς μακαριότητος ἀνοίκειον αὐτῶ πρόσαπτε· πᾶν δε τὸ ϕυλάττειν αὐτοῦ δυνάμενον τὴν μετὰ ἀϕθαρσίας μακαριότητα, περὶ αὐτὸν δοξαζε. Primùm quidem, Deum esse animal immortale ac beatum, puta, sicut communis de Deo dictat intelligentia ; nihil illi aut ab immortalitate alienum, aut à beatitudine, applicans. Cæterùm omne quod illius cum immortalitate beatitudinem servare possit, de eo opinare[80]. Il ne croyait donc pas que les dieux eussent été faits comme le monde par la rencontre fortuite des atomes ; il sentait bien que par-là il les eût visiblement assujettis à la mort. Idem facit in naturâ Deorum, dum individuorum corporum concretionem fugit ne interitus et dissipatio consequatur, negat esse corpus Deorum, sed tanquam corpus : nec sanguinem, sed tanquam sanguinem[81]. Tertullien[82] et saint Augustin[83] soutiennent pourtant qu’il disait que la nature divine était composée d’atomes ; mais Lactance a mieux rapporté le sentiment de ce philosophe. Deos, dit-il[84], aiunt incorruptos, æternos, beatos esse : solisque dant immunitatem, ne concursu atomorum concreti esse videantur : si enim Deos quoque ex illis constituissent, dissipabiles fierent, seminibus aliquando resolutis, atque in naturam suam revertentibus. Je finis cette remarque par censurer ces paroles de M. Moréri : Les sentimens d’Épicure pour l’âme et pour la divinité ne semblent pas raisonnables à quelques-uns. Est-il possible qu’un prêtre ait parlé ainsi d’un sentiment qui renverse l’immortalité de l’âme, et la providence de Dieu ?

(H) C’est en vain que M. Arnauld a critiqué cette doctrine. ] Pour rendre plus intelligible ce que j’ai à dire, j’observe d’abord que presque tous les anciens philosophes qui ont parlé du bonheur de l’homme se sont attachés à une notion externe, et c’est ce qui a produit parmi eux un grand partage de sentimens[85]. Les uns ont mis le bonheur de l’homme dans les richesses ; d’autres dans les sciences ; d’autres dans les honneurs ; d’autres dans la réputation ; d’autres dans la vertu, etc. Il est clair qu’ils ont attaché l’idée de la béatitude, non pas à sa cause formelle, mais à sa cause efficiente ; c’est-à-dire, qu’ils ont appelé notre bonheur ce qu’ils ont jugé capable de produire en nous l’état de félicité, et qu’ils n’ont point dit quel est l’état de notre âme quand elle est heureuse. C’est cet état que je nomme la cause formelle du bonheur. Épicure n’a point pris le change ; il a considéré la béatitude en elle-même, et dans son état formel, et non pas selon le rapport qu’elle a à des êtres tout-à-fait externes, comme sont les causes efficientes. Cette manière de considérer le bonheur est sans doute la plus exacte et la plus digne d’un philosophe. Épicure a donc bien fait de la choisir, et il s’en est si bien servi, qu’elle l’a conduit précisément où il fallait qu’il allât : le seul dogme, que l’on pouvait établir raisonnablement selon cette route, était de dire que la béatitude de l’homme consiste à être à son aise, et dans le sentiment du plaisir, ou en général dans le contentement de l’esprit. Cela ne prouve point que l’on établit le bonheur de l’homme dans la bonne chère, et dans le commerce impur que les sexes peuvent avoir l’un avec l’autre ; car tout au plus ce ne peuvent être que des causes efficientes, et c’est de quoi il ne s’agit pas : quand il s’agira des causes efficientes du contentement, on vous marquera les meilleures ; on vous indiquera d’un côté les objets les plus capables de conserver la santé de votre corps, et de l’autre les occupations les plus propres à prévenir l’inquiétude de votre esprit : on vous prescrira donc la sobriété, la tempérance, et le combat contre les passions tumultueuses et déréglées qui ôtent à l’âme son état de béatitude, c’est-à-dire, l’acquiescement doux et tranquille à sa condition. C’étaient là les voluptés où Épicure faisait consister le bonheur de l’homme. On se récria sur le mot de volupté ; les gens qui étaient déjà gâtés en abusèrent ; les ennemis de sa secte s’en prévalurent, et ainsi le nom d’épicurien devint très-odieux. Tout cela est accidentel au dogme, et n’empêche pas qu’Épicure n’ait solidement philosophé. Bien entendu qu’il commettait une grande faute, en ne reconnaissant pas qu’il n’y a que Dieu qui puisse produire dans notre âme l’état qui la rend heureuse.

Passons à M. Arnauld. Il critiqua de toutes ses forces cette doctrine du père Mallebranche, Tout plaisir est un bien, et rend actuellement heureux celui qui le goûte[86]. L’auteur des Nouvelles de la République des Lettres, en donnant l’extrait du livre de M. Arnauld, se déclara sur cet article pour le père Mallebranche. Il n’y a rien de plus innocent, dit-il[87], ni de plus certain que de dire, que tout plaisir rend heureux celui qui en jouit pour le temps qu’il en jouit, et que néanmoins il faut fuir les plaisirs qui nous attachent aux corps... Mais, dit-on, c’est la vertu, c’est la grâce, c’est l’amour de Dieu, ou plutôt c’est Dieu seul, qui est notre béatitude. D’accord en qualité d’instrument ou de cause efficiente, comme parlent les philosophes ; mais en qualité de cause formelle, c’est le plaisir, c’est le contentement qui est notre seule félicité. Là-dessus M. Arnauld prit à partie le nouvelliste de la République des Lettres, et lui adressa un avis [88], dans lequel il le réfuta de point en point, et selon toutes les règles de sa manière de combattre, qui était sans doute celle d’un très-habile logicien. Le nouvelliste répliqua[89], et soutint toujours son dogme, et s’attacha principalement à ôter les équivoques qui ont été répandues sur cette matière par la diversité des phrases tropologiques dont on s’est servi, la plupart des écrivains ayant donné à la cause le nom de l’effet, je veux dire, ayant appelé bonheur ou malheur, non pas ce qui l’est effectivement, mais ce qui le cause. Il s’engagea même à réfuter ceux qui s’imaginent que les plaisirs de nos sens ne sont point spirituels : il soutint qu’à ne les considérer que selon leur entité physique ils sont purement spirituels, et qu’on ne peut les appeler corporels qu’en conséquence d’un rapport accidentel et arbitraire qu’ils ont au corps ; car ce rapport n’est fondé qu’en ce qu’il a plu à Dieu d’établir pour la cause occasionelle de ces plaisirs, l’action de certains objets sur le corps de l’homme. M. Arnauld ne voulut pas avoir le dernier : il réfuta tout de nouveau son adversaire par une docte dissertation[90], où il n’y a rien de plus important, ce me semble, que la dernière partie. Elle a pour titre, Examen d’une nouvelle spéculation touchant la spiritualité et la matérialité des plaisirs des sens. Il la commence de cette manière : « Il ne me reste plus, monsieur, qu’à vous dire un mot de la plus importante chose de votre écrit. C’est une pensée métaphysique si subtile et si abstraite, que j’ai une double peur ; l’une, de n’avoir pas tout-à-fait bien pris votre pensée ; l’autre, de ne pouvoir dire la mienne d’une manière qui puisse être entendue de tout le monde. Vous prétendez, monsieur, qu’il faut distinguer deux choses dans les plaisirs des sens, leur spiritualité que vous regardez comme leur étant essentielle ; et leur matérialité que vous voulez qui leur soit accessoire et accidentelle : d’où vous concluez qu’un plaisir des sens pourrait demeurer idem numero, et n’avoir rien de matériel, parce que la matérialité en peut être séparée[91]. » Il développe ensuite fort nettement la doctrine de son adversaire, et le combat d’une manière très-digne de sa logique et de son habileté ; mais je crois pourtant qu’il n’a pas raison dans le fond, et qu’il n’a pas assez pris garde à la différence qui se trouve entre nos sentimens et nos idées. Le rapport de nos idées à leur objet est essentiel ; et il a raison de dire que Dieu ne pourrait pas faire que l’idée du cercle fût séparée du rapport au cercle. Mais il n’en va pas de même de nos sentimens. Notre âme pourrait sentir du froid sans le rapporter à un pied, ni à une main, tout comme elle sent la joie d’une bonne nouvelle et le chagrin, sans le rapporter à aucune des parties du corps ; et si pendant qu’elle est unie à un corps elle rapporte à quelque partie de ce corps la douleur et certains plaisirs, le sentiment de brûlure, le chatouillement, etc., ce n’est que par un établissement tout-à-fait libre de l’auteur de son union avec le corps ; ce n’est qu’afin qu’elle puisse mieux veiller à conserver la machine qui lui est unie. Si cette raison cessait, il ne serait plus nécessaire qu’elle rapportât hors de soi ses sentimens, et néanmoins elle serait toujours susceptible de la modification qu’on nomme douleur, plaisir, froid, chaud : Dieu pourrait lui imprimer toutes ces modifications ou sans se régler sur aucune cause occasionelle, ou en se réglant sur une cause occasionelle qui ne serait pas un corps, mais les pensées de quelque esprit. L’auteur de l’Art de penser a raison de dire qu’il est très-possible, qu’une âme séparée du corps soit tourmentée par le feu, ou de l’enfer ou du purgatoire, et qu’elle sente la même douleur que l’on sent quand on est brûlé, puisque lors même qu’elle était dans le corps, la douleur de la brûlure était en elle et non dans le corps, et que ce n’était autre chose qu’une pensée de tristesse qu’elle ressentait, à l’occasion de ce qui se passait dans le corps auquel Dieu l’avait unie[92]. Mais il n’a pas raison de supposer qu’il faudrait que Dieu disposât tellement une certaine portion de la matière à l’égard d’un esprit, que le mouvement de cette matière fût une occasion à cet esprit d’avoir des pensées affligeantes. Un être tout-à-fait immatériel pourrait faire la fonction d’une telle cause occasionelle, et en ce cas-là notre âme pourrait sentir le même plaisir que nous nommons sensuel et corporel : elle le pourrait, dis-je, sentir sans le rapporter à une bouche, ou à une oreille, comme nous y rapportons présentement le plaisir de la bonne chère et de la musique. D’où il résulte que le plaisir, de quelque espèce qu’on le suppose, peut faire le bonheur de l’âme en quelque état qu’on la suppose, unie ou non avec la matière. Cela mériterait un discours à part. Si le nouvelliste de la République des Lettres n’avait pas été malade quand la dissertation de M. Arnauld parut, il l’aurait réfutée ; et il jugea qu’il serait trop tard de la réfuter lorsque sa santé lui permit de prendre la plume.

(I) On fit courir des impostures contre ses mœurs. ] On le fit passer pour un goinfre, pour un impudique, pour un nouveau Sardanapale ; et comme, selon la coutume de ces siècles-là[93], il reçut au nombre de ses disciples quelques femmes qui aimaient la philosophie, on fit passer son école pour un franc bordel. On disait que la courtisane Léontium, étant devenue curieuse de philosophie, et s’étant adressée à ce philosophe, n’avait pas discontinué son premier métier, et qu’elle faisait plaisir de son corps à toute la bande, et nommément à Épicure tout à découvert [94]. On ne se contenta pas de répandre ces médisances dans la conversation ; on les inséra dans des livres, et ce qu’il y eut de plus injuste, on forgea des lettres lascives que l’on publia sous le nom de ce philosophe. Διότιμος δὲ ὁ Στωϊκός δυσμενῶς ἔχων πρὸς αὐτὸν πικρότατα αὐτὸν διαϐέϐληκεν ἐπιςολὰς ϕέρων πεντήκοντα ἀσελγεῖς, ὡς Ἐπικούρου, καὶ τὰ εἰς Χρύσιππον ἀναϕερόμενα ἑπιςόλια, ὡς Ἐπικούρου συντάξας. Diotimus autem stoïcus infesto adversùs illum animo acerrimè insectatus eum est, quinquaginta circumferens lascivas, veluti ab Epicuro scriptas, epistolas, easque quæ Chrysippi feruntur, veluti sub Epicuri nomine componens[95]. Nous avons encore une lettre attribuée à Léontium, mais c’est une pièce supposée. On feint que Léontium écrivit à Lamia les chagrins qu’elle avait à essuyer auprès d’Épicure, vieillard de quatre-vingts ans, et retombé en enfance, couvert de poux, et de si mauvaise humeur qu’il ne faisait que gronder contre sa maîtresse et que l’assassiner de ses soupçons : Οὐδεν δυσαρεςότερον, ὡς ἔοικέν, ἐςι πάλιν μειρακιευομένου πρεσϐύτου· οἷα με Ἐπίκουρος οὗτος διοικεῖ, πάντα λοιδορῶν, πάντα ὑποπτεύων, ἐπιςολὰς ἀδιαλύτους μοι γράϕων· ἐκδιώκων ἐκ τοῦ κήπου μὰ τὴν Ἀϕροδίτην, εἰ Ἄδωνις ἢν, ἤδη, ὁγδοήκοντα γεγονὼς ἔτη· οὐκ ἂν αὐτοῦ ἠνεσχόμην, ϕθειριῶντος, καὶ πολυνοσοῦντος, καὶ καταπεπιλημένου, εὖ μάλα πόκοις, ἀντὶ πίλων, Nihil est, ut mihi videtur, repuerascente sene importunius : Quo sanè modo erga me Epicurus iste se habet, omnia improbans, omnia in suspicionem vertens, litteras ad me ambagiosas scribens ; abacturus sanè ex horto ipsam Venerem, tametsi Adonis foret, natus jam ut est, annorum octoginta. Absit illius amore tenear, qui et scatet pediculis, et planè morbidus est, contractus præ Senio, nec injuriâ vellera gestans pro pileis, etc.[96]. La supposition de cette lettre est évidente, puisque Léontium mourut avant Épicure[97], et qu’Épicure ne vécut qu’un peu plus de soixante et onze ans. Ce qu’il y a de certain, c’est que Métrodore, l’un des principaux amis d’Épicure, couchait avec cette Léontium ; peut-être l’avait-il épousée : au pis aller il la tenait pour sa concubine ; or, dans le paganisme, le concubinage n’était pas fort décrié. Danaë, fille de Léontium, ne fut pas plus chaste que sa mère[98]. Quelques-uns prétendent que Léontium coucha avec un certain Corniade, et qu’il pouvait savoir combien de fois, car il tenait registre de ses débauches ; quand il voulait repasser par sa mémoire ses bonnes fortunes et ses bons jours, il consultait son papier journal : Non ineptè quis intelligat, ce sont les paroles de Gassendi[99], ex hoc contubernio desumptum quod Plutarchus scribit Corniadem quasi ex ephemeride repetere solitum quoties cum Hediâ et Leontio rem habuisset, Thasium bibisset, opipare cœnâsset. D’autres prétendent que Gassendi s’est laissé tromper ici par le traducteur latin de Plutarque, et que le grec porte que les gens modestes et sages n’entretiennent point dans leur esprit les images des plaisirs passés, et ne font pas ce qui exposa Corniade à la moquerie ; ils ne récitent pas comme s’ils lisaient dans leurs tablettes ou dans leur livre de compte, combien de fois ils ont eu affaire avec Hédia ou avec Léontium, etc. Ceux qui sont capables d’entendre le grec que je cite, pourront juger du vrai sens. J’aimerais mieux suivre celui de Gassendi. Οὔτε τοὺς μετρίους καὶ σώϕρονας εἰκὸς ἐνδιατρίϐειν τῇ ἐπινοία τῶν τοιούτων, οὐδὲ ἅπερ ἔσκωπτε τόν Κορνιάδην πράττοντα, οἶον ἐξ ἐϕημερίδων ἀναλέγεσθαι, ποσάκις Ἡδείᾳ καὶ Λεοντίῳ συνῆλθον, ἢ ποῦ Θάσιον ἔπιον, ποίας εἰκάδας ἐδείπνησαν πολυτελέςατα, δεινὴν γὰρ ἐμϕαίνει καὶ θηριώδη περὶ τὰ γινόμενα καὶ προσδοκώμενα τῆς ἡδονῆς ἔργα ταραχὴν καὶ λύσσαν ἡ τοσαύτη πρὸς ἀναμνήσεις βάκχευσις αὐτῆς τῆς ψυχῆς καὶ πρόςηξις. Neque probabile est, modestos ac temperantes homines hujusmodi cogitationibus immorari, aut ea facere, ob quæ Carneadem subsannat ille, tanquam ex ephemeridibus repertentem, quoties cum Hedeiâ aut Leontio rem habuisset, ubi Thasium vinum bibisset, quibus idibus splendidissimè cœnâsset. Atrocem enim ac belluinam in fruendis aut expectandis voluptatibus exagitationem animi ac rabiem designat tanta ipsius ad recordandum bacchatio atque adhæsio[100]. Voyez dans Gassendi, au VIIe. livre de la Vie d’Épicure, une solide réfutation des calomnies que j’ai rapportées. Voyez aussi la remarque (N). Notez qu’au lieu de Κορνιάδην, il me semble qu’il faudrait lire Καρνεάδην dans cet endroit de Plutarqne ; car on sait que l’un des amis d’Épicure se nommait Carnéade. J’ai cité sur ce sujet un passage de Cicéron dans la remarque (M) de l’article Arcésilas, tome II, page 252.

(K) Il y eut un transfuge de sa secte, qui en dit beaucoup de mal. ] Ces gens-là, pour l’ordinaire, médisent furieusement du parti qu’ils quittent. L’envie de se venger de quelque injure, ou de faire accroire que ce n’est point par inconstance qu’ils en sont sortis, les pousse à le décrier ; et quelque suspects qu’ils puissent être, ils ne laissent pas de trouver beaucoup de crédules. Je me souviens d’avoir lu qu’une religieuse, qui sortit de Port-Royal fort mécontente, débita plusieurs petits contes dont les jésuites se prévalurent dans leurs écrits[101]. Mais parlons du transfuge dont il est ici question. Il était frère de Métrodore, et il s’appelait Timocrate. Il publia que l’on faisait des assemblées nocturnes dans le jardin d’Épicure, desquelles il n’avait pu s’échapper qu’avec mille difficultés[102]. Comme il y avait quelques femmes parmi les disciples d’Épicure, je vous laisse à penser quels commentaires on faisait sur ces paroles de Timocrate. On est allé jusqu’à comparer avec le sabbat des sorciers ces conventicules d’Épicure [103] ; et je ne doute point qu’on n’en ait dit la même chose que des assemblées des adamites. Præter comessationes et compotationes possunt ea intelligi quæ in nocturnis bonæ deæ sacris patrari quondam objecta sunt [104]. Outre cela Timocrate faisait passer Épicure pour un goulu et pour un ivrogne, que les excès de la goinfrerie faisaient vomir deux fois chaque jour[105]. Épicure n’épargna pas ce déserteur de sa secte ; il écrivit contre lui, et le traita durement. On voit dans un ouvrage de Cicéron, qu’afin d’insulter ce philosophe, on suppose que ses démêlés avec Timocrate n’étaient fondés que sur une bagatelle. Cùm Epicurus...... Metrodori sodalis sui fratrem Timocratem, quia nescio quid in philosophiâ dissentiret, totis voluminibus conciderit [106]. Il n’y a nulle bonne foi dans cette objection ; et si jamais l’emportement d’un écrivain était excusable, ce serait dans des disputes semblables à celles d’Épicure contre son disciple fugitif.

(L) Un fort savant homme a soutenu, …… qu’Épicure n’a point nié la providence divine. ] Ce savant homme s’appelle M. du Rondel. Il était professeur en éloquence dans l’académie de Sedan, depuis un assez bon nombre d’années, lorsqu’on supprima cette académie, l’an 1681. Il se retira en Hollande, où son mérite lui fit bientôt trouver de l’emploi : on l’appela à Mastricht pour y être professeur aux belles-lettres. Il y exerce cette charge avec beaucoup de réputation. Avant que de quitter sa patrie, il avait donné au public une édition de Musée en grec et en latin, avec des notes[107] ; la Vie d’Épicure, en français [108] ; et une dissertation de Gloriâ [109]. Depuis qu’il est hors de France, il a publié des réflexions sur un chapitre de Théophraste[110], une dissertation sur le Chénix de Pythagore [111], et un traité de Vitâ et Moribus Epicuri[112]. C’est dans ce dernier ouvrage qu’il a entrepris de prouver qu’Épicure n’a point nié la providence de Dieu. Ceux qui voudront connaître le mérite de ses productions [113], et qui ne les auront pas, feront bien de consulter les journalistes qui en ont parlé. Ils y trouveront une partie des éloges qui sont dus à sa profonde érudition et à son esprit pénétrant. Quand il voudra produire les trésors de son cabinet, le public sera convaincu qu’il faudra que les journalistes emploient les expressions les plus remplies de louange, s’ils veulent lui rendre justice. Je m’étendrais davantage sur cette matière, si l’amitié qui est entre nous ne m’avait appris que je ne lui ferais pas plaisir. Voyez la préface du projet de ce Dictionnaire que je lui ai adressée. Au reste, on ne pouvait pas soutenir plus doctement, ni plus finement qu’il a fait, le paradoxe de l’orthodoxie d’Épicure, sur le chapitre de la providence. Il n’a pas oublié de se prévaloir [114] du Vis abdita quædam de Lucrèce. Lorsque M. Minutoly eut su que ce livre de M. du Rondel avait paru, il m’écrivit que dans le recueil de Jean-Michel Brutus il y a une lettre de Pierre Victorius à Jean della Casa, archevêque de Bénévent, qui roule sur la question si Lucrèce qui, dans le commencement de son poème, invoque Vénus, ne pèche pas en cela contre la doctrine d’Épicure, et si cela est compatible avec l’inaction que ce philosophe donnait aux dieux.

(M) Il s’est élevé tant d’illustres défenseurs de sa morale. ] Le savant Gassendi remarque qu’aussitôt que l’on commença de ressusciter les belles lettres au XVe. siècle, il y eut d’habiles gens qui parlèrent pour Épicure opprimé depuis tant de siècles barbares sous un tas de préjugés. Cùm Epicurus infantis fuisset habitus totâ illâ penè sæculorum serie, quâ litteræ bonæ sepultæ jacuerunt ; vix tamen libros humaniores, pulvere excusso, rediisse in manus ante duo ferè sæcula, quàm omnes penè eruditi symbolum pro eo contulerunt[115]. Il nomme Philelphe, Alexander ab Alexandro, Cœlius Rhodiginus, Volaterran et Jean-François Pic[116]. Il observe sur la foi de Jean Trithème que Baptiste Guarinus a fait un livre de la secte d’Épicure. Il ajoute que Marc-Antoine Bonciarius en avait composé un, pour établir qu’Épicure est de tous les anciens philosophes celui qui s’est le plus approché de la vérité [117]. Enfin, outre Palingénius, dont il rapporte plusieurs vers à la louange d’Épicure, il remarque qu’André Arnaud, auteur provençal, a fait une apologie de ce philosophe. Andreas Arnaudus Forcalqueriensis in hâc Provinciâ Prosenescallus, in libello cui nomen Joci, Apologiam pro Epicuro inter cætera edidit, brevem illam quidem, et foliolis paucis ; sed in quâ tamen ea delibantur ex Laërtio præsertim, atque Senecâ, undè convincatur, quòd vir ille pereruditus initio proposuit, fuisse Epicurum injustiùs lacessitum, et laniatum ab obtrectatoribus [118]. Les curieux ne me sauront pas mauvais gré de trouver ici un plus long éclaircissement touchant cette apologie. J’en suis redevable à l’obligeant et très-docte M. Minutoly [119]. Voici ce qu’il m’écrivit au mois de novembre 1963. « Je trouvai l’autre jour un petit livre imprimé à Avignon, intitulé : Andreæ Arnaudi, Joci, Epistolæ, Rara, Epigrammata, Tumuli, Apologiæ, Cette dernière classe de pièces contient les Apologies de Bacchus, d’Épicure, de Phalaris et d’Apulée..... Dans le Recueil des Épîtres, il y en a une de Guirandus Arnaudo, où après lui avoir parlé avantageusement de Ravisius Testor, dont il lui envoyait les dialogues comme une nouveauté, il lui dit : In nono dialogo miraberis Textorem cujus scripta tantam doctrinam testantur, tam malè de Epicuri voluptate testari, nec animadvertisse Epicurum opinione Sardanapalum, re stoïcissimum, Bacchanalia simulâsse, et Curios vixisse. Epigr. 152.

Nam licet illecebris hominem velit esse beatum,
Stoïcus intereà moribus ipse fuit.

Ita Frusius, sed tu fusiùs nuper dicebas et docebas, cùm non sine miratione opinionem quorundam rapiebas ad paradoxum de Baccho, Epicuro, Phalaride et Apuleio. O nostri sæculi felicitudo, si omnes Epicuri essent, nulla hypocrisis ; si Bacchi, nulla Bacchanalia ; si Phalarides, nulla injustitia ; si Apuleii, nulla ineloquentia. »

J’ai oublié de dire que Gassendi a fait mention d’Érycius Putéanus parmi ceux qui ont loué Épicure. Le fameux don Francisco de Quévédo, fit imprimer à Madrid une apologie de ce philosophe, l’an 1635. Son livre est intitulé Epicteto Español en versos con consonantes, con el origen de los Estoicos y su defensa contra Plutarcho, y defensa de Epicuro contra la opinion comun[120]. Je n’ai point vu celle que Sarrazin a écrite en notre langue pour la morale d’Épicure. Le sieur Colomiés en fait mention dans la page 125 de sa Bibliothéque choisie. Mais j’ai vu les Réflexions de M. de St.-Évremond sur cette matière[* 3] : elles sont curieuses et de bon goût. On les trouve dans l’édition de ses œuvres, contrefaite en Hollande, l’an 1693, à la fin du IIIe. tome. On les avait imprimées à Amsterdam, l’an 1684, avec trois ou quatre pièces du même auteur. M. le baron des Coutures publia la morale de ce philosophe, avec des réflexions, l’an 1685 : l’édition de Paris fut contrefaite deux fois en Hollande la même année[121]. Ce livre fait voir Épicure par un très-beau côté, et vaut un panégyrique. Il nous produit le chancelier de l’église et de l’université de Paris[122], sur le pied d’un apologiste d’Épicure. La Mothe-le-Vayer [123] et Sorbière[124] ont joué le même rôle ; mais je ne crois point qu’en quelque pays, ou en quelque temps que l’on ait écrit pour ce philosophe, on ait égalé notre Gassendi. Ce qu’il a fait là-dessus est un chef-d’œuvre, le plus beau et le plus judicieux recueil qui se puisse voir, et dont l’ordonnance est la plus nette et la mieux réglée. M. le chevalier Temple, si illustre par ses ambassades et par ses beaux livres, s’est déclaré depuis peu le défenseur d’Épicure, avec une adresse toute particulière [125].

(N) Lui et plusieurs de ses sectateurs avaient une mauvaise doctrine, et vivaient bien. ] Rien n’est plus capable d’éteindre la dévotion dans le cœur de l’homme, et de faire entièrement renoncer au culte de Dieu, que de croire que Dieu ne fait aucun bien ni aucun mal au genre humain, qu’il ne châtie point ceux qui l’offensent, et qu’il ne récompense point ceux qui le servent. Les chrétiens les plus dévots, s’ils veulent être sincères, avoueront que le plus fort lien qui les unit à Dieu, c’est de le regarder sous l’idée de bienfaisant ; c’est de considérer qu’il distribue des récompenses infinies à ceux qui lui obéissent, mais que d’ailleurs il punit éternellement ceux qui l’offensent. Voici un homme qui s’acquittait des devoirs de la religion suivant la coutume de son pays[126], sans aucun motif d’intérêt ; car il faisait profession de croire que les dieux ne distribuaient ni peines ni récompenses [127]. « Il était fort assidu aux temples, et la première fois que Dioclès le vit, il ne put s’empêcher de s’écrier : quelle fête ! quel spectacle pour moi de voir Épicure dans un temple[128] ! tous mes soupçons s’évanouissent, la piété reprend sa place, et je ne vis jamais mieux la grandeur de Jupiter, que depuis que je vois Épicure à genoux. Ὦ πανήγυρις ὀϕθαλμῶν, etc. » J’ajoute à cela ces paroles de Laërce : Τῆς μὲν γὰρ πρὸς Θεοὺς ὁσιότητος, καὶ πρὸς πατρίδα ϕιλίας ἄλεκτος ἡ διάθεσις[129]. Selon quelques-uns elles veulent dire, qu’il eut un attachement ineffable à la piété et à l’amour de la patrie[130] ; mais jusqu’ici les éditions de Laërce nous fournissent une autre interprétation. Les paroles grecques y signifient qu’Épicure ne se relâcha jamais ni dans le culte des dieux, ni dans le zèle pour le bien de la patrie : Nam quid de cultu in Deos, et de amicitiâ adversùs patriam dicam, quam constantissimè usque ad finent tenuit ? Il semble que le traducteur ait lu non pas ἄλεκτος, comme il y a dans l’imprimé, mais ἄληκτος. De quelque façon qu’on traduise, on trouve là un grand éloge de la piété d’Épicure.

Pour réfuter pleinement ceux qui l’accusent de goinfrerie, il suffit de les renvoyer au témoignage que ses ennemis mêmes lui ont rendu sur le chapitre de la frugalité. Voyez Sénèque qui en qualité de grand stoïcien a dû le mordre en toutes rencontres, pour peu que les apparences lui fussent contraires ; il ne laisse pas de convenir qu’on faisait très-mauvaise chère dans le jardin d’Épicure. Eo lubentiùs, dit-il[131], Epicuri egregia dicta commemoro, ut istis, qui ad illa confugient, spe malâ inducti, qui velamentum seipsos suorum vitiorum habituros existimant, probem, quocumque ierint, honestè esse vivendum. Cùm adierint eos hortulos, et inscriptum hortulis, Hospes hìc benè manebis, hìc summum bonum voluptas est : paratus erit istius domicilii custos, hospitalis, humanus, et te polentâ excipiet, et aquam quoque largè ministrabit, et dicet ; Ecquid benè acceptus es ? Non irritant, inquam, hi hortuli famem, sed extinguunt : nec majorent ipsis potionibus sitim faciunt, sed naturali et gratuito remedio sedant. Peu s’en faut que, de l’aveu de Sénèque, les hôtes de notre Épicure ne vécussent au pain et à l’eau. Voyez plusieurs semblables autorités dans le livre que je cite[132]. Pour ce qui est du plaisir vénérien, non-seulement les maximes et les conseils d’Épicure étaient extrêmement sages[133], mais il prêchait tellement d’exemple, que Chrysippe son perpétuel antagoniste se vit obligé d’expliquer ce phénomène, par l’insensibilité de tempérament qu’il lui imputa. Scribit Stobæus quempiam fuisse qui et non iri captum amore virum sapientem dixerit, et ipsius Epicuri exemplo inter cœteros id probârit : Chrysippum autem contradixisse, et Epicurum quod attineret, excepisse nihil ex ejus exemplo concludi, quoniam foret ἀναίσθητος, sensu carens[134]. Je renvoie aux beaux recueils de Gassendi[135] ; mais je ne puis me passer de ces paroles de Cicéron : Ac mihi quidem, quod et ipse bonus vir fuit, et Multi Epicurei fuerunt, et hodiè sunt, et in amicitiis fideles, et in omni vitâ constantes et graves, nec voluptate, sed officio consilia moderantes, hæc videtur major vis honestatis, et minor voluptatis. Ita enim vivunt quidam, ut eorum vitâ refellatur oratio, atque ut cæteri existimantur dicere meliùs quàm facere, sic hi mihi videntur meliùs facere quàm dicere[136]. Vous voyez là Épicure et plusieurs de ses sectateurs ornés de l’éloge de bons amis, d’honnêtes gens, de personnes graves qui remplissaient exactement les devoirs de la vertu. On leur objecte seulement qu’ils ne vivaient pas selon leurs principes : objection qui n’est pas moins vraie contre les orthodoxes, et qui à leur égard est mille fois plus honteuse. Cicéron vous met en fait qu’il n’y a rien à redire aux mœurs d’Épicure, et qu’on lui reproche seulement de n’avoir pas eu assez d’esprit pour mettre d’accord ses dogmes avec sa conduite. Ratio ista quam defendis, præcepta quæ didicisti, quæ probas, funditùs evertunt amicitiam, quamvis eam Epicurus, ut facit, in cælum efferat laudibus. At coluit ipse amicitias, quasi quis illum neget, et bonum virum, et comem, et humanum. fuisse. De ingenio ejus in his disputationibus, non de moribus quæritur[137].

On s’étonnera peut-être qu’Épicure ayant pratiqué une si belle morale, soit tombé dans une infamie qui a rendu odieuse et sa secte et sa mémoire, pendant plusieurs siècles, partout où il a été connu. Je fais là-dessus trois petites observations. J’observe premièrement qu’il faut reconnaître ici comme en plusieurs autres choses l’empire de la fatalité. Il y a des gens heureux ; il y a des gens malheureux : c’est la meilleure raison qu’on puisse donner de leur diverse fortune. Je dis en second lieu que la concurrence d’Épicure avec le célèbre philosophe qui fut le fondateur des stoïciens, a dû produire de fâcheuses suites. Les stoïciens faisaient profession d’une morale sévère : se commettre avec ces gens-là c’était à peu près le même inconvénient que d’avoir aujourd’hui des démêlés avec les dévots. Ils intéressaient la religion dans leur querelle ; ils faisaient craindre que la jeunesse ne fût pervertie ; ils alarmaient tous les gens de bien ; on ajoutait foi à leurs délations : le peuple se persuade aisément que le vrai zèle et l’austérité des maximes vont toujours ensemble. Il n’y avait donc point d’aussi grands destructeurs de réputation que ces gens-là. Il ne faut donc pas trouver étrange qu’à force de décrier Épicure, et d’employer contre lui les fraudes pieuses, les suppositions de lettres, ils aient formé des impressions désavantageuses qui ont duré fort long-temps. Je dis en troisième lieu, qu’il était facile de donner un mauvais sens aux dogmes de ce philosophe, et d’effaroucher les gens de bien avec le terme de volupté dont il se servait. Si l’on n’en avait parlé qu’en y ajoutant ses explications, on n’eût pas gendarmé le monde ; mais on écartait avec soin tous les éclaircissemens qui lui étaient favorables ; et puis il se trouva quelques Épicuriens qui abusèrent de sa doctrine. Ils ne se débauchèrent pas à son école, mais ils eurent la finesse de mettre à couvert leurs débauches sous l’autorité d’un si grand nom. Non ab Epicuro impulsi luxuriantur, sed vitiis dediti, luxuriam suam in philosophiæ sinu abscondunt ; et eo concurrunt, ubi audiunt laudari voluptatem. Nec æstimatur voluptas illa Epicuri (ita enim mehercules sentio) quàm sobria et sicca sit : sed ad nomen ipsum advolant, quærentes libidinibus suis patrocinium aliquod ac velamentum[138]. Consultez Gassendi, qui développe ceci à merveille, et qui montre de quelle manière plusieurs grands hommes, entraînés par le torrent, ont suivi de siècle en siècle les préjugés établis, sans examiner les choses au fond. Plusieurs pères sont dans le cas ; mais Grégoire de Naziance ne se laissa point tromper[139], et je me souviens d’avoir lu dans Origène [140], que les sectateurs d’Épicure s’abstenaient de l’adultère autant que les stoïciens, quoiqu’ils le fissent par un différent motif.

(O) Il avait une très-bonne morale par rapport à l’obéissance qui est due aux magistrats. ] Nous avons vu ci-dessus [141] comment on le loue de n’avoir jamais varié dans le zèle pour le bien de la patrie. Il n’en sortit point dans le temps fâcheux, il voulut avoir sa part des maux que souffraient ses compatriotes. Il se nourrit de fèves, et il en nourrit ses disciples, pendant que Démétrius assiégeait Athènes, et il les partagea avec eux ; comptées une par une : Κυάμους πρὸς ἀριθμὸν μετ᾽ αὐτῶν διανεμόμενον Fabas cum ipsis ad numerum partitum[142]. Il souhaitait de bons souverains, et se soumettait à ceux qui gouvernaient mal[143]. C’est une maxime très nécessaire au bien public ; c’est le fondement de la sûreté de tous les états. Je suis témoin, disait un sage moderne[144], et non pas un juge de la vie des princes ; et quand je n’approuverais pas leur conduite, je me tiendrais ferme à ce vieux oracle : Bona tempora voto expetere ; qualiacunque tolerare. Cela est pris de Tacite [145], et se trouve aussi dans la harangue qu’un empereur fit à ses soldats. Χρὴ δ᾽ ἄνδρας γενναίους τε καὶ σώϕρονας ἔυχεσθαι μὲν ὑπάρχειν τὰ βέλτιςα, ϕέρειν δὲ τὰ προσπίπτοντα. Decet autem viros fortes atque moderatos optima quidem optare sed ferre quæcunque incidant[146].

(P) Il fut beaucoup plus célèbre après sa mort que pendant sa vie. ] Sénèque, parlant de plusieurs grands hommes qui n’avaient pas reçu de leur siècle la justice qu’ils méritaient, n’oublie pas Épicure. Quàm multorum profectus, dit-il[147], in notitiam evasêre post ipsos ? quàm multos fama non excepit, sed eruit ? Vides Epicurum, quantopere non tantùm eruditiores, sed hæc quoque imperitorum turba miretur. Hic ignotus ipsis Athenis fuit, circa quas delituerat. Multis itaque jam annis Metrodoro suo superstes, in quâdam epistolâ, cùm amicitiam suam et Metrodori, gratâ commemoratione cecinisset, hoc novissimé adjecit, nihil sibi et Metrodoro inter bona tanta nocuisse, quod ipsos illa nobilis Græcia non ignotos solium habuisset sed penè inauditos. Numquid ergò non posteà, quàm esse desierat, inventus est ? numquid non optio ejus emicuit ? Hoc Metrodorus quoque in quâdam epistolâ confitetur, se et Epicurum non satis eminuisse ; sed post, se et Epicurum, magnum paratumque nomen habituros, apud eos qui voluissent per eadem ire vestigia. Remarquez qu’au temps de Senèque, non-seulement les doctes, mais aussi les ignorans avaient de l’admiration pour Épicure. Un père de l’église va témoigner que Métrodore ne se repaissait pas d’illusions, ou de vaines espérances, en s’imaginant que la secte d’Épicure, son bon ami, ferait plus de bruit dans les siècles à venir, qu’elle n’en faisait pendant leur vie. Lactance déclare que cette secte a toujours été plus florissante que les autres[148].

(Q) Plutarque a eu l’équité de faire voir qu’il n’y avait rien dans... son Festin, qui ne fût digne d’un philosophe. ] On connaît ses préventions contre Épicure, et ainsi l’on est assuré qu’il ne lui fait point de grâce, et que s’il le justifie, c’est parce qu’il trouve qu’on le critique mal à propos. Il commence par dire qu’on le deschiroit comme homme impudent qui avoit importunément mis en avant un propos, qui n’estoit ni beau ni honneste, et encore moins necessaire ; mesmement en un banquet où il y avoit force jeunes gens, d’aller faire mention des œuvres de Vénus, un homme vieil et ancien comme lui, devant de jeunes adolescens, et proposer la question, s’il est meilleur avoir affaire aux femmes devant ou après le souper, cela sembloit procéder d’extrême incontinence[149]. Il dit ensuite que Zopirus le médecin, qui estoit fort versé dans la lecture de ce philosophe, représenta à ces critiques : « Qu’ils n’avoient pas assez diligemment leu le convive d’Épicurus, parce qu’il n’avoit pas pris ceste question à traiter dés le commencement, comme un sujet expressément choisi, pour terminer encore leur devis à ne parler d’autre chose que d’icelui : mais ayant fait lever les jeunes hommes de table, pour se pourmener après le souper, il en commença à discourir pour les induire à continence et temperance, et les retirer des cupiditez dissolues, comme de chose tousjours dangereuse à faire tomber l’homme en quelque inconvenient, mais qui faisoit encore plus de mal à ceux qui en usaient après avoir bien beu et fait grand chere en un festin. Et quand bien, dit-il, il eust pris pour son principal sujet, le discourir de ce poinct-là, est-il impertinent et du tout malseant à un philosophe de traiter et enquerir du temps propre et commode à couscher avec les femmes, ou bien (estant certain qu’il vaut trop mieux en user en temps oportun, et avec raison, qu’autrement) est-il deshoneste d’en deviser en un festin à la table, encore qu’il ne fust pas impertinent d’en disputer ailleurs ? Quant à moi, il me semble au contraire, qu’on pourroit avec raison reprendre et blasmer un philosophe qui disputeroit publiquement de plein jour en son escole, devant toute sorte de gens, de ceste matiere ; mais estant la table mise devant ses familiers et amis, là où il est quelquefois expedient de diversifier, en buvant, un propos qui sera ou tiede ou froid, comment voulons-nous qu’il soit deshoneste de dire et d’ouïr chose qui soit salubre et utile aux hommes pour l’usage de la compagnie des femmes ? car quant à moi, par le chien[150], j’aimerois mieux que les esquarquillemens de Zénon eussent esté couchez en quelque livre de banquet, et en quelque joyeux traité, qu’en une composition si grave, et si sérieuse, comme sont les livres du gouvernement de la chose publique[151]. » Voilà donc Épicure justifié par un écrivain qui n’était guère de ses amis ; le voilà, dis-je, justifié et quant au fond, et quant aux manières, contre un tas de médisans qui avaient tort dans le fond, et qui rapportaient de mauvaise foi les circonstances. Mais voici une autre sorte de justification. Plutarque l’imite : il traite à table la même question ; il la tourne de tous les côtés ; il en raisonne en grand maître. C’est néanmoins l’un des plus graves auteurs du paganisme, et celui qui se déclarait le plus constamment pour les bonnes mœurs. Ce qui doit apprendre à nos faux dévots, et à nos faux délicats, qu’ils se scandalisent témérairement de la liberté qu’on s’est donnée dans ce Dictionnaire, de rapporter ce qu’on nomme matières grasses. Nos médecins chrétiens, je parle même de ceux qui conservent soigneusement le caractère de la gravité, et qui témoignent beaucoup de zèle pour la pureté des mœurs, ne traitent-ils pas la même question que l’on blâmait Épicure d’avoir traitée ? Quel que soit leur style, la peuvent-ils examiner sans remuer des ordures, et sans offrir à l’esprit une infinité d’images obscènes ? Mais ne serait-on pas ridicule de prétendre sous ce prétexte, qu’ils ne doivent pas la discuter, quelque utiles que puissent être les règlemens, les ménagemens, les observations qu’ils étalent ? Notez qu’Amyot, évêque d’Auxerre, et grand aumônier de France, n’a fait nul scrupule de publier en français le chapitre dont j’ai cité des morceaux : cependant il est tout farci de matières grasses qu’il a exprimées bien naïvement. Avouons aussi que la morale de Plutarque y est très-belle : il veut par un principe de religion, qu’on prenne la nuit : Car tout le monde, dit-il[152], n’a pas le grand loisir d’Épicurus, ni provision pour toute sa vie de ce grand repos qu’il disoit avoir acquis par les lettres et l’estude de philosophie, ains n’y a celui qui ne se trouve par chacun jour assailli de plusieurs affaires, et de plusieurs exercices qui le travaillent infiniement, ausquels il n’est ni beau ni bon d’exposer le corps ainsi resolu, afoibli et debilité d’un furieux exploit de concupiscence. Parquoi laissons lui tenir quant à lui sa folle opinion, que les Dieux estans immortels et bien heureux, ne se soucient et ne s’entremettent point de nos affaires : mais nous obeissans aux lois, us et coustumes de nostre pays, ainsi comme tout homme de bien doit faire, donnons-nous bien garde d’entrer le matin au temple, et de mettre la main aux sacrifices, venans tout freschement de faire un tel acte. Car il est honeste qu’interposans la nuict et le sommeil entre deux, et y mettans suffisant espace et intervalle, nous nous y venions presenter purs et nets, comme nous estans levez en un autre jour nouveau avec toute nouvelle pensée, ainsi que dit Democritus.

(R) La doctrine qui rejette la providence de Dieu, et l’immortalité de l’âme, ôte à l’homme une infinité de consolations, etc. ] Plutarque prouve cela si solidement, qu’après avoir lu ce qu’il expose, on ne peut être assez étonné du pouvoir qu’ont sur notre esprit les premières impressions de certains objets. La première idée qui se présente à ceux qui veulent examiner l’état de l’irréligion, est l’idée d’une liberté fort heureuse selon le monde, dans laquelle on satisfait tous ses désirs sans aucune crainte, sans aucun remords. Cette idée s’enracine si avant dans l’âme, et en occupe tellement la capacité, que si quelqu’un nous vient dire que l’état d’un homme pieux n’est point comparable, en fait d’avantages temporels, à celui d’un épicurien, nous rejetons cela comme un mensonge très-absurde. Et cependant ce mensonge prétendu a de son côté une foule de raisons très-fortes, comme Plutarque l’a fait voir. La bonne foi de cet auteur dans cette partie de sa dispute me paraît considérable, en cas qu’il ait bien connu combien ses raisons pouvaient servir à disculper l’épicuréisme ; car s’il est certain qu’en niant la providence de Dieu et l’immortalité de l’âme, on se prive de mille douceurs et de mille consolations, ce n’est point par des motifs d’intérêt, par amour-propre, par attachement à la volupté, qu’Épicure a choisi l’hypothèse philosophique qu’il a enseignée. Il aurait plutôt choisi l’autre, s’il se fût déterminé par de semblables motifs. Il y a beaucoup de choses à dire sur cette matière ; mais il vaut mieux les renvoyer à un autre livre[153], où j’examinerai aussi une objection que M. le Fèvre a proposée contre Plutarque. Il l’accuse de s’être contredit, et pour le prouver il allègue ce que Plutarque disputant contre Épicure a observé sur les avantages et sur le bonheur temporel de la religion, et ce que le même Plutarque a soutenu en un autre endroit, que la superstition est pire que l’athéisme[154].

(S) Quelques apologistes d’Épicure auraient dû s’efforcer de montrer que son impiété coulait naturellement... de l’existence éternelle de la matière. ] Il y eut parmi les physiciens du paganisme une grande diversité d’opinions sur l’origine du monde, et sur la nature de l’élément, ou des élémens dont ils prétendirent que les corps particuliers furent formés. Les uns soutinrent que l’eau fut le principe de toutes choses, d’autres donnèrent cette qualité à l’air, d’autres au feu, d’autres à des parties homogènes, etc. : mais ils s’accordèrent tous en ce point, que la matière du monde était improduite. Il n’y eut point de dispute entre eux sur la question si quelque chose avait été faite de rien ; ils convinrent tous que cela était impossible, et par conséquent l’éternité indépendante qu’Épicure attribuait aux atomes n’était point un sentiment que les autres sectes pussent condamner à l’égard de cette existence nécessaire et incréée, car chacune d’elles attribuait la même nature aux principes qu’elle admettait. Or je dis que cette impiété une fois posée, que Dieu n’est point le créateur de la matière, il est moins absurde de soutenir, comme faisaient les épicuriens, que Dieu n’était pas l’auteur du monde, et qu’il ne se mêlait pas de le conduire, que de soutenir, comme faisaient plusieurs autres philosophes, qu’il l’avait formé, qu’il le conservait, et qu’il en était le directeur. Ce qu’ils disaient était vrai ; mais ils ne laissaient pas de parler inconséquemment, et c’était une vérité intruse ; elle n’entrait point dans leur système par la porte, elle y entrait par la fenêtre : ils se trouvaient dans le bon chemin, parce qu’ils s’étaient égarés de la route qu’ils avaient prise au commencement. S’ils avaient su s’y conduire, ils n’eussent pas été orthodoxes, et ainsi leur orthodoxie était une production bâtarde et monstrueuse, elle était sortie de leur ignorance par accident ; ils en étaient redevables à l’incapacité de raisonner juste. Ce reproche était encore beaucoup plus fort à l’égard des philosophes qui précédèrent Anaxagoras, puisqu’ils expliquèrent la génération du monde, sans faire intervenir le doigt de Dieu[155]. Si après cela ils admettaient la providence divine, ils raisonnaient beaucoup plus mal que ceux qui ne l’admettaient qu’après avoir supposé que l’entendement divin présida au débrouillement du chaos et à la première formation des parties de ce monde.

Si je n’en disais pas davantage, la plupart de mes lecteurs s’imagineraient que je débite un paradoxe aussi impie que le dogme même d’Épicure. Il faut donc développer tout ceci le plus nettement qu’il sera possible. Pour cet effet, je dois établir d’abord ce fondement que, selon le système de tous les philosophes païens qui croyaient un Dieu, il y avait un être éternel et incréé distinct de Dieu : c’était la matière. Cet être ne devait son existence qu’à sa propre nature. Il ne dépendait d’aucune autre cause, ni quant à son essence, ni quant à son existence, ni quant à ses attributs et à ses propriétés. On n’a pu donc dire sans choquer les lois et les idées de l’ordre, qui sont la règle de nos jugemens et de nos raisonnemens, qu’un autre être a exercé sur la matière un si grand empire, qu’il l’a tout-à-fait changée ; et par conséquent, ceux qui ont dit que la matière, ayant existé par elle-même, éternellement sans être un monde, a commencé à être un monde lorsque Dieu s’est appliqué à la mouvoir en cent façons différentes, à la condenser en un lieu, à la raréfier en un autre, etc., ont avancé une doctrine qui choque les notions les plus exactes à quoi l’on soit tenu de se conformer en philosophant. Si Épicure avait ainsi questionné un platonicien, dites-moi, je vous prie, de quel droit Dieu a ôté à la matière l’état où elle avait subsisté éternellement ? quel est son titre ? d’où lui vient sa commission pour faire cette réforme ? Qu’aurait-on pu lui répondre ? Eût-on fondé le titre sur la force supérieure dont Dieu se trouvait doué ? Mais en ce cas-là ne l’eût-on point fait agir selon la loi du plus fort, et à la manière de ces conquérans usurpateurs, dont la conduite est manifestement opposée au droit, et que la raison et les idées de l’ordre nous font trouver condamnable ? Eût-on dit que Dieu étant plus parfait que la matière, il était juste qu’il la soumît à son empire ? mais cela même n’est pas conforme aux idées de la raison. Le plus excellent personnage d’une ville n’est pas en droit de s’en rendre maître ; et il ne peut y dominer légitimement, à moins qu’on ne lui confère l’autorité. En un mot, nous ne connaissons point d’autre titre légitime de domination, que celui que la qualité de cause, ou la qualité de bienfaiteur, ou celle d’acheteur, ou la soumission volontaire, etc., peuvent conférer. Or, rien de tout cela n’a lieu entre une matière incréée et la nature divine : il faut donc conclure que, sans violer les lois de l’ordre, Dieu ne pourrait se rendre maître de cette matière pour en disposer à sa fantaisie. Si vous m’alléguez ce qui se passe entre l’homme et les autres animaux, cet empire qu’il exerce sur les bêtes sans les avoir ni produites, ni nourries[156], je vous répondrai [157] que ses besoins ou ses passions étant la base de cet empire, cela ne peut point servir à faire comprendre que Dieu se soit emparé du commandement sur la matière, lui qui n’a besoin de rien[158], et qui trouve en soi-même tout le fond de sa béatitude infinie, et qui n’est capable d’aucune passion, et qui ne peut faire aucune action qui ne soit parfaitement conforme à la justice la plus exacte. Un platonicien qu’on presserait de la sorte, se verrait contraint de dire que Dieu n’exerça son pouvoir sur la matière que par un principe de bonté. Dieu, dirait-il [159], connaissait parfaitement ces deux choses : l’une, qu’il ne ferait rien contre le gré de la matière en la soumettant à son empire ; car comme elle ne sentait rien, elle n’était point capable de se fâcher de la perte de son indépendance ; l’autre, qu’elle était dans un état de confusion et d’imperfection, un amas informe de matériaux dont on pouvait faire un excellent édifice, et dont quelques-uns pouvaient être convertis en des corps vivans, et en des substances pensantes ; il voulut donc communiquer à la matière un état plus beau et plus noble que celui où elle était. Y a-t-il là quelque chose qui ne soit digne de l’être souverainement juste, et souverainement bon ? Voilà, ce me semble, ce qu’un platonicien pourrait répondre de plus sensé ; mais il me semble aussi qu’Épicure ne demanderait pas mieux que de voir réduire à ces termes-là cette controverse. Il aurait beaucoup de difficultés à proposer :

I. Il demanderait d’abord s’il peut y avoir un état plus convenable à une chose, que celui où elle a toujours été, et où sa propre nature, et la nécessité de son existence, l’ont mise éternellement ; une telle condition n’est-elle pas la plus naturelle qui se puisse imaginer ? ce que la nature des choses, ce que la nécessité à laquelle tout ce qui existe de soi-même doit son existence, a réglé et déterminé, peut-il avoir besoin de quelque réforme ? ne doit-il pas durer nécessairement une éternité, et n’est-ce pas une preuve que toute réforme viendrait trop tard, et serait par conséquent incompatible avec la sagesse du réformateur ?

II. Mais supposons la maxime, Il vaut mieux tard que jamais, præstat serò quàm nunquàm, comment fera ce réformateur pour changer l’état et la condition de la matière ? ne faudra-t-il pas qu’il y produise le mouvement ; et pour cela ne faudra-t-il pas qu’il la touche, et qu’il la pousse ? S’il la peut toucher et pousser, il n’est pas distinct de la matière ; et s’il n’est pas distinct de la matière, c’est à tort que vous admettez deux êtres incréés, l’un que vous appelez matière, l’autre que vous appelez Dieu. S’il n’y a en effet que de la matière dans l’univers, notre dispute est finie : cet auteur du monde, ce directeur, cette providence divine dont il s’agissait, s’en vont en fumée. S’il est distinct de la matière, il n’a aucune étendue ; dites-moi donc comment il se pourra appliquer à des corps pour les chasser de leur place ? Le platonicien répondrait que la matière a eu toujours du mouvement, et qu’ainsi il a seulement fallu le diriger : mais on lui répliquerait que, pour diriger le mouvement de certains corps, il en faut remuer d’autres. Cela paraît dans la manœuvre des vaisseaux, et dans toutes les machines : c’est pourquoi la nature divine, si elle n’était pas corporelle, ne pourrait pas plus aisément donner une nouvelle détermination à un mouvement existant, que produire de nouveau le mouvement. Notez qu’Aristote a trouvé absurde la supposition du mouvement éternel de la matière. Il réfute très-bien Platon qui a dit qu’avant la formation du monde, il y avait dans les élémens une agitation déréglée[160] : il le convainc de contradiction ; et il observe en général contre tous ceux qui ont enseigné que le mouvement antérieur à l’existence du monde était en désordre, qu’ils avançaient une absurdité, vu que le mouvement qui convient à plus de choses, et plus long-temps, doit être censé naturel ; d’où il s’ensuit que la production du monde serait plutôt un renversement de l’état de la nature, qu’une introduction du vrai état naturel : Ἔτι, τὸ ἀτάκτως, οὐδέν ἐστιν ἕτερον, ἢ τὸ παρὰ ϕύσιν, ἡ γὰρ τάξις ἡ οἰκεία, τῶν αἰσθητῶν ϕύσις ἐστίν· ἀλλὰ μὴν καὶ τοῦτο ἄτοπον καὶ ἀδύνατον, τὸ ἄπειρον ἄτακτον ἔχειν κίνησιν· ἔστι γὰρ ἡ ϕύσις ἐκείνη τῶν πραγμάτων, οἵαν ἔχει τὰ πλείω, καὶ τὸν πλείω χρόνον. Συμϐαίνειν οὖν αὐτοῖς τοὐναντίον, τὴν μὲν ἀταξίαν εἶναι κατὰ ϕύσιν, τὴν δὲ τάξιν καὶ τὸν κόσμον παρὰ ϕύσιν· καίτοι οὐθὲν ὡς ἔτυχε γίγνεται τῶν κατὰ ϕύσιν : Pretereà inordinatè quippiam fieri nil aliud est, quàm fieri propter naturam : ordo enim proprius sensibilium natura nimirum est. At verò et hoc absurdum est ac impossibile, infinitum inquam inordinatum motum habere. Est enim ea natura rerum quam plures et majori tempore habent. Contrarium igitur ipsis accidit, inordinationem quidem esse secundùm naturam, ordinem verò mundumve præter naturam : et tamen nihil eorum, quæ sunt secundùm naturam, fit fortè fortunâ[161]. C’est pourquoi il remarque qu’Anaxagoras, qui supposa que les parties de la matière étaient en repos quand le monde commença d’être produit, avait entendu habilement cette affaire-là [162]. Revenons à Épicure.

III. Ne comptons pour rien toutes mes raisons à priori, si vous voulez, dirait-il encore au platonicien. Je renonce même à cette objection, c’est que la bonté pour être louable doit être accompagnée du jugement. Or, nous ne voyons pas quelles personnes judicieuses, quelque bon que soit leur naturel, s’ingèrent de leur propre mouvement dans les désordres domestiques de leur prochain : ils se contentent de mettre un bon ordre chez eux[163]. Un prince sage remédie aux abus de son état ; mais il ne se mêle point de réformer les monarchies voisines ; il en laisse le soin à ceux à qui elles appartiennent. L’on pourrait présupposer sur cette idée de sagesse, que Dieu ne pouvait pas entreprendre de remédier aux imperfections de la matière. Il n’en était pas responsable, puisqu’il n’avait eu nulle part à la production des corps. C’était l’ouvrage de la nature, et c’était donc à elle d’en disposer. Je renonce à cette instance, dirait Épicure, et je vous permets de vous servir de l’exemple de ces héros, qui ont été mis au rang des dieux pour avoir rendu de grands services au genre humain[164] ; voyons d’un autre sens si ces motifs de bonté dont vous parlez n’ont pas dû céder à des raisons de sagesse.

IV. Un agent sage n’entreprend point de mettre en œuvre un grand amas de matériaux, sans en avoir bien examiné les qualités, et sans avoir reconnu qu’ils sont susceptibles de la forme qu’il aurait envie de leur donner. Et si la discussion de leurs qualités lui fait connaître qu’ils ont des défauts incorrigibles, qui feraient que leur nouvelle condition serait pire que la première, il se garde bien d’y toucher, il les abandonne à leur état, et il juge qu’il se conduira, et plus sagement, et avec plus de bonté, en laissant les choses comme elles sont, qu’en y donnant une autre forme qui deviendrait pernicieuse. Or vous convenez, vous autres platoniciens[165], qu’il y a eu dans la matière un vice réel, qui a été un obstacle au projet de Dieu ; un obstacle, dis-je, qui n’a point permis à Dieu de faire un monde exempt des désordres que nous y voyons ; et il est certain d’autre côté que ces désordres rendent la condition de la matière infiniment plus malheureuse, que ne l’était l’état éternel, nécessaire, et indépendant sous lequel elle avait été avant la génération du monde. Tout était insensible sous cet état : le chagrin, la douleur, le crime, tout le mal physique, tout le mal moral, y étaient inconnus. On n’y sentait à la vérité aucun plaisir ; mais cette privation de bien n’était pas un mal ; car elle ne saurait être un malheur qu’en tant qu’on s’en aperçoit, et qu’on s’en afflige. Vous voyez donc qu’il n’était pas d’une bonté sage de faire changer d’état à la matière, pour la métamorphoser en un monde tel que celui-ci. Elle contenait en son sein les semences de tous les crimes et de toutes les misères que nous voyons ; mais c’étaient des semences infécondes, et dans cet état elles ne faisaient pas plus de mal que si elles n’eussent pas existé : elles n’ont été pernicieuses et funestes qu’après que les animaux en ont été éclos par la formation du monde. Ainsi la matière était une camarine qu’il ne fallait pas remuer[166]. Il fallait la laisser dans son repos éternel, et se souvenir que plus on agite une matière puante, plus on répand à la ronde son infection. Ne doutons pas que la nature divine ne se soit conduite par cette idée. Ce n’est donc pas elle qui a fait le monde.

V. On ne pourrait pas répondre à Épicure que Dieu ne prévoyait pas la malignité des âmes, qui seraient écloses de ces semences de la matière ; car il répliquerait tout aussitôt : 1°. que par-là on attribuerait à Dieu une ignorance qui aurait eu des suites funestes ; 2°. que pour le moins Dieu aurait remis les choses au premier état, après avoir vu les mauvais effets de son ouvrage ; et qu’ainsi le monde n’aurait pas duré jusqu’au temps où lui, Épicure, disputait sur la doctrine de la providence avec un platonicien.

VI. Sa dernière objection serait la plus forte de toutes. Il aurait représenté à son adversaire que la notion la plus intime, la plus générale, la plus infaillible que l’on ait de Dieu, est que Dieu jouit d’une parfaite béatitude [167]. Or, cela est incompatible avec la supposition de la providence ; car s’il gouverne le monde, il l’a créé ; s’il l’a créé, il avait prévu tous les désordres qui y sont, ou il ne les avait pas prévus. S’il les avait prévus, on ne peut pas dire qu’il eût fait le monde par un principe de bonté, ce qui renverse la meilleure réponse du platonicien. S’il ne les avait point prévus, il est impossible qu’en voyant le mauvais succès de son ouvrage, il n’ait eu un très-grand chagrin. Il se sentait convaincu d’avoir ignoré les qualités des matériaux, ou de n’avoir pas eu la force d’en vaincre la résistance, comme il l’avait espéré sans doute. Il n’y a point d’ouvrier qui puisse connaître sans chagrin que ses espérances l’ont trompé ; qu’il n’a pu parvenir à son but ; qu’ayant eu dessein de travailler au bien public, il a fait une machine ruineuse, etc. Nous avons bien des idées pour connaître que Dieu ne se peut jamais trouver dans un tel cas ; mais non pas pour connaître que, si par impossible il s’y trouvait, il ne serait pas à plaindre, et très-malheureux.

VII. Si vous supposez ensuite, qu’au lieu de ruiner un tel ouvrage, il s’obstine à le conserver, et à travailler sans fin et sans cesse ou à la réparation des défauts, ou à faire en sorte qu’ils ne s’augmentent, vous nous donnez l’idée de la plus malheureuse nature qui se puisse concevoir. Il avait voulu construire un magnifique palais pour y loger commodément les créatures animées, qui devaient sortir du sein informe de la matière, et pour les y combler de bienfaits, et il se trouva que ces créatures ne firent que s’entremanger, incapables qu’elles étaient de continuer à vivre, si la chair des unes ne servait d’aliment aux autres. Il se trouva que le plus parfait de ces animaux n’épargna pas même la chair de son semblable ; il y eut des anthropophages, et ceux qui ne se portèrent pas à cette brutalité, ne laissèrent pas de se persécuter les uns les autres, et d’être en proie à l’envie, à la jalousie, à la fraude, à l’avarice, à la cruauté, aux maladies, au froid, au chaud, à la faim, etc. Leur auteur luttant continuellement avec la malignité de la matière productrice de ces désordres[168], et obligé d’avoir toujours la foudre à la main[169], et de verser sur la terre la peste, la guerre et la famine qui, avec les roues et les gibets dont les grands chemins abondent, n’empêchent pas que le mal ne se maintienne, peut-il être regardé comme un être heureux ? Peut-on être heureux, quand au bout de quatre mille ans de travail on n’est pas plus avancé qu’au premier jour dans l’ouvrage qu’on a entrepris, et que l’on souhaite passionnément d’achever ? Cette image d’infortune n’est-elle pas aussi parlante que la roue d’Ixion, que la pierre de Sisyphe, que le tonneau des Danaïdes. Je ne dis rien qui ne soit très-vraisemblable, quand je suppose qu’Épicure se persuadait que les dieux se seraient bientôt repentis d’avoir fait le monde, et que la peine de gouverner un animal aussi indocile et réfractaire que l’homme, troublerait leur félicité. Ne voyons-nous pas dans l’Écriture que le vrai Dieu, s’accommodant à notre portée, s’est révélé comme un être qui, après avoir connu la méchanceté de l’homme, se repentit, et fut marri de l’avoir créé[170], et comme un être qui se fâche, et qui se plaint du peu de succès de sa peine [171] ? Il dit, quant à Israël, j’ai tout le jour étendu mes mains contre un peuple rebelle et contredisant[172]. Je sais bien que le même livre qui nous apprend toutes ces choses nous apprend aussi à rectifier l’idée qu’elles présentent d’abord ; mais Épicure, destitué des lumières de la révélation, ne pouvait pas redresser sa philosophie. Il fallait nécessairement qu’il suîvit la route qu’un tel conducteur lui montrait. Or, en le suivant fidèlement, et appuyé sur ces deux principes, l’un que la matière existait par elle-même, et ne se laissait point manier selon les désirs de Dieu ; l’autre que la félicité de Dieu ne peut jamais être troublée le moins du monde, il a dû trouver son port dans cette conclusion-ci, c’est qu’il n’y a point de providence divine. Nous tirerons de cela quelques conséquences au profit des vérités de la religion chrétienne. Voyez la remarque qui suit. Notez que si au lieu de mettre Épicure aux prises avec un platonicien, je l’avais fait disputer avec un prêtre d’Athènes, il aurait remporté la victoire plus facilement. Voyez la remarque suivante.

(T) Le système de l’Écriture est le seul qui ait l’avantage d’établir les fondemens solides de la providence et des perfections de Dieu. ] Les objections d’Épicure, qui ont été étalées dans la remarque précédente, et qui pouvaient mettre à bout les philosophes du paganisme, disparaissent et s’évanouissent comme de la fumée par rapport à ceux à qui la révélation a enseigné que Dieu est le créateur du monde, tant à l’égard de la matière qu’à l’égard de la forme. Cette vérité est d’une importance non-pareille ; car on en tire comme d’une source féconde les dogmes les plus sublimes, et les plus fondamentaux, et l’on ne saurait poser l’hypothèse opposée à celle-là sans ruiner plusieurs grands principes du raisonnement. De ce que Dieu est le créateur de la matière, il résulte : 1°. Qu’avec l’autorité la plus légitime qui puisse être, il dispose de univers comme bon lui semble ; 2°. qu’il n’a besoin que d’un simple acte de sa volonté pour faire tout ce qu’il lui plaît ; 3°. que rien n’arrive que ce qu’il a mis dans le plan de son ouvrage. Il s’ensuit de là que la conduite du monde n’est pas une affaire qui puisse ou fatiguer ou chagriner Dieu, et qu’il n’y a point d’événemens, quels qu’ils puissent être, qui puissent troubler sa béatitude. S’il arrive des choses qu’il a défendues, et qu’il punit, elles n’arrivent pas néanmoins contre ses décrets, et elles servent aux fins adorables qu’il s’est proposées de toute éternité, et qui font les plus grands mystères de l’Évangile. Mais pour mieux connaître l’importance de la doctrine de la création, il faut aussi jeter la vue sur les embarras inexplicables à quoi s’engagent ceux qui la nient. Considérez donc ce qu’Épicure pouvait objecter aux platoniciens comme on l’a vu ci-dessus, et ce qu’on peut dire aujourd’hui contre les sociniens. Ils ont rejeté les mystères évangéliques, parce qu’ils ne les pouvaient accorder avec les lumières de la raison. Ils ne se seraient point suivis, s’ils étaient tombés d’accord que Dieu a créé la matière ; car ce principe philosophique ex nihilo nihil fit, rien ne se fait de rien, est d’une aussi grande évidence que les principes en vertu desquels ils ont nié la Trinité et l’union hypostatique. Ils ont donc nié la création ; mais que leur est-il arrivé ? C’est de tomber dans un abîme en fuyant un autre abîme[173] : il a fallu qu’ils reconnussent l’existence indépendante de la matière, et que cependant ils la soumissent à l’autorité d’un autre être. Il a fallu qu’ils avouassent que l’existence nécessaire peut convenir à une substance qui est d’ailleurs toute chargée de défauts et d’imperfections, ce qui renverse une notion très-évidente, savoir que ce qui ne dépend de quoi que ce soit pour exister éternellement, doit être infini en perfection ; car qui est-ce qui aurait mis des bornes à la puissance et aux attributs d’un tel être ? En un mot, ils ont à répondre à la plupart des difficultés que j’ai supposé qu’Épicure pouvait proposer aux philosophes qui admettaient l’éternité de la matière[174]. Inférez de là en passant qu’il est très-utile à la vraie religion que l’on fasse voir que l’éternité de la matière entraîne après soi la destruction de la providence divine. On montre par ce moyen la nécessité, la vérité et la certitude de la création.

Je suis sûr qu’un des plus grands philosophes de ce siècle, et en même temps l’un des écrivains les plus zélés pour les dogmes de l’Évangile, tombera d’accord qu’en faisant l’apologie d’Épicure telle qu’on l’a vue ex hypothesi dans la remarque précédente, on rend beaucoup de service à la vraie foi. Il enseigne non-seulement qu’il n’y aurait point de providence, si Dieu n’avait point créé la matière, mais même que Dieu ignorerait qu’il y eût une matière, si elle était incréée. Je rapporterai un peu au long ses paroles : les sociniens y trouveront leur condamnation. « Que les philosophes sont stupides et ridicules ! Ils s’imaginent que la création est impossible, parce qu’ils ne conçoivent pas que la puissance de Dieu soit assez grande pour faire de rien quelque chose. Mais conçoivent-ils bien que la puissance de Dieu soit capable de remuer un fétu ? S’ils y prennent garde, ils ne conçoivent pas plus clairement l’un que l’autre ; puisqu’ils n’ont point d’idée claire d’efficace ou de puissance. De sorte que s’ils suivaient leur faux principe, ils devraient assurer que Dieu n’est pas même assez puissant pour donner le mouvement à la matière. Mais cette fausse conclusion les engagerait dans des sentimens si impertinens et si impies, qu’ils deviendraient bientôt l’objet du mépris et de l’indignation des personnes même les moins éclairées. Car ils se trouveraient bientôt réduits à soutenir qu’il n’y a point de mouvement ou de changement dans le monde, ou bien que tous ces changemens n’ont point de cause qui les produise, ni de sagesse qui les règle[175].............. Si la matière était incréée, Dieu ne pourrait la mouvoir ni en former aucune chose. Car Dieu ne peut remuer la matière, ni l’arranger avec sagesse, sans la connaître. Or, Dieu ne peut la connaître, s’il ne lui donne l’être. Car Dieu ne peut tirer ses connaissances que de lui-même. Rien ne peut agir en lui, ni l’éclairer. Si Dieu ne voyait donc point en lui-même, et par la connaissance qu’il a de ses volontés, l’existence de la matière, elle lui serait éternellement inconnue. Il ne pourrait donc pas l’arranger avec ordre ni en former aucun ouvrage. Or, les philosophes demeurent d’accord aussi bien que toi, que Dieu peut remuer les corps. Ainsi, quoiqu’ils n’aient point d’idée claire de puissance ou d’efficace, quoiqu’ils ne voient nulle liaison entre la volonté de Dieu et la production des créatures, ils doivent reconnaître que Dieu a créé la matière, s’ils ne veulent le rendre impuissant et ignorant, ce qui est corrompre l’idée qu’on a de lui et nier son existence[176]. »

Ne finissons pas sans faire cette observation. J’ai fait disputer Épicure contre un philosophe platonicien. Ce n’était pas ménager les avantages ; car il serait venu plus facilement à bout de la plupart des autres sectes que de celles de Platon. Mais son plus grand avantage eût été de disputer avec un prêtre. Donnons un essai de cela : feignons qu’Épicure lui disait : Vous me traitez d’impie, parce que j’enseigne que les dieux ne se mêlent point du gouvernement du monde : et moi je vous accuse de ne savoir pas raisonner, et outre cela de faire un grand tort aux dieux. Est-ce suivre les lumières de la raison, que de croire que Jupiter a toute puissance sur la machine du monde, lui qui est fils de Saturne et petit-fils du Ciel ? C’est bien à une divinité de trois jours comme lui, à conduire la matière qui est un être éternel et indépendant ! Sachez que tout ce qui a commencé n’est que d’hier et d’aujourd’hui en comparaison de l’éternité. Ne renversez donc point l’ordre, en soumettant à un dieu si jeune la matière de l’univers. Passons à l’autre point ; répondez-moi, s’il vous plaît : les dieux sont-ils contens de leur administration, ou en sont-ils mécontens ? Prenez bien garde à mon dilemme : s’ils sont contens de ce qui se passe sous leur providence, ils se plaisent au mal ; s’ils en sont mécontens, ils sont malheureux : or, il est contre les notions communes qu’ils aiment le mal, et qu’ils ne soient pas heureux. Ils n’aiment point le mal, répondrait le prêtre ; ils le regardent comme une offense qu’ils punissent sévèrement : de là viennent les pestes, les guerres, les famines, les naufrages, les inondations, etc. Je conclus de votre réponse, répliquerait Épicure, qu’ils sont malheureux ; car il n’y a point de vie plus malheureuse que d’être continuellement exposé à des offenses, et continuellement exposé à s’en venger. Le péché ne cesse point parmi les hommes ; il n’y a donc aucun moment dans la journée où les dieux ne reçoivent des affronts : la peste, la guerre, et les autres maux que vous venez de nommer, ne cessent jamais sur la terre ; car s’ils finissent de temps en temps dans un pays, ils ne finissent jamais à l’égard de tous les peuples, et ainsi, les dieux n’ont pas plus tôt achevé de se venger d’une nation, qu’il faut qu’ils commencent d’en punir une autre. C’est toujours à recommencer : quelle vie est-ce que cela ? Que pourrait-on souhaiter de plus atroce à son mortel ennemi[177] ? J’aime bien mieux leur attribuer un état tranquille et sans aucun soin. Mais, dirait le prêtre, vous voulez donc qu’ils regardent de sang-froid et sans y apporter nul remède les désordres du genre humain ? Cette indifférence leur est-elle bien honorable ? Ne sont-ils pas venus depuis que le ciel était formé ? dirait Épicure : ne dites-vous pas que le plus ancien des dieux qui règnent présentement compte le Ciel pour son grand-père ? Ils n’ont donc point fait le monde ; ce n’est donc point à eux à s’intéresser à ce qui se passe sur la terre ou ailleurs ? Ils savent que la matière existe de toute éternité et qu’on ne change pas la nécessité fatale des êtres qui existent par eux-mêmes : ils laissent donc passer le torrent, et n’entreprennent pas de réformer un ordre immuable. Et il ne faudrait pas s’étonner que leurs perfections fussent limitées ; car vous avouez que celles de la matière qui existe éternellement sont fort petites. Votre Jupiter et ses assesseurs au conseil céleste n’ont pas bonne grâce de vouloir punir l’impudicité, eux qui sont si infidèles à leurs épouses, et qui ont violé tant de filles. Vous ne sauriez du moins nier, répondrait le prêtre, que le dogme de la providence ne serve beaucoup à tenir les peuples dans leur devoir. Ce n’est pas de quoi il s’agit, lui répondrait-on : ne changez pas l’état de notre dispute. Nous cherchons, non pas ce qui peut avoir été établi comme une invention utile, mais ce qui émane véritablement des lumières de la raison.

(U) Rien de plus pitoyable que sa méthode..... d’expliquer la liberté. ] Il n’y a point de système d’où la nécessité fatale de toutes choses sorte plus inévitablement que de celui qu’Épicure emprunta de Leucippe et de Démocrite ; car ce qu’ils disaient, que le monde s’était formé par hasard, ou par rencontre fortuite des atomes, n’excluait que la direction d’une cause intelligente, et ne signifiait point que la production du monde ne fût la suite des lois éternelles et nécessaires du mouvement des principes corporels. Aussi est-il certain que Démocrite attribuait toutes choses à un destin nécessitant. Quùm duæ sententiæ fuissent veterum philosophorum ; una eorum qui censerent, ornnia ita fato fieri, ut id fatum vim necessitatis afferret, in quâ sententiâ Democritus, Heraclitus, Empedocles, Aristoteles fuit ; altera eorum, quibus viderentur sine ullo fato esse animorum motus voluntarii : Chrysippus tanquam honorarius arbiter, etc. [178]. Épicure, ne pouvant s’accommoder d’une opinion qui paraissait renverser toute la morale, et réduire l’âme humaine à la condition d’une machine, abandonna sur ce point le système des atomes, et se rangea du parti de ceux qui admettaient le franc arbitre dans la volonté de l’homme. Il se déclara contre la nécessité fatale, et il prit même des précautions inutiles ; car, de peur que l’on n’inférât que, si toute proposition est vraie ou fausse, tout arrive fatalement, il nia que toute proposition soit vraie ou fausse[179]. Cependant il aurait pu accorder cela sans que personne en eût pu raisonnablement conclure la nécessité du fatum. Considérez bien de quelle manière Cicéron lui montre la vérité de ce que je viens de dire. Licet enim Epicuro concedenti, omne enuntiatum aut verum aut falsum esse, non vereri ne omnia fato fieri sit necesse. Non enim æternis caussis naturæ necessitate manantibus, verum est id quod ita enunciatur : Descendit in Academiam Carneades, nec tamen sine caussis. Sed interest inter caussas fortuitò antegressas, et inter caussas cohibentes in se efficientiam naturalem. Ita et semper verum fuit : Morietur Epicurus, quùm duo et septuaginta annos vixerit, archonte Pytharato : neque tamen erant caussæ fatales cur ita accideret : sed quod ita cecidisset, certè casurum sicut cecidit fuit [180]. Cette doctrine de Cicéron a été amplement développée dans les cours de philosophie des jésuites : il n’y a point de philosophes plus ardens qu’eux à soutenir que duarum propositionum contradictoriarum de futuro contingenti, altera est determinatè vera, altera falsa ; et néanmoins on ne voit guère de gens qui se déclarent plus qu’eux pour le dogme de la liberté d’indifférence. Concluons de là qu’il se trouve des moyens de concilier le franc arbitre de l’homme avec l’hypothèse que toute proposition est vraie ou fausse. Mais, comme Épicure n’était pas fort assuré de son fait, il craignit de s’embarrasser s’il ne niait ce dogme : il n’en connaissait pas tous les tenans et aboutissans ; et ainsi, pour jouer au plus sûr, il aima mieux se retrancher dans la négative. Chrysippe n’y était guère plus éclairé ; car il croyait qu’à moins de prouver que toute proposition est vraie ou fausse, il ne viendrait pas à bout de prouver que toutes choses arrivent par la force du destin. Contendit omnes nervos Chrysippus, ut persuadeat omne ἁξίωμα aut verum esse aut falsum. Ut enim Epicurus veretur, ne, si hoc concesserit, concedendum sit fato fieri quæcunque fiant (si enim alterutrum ex æternitate verum sit, esse id etiam certum ; et si certum, etiam necessarium : ita et necessitatem et fatum confirmari putat) ; sic Chrysippus metuit, ne, si non obtinuerit, omne quod enunciatur, aut verum esse aut falsum, omnia fato fieri possint ex caussis æternis rerum futurarum [181]. Ni l’un ni l’autre de ces deux grands philosophes ne comprit que la vérité de cette maxime, toute proposition est vraie ou fausse, est indépendante de ce qu’on appelait fatum : elle ne pouvait donc point servir de preuve à l’existence du fatum, comme Chrysippe le prétendait, et comme Épicure le craignait. Chrysippe n’eût pu accorder, sans se faire tort, qu’il y a des propositions qui ne sont ni vraies ni fausses, mais il ne gagnait rien à établir le contraire ; car, soit qu’il y ait des causes libres, soit qu’il n’y en ait point, il est également vrai que cette proposition, le grand Mogol ira demain à la chasse, ou n’ira pas, est vraie ou fausse. On a eu raison de considérer comme ridicule ce discours de Tirésias [182], tout ce que je dirai arrivera ou non, car le grand Apollon me confère la faculté de prophétiser [183]. Si par impossible il n’y avait point de Dieu, il serait pourtant certain que tout ce que le plus grand fou du monde prédirait arriverait, ou n’arriverait pas. C’est à quoi ni Chrysippe ni Épicure ne prenaient pas garde.

Mais voyons ce qu’Épicure inventa pour se tirer de l’embarras du destin. Il donna à ses atomes un mouvement de déclinaison, et il établit là le siége, la source et le principe des actions libres ; il prétendit que par ce moyen il y avait des événemens qui se soustrayaient à l’empire de la nécessité fatale. Avant lui, on n’avait admis dans les atomes que le mouvement de pesanteur, et celui de réflexion. Celui-là se faisait toujours par des lignes perpendiculaires, et ne changeait jamais dans le vide ; il ne recevait du changement que lorsqu’un atome se choquait avec un autre. Épicure supposa que, même au milieu du vide, les atomes déclinaient un peu de la ligne droite, et de là venait la liberté, disait-il. Sed Epicurus declinatione atomi vitari fati necessitatem putat : itaque tertius quidam motus oritur extra pondus et plagam, quùm declinat atomus intervallo minimo, id appellat ἒλάχιςον : quam declinationem sine caussâ fieri, si minùs verbis, re cogitur confiteri..... Hanc Epicurus rationem induxit ob eam rem, quòd veritus est, ne, si semper atomus gravitate ferretur naturali ac necessariâ, nihil liberum nobis esset, quùm ita moveretur animus, ut atomorum motu cogeretur. Hinc Democritus auctor atomorum accipere maluit necessitate omnia fieri, quàm à corporibus individuis naturales motus avellere[184]. Remarquons en passant que ce ne fut pas le seul motif qui le porta à inventer ce mouvement de déclinaison, il le fit servir aussi à expliquer la rencontre des atomes ; car il vit bien qu’en supposant qu’ils se mouvaient tous avec une égale vitesse, par des lignes droites qui tendaient toutes de haut en bas, il ne ferait jamais comprendre qu’ils eussent pu se rencontrer, et qu’ainsi la production du monde aurait été impossible. Il fallut donc qu’il supposât qu’ils s’écartaient de la ligne droite [185]. Lucrèce nous va décrire ce double usage du mouvement de déclinaison.


Illud in his quoque te rebus cognoscere avemus :
Corpora cùm deorsùm rectum per inane feruntur,
Ponderibus propriis incerto tempore fermè,
Incertisque locis spatio decedere paullùm :
Tantùm quod momen mutatum dicere possis.
Quod nisi declinare solerent, omnia deorsùm,
Imbris uti guttæ, caderent per inane profundum :
Nec foret offensus natus, nec Plaga creata
Principiis : ita nil unquàm natura creâsset[186].
.........................
.........................
Denique si semper motus connectitur omnis,
Et vetere exoritur semper novus ordine certo,
Nec declinando faciunt primordia motus
Principium quoddam, quod fati fœdera rumpat,
Ex infinito ne causam causa sequatur :
Libera per terras undè hæc animantibus extat,
Undè est hæc (inquam) fatis avolsa voluntas,
Per quam progredimur, quo ducit quemque voluptas[187] ?
.........................
.........................
Quare in seminibus quoque idem fateare necesse’st,
Esse aliam præter plagas, et pondera causam
Motibus, undè hæc est nobis innata potestas :
De nihilo quoniam fieri nil posse videmus.
Pondus enim prohibet, ne plagis omnia fiant,
Externâ quasi vi, sed ne mens ipsa necessum
Intestinum habeat cunctis in rebus agendis ;
Et devicta quasi cogatur ferre, patique :
Id facit exiguum clinamen principiorum,
Nec regione loci certâ, nec tempore certo[188].


S’il s’agissait de montrer les absurdités de cette doctrine, on en montrerait plusieurs ; car, en 1er. lieu, qu’y a-t-il de plus indigne d’un philosophe que de supposer du bas et du haut dans un espace infini ? C’est néanmoins ce qu’Épicure supposa ; car il prétendit que tous les atomes se mouvaient de haut en bas. S’il eût supposé qu’ils se mouvaient par toutes sortes de lignes droites, il eût assigné une bonne cause de leur rencontre, sans être obligé de recourir au prétendu mouvement de déclinaison. En 2e. lieu, ce mouvement-là l’engageait à se contredire. Il enseignait que de rien on ne faisait rien, et cependant la déclinaison des atomes ne dépendait selon lui d’aucune cause ; elle venait donc de rien. Cette conséquence est d’autant plus forte, que nous avons vu[189] que Lucrèce avoue que les actions libres de notre âme viendraient de rien, si les atomes n’avaient pas le mouvement de déclinaison. Il prétend qu’elles ne dépendent ni du mouvement de pesanteur, ni du mouvement de répercussion des atomes ; car, en ce cas-là, il serait contraint de reconnaître qu’elles se trouvent dans l’enchaînement des causes éternelles et nécessaires, et par conséquent qu’elles sont assujetties à la fatale nécessité dont il veut les exempter. Et ce qui fait selon lui que ne dépendant nullement ni de la pesanteur, ni de la répercussion des atomes, néanmoins elles ne sont pas faites de rien, c’est que les atomes ont un mouvement de déclinaison. Je conclus de là que ce mouvement se fait de rien, ou, ce qui est la même chose, qu’il n’a point de cause[190], et je précipite Épicure dans l’abîme qu’il a voulu fuir. S’il répond qu’il est autant de la nature des atomes de décliner, que de se mouvoir de haut en bas, et de s’entre-choquer toutes les fois qu’ils se rencontrent, je réplique que leur déclinaison ne sert de rien à la liberté humaine, et n’empêche pas la fatalité : je lui soutiens ad hominem que toute la fatalité des stoïques est conservée ; car il avoue que le mouvement de pesanteur et celui de répercussion introduisent inévitablement la nécessité fatale. En 3e. lieu, il est absurde de supposer qu’un être qui n’a ni raison, ni sentiment, ni volonté, s’écarte de la ligne droite dans un espace vide, et qu’il s’en écarte non pas toujours, mais en certains temps et en certains points de l’espace non réglés[191]. Pour 4e. absurdité, je lui allègue la disproportion qui se rencontre manifestement entre la nature de la liberté, et le mouvement quel qu’il puisse être d’un atome qui ne sait ni ce qu’il fait, ni où il est, ni qu’il existe. Quelle conséquence y a-t-il entre ces deux propositions, l’âme de l’homme est composée d’atomes qui, en se mouvant nécessairement par des lignes droites, déclinent un peu du droit chemin, donc l’âme de l’homme est un agent libre ? Cicéron a très-bien jugé de cette hypothèse d’Épicure, quand il a dit qu’il serait beaucoup moins honteux d’avouer que l’on ne peut pas répondre à son adversaire, que de recourir à de semblables réponses. Hoc persæpè facitis, ut cùm aliquid non verisimile dicatis, et effugere reprehensionem velitis, afferatis aliquid, quòd omninò ne fieri quidem possit : ut satiùs fuerit illud ipsum de quo ambigebatur, concedere, quàm tam impudenter resistere : velut Epicurus cùm videret, si atomi ferrentur in locum inferiorem suopte pondere, nihil fore in nostrâ potestate, quòd esset earum motus certus et necessarius, invenit quo modo necessitatem effugeret, quod videlicet Democritum fugerat : ait atomum, cùm pondere, et gravitate directò deorsum feratur, declinare paululùm. Hoc dicere turpius est, quàm illud quod vult, non posse defendere [192]. Il a très-heureusement décrit l’embarras où ce philosophe se trouva. Nec quùm hæc ita sint, est causa cur Epicurus fatum extimescat, et ab atomis petat præsidium, easque de viâ deducat, et uno tempore suscipiat res duas inenodabiles : unam, ut sine caussâ fiat aliquid, ex quo existet, ut de nihilo quippiam fiat ; quod nec ipsi, nec cuiquam physico placet : alteram, ut quùm duo individua per inanitatem ferantur, alterum è regione moveatur, alterum declinet [193]. Il était facile, ce me semble, de l’embarrasser : Comment voulez-vous, lui pouvait-on dire, que la liberté de l’homme soit fondée sur un mouvement d’atomes qui se fait sans aucune liberté ? la cause peut-elle donner ce qu’elle n’a pas ? cent atomes qui se penchent sans savoir ce qu’ils font, peuvent-ils former un jugement par lequel l’âme se détermine avec connaissance de cause, au choix de l’un des partis qui se présentent ? Épicure eût pu connaître par-là combien il lui importait d’attribuer à chaque atome une nature animée et sensitive, comme il semble que Démocrite l’avait fait [194], et comme Platon avait supposé que la matière avait une âme avant même que Dieu eût construit le monde : Ἀκοσμία γὰρ ἦν τὰ πρὸ τῆς τοῦ κόσμου γενέσεως· ἀκοσμία δὲ, οὐκ ἀσώματος, οὐδὲ ἀκίνητον, οὐδὲ ἄψυχος ..... Ὁ γὰρ Θεὸς οὔτε σῶμα τὸ ἀσώματον, οὔτε ψυχὴν τὸ ἄψυχον ἐποίησεν. Fuit nimirum, antequàm mundus nasceretur, materies, non corporis eò, non motûs, non animæ expers..... Etenim Deus neque corpus de incorporeo, neque animam de inanimo redigit[195].

Il ne faut pas oublier ce que Cicéron rapporte, c’est que Carnéade inventa une solution bien plus subtile que tout ce que les épicuriens avaient forgé. Ce fut de dire que l’âme avait un mouvement volontaire dont elle était la cause. Acutiùs Carneades, qui docebat posse epicureos suam caussam sine hac commentitiâ declinatione defendere. Nam quùm doceret esse posse quendam animi motum voluntarium, id fuit defendi melius, quàm introducere declinationem, cujus præsertim caussam reperire non possunt : quo defenso, facilè Chrysippo possent resistere[196] .... De ipsâ atomo dici potest, quùm per inane moveatur gravitate et pondere, sine caussâ moveri, quia nulla caussa accedat extrinsecùs. Rursus autem, ne omnes à physicis irrideamur, si dicamus quicquam fieri sine caussâ, distinguendum est, et ita dicendum, ipsius individui hanc esse naturam, ut pondere et gravitate moveatur, eamque ipsam esse caussam cur ia feratur. Similiter ad animorum motus voluntarios non est requirenda externa caussa : motus enim voluntarius eam naturam in se ipse continet, ut sit in nostrâ potestate, nobisque pareat, nec id sine caussâ. Ejus enim rei caussa, ipsa natura est[197]. Il est certain que Carnéade leur fournissait là une réponse non-seulement beaucoup plus solide que celle qu’ils employaient, mais aussi la plus ingénieuse et la plus forte que l’esprit humain puisse produire. J’avoue qu’on eût pu lui demander ces actions volontaires de l’âme, qui ne dépendent point d’une cause externe, dépendent-elles de la nature de l’âme comme le mouvement de pesanteur dépend de la nature des atomes selon Épicure ? En ce cas-là, vous n’ôtez point la fatalité des stoïques ; car vous n’admettez aucun effet qui ne soit produit par une cause nécessaire. Ni Carnéade, ni aucun autre philosophe païen, n’était capable de répondre rien de positif à cette question.

  1. (*) Apud Laërt., lib. IV.
  2. (*) Non pas qu’ils aient été ainsi prononcés : mais M. le Maître orna de ces citations ses plaidoyers, particulièrement dans une édition, qu’il en fit faire exprès. Chacun sait cela. Rem. crit.
  3. * [ Ces réflexions avaient été attribuées mal à propos à M. de Saint-Évremond. Elles sont de Sarrazin, et ont été insérées dans les nouvelles Œuvres de cet auteur, imprimées à Paris en 1674. Voyez la Vie de Saint-Évremond de M. des Maizeaux, pag. 241, édit. de 1726. Add. de l’édit. d’Amst. ]
  1. Stat., lib. II, Silva II, vs. 113.
  2. Idem, lib. I, Silva III, vs. 93.
  3. Epist. XVI libri XV ad Familiares.
  4. Lib. IV, cap. XIII Var. Histor.
  5. Ménage, Anti-Baillet, tom. I, pag. 39. Je le lui avais ouï dire dans sa Mercuriale à propos de ce qu’une personne de la compagnie venait de conter, qu’un certain M. Cospean avait fait une certaine chose.
  6. Voyez tome II, pag. 407, la remarque (F) de l’article Arnauld (Antoine), docteur de Sorbonne.
  7. Diog. Laërce, liv. X, num. 26, en compte quatre. M. Ménage, ibid., en compte trois autres, outre lesquels Gassendi, Præfat. de Vitâ et Moribus Epicuri, parle d’un Épicure, faiseur d’emplâtres, dont Galien fait mention.
  8. Voyez M. Dacier, sur la IIe. satire du Ier. livre d’Horace, pag. m. 176.
  9. Lib. XII, pag. 52. Diogen. Laërce, liv. X, num. 3, appelle épicurien ce Philodème. Voyez là-dessus M. Ménage, qui croit, avec le vieux Scoliaste d’Horace, que ce poëte a parlé de ce Philodème.
  10. Vossius, de Histor. græc., lib. I, cap. XXI, pag. m. 137.
  11. Laërt, lib. X, num. 15.
  12. Du Rondel, dans la Vie d’Épicure, pag. 3 et 4.
  13. Diog. Laërt., in Epicuro, lib. X, num. 4.
  14. Du Rondel, de Vitâ et Moribus Epicuri, pag. 3.
  15. Et veniat quæ lustret anus lectumque, locumque,
    Præferat et tremula sulphur et ova manu.
    Ovid., de Arte amandi, lib. II, vs. 329.

    Voyez Loméier, de Lustrationibus Gentilium, cap. XIII, pag. 119.

  16. Joachimus Kuhnius pag. 544, edit. Laërtii, Amstelod., 1692.
  17. Voyez Loméier, de Lustrationibus, pag. 119.
  18. Épiménide en est un. Voyez Vossius, de Poëtis græcis, pag. 17.
  19. Lib. V, Fastor., apud Lomeierum de veterum Gentil. Lustrationibus, pag. 231, 232.
  20. Argon., lib. III, vs. 448, apud eumd., pag. 309.
  21. In Neeyom., apud eumd., pag. 313.
  22. Plut., in Tractatu quòd non possit suaviter vivi juxta Epicurum, pag. 1100, A.
  23. De Vitâ et Moribus Epicuri, lib. I, cap. VIII.
  24. Apologie des grands Hommes, chap. XVII, pag. m. 502.
  25. Réflexions sur la Philosophie. num. 29, pag. 361, édition de Hollande, 1686. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mai 1686, art. IV, pag. 528, où l’on ne fait qu’insinuer que c’est mal traduire Plutarque.
  26. Lib. X, num. 9.
  27. Voyez Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. I, cap. VII.
  28. Idem, ibid., ex Plutarcho.
  29. Pendant quatre ans, selon Suidas.
  30. Laërt., lib. X, num. 21.
  31. Cicero, de Finibus, lib. I, cap. XX.
  32. Ea quæ Epicuro placuerunt, ut quasdam Solonis aut Lycurgi leges ab Epicureis omnibus servari. Themistius, orat. IV. apud Gassendum, de Vitâ et Moribus Épicuri, lib. II, cap. V. Apud istos quicquid dicit Hermachus, quicquid Metrodorus ad unum refertur. Omnia quæ quisquam in illo contubernio loquutus est, unius ductu et auspiciis dicta sunt. Seneca, epist. XXXIII.
  33. Numenius, apud Euseb. Præpar. Evang., lib. XIV, cap. V, pag. 727.
  34. Laërt., lib. X, num. 9.
  35. La Monnoie, remarque MS.
  36. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. IV, cap. VIII, pag. m. 205.
  37. Jonsius, de Scriptor. Hist. Phil., pag. 350.
  38. Idem, ibid., pag. 111.
  39. Ménag., in Diogen. Laërt., lib. X, num. 9, pag. 451.
  40. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. IV. cap, VIII, pag. 205.
  41. Idem, ibidem.
  42. Voyez le Journal des Savans du 6 août 1691, pag. m. 511.
  43. Journal des Savans du 24 mars 1692, pag. m. 210.
  44. Μαθητὴς δὲ αυτοῦ τῆς σχολῆς ἐκϕοιτήσας. Ipsiusque (Epicuri) discipulus ejus relictâ scholâ. Diog. Laërt., lib. X, num. 6.
  45. Voyez la remarque (K).
  46. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, pag. 205.
  47. Diog. Laërt., in Proœmio, num. 16.
  48. Γέγονε δὲ πολυγραϕώτατος ὁ Ἐπίκουρος πάντας ὑπερϐαλλόμενος πλήθει βιϐλίων. Scripsit autem Epicurus infinita volumina, adeò ut illorum multitudine Cunctos superâvit. Idem, lib. X, num. 26.
  49. Idem, lib. VII, num. 181.
  50. Idem, lib. X, num. 26.
  51. Voyez la citation (49).
  52. Naudé, préface de l’Apologie des grands Hommes.
  53. Voyez la Ire. partie de la Prose chagrine de la Mothe-le-Vayer, pag. 341 du IXe. tome, où il est dit que Cicéron, Sénèque et Plutarque, dans leurs Œuvres philosophiques, ne laissent passer aucune occasion de rapporter ce qu’ils avaient appris des plus grands poëtes, orateurs et philosophes anciens à leur égard, dont ils tâchaient d’imiter les ouvrages, et dont ils avaient fait leurs lieux communs.
  54. La Mothe-le-Vayer, Discours de l’Éloquence française, pag. 84 du IVe. tome de l’édit. in-12.
  55. C’est le titre que Furetière lui donne dans la Nouvelle allégorique.
  56. Il surpasse même Varron, qui était savant sans être poli. M. Ménage avec beaucoup d’érudition possédait jusqu’à la bagatelle du bel esprit.
  57. Ménagiana, pag. 290 de la première édition de Hollande.
  58. C’est-à-dire, au XVIe. siècle.
  59. On n’entend pas toutes sortes de sentimens ; mais certaines opinions particulières qu’on ne fait qu’insinuer par-ci par-là.
  60. Voyez les nouvelles Lettres du Critique de M. Maimbourg, au commencement de la Xe, lettre, pag. 298, 299.
  61. Cette Apologie contient deux cent soixante quatre pages, in-8°.
  62. Voyez Saint-Amant, préface du Moïse sauvé.
  63. La Mothe-le-Vayer, tom. IX, pag. 341.
  64. Voyez l’abbé de Marolles, dans la préface de son Abrégé de l’Histoire de France.
  65. La Mothe-le-Vayer, tom. IV, pag. 83, 84.
  66. August., epist. LVI : j’ai cité ce passage tout entier tome V, pag. 474, citation (107) de l’article Démocrite.
  67. August., epist. LVI, pag. m. 273.
  68. Galenus dum interpretatur illud Hippocratis, si unum esset homo, non doleret, quia non foret undè doleret. Apud Gassendum, Phys., sect. III, lib. VI, cap. III Oper., tom. II, pag. 343. Il cite lib. de Const. art., cap. 4 de elem. 3 et 4.
  69. Plut., adv. Colot., pag. iiii.
  70. Voyez Gassendi, ibidem.
  71. Voyez les remarques (C) et (L) de l’article Dicéarque, disciple d’Aristote, tome V.
  72. Lib. I de Finib.
  73. De sanctitate, de pietate adversùs Deos libros scripsit Epicurus. At quo modo in his loquitur ? Ut Coruncanum aut Scævolam pontifices maximos te audire dicas. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XLI.
  74. Senec., de Beneficiis, lib. IV, cap. XIX.
  75. Voyez ce que Cicéron fait débiter par l’épicurien Velléius au Ier. livre de Naturâ Deorum, cap. VIII et seqq.
  76. Voyez Cicéron, là même, cap. XLIV, fin.
  77. Voyez Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. IV, cap. III.
  78. Dans la remarque (P).
  79. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I. cap. XXX. Voyez aussi cap. XVII.
  80. Diog. Laërt., lib. X, num. 123.
  81. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XXV, fin.
  82. Tertull., adv. Gentes, cap. XLVII.
  83. Quorum corpusculorum concursu fortuito et mundos innumerabiles, et animantia, et ipsas animas fieri dicit et Deos. August., epist. LVI, pag. 273.
  84. Lactant., de Irâ Dei, cap. X, pag. m. 538.
  85. Ne croyez pas néanmoins ce que tant de gens nous disent, que selon Varron il y avait deux cent quatre-vingt huit opinions différentes sur la nature du souverain bien. C’est un jeu d’esprit de Varron. Voyez saint Aug., de Civit. Dei, lib. XIX, cap. I.
  86. Voyez les Réflexions philosophiques et théologiques sur le nouveau Système de la Nature et de la Grâce, liv. I, chap. XXI, pag. 407 et suiv.
  87. Nouvelles de la République des Lettres, mois d’août 1685, art. III, pag. 876.
  88. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois de décembre 1685, art. I.
  89. Voyez les mêmes Nouvelles, mois de janvier 1686, pag. 93.
  90. Voyez la Bibliothèque universelle, tom. VII, pag. 379.
  91. Arnauld, Dissertation sur le prétendu bonheur des Sens, pag. 108.
  92. Art de penser, Ire. partie, chap. IX, pag. m. 86.
  93. Voyez Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. V.
  94. Ἡ δε οὐχ ὅτε ϕιλοσοϕεῖν ἤρξατο, ἐπαύσατο ἑταιροῦσα, πᾶσι τε τοῖς Ἐπικουρείοις συνῆν ἐν τοῖς κήποις Ἐπικούρῳ δε καὶ ἀναϕανδόν. Quæ philosophiæ operam navare cum incœpisset non ideò scortari destitit, sed Epicureis omnibus in hortis se prostituit, et palam quidem Epicuro. Athenæus, lib. XIII, pag. 588.
  95. Diog. Laërtius, lib. X, num. 3.
  96. Ex secundo libro Alciphronis, apud Gassend., de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. II.
  97. Metrodore et Léontium, sa concubine, laissèrent un fils, dont Épicure fait mention dans son testament comme un orphelin qu’il recommande. Voyez Gassendi, ibid., cap. VI.
  98. Athenæus, lib. XIII, pag. 593. Voyez l’article Léontium, remarque (D) tome IX.
  99. De Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. I.
  100. Plut. non posse vivi suaviter juxta Epicur., pag. 1089, C, ex versione Xylandri.
  101. Voyez les lettres intitulées, les Imaginaires et les Visionnaires.
  102. Ἑαυτός τε διηγεῖται μόγις ἐκϕύγειν ἰσχύσαι τὰς νυκτερινὰς ἐκείνας ϕιλοσοϕίας καὶ τὴν μυςικὴν ἐκείνην συαγωγήν. Seque ipsum narrat vix effugere potuisse nocturnas illas philosophandi consuetudines arcanamque illam conventiunculam : Laërt., lib. X, num. 6.
  103. Cur item illud sodalitium comparetur gregi sociorum Ulyssis, ac jam à nostrorum plerisque dictæ Magorum synagogæ, Gassend., de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. I.
  104. Id., ib.
  105. Laërt., lib. X, num. 6.
  106. Cicer., de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XXXIII.
  107. À Paris, chez Cramoisi, 1678, in-8°.
  108. À Paris, chez Antoine Cellier, 1679, in-12. On l’a réimprimée en Hollande avec un titre captieux. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois de janvier 1686, pag. 86.
  109. Imprimée à Leyde, 1680, in-12.
  110. À Amsterdam, 1685, in-12-
  111. À Amsterdam, 1690, in-12.
  112. À Amsterdam, 1693, in-12.
  113. Je ne prétends pas en avoir donné le liste complète.
  114. Pag. 79.
  115. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. VII, pag. m. 224.
  116. Je m’étonne qu’il oublie Laurent Valle.
  117. Voyez les Paroles de Gassendi, t. III, pag. 546 dans l’article Bonciarius, remarque (C), citation (6), où j’ai trouve une faute.
  118. Gassendus, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. VIII, pag. 224.
  119. Pasteur et professeur à Genève.
  120. Nic. Antonio, Bibl. Script. Hisp., tom. I, pag. 354.
  121. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois de janvier 1686, art. IX, pag. 86.
  122. M. Cocquelin, dans l’approbation du livre, laquelle contient quatre pages.
  123. Traité de la Vertu des Païens, au tom. V de ses Œuvres, in-12.
  124. Lettre XXXIII, in-4°.
  125. Voyez ses Œuvres mêlées : on les a traduites d’anglais en français, et imprimées à Utrecht, l’an 1694.
  126. On le voyait incessamment aux temples. Il faisait force sacrifices, et force offrandes, etc. Du Rondel, Vie d’Épicure, pag. 29. Voyez toute la suite du passage, et dans l’édition latine, voyez pag. 60.
  127. Là même, pag. 34 de l’édition française.
  128. Voyez une application de ceci dans les Nouvelles de la République des Lettres, mois de déc. 1684, au catalogue des livres nouveaux, num. II.
  129. Laërt., lib. X, num. 10.
  130. Gassendi a traduit, nam sanctitatis quidem in Deos et charitatis in patriam fuit in eo affectus ineffabilis.
  131. Seneca, epist. XXI.
  132. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VI, cap. III et IV.
  133. Voyez Laërce, lib. X, num. 118.
  134. Gassend., de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. IV : il cite Stobée, Serm. de Ven. et Am.
  135. Ibid., et cap. V, VI, VII.
  136. Cicero, de Finib., lib. II, cap. XXV.
  137. Idem, ibidem, d. C.
  138. Seneca, de Vitâ beatâ, cap. XII, pag. m. 625. Voyez les Pensées sur les Comètes, pag. 535.
  139. Il a reconnu que les mœurs d’Épicure étaient fort réglées, Iamb. XVIII. Voyez Gassendi, lib. VII, cap. IV.
  140. Origenes contra Celsum, lib. VII, pag. 375.
  141. Remarque (N), citat. (129).
  142. Plut., in Demetr., pag. 905, A.
  143. Semper vota fecit pro reipublicæ prosperitate ac vetere regimine, acquievit vero tempori præsenti ac domirus sorte datis. Donec iracundos habuit magistratus, patiens fuit ac docilis ; quùm verò bonos ac mites, gràtus fuit ac obsequiosus. Rondellus, de Vitâ et Moribus Epicuri, pag. 126.
  144. Balzac, lettre XXIV du XIVe, livre, pag. 613 de l’édit. in-fol.
  145. Hist., lib. IV, cap. VIII.
  146. Alexander Severus, apud Herodian., lib. VI, cap. III, pag. m. 262.
  147. Seneca, epist. LXXIX, pag. m. 325.
  148. Epicuri disciplina celebrior semper fuit quàm cæterorum. Lactant., divin. Instit., lib. III, cap. XVII.
  149. Plutarque, au IIIe. livre des Propos de table, chap. VI : je me sers de la version d’Amyot.
  150. C’était un serment parmi les anciens Grecs.
  151. Il y a au grec Νὴ τὸν κύνα, καὶ τοῦ Ζήνωνος ἀν ἐϐουλόμην διαμερισμοὺς ἐν συμποσίῳ τινὶ καὶ παιδίᾳ μᾶλλον ἡ σπουδῆς τοσαύτης ἐχομένῳ συγγράμματι τῇ πολιτεία κατατητάχθαι. Per canem adjuro, optare me suos illos diamerismos obscænos Zenonem in convivio aliquo aut joco quàm in tam serio de republicâ opere posuisse. Plut., in Sympos., lib. III, cap. VI, pag. 653.
  152. Idem, pag. 655.
  153. Dans la suite des Pensées diverses sur les Comètes.
  154. Tanaquil le Fèvre, préface de sa traduction du Traité de Plutarque, touchant la Superstition. Voyez-le aussi à la fin de ses Remarques sur ce Traité.
  155. Voyez l’article Anaxagoras, remarq. (F), tome II, pag. 38.
  156. On parle ainsi, parce qu’on considère les hommes et les bêtes en général, et non pas un homme en particulier qui achète, qui nourrit, etc., une telle ou une telle autre bête.
  157. On suppose que c’est Épicure qui répond cela, et non pas un homme qui a lu dans la Genèse quelle est la source légitime de l’autorité que nous exerçons sur les animaux.
  158. Omnis enim per se divim natura necesse est
    Immortali œvo summâ cum pace fruatur......
    Ipsa suis pollens opibus, nihil indiga nostri.
    Lucret., lib. I, vs. 57.

  159. Notez qu’il faudrait que ce platonicien, pressé par les objections d’Épicure, abandonnât le sentiment que Plutarque attribue à Platon touchant l’âme de la matière. Voyez la remarque (U), vers la fin.
  160. Πρὶν γενέσθαι τὸν κόσμον ἐκινεῖτο τὰ στοιχεῖα ἀτάκτως. Elementa inordinatè movebantur, anteà quàm mundus esset. Plato, in Timæo, apud Aristotelem de cœlo, lib. III, cap. II, pag. m. 370, G.
  161. Aristot., de Cælo, lib. III, cap. II, pag. 371, B.
  162. Ἔοικε δὲ τοῦτό γε αὐτὸ καλῶς Ἀναξαγόρας ὑπολαϐεῖν, ἐξ ἀκινήτων γὰρ ἄρχεται κοσμοποιεῖν. Videtur autem Anaxagoras hoc ipsum benè accepisse : ex immobilibus enim incipit conficere mundum. Id., ib., C.
  163. Voyez Érasme sur le proverbe, Ædibus in nostris quæ prava aut recta geruntur, qui est le LXXXVe. de la VIe. centurie de la Ire. chiliade, pag. m. 222.
  164. Romulus, et Liber pater, et cum Castore Pollux,
    Post ingentia facta, Deorum intempla recepti,
    Dum terras hominumque colunt genus, aspera bella
    Componunt, agros assignant, oppida condunt.
    Horat., epist. I, lib. II, vs. 5.

  165. Nota, Materiam inobsequentem et ab eâ Prava esse. Plato sæpè hæc tangit, et huc transit : ut cùm dicit Materiam, aut in eâ Ψυχὴν, ἄτακτον, καὶ κακοποίον, Animam incompositam et mali auctorem, sive maleficam iterùmque : ἐναντίαν καὶ ἀντιπαλον τῇ ἀγαθούργῳ ϕύσει : adversariam et rebellem beneficæ Naturæ, id est Deo. Animam sive vim in Materiâ dicit : neque enim ipsam per se vult malam, sed latens in eâ aliquid, quod in generatione se exserit et promit. Imò duas Mundi animas ab eo statui, natu jam grandiore, in libris de Legibus ; et cùm diu fluctuâsset, beneficam ac maleficam, Plutarchus est auctor. Lipsius, Phys. Stoïcor., lib. I, dissert. XIV, pag. m. 867. Il cite Plutarque, de Iside et Osir. Il devait le citer aussi de Animæ procreat. ex Timæo. Voyez aussi Maxime de Tyr, serm. XXV.
  166. Voyez Érasme sur le proverbe Movere Camarinam. C’est le LXIVe de la Ire. centurie de la Ire, chiliade. Il cite ce vers grec :

    Μὴ χινεῖν καμαρίναν, ἀχίνητος γὰρ ἀμέινων.
    Ne moveas camarinam, etenim non tangere præstat.

  167. Voyez les vers de Lucrèce cités ci-dessus, citation (157), et dans la remarque (N) de l’article Spinosa, num. V, tome XIII.
  168. Utrum... Deus quod vult efficiat, an in multis rebus illum tractanda destituant, et à magno artifice pravè formentur multa, non quia cessat ars, sed quia id in quo exercetur sæpè inobsequens arti est. Seneca, in præf., lib. I Quæst. natur.
  169. Neque
    Per nostrum patimur scelus
    Iracunda Jovem ponere fulmina
    Horat., od. III, lib. I, vs. 35.

  170. Genèse, chap. VI, vs. 5 et 6.
  171. Esaïe, chap. V et passim alibi dans les prophètes et dans les psaumes.
  172. Epître aux Romains, chap. X, vs. 21.
  173. Iucidit in Scyllam cupiens vitare Charybdim. Voyez Érasme, chil. I, centur. V, num. 4.
  174. Notez qu’on assure qu’il y a eu des sociniens qui sont devenus spinosistes, à cause des difficultés qu’ils ont trouvées dans l’hypothèse d’un principe matériel existant par lui-même et distinct de Dieu.
  175. Le père Mallebranche, Méditations chrétiennes, IXe. méditation, num. 3, pag. m. 140.
  176. Là même, num. 5, pag. 141, 142.
  177. Hostibus eveniant talia dona meis.
  178. Cicero, de Fato, cap. XVII. Voyez ci-dessous, citation (183).
  179. Voyez Cicéron, de Nat. Deor., lib. I, cap. XIX et seqq. et Quæst. academ., lib. IV, cap. XIII.
  180. Idem, de Fato, cap. IX.
  181. Idem, ibid., cap. X.
  182. Quid hoc refert vaticinio illo ridiculo Tiresiæ ? quidquid dicam aut erit aut non. Boetius, de Consol. philosoph., lib. V, prosa III, pag. m. 124.
  183. O Laërtiade, quicquid dicam aut erit aut non.
    Divinare etenim magnus mihi donat Apollo.
    Horat., sat. V, lib. II, vs. 59.

  184. Cicero, de Fato, cap. X.
  185. Voyez Cicéron, au Ier. livre de Fin., cap. VI.
  186. Lucret., lib. II, vs. 216.
  187. Idem, ibidem, vs. 251.
  188. Idem, ibidem, vs. 284.
  189. Ci-dessus, citation (187).
  190. Les anciens objectèrent cela à Épicure : Ἐπικούρῳ μὲν γὰρ οὐδὲ ἀκαρὲς ἐγκλίναι τὴν ἄτομον συγχωροῦσιν, ὡς ἀναίτιον ἐπεισάγοντι κίνησιν ἐκ τοῦ μὴ ὀντος. Sanè Epicuro ne momentaneam quidem atomi inclinationem concedunt, quod eum dicant motum absque causâ ex non eum introducere. Plutarch., de Animæ procreat., ex Timæo, pag. 1015.
  191. Id facit exiguum clinamen principiorum
    Nec regione loci certâ, nec tempore certo.
    Lucret., lib. II, vs. 202.

  192. Cicer., de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XXV.
  193. Idem, de Fato, cap. IX.
  194. Voyez la remarque (F).
  195. Plutarchus, de Animæ procreat., ex Timæo, pag. 1014, B.
  196. Cicer., de Fato, cap. XI.
  197. Ibid., d. l.

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