Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abdias

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ABDIAS de Babylone, auteur qui mérite d’être placé parmi les plus hardis légendaires. C’est un imposteur qui se vante d’avoir vu Notre-Seigneur Jésus-Christ, d’avoir été l’un des soixante-douze disciples, d’avoir assisté aux actions et à la mort de plusieurs apôtres, d’avoir suivi en Perse saint Simon et saint Jude, et d’avoir été établi par eux le premier évêque de Babylone. L’ouvrage qui court sous son nom est divisé en dix livres, et a pour titre : Historia certaminis apostolici.[* 1] Wolfgang Lazius[a] en trouva le manuscrit dans une caverne de Carinthie ; et quoiqu’il fût habile homme, il se laissa tellement tromper par cet écrivain fabuleux, qu’il se prépara à le donner au public comme une pièce importante. Il ajouta foi à l’inscription de ce manuscrit, qui portait qu’Abdias, évêque de Babylone, établi par les apôtres mêmes, avait composé en hébreu cette histoire de leurs actions, et qu’Eutropius l’avait traduite en grec[b], et Africanus en latin. Il la publia à Bâle[c], l’an 1551, avec quelques autres vies de saints. Elle a été depuis imprimée plusieurs fois en divers lieux (A). M. Fabrice remarque que ceux qui ont dit qu’elle a été insérée dans la Bibliothéque des Pères se trompent [d]. Laurent de La Barre l’inséra dans son Histoire des Pères, à Paris, en 1583[e]. Ce n’est point le pape Gélase, comme M. Moréri l’avance, mais le pape Paul IV qui a rejeté comme apocryphe l’ouvrage de notre Abdias[f]. Plusieurs écrivains, tant parmi les catholiques que parmi les protestans, ont reconnu l’imposture. Ceux-ci prétendent avoir dessillé les yeux aux autres (B) ; on ne leur accorde point cela (C). La gloire serait au fond très-petite ; car ce fourbe a usé de si peu d’adresse, qu’il a cité l’Hégésippe, qui a fleuri cent trente ans ou environ après l’ascension de Notre-Seigneur [g]. Il a parlé aussi d’un disciple des apôtres nommé Crathon, qui fit, dit-il, une histoire en dix livres de tout ce que saint Simon et saint Jude avaient fait et souffert dans la Perse pendant treize ans ; laquelle histoire, poursuit-il, Africain l’historiographe a mise en latin[h]. Où trouverait-on cet Africain, qu’en la personne de Julius Africanus, mort environ l’an 230[i] ?

  1. * Chauffepié, au mot Abdias, promet des remarques sur l’auteur de cette histoire, qui n’est, dit-il, ni d’Abdias ou Adée, ni de Crathon. etc. ; mais il n’en nomme pas l’auteur, qu’il croit avoir vécu dans le septième siècle, et peut-être plus tard.
  1. Médecin à Vienne en Autriche, et historiographe de l’empereur Ferdinand I. Voyez l’épître dédicatoire de son édition.
  2. La préface de Julius Africanus dit qu’Eutropius était disciple d’Abdias.
  3. Chez Oporin, in-fol.
  4. Jo. Alb. Fabricius in Codice Apocrypho Novi Test., pag. 401.
  5. Et non pas en 1581, comme veut Moréri.
  6. Labbe de Script. eccles., tome I, p. 3.
  7. Voyez Vossius de Hist. Græcis, p. 200.
  8. Abdiæ Hist. certam. Apost. l. VI, p. 83.
  9. Cave, Histor. litter., p. 72.

(A) Imprimée plusieurs fois en divers lieux. ] M. du Pin, qui a marqué les éditions de 1557, de 1560 et de 1571, et, outre cela, une édition de Bâle de 1532[1], et une de Paris de 1583, a oublié la première qui était la plus digne d’être marquée. Comme je n’ai point sa Bibliothéque ecclésiastique de l’édition de Paris, je n’oserais mettre sur son compte la prétendue édition de Bâle de 1532. Or, à cause qu’il ne marque qu’une édition de Paris, qui est celle de 1583, ses lecteurs ont lieu de croire que les autres, qu’il a marquées ne sont point de Paris : cependant il est certain que cet ouvrage y fut publié l’an 1560, in-8o., avec la préface d’un docteur de Sorbonne nommé Jean Faber. L’abréviateur de Gesner et M. Cave en marquent une de Paris, en 1571, in-8o, Dans l’Eponymologium de Magirus, on avance faussement que cet ouvrage fut imprimé la première fois à Paris, en 1551.

(B) Avoir dessillé les yeux aux autres. ] Consultez Rivet, au chapitre VI du 1er. livre de son Criticus Sacer, où, après avoir observé la prévention de Lazius, et l’autorité qu’Hardingus et Bellarmin ont donnée à notre Abdias, il ajoute : ejus nugas et mendacia non est quòd operosiùs persequamur, quia jam oculatioribus pontificiis ita patent, ex nostrorum animadversionibus, ut eos tam putidi commenti pudeat [2]. Il cite Baronius, Molanus, Possevin, et même Bellarmin devenu plus sage ; il les cite, dis-je, comme des auteurs qui convenaient de la bâtardise de cette histoire des apôtres.

(C) On ne leur accorde point cela. ] Le père Labbe s’emporte d’une étrange manière contre Rivet, à cause du passage que l’on vient de voir. Il peut avoir raison de soutenir que les catholiques ont reconnu l’imposture, avant que les protestans leur fournissent là-dessus aucune lumière : mais on ne saurait l’excuser de son aigreur injurieuse ; car voici comme il parle[3] : Hasce quisquilias ab otioso fabulatore, qui merità jure pseudo-Abdias dicitur, confictas interpolatasve, nullius fidei atque auctoritatis esse apud eruditos docuerunt jampridem catholici tractatores, Sixtus Senensis, Joannes Hesselius, Joannes Molanus, Cardin, Baronius, Possevinus, Salmero, Miræus, aliique, ut sileam Vossium, Cocum, Rivetum, similesque heterodoxos criticos, in alienis ab ecclesiâ catholicâ castris militantes, atque ex catholicorum duntaxat scriptis et observationibus suffarcinatos. Mentitur enim pro more Andreas Rivetus, qui libri I, cap. VI, effutire ausus est, oculatiores pontificios ex suorum, hoc est, hæreticorum hominum animadversionibus edoctos, nugas et mendacia illius operis deprehendisse, ita ut eos tam putidi commenti pudeat. Sed, amabo, quis Calvini catulus hoc commentum subodoratus est ante Hesselium, Molanum, Sixtum, ipsumque adeò Paulum IV, romanum pontificem, qui inter scripta à se damnata rejicit ? Je crois que l’on condamna encore ce livre à Rome depuis la mort de Paul IV : car je ne pense pas que Claude d’Espense veuille parler de la condamnation faite sous ce pape, lorsqu’il dit : Qualiscumque autor sit Abdias, superiore certè quàm hæc scriberemus anno, à romanis inquisitoribus proscriptus est. Ces paroles sont dans le chapitre V du livre V de la Continence. Le continuateur de Magirus a tort d’en conclure[4] que l’année dont il s’agit là est 1568. Cet ouvrage de la Contimence ne fut-il pas imprimé en 1565[5] ? Pierre-Paul Verger, auteur protestant, mort en 1565, avait crié contre l’imposture de cet Abdias, dans son Idolum Lauretanum, composé en italien, traduit en latin et imprime en 1554, in-4o.

  1. C’est ainsi qu’il y a dans l’édition d’Amsterdam, tom. I, pag. 18.
  2. Riveti Operum tom. II, pag. 1076.
  3. Phil. Labbe, Dissert. de Script, Eccles., tom. I, pag. 3.
  4. Eponymol. Critic., pag. 2.
  5. Voyez Launoii Hist. Colleg. Navarr., pag. 710.

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