Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abel

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ABEL, second fils d’Adam et d’Ève, fut berger. Il offrit à Dieu des premiers-nés de sa bergerie, dans le même temps que son frère Caïn offrit des fruits de la terre. Dieu eut pour agréable l’oblation d’Abel, mais non pas celle de Caïn ; ce qui chagrina de telle sorte ce dernier, qu’il s’éleva contre l’autre, et le tua. C’est tout ce que Moïse nous en apprend [a]. Mais, si l’on voulait s’étendre sur tout ce que la curiosité de l’esprit humain a enfanté là-dessus, on aurait une infinité de choses à dire. Nous n’avons garde de nous embarquer dans une telle déduction, ni de hasarder des conjectures sur l’âge qu’avait Abel lorsqu’il fut tué. Il est impossible d’avoir quelque certitude sur cette matière, tant parce que l’on ne sait pas combien a duré l’état d’innocence (A) qu’à cause que l’on ne sait pas de combien Abel était plus jeune que Caïn (B), ni en quelle année du monde il fut tué par son frère (C). Je ne hasarderai point non plus mes conjectures sur la question s’il mourut vierge (D), ou sur la querelle que Caïn lui fit. Les uns veulent que leur différent ait été une dispute de religion (E) ; les autres qu’ils se soient brouillés pour une femme (F). On ne parle pas moins diversement de la manière dont se fit cet abominable fratricide (G). Quant à la manière dont ils connurent la préférence que Dieu donna à l’oblation d’Abel, il n’y a pas tant de disputes. On croit assez communément qu’il tomba un feu céleste sur la victime d’Abel (H), et que rien de semblable ne parut sur les offrandes de Caïn. Mais, comme on n’a que trop de penchant à entasser suppositions sur suppositions, afin de faire trouver du merveilleux en toutes choses, il s’est trouvé des gens qui ont dit[b] qu’il parut une figure de lion au milieu des flammes qui tombèrent sur le sacrifice d’Abel, ce qui, selon eux, avait relation au lion de la tribu de Juda, dont la venue avait déjà été promise. J’ai rassemblé dans les remarques un assez grand nombre de différens sentimens sur les choses qui concernent Abel. C’est avoir rassemblé bien des mensonges et bien des fautes. Or, comme c’est le but et l’esprit de ce dictionnaire, le lecteur ne doit point donner son jugement sur ce ramas sans se souvenir de ce but. Et cela soit dit une fois pour toutes.

  1. Genèse, chap. IV.
  2. Apud Salianum, tom. I, pag. 190, et apud Piselium Ruinar. illustr., décade I, pag. 221, 273.

(A) Combien a duré l’état d’innocence. ] Les auteurs sont fort partagés sur ce point. Quelques-uns veulent qu’Adam ait péché le jour même de sa création, et qu’il n’ait demeuré dans le Paradis que six, ou sept, ou dix heures[1]. D’autres allongent le terme jusqu’à six, à huit, ou à dix jours ; d’autres, jusqu’à trente-quatre ans. Ils se fondent presque tous sur des rapports qu’ils imaginent entre Adam et Jésus-Christ : car, par exemple, ceux qui disent ou qu’Adam demeura quarante jours dans le Paradis terrestre, ou qu’il y demeura trente-quatre ans, en donnent pour raison ou que Jésus-Christ fut quarante jours sans manger, ou qu’il vécut sur la terre trente-quatre ans[2]. Il serait superflu d’avertir les gens d’esprit que cette sorte de raison ne prouve rien. On peut faire d’assez bonnes objections à ceux qui ne font durer que quelques heures l’état d’innocence ; mais on en peut faire de beaucoup plus fortes à ceux qui le font durer des semaines ou des années. Car, n’en déplaise à quelques rabbins, c’est un fait certain par le texte de Moïse qu’Adam ne connut sa femme qu’après la sortie du Paradis. Or, pourquoi aurait-il tant différé la consommation de son mariage ? N’avait-il pas reçu la bénédiction nuptiale de la bouche de son créateur ? N’avait-il pas ses ordres dûment expédiés et signifiés pour foisonner, pour multiplier et pour remplir la terre ? La plus solide raison qu’on puisse alléguer pourquoi cette consommation ne se fit qu’après la chute, c’est que la femme fut tentée et séduite aussitôt presque que formée. Voilà comment saint Augustin satisfait à cette difficulté : Mox creatâ muliere, antequàm convenirent, facta est illa transgressio[3]. L’autre raison qu’il allègue, savoir qu’il fallait attendre l’ordre de Dieu[4], est tout-à-fait nulle : car, comme je l’ai déjà dit, cet ordre avait été notifié authentiquement. Si l’on pouvait une fois prouver que l’innocence du premier homme dura plusieurs jours, on rendrait presque indubitable l’opinion de ceux qui disent que, sans le fruit défendu, Adam et Ève auraient éternellement gardé leur virginité, et que ce ne fut que sur la prévision de leur chute que Dieu produisit la diversité des sexes. Quoi qu’il en soit, nous ne saurions dire certainement à quel âge ils commencèrent d’engendrer. Nous réfuterons ailleurs[5] les rêveries de ceux qui ont dit que Caïn ne fut conçu que long-temps après le péché d’Adam, soit que son père se fût voulu sevrer des plaisirs du mariage plusieurs années par pénitence, soit qu’il se fût attaché à une autre femme qu’à Ève.

(B) De combien Abel était plus jeune que Caïn. ] La narration de Moïse semble prouver clairement que Caïn et Abel n’étaient point frères jumeaux : néanmoins l’un des plus judicieux interprètes[* 1] de l’Écriture a cru avec quelques rabbins qu’ils l’étaient. Rabbini, et ex eis Calvinus, putant ex codem conceptu Evam peperisse gemellos Caïn et Abel[6]. Quand on lui accorderait cela, toute l’incertitude ne serait pas évanouie, vu qu’on ne sait pas avec précision l’année de la naissance de Caïn. Mais, encore un coup, il n’y a nulle apparence qu’Abel ait été son frère jumeau ; et il n’y a nulle certitude qu’il soit né un an après Caïn. Reconnaissons pourtant qu’il est très-probable que Caïn naquit l’an premier du monde, et qu’Abel naquit l’année d’après. La révélation de Méthodius est une pièce apocryphe et une chimère. On a dit[7] qu’il lui fut révélé d’en-haut, pendant sa prison pour la foi, qu’Adam et Ève sortirent vierges du Paradis ; qu’ils demeurèrent en cet état quinze années consécutives, entièrement occupés à pleurer leur chute ; qu’au bout de ce terme ils engendrèrent un fils et une fille tout à la fois, savoir Caïn et Calmana ; qu’ensuite ils se remirent dans la continence pendant quinze autres années, après quoi ils engendrèrent un fils et une fille, comme la première fois, savoir Abel et Delbora ; et qu’en l’an 130 d’Adam arriva le meurtre d’Abel par Caïn, ce qui jeta Adam et Ève dans un deuil qui dura cent ans, après quoi ils engendrèrent Seth. Les habitans de l’île de Ceylan prétendent que le lac salé qui est sur la montagne de Colombo est l’amas des larmes qu’Ève répandit cent ans entiers sur la mort d’Abel[8]. Les rabbins veulent qu’Adam ait pleuré cette même mort cent ans durant dans la vallée des Larmes auprès d’Hébron, sans aucun commerce charnel avec sa femme [9], ce qui aurait peut-être duré plus long-temps, si un ange ne l’eût averti de la part de Dieu qu’il eût à s’approcher d’Ève, puisque le Messie ne voulait pas descendre de Caïn. Pures chimères ; le monde n’avait pas alors besoin d’un tel deuil : il demandait, au contraire, qu’on se consolât bientôt par la réparation de la brèche ; de sorte qu’il est très-probable qu’Adam et Ève adoucirent promptement leur ennui par la consolation réciproque de se donner un nouveau fils à la place de celui que Caïn leur avait tué. Cependant on ne saurait croire combien cette fable de la longue séparation d’Adam et d’Ève, quant au lit, a été prônée. Nous en parlerons dans l’article de Lamech.

(C) En quelle année du monde il fut tué par son frère. ] On trouve probable que ce meurtre fut commis la même année que Seth vint au monde, c’est-à-dire, la 130e. d’Adam : on le trouve, dis-je, probable, quand on songe qu’Ève, donnant le nom de Seth à un fils dont elle était accouchée, se sert de cette raison, car Dieu m’a donné une autre lignée au lieu d’Abel que Caïn a tué[10]. Mais il faut tomber d’accord que cela est beaucoup plus propre à prouver que Seth fut le premier fils qu’Ève mit au monde depuis la mort d’Abel qu’à prouver que cette mort ait été bientôt suivie de la naissance de Seth. Saint Augustin ne veut pas même accorder à Seth le droit d’aînesse sur tous les enfans qu’Adam et Ève ont engendrés depuis le meurtre d’Abel. Il explique les paroles d’Ève, non pas d’un remplacement de fils, mais d’un remplacement de vertu, c’est-à-dire, que Seth fut considéré comme celui qui succéderait à la piété et à la sainteté d’Abel. Potuit Adam divinitùs admonitus dicere posteà quàm Seth natus est, suscitavit enim mihi Deus semen aliud pro Abel[11] ; quandò talis erat futurus qui impleret ejus sanctitatem [12]. Il est sûr que tout ceci n’est que matière à conjectures, et que, si les paroles d’Ève, rapportées ci-dessus, laissaient à nos réflexions toute leur liberté naturelle, nous ferions remonter bien haut le meurtre d’Abel ; car voici à quoi la lumière naturelle nous conduit. Caïn et Abel firent leurs offrandes à Dieu dès que la récolte de l’un et la bergerie de l’autre leur en fournirent les moyens ; ils s’aperçurent dès la première fois[13] que Dieu mettait de la différence entre leurs présens ; le dépit de Caïn le précipita peu après dans le dessein de tuer son frère. Il le tua donc avant l’âge de soixante ans, car ce fut l’an 50 du monde, à ce que dit Eusèbe, qu’Adam assigna à ses deux fils le genre de vie qu’ils auraient à suivre. Ce n’était pas s’en aviser tard, dit-on, puisqu’en ce temps-là l’enfance durait à proportion autant que la vie. À la bonne heure, je ne contesterai rien là-dessus ; que Caïn et Abel n’aient donc pas été en état avant l’âge de cinquante ans, l’un de labourer la terre, l’autre de garder des brebis, au moins en auront-ils été capables à cet âge-là. Or, cela posé, qu’y a-t-il de plus naturel que de croire qu’ils firent leurs oblations au bout de deux ou trois ans, pour le plus tard ; et que, dans un semblable intervalle pour le plus tard, l’envieux et le jaloux Caïn se défit d’Abel ? Qu’y a-t-il de plus éloigné de l’apparence que de dire, comme l’on fait ordinairement, que les deux frères commencèrent l’exercice de leur vacation l’an 50 du monde ; qu’ils firent leurs offrandes l’an 100, et que Caïn tua Abel l’an 130 ? La raison ni l’Écriture ne nous conduisent point à supposer un ressentiment caché si long-temps dans le cœur de Caïn[14]. Un auteur fort judicieux[15] a mis la naissance de Seth environ cent ans avant la mort d’Abel. Quelques auteurs[16] ont mis cette mort à l’an du monde 102 : mais la foule est pour l’an 130, que l’on croit être le même que le 129 d’Abel. Je pourrais citer, pour ce sentiment, Cajétan, Torniel, Pérérius, Cornelius à Lapide, Salian, et plusieurs autres commentateurs, dont les ouvrages peuvent être comparés aux enfans d’une même famille ;

.......Facies non ommibue una,
Nec diversa tamen, qualem decet esse sororum[17].


Tous les partis, tous les corps, toutes les communautés ont ainsi plusieurs auteurs qui se moulent les uns sur les autres.

(D) S’il mourut vierge. ] Quelques pères de l’Église ont soutenu l’affirmative [18], et les hérétiques, dont je parlerai ci-dessous, qui prenaient leur nom d’Abel, la soutenaient aussi : cependant il ne paraît guère probable à ceux qui croient qu’Abel a vécu cent vingt-neuf ans qu’il soit mort garçon. Il était alors trop nécessaire de peupler le monde pour se piquer de continence. Le père Salian ne fait pas difficulté de reconnaître que le célibat d’Abel n’est nullement vraisemblable ; ni de montrer que saint Jérôme et saint Augustin n’ont point douté de son mariage[19], et que saint Irénée n’a point dit ce que Gérébrard lui a fait dire[20] ; savoir, qu’Abel a été vierge, prêtre et martyr : trois qualités qui ont été cause que l’on a dit que l’Église avait commencé en lui. C’est un autre auteur qui lui attribue ces trois belles qualités[21]. Mais s’il fallait que la tradition d’Eutychius, qui sera rapportée ci-dessous, fût véritable, il ne faudrait plus révoquer en doute la virginité d’Abel ; car sa mort, selon cette tradition, précéda le mariage des deux frères.

(E) Ait été une dispute de religion. ] Le Targum de Jérusalem débite que, lorsque Caïn et Abel furent aux champs, celui-là soutint qu’il n’y avait ni jugement, ni juge, ni vie éternelle, ni récompense pour les justes, ni peine pour les impies ; et que le monde n’avait pas été crée par la miséricorde de Dieu, ni n’était point gouverné par sa miséricorde : attendu, dit-il à son frère, que mon oblation n’a pas été acceptée, et que la vôtre l’a été. Abel lui répondit selon les mêmes paroles dont Caïn s’était servi, si ce n’est qu’il mit le oui où l’autre avait mis le non : et quant au principal grief, sa réponse fut de dire que, parce que ses œuvres avaient été meilleures que celles de Caïn, son oblation avait plu, et non pas celle de Caïn. La dispute s’étant échauffée, Caïn se jeta sur Abel et le tua[22]. Ce fut un mauvais commencement des disputes de religion, et un fâcheux présage des désordres épouvantables qu’elles devaient causer dans le monde. Voilà de plus un exemple de la sotte vanité de l’homme : il n’est jamais tant porté à douter de la Providence que lorsque les choses n’arrivent pas selon ses souhaits. Quand elles lui sont favorables, il dissipe ses doutes : c’est qu’il s’imagine tenir un rang assez relevé dans l’univers pour ne pouvoir être méprisé par un dispensateur équitable et judicieux des biens et des maux. Estis ïo superi, ait Statius, cùm convaluisset à periculoso morbo vir eximiæ probitatis Rutilius Gallicus. At contrà, ubi quid contigerat contrà quàm æquum esse censerent, deos aut nullos esse, aut crudeles, aut injustos esse dicebant.….… Itaque in morte Tibulli Ovidius,

Cùm rapiant mala fata bonos, ignoscite fasso,
Sollicitor nullos esse putare deos.


C’est ainsi que parle l’un des meilleurs orateurs du 16e siècle[23].

(F) Se soient brouillés pour une femme. ] Eutychius, patriarche d’Alexandrie, dit, dans ses Annales[24], qu’Ève enfanta, avec Caïn, une fille nommée Azrun ; et avec Abel une fille nommée Owain ; et que le temps de marier les deux fils étant venu, Adam destina Owain à Caïn, et Azrun à Abel ; et maltraita Caïn, parce qu’il voulait sa sœur jumelle, qui était plus belle. Eutychius ajoute que, pendant que les deux frères allaient présenter leurs oblations sur une montagne, par ordre d’Adam, qui voulut qu’ils fissent cet acte de religion avant que d’épouser leurs femmes, et que le succès de leur sacrifice décidât de leur différent, Satan inspira secrètement à Cain de se défaire d’Abel, pour l’amour d’Azrun : ce qui, empêchant que son offrande ne fût agréable à Dieu, augmenta le dépit de Caïn contre son frère ; de sorte qu’ils ne furent pas plus tôt descendus de la montagne, qu’il lui donna un coup de pierre sur la tête, et le tua. La belle Azrun, que Caïn épousa après ce coup[25], et qu’il emmena avec lui dans son exil, fut donc la cause du crime de Caïn. Il est vrai qu’elle en fut la cause innocente ; mais c’est toujours vérifier ce qu’a dit un poëte latin, touchant l’antiquité des guerres suscitées pour des femmes :

Nam fuit ante Helenam cunnus teterrima belli
Causa[26].


Les archontiques[27] et les cabalistes [28] s’accordent avec cette tradition d’Eutychius. J’ai lu dans le Commentaire du père Mersenne sur la Genèse, à la page 1415 et à la 1431, qu’il y a quelques rabbins qui disent qu’Abel eut deux sœurs jumelles, et que Caïn souhaita de les épouser. Ce fut, disent-ils, la cause de la dispute. Le désir de la polygamie serait donc bien vieux. Au reste, il paraît, et par le récit du Targum, et par celui de ce patriarche d’Alexandrie, que la mort d’Abel suivit de près le sacrifice où Dieu se déclara pour lui. Cette chronologie est mille fois plus probable que la vulgaire, qui met un espace de trente ans entre l’oblation des deux frères et le fratricide de Caïn.

(G) De la manière dont se fit cet abominable fratricide. ] Nous venons de voir que ce fut avec un coup de pierre, selon quelques-uns. D’autres disent que Caïn déchira son frère à belles dents. Hebræorum nonnulli tradunt eum fuisse morsibus à Caïn dilaceratum [29]. D’autres, qu’il l’assomma avec une mâchoire d’âne : les peintres se règlent sur cette supposition. D’autres veulent qu’il se soit servi d’une fourche. Saint Chrysostome lui met en main une épée ; saint Irénée lui donne une faux ; Prudence lui donne une manière de serpe :

Frater probatæ sanctitatis æmulus
Germana curvo collo frangit sarculo[30].


Voyez Salian et Bissélius : celui-là, à la page 189 du 1er. volume de ses Annales ; celui-ci à la page 234, et à la 257 du premier tome des Illustrium Ruinarum. En tout cas, dit-on[31], Abel ne fut ni noyé, ni étranglé ; car l’Écriture témoigne qu’il périt avec effusion de sang. Quelques-uns supposent qu’il se défendit courageusement, et qu’il eut d’abord tout l’avantage : il jeta Caïn par terre, et lui fit un bon quartier, mais Caïn se releva, et le tua. Le père Mersenne rapporte cette vision dans la page 1431 de son commentaire sur la Genèse.

(H) Qu’il tomba un feu céleste. ] Saint Jérôme a rapporté cette tradition [32], et l’a confirmée par Théodotion, qui l’avait suivie dans sa version de l’Écriture. Nisi illa interpretatio vera esset, quam Theodotion posuit : Et inflammavit Dominus super Abel et super sacrificium ejus ; supra Caïn verò et sacrificium ejus non inflammavit [33]. Elle est communément approuvée par les pères de l’église. Ce qui la rend vraisemblable, est qu’en plusieurs occasions un feu descendu du ciel a fait connaître que Dieu agréait le sacrifice. À la consécration d’Aaron on eut le signe de l’approbation de Dieu [34]. Gédéon, David, Salomon (quelques-uns y ajoutent Néhémie), ont été aussi honorés de cette faveur spéciale dans quelques-uns de leurs sacrifices [35]. Cornélius à Lapide dit que Calvin et Luther se sont moqués, comme d’une fable judaïque, de cette descente du feu céleste sur la victime d’Abel [36] ; mais M. Heidegger lui cite un passage de Luther qui témoigne visiblement le contraire. Etsi Moses illud signum, quo Deus ostendit sibi Abel munera grata esse, non ostendit, tamen verisimile est fuisse ignem cælo demissum, quo oblatio hausta et consumpta in oculis omnium[37]. Les théologiens protestans ont donné en foule dans cette hypothèse[38], et quelques-uns d’eux l’ont confirmée par les paroles d’un psaume[39] que Clément Marot a traduites de cette façon :

De tes offertes et services
Se veuille souvenir,
Et faire tous tes sacrifices
En cendre devenir.

Les païens se sont vantés de cette sorte de marques extraordinaires de l’approbation du ciel en quelques lieux, comme nous le montrerons dans l’article Egnatia. On sait assez que le diable est le singe du vrai Dieu.

  1. * Joly reproche à Bayle de donner ces épithètes à Calvin.
  1. Pererius, in Genesim, lib. VI, Quæst. I.
  2. Cornel. a Lapide in Genes., cap. III, v. 23.
  3. August, lib. IX, de Genesi ad lit., cap. IV.
  4. Potest etiam dici quia nondùm Deus jusserat ut convenirent : cur enim non ad hanc rem divina expectaretur auctoritas, ubi nullâ concupiscentiâ tanquàm stimulis, inobedientia carnis urgebat ? Id. Ib.
  5. Dans La remarque (B) de l’article d’Ève.
  6. Cornel. à Lapide, in Genesim, cap. IV, v. 2.
  7. Auctor. Historiæ Scholast. in Hist. Libri Genes., cap. XXV, apud Pererium, in Genes., cap. IV, v. 1.
  8. Voyez Chevreau, Histoire du monde, tom. IV, pag. 255, édition de Hollande, en 1687.
  9. Apud Salian. tom. I, pag. 190.
  10. Genes., chap. IV, v. 25.
  11. Saint Augustin attribue à Adam ce qui ne fut dit, selon l’Écriture, que par Ève.
  12. August. de Civit. Dei, lib. XV, cap. XV.
  13. L’Écriture ne parle que d’une oblation de ces deux frères ; ainsi la supposition du P. Salian, tome I, page 185, que Caïn ne reconnut qu’à la longue et après plusieurs offrandes réitérées sa réjection et la faveur de son frère auprès de Dieu, est nulle.
  14. Voyez ce qui sera rapporté ci-dessous. remarque (F) du Targum de Jérusalem, et des Annales d’Entychius
  15. Cunæus de Rep. Hebr., lib. I, cap. III.
  16. Saint Romuald, Abrégé chronol.
  17. Ovidius, Metam., lib. II, v. 13.
  18. Saint Jérôme, saint Basile, saint Ambroise, dans Cornel. à Lapide, in Genes., cap. IV, v. 2 ; mais le P. Salian, Annalium tom. I, pag. 184, montre que saint Jérôme n’a pas été de ce sentiment.
  19. Salianus, Annalium tom. I, pag. 184.
  20. Chronol., lib. I.
  21. Auctor mirab. Sucræ Script. apud August. tom. III, lib. I, cap. III, citante Saliano, Annalium tom. I, pag. 153.
  22. Paraphr. Hierosolym. apud Fagium, citante Saliano, tom. I, pag. 188. Voyez sur ce sujet divers jeux de rhétorique de Jean Bisselius, jésuite allemand, Illustr. Ruinarom Decad. I, pag. 228 et seq.
  23. Muretus, Orat. III, vol. II.
  24. Eutychii Annales. Je me sers de la traduction de Pocochius. L’imprimeur de l’Historia Patriarch. Heideggeri, tom. I, pag. 192, a mis Procopius.
  25. Eutychius. Vide Hottinger. Historiam Orient, pag. 27.
  26. Horat., satira III, lib. I, v. 207.
  27. Héretiques dont saint Epiphane parle, hæresi XI.
  28. Heideggeri Historia Orient., pag. 191. Voyez aussi Seldenus, de Jure Nat. et Gent., lib. III, cap. II, qui cite Rabbi Eliezer in Pirke, cap. XXI.
  29. Pererius, in Genesim, lib. VII, ad v. 8 et 9, cap. IV.
  30. Prudent. in Hamartig. præf. 15.
  31. Peretius, in Genesim, cap. IV. v. 8, 9.
  32. Hieron. Tradition. hebraïc.
  33. Hieron. Quæst. hebraïc.
  34. Levit., cap. IX.
  35. Consultez le livre des Juges, chap. VI ; le 1er. livre des Rois, chap. XVIII : le 1er. des Chroniq., chap. VII, le IIe. des Chroniq. chap. VII ; le IIe. des Machabées, chap. I.
  36. Cornel. à Lapide, in Genes., cap. V, vs. 4, pag. 97.
  37. Lutherus, ad Genes., cap. IV, vs. 3. apud Heidegger, Hist. Patriarch., tom. I, pag. 184.
  38. Voyez Saldeni Otia Theol., pag. 337.
  39. C’est le XX.

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