Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abelly

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ABELLY (Louis), évêque et comte de Rhodez, mort le 4 octobre 1691, âgé de 88 ans[a], était de Paris, et il y fut curé de Saint-Josse. Il a composé divers ouvrages, et entre autres un Traité de Théologie, intitulé Medulla theologica[b], qui a été cause que M. Despréaux lui adonné l’épithète de moelleux (A), et qui est fort éloigné des maximes des jansénistes (B). Il a fait aussi la Vie de Vincent de Paule, instituteur et premier supérieur général de Îa congrégation de la mission ; un livre sur les Principes de la morale chrétienne ; un autre sur les Hérésies ; un autre sur la Tradition de l’Église touchant le culte de la sainte Vierge, etc. Ce dernier ouvrage, imprimé pour la seconde fois à Paris, l’an 1675, fit un grand plaisir aux protestans, parce qu’il leur fournit de bonnes armes contre les convertisseurs, qui voulaient leur faire accroire que, s’il y avait quelque chose d’excessif dans cette espèce de dévotion, ce n’était que des pensées monacales ou des abus que les évêques corrigeaient journellement. Ce même livre servit à ceux de la religion contre celui de M. l’évêque de Condom[c]. En effet, M. Abelly se rendit le protecteur des pensées les plus outrées concernant la dévotion envers la vierge Marie. C’était ruiner les efforts de l’autre prélat, et les vues de ceux qui ont publié ou approuvé les Avis salutaires de la sainte Vierge à ses dévots indiscrets. M. Abelly était docteur en théologie de la faculté de Paris ; il fut fait évêque de Rhodez lorsque M. de Péréfixe, précepteur du roi, monta à l’archevêché de Paris, et il résigna son évêché à un autre lorsque son grand âge ne lui permit plus d’en exercer les fonctions, et se retira dans la maison de Saint-Lazare. Il révéla dans la Vie de M. Vincent un secret qui plut à beaucoup de monde (C).

  1. Mercure galant d’octobre 1691.
  2. La première édition est de Paris, en 1651. On y en fit une sixième en deux volumes in-12, l’an 1659.
  3. Intitulé Exposition de la Doctrine de l’Église catholique.

(A) L’épithète de moelleux. ] Ne faisons pas difficulté de remonter un peu haut, en rapportant ce passage ; car, outre qu’il ne faut pas craindre que la longueur de la citation déplaise à personne, elle servira à confirmer ce que je dois dire dans la remarque suivante.

Alain tousse et se lève, Alain[1], ce savant homme,
Qui de Bauni vingt fois a lu toute la Somme,
Qui possède Abelly, qui sait tout Raconis,
Et même entend, dit-on, le latin d’A Kempis.
N’en doutez point, leur dit ce savant canoniste,
Ce coup part, j’en suis sûr, d’une main janséniste.
Mes yeux en sont témoins : j’ai vu moi-même hier
Entrer chez le prélat le chapelain Garnier.
Arnaud, cet hérétique ardent à nous détruire,
Par ce ministre adroit tente de le séduire.
Sans doute il aura lu dans son saint Augustin
Qu’autrefois saint Louis érigea ce lutrin.
Il va nous inonder des torrens de sa plume :
Il faut, pour lui répondre, ouvrir plus d’un volume.
Consultons sur ce point quelque auteur signalé ;
Voyons si des lutrins Bauni n’a point parlé.
Étudions enfin, il en est temps encore ;
Et pour ce grand projet, tantôt, dès que l’aurore
Rallumera le jour dans l’onde enseveli,
Que chacun prenne en main le moelleux Abelly[2].


Quand ces vers ne contiendraient autre chose que l’accolade de Bauni et d’Abelly, ils signifieraient assez l’anti-jansénisme de ce dernier ; mais ils contiennent plusieurs autres traits qui vont au même but, et qui portent coup. L’auteur a mis en marge une note qui explique la raison de l’épithète, et il a bien fait. Quand je songe aux conjectures que formeraient les critiques si la langue française avait un jour le destin qu’a eu la langue latine, et que les œuvres de M. Despréaux se conservassent, je me représente bien des chimères. Car, supposons que la Medulla theologica de M. Abelly fût entièrement perdue, et que presque aucun auteur qui en eût parlé ne subsistât, et qu’il n’y eût point de note à la marge du Lutrin vis-à-vis de moelleux, quels mouvemens les critiques ne se donneraient-ils point pour trouver la raison de cette épithète ! et combien de faussetés ne diraient-ils pas[3] ! Je m’imagine que quelqu’un, mal satisfait des conjectures de tous ses prédécesseurs, dirait enfin que l’écrivain Abelly avait été caractérisé par cette épithète à cause qu’on avait voulu faire allusion aux offrandes d’Abel, qui ne furent point sèches comme celles de Caïn, mais un véritable sacrifice de bêtes. Il citerait sur cela le sacrum pingue dabo, nec macrum sacrificabo : il dirait que les parties des victimes n’étaient pas toutes également considérables, et que la graisse, sous laquelle il faut aussi comprendre la moelle, était d’un usage singulier. Plus il serait docte, plus le verrait-on courir d’extravagance en extravagance, et accumuler des chimères. En cet endroit, comme en plusieurs autres, verrait-on vérifiée l’espérance dont il est parlé dans la IXe. satire de M. Boileau :

Et déjà vous croyez, dans vos rimes obscures,
Aux Saumaises futurs préparer des tortures.


Quelqu’un a dit qu’il serait à souhaiter qu’on fît déjà un bon commentaire sur les satires de cet auteur[4][* 1]. Il est certain que cette sorte d’écrits deviennent bientôt obscurs, quant à un grand nombre de choses. Le Catholicon d’Espagne, et la Confession catholique de Sancy, en sont une preuve. Le public est fort redevable à l’auteur, qui publia des remarques sur la dernière de ces deux satires l’an 1693, et sur la première l’an 1696. Il est curieux et pénétrant, et fort propre pour ce travail.

(B) Des maximes des jansénistes. ] Un de ces messieurs s’est plaint fort amèrement de ce que M. de la Berchère, archevêque d’Aix, avait ordonné au directeur de son séminaire de suivre Abelly, et de ne plus enseigner la Théologie morale[5] de Grenoble. Il dit qu’on trouve dans la Medulla theologica de M. Abelly trois méchans principes, dont le 1er. renverse la plus certaine règle de la bonne conscience, reconnue par les païens mêmes, qui n’ont pas cru qu’il fût permis de faire une chose dont l’on doute si elle est juste ou injuste. Le 2e. réduit à rien le plus grand de tous les commandemens, qui est celui qui nous oblige d’aimer Dieu plus que toutes choses. Le 3e. est directement oppose au soin qu’a pris M. Le cardinal Grimaldi de faire observer les règles de saint Charles dans le sacrement de pénitence, en marquant un grand nombre de cas dans desquels les confesseurs doivent ou refuser ou différer l’absolution. On accuse donc M. Abelly d’enseigner, 1°. que l’on peut suivre une opinion moins probable et moins sûre en faisant ce qui est péché selon l’opinion contraire, qui nous paraît plus probable ; 2°. qu’il n’est point certain que le précepte d’aimer Dieu plus que toutes choses oblige jamais par lui-même, mais seulement par accident ; 3°. qu’on peut sans scrupule absoudre toujours ceux dont la vie est une continuelle vicissitude de confessions et de crimes. Voyez l’Avis aux révérends pères jésuites d’Aix en Provence, sur un imprimé qui a pour titre, « Ballet dansé à la réception de monseigneur l’archevêque Aix. » On publia cet avis l’an 1687, in-12.

Il est aisé de connaître qu’il s’agit du livre de M. Abelly dans cet endroit du Ménagiana. « Comme on parlait de la moelle d’A..., M. l’abbé le Camus, à présent cardinal, dit : la lune était en décours quand il fit cela[6]. » Nouvelle preuve du mépris des jansénistes pour cet ouvrage.

(C) Un secret qui plut à beaucoup de monde. ] Il a fait savoir au public que M. Vincent ne voulut plus avoir de liaison avec l’abbé de St.-Cyran, après lui avoir entendu dire que le concile de Trente n’était qu’une cabale, et une assemblée des scolastiques et du pape[7].

Un homme qui serait persuadé de cela ne pourrait pas être catholique romain.

  1. * [Ce dessein a été exécuté depuis la mort de M. Bayle par M. Brossète. Il publia en 1715 à Genève les Œuvres de Despréaux avec des éclaircissemens historiques donnés par l’auteur même, 2 vol. in-4. On les a réimprimées à Amsterdam en 1718, in-fol. et in-4 ; en 1722 à la Haye, en 4 vol. in-12. Addit. de l’édit. d’Amst.]
  1. On désigne l’abbé Auberi, chanoine de la Sainte-Chapelle, fameux moliniste, frère de ce M. Auberi qui a fait l’histoire du cardinal Mazarin. Suite du Ménagiana, pag. 8, édit. de Hollande.
  2. Œuvres de Despréaux, Lutrin, chant IV, 169, etc.
  3. Conférez ce que dit le P. Bouhours dans ce le IVe. dialogue de la Manière de bien penser, pag. 399, au sujet de ces paroles de M. Despréaux, profès dans l’ordre des Coteaux.
  4. Nouvelles de la Rép. des lettres, oct. 1684, art. V.
  5. Composée par M. Genet, que le cardinal Grimaldi, prédécesseur de M. de la Berchère, avait fait venir dans son séminaire pour y enseigner lui-même sa Morale, et qui a depuis été fait évêque de Vaison.
  6. Ménagiana, pag. 65 de la 1re. édit. de Hollande.
  7. Abelly, Vie de Vincent de Paule, liv. II, chap. XII. Voyez les Préjugés légitimes contre le jansénisme, pag. 134.

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