Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abudhaher

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ABUDAHER. C’est le nom du chef des karmatiens (A), sous lequel ils profanèrent et désolèrent la Mecque, l’an 317 de l’hégire (B). Ils dépouillèrent les pèlerins, et en tuèrent 1700 dans l’enceinte même de la Caaba[a], pendant que ces pauvres superstitieux faisaient le tour de cet oratoire sacré selon la rubrique de leurs dévotions. Les karmatiens ne se contentèrent pas de ce carnage ; ils enlevèrent du temple la pierre noire qu’on y vénérait comme un présent descendu du ciel[b] ; ils abattirent la porte du temple, et remplirent de corps morts le puits Zamzam, l’une des plus saintes et des plus sacrées parties du lieu. Pour surcroît d’affliction, Abudhaher faisait mille railleries de la religion mahométane ; il amena son cheval à l’entrée de la Caaba, afin de lui faire faire ses ordures en cet endroit-là, et il disait aux mahométans qu’ils étaient bien fous de donner à cet édifice le nom de maison de Dieu ; car, ajoutait-il, si Dieu faisait cas de ce temple, il m’aurait déjà écrasé de sa foudre, moi qui ai profané d’une manière si outrée (C) cette maison. La dévotion des mahométans pour ce temple ne diminua point pour cela ; ils continuèrent à y aller tous les ans en pèlerinage. Lorsque les karmatiens l’eurent aperçu, ils se résolurent à leur renvoyer la pierre noire, après l’avoir gardée vingt-deux ans. Ils voulurent plaisanter quelque temps après, et se moquer de la sottise de ces dévotions. Voilà des gens, disaient-ils, qui croient avoir la pierre noire ; mais nous leur en avons envoyé une autre à la place de celle-là : l’objet donc de leur dévotion est un être faux et supposé. Ils songeaient par de tels discours à quelque chose de plus solide (D) que n’est le plaisir d’insulter. On leur répondit qu’ils n’avaient qu’à venir voir l’épreuve qu’on voulait faire, et que, si la pierre nageait sur l’eau, elle serait la véritable. Elle nagea effectivement en présence des karmatiens, et ainsi on racla de tous les esprits les doutes et les scrupules que les railleries de ces profanes pouvaient faire naître [c]. Voilà un petit échantillon de la légende des peuples orientaux.

Vous trouverez beaucoup de choses curieuses touchant les karmatiens et Abudhaher dans la Bibliothéque Orientale de M. d’Herbelot[d]. Il les nomme carmathes, et il écrit Abu Thaher le nom de leur chef.

  1. C’est ainsi qu’on nomme le partie du temple qui est destinée à l’adoration et à l’oraison.
  2. Voyez la remarque (K) de l’article Agar.
  3. Pocockii Notæ in Specimen Hist. Arab., pag. 118, 119, ex Abulfeda et Ahmede Ebu Yusef.
  4. Dans l’article Carmath, pag. 256 et suiv.

(A) Des Karmatiens. ] C’est le nom d’une secte qui s’éleva dans l’Arabie, environ l’an 278 de l’hégire[1]. Le premier chef de cette secte fut un blasphémateur et un imposteur qui, attirant dans son parti ceux d’entre les habitans de la campagne et des déserts qui avaient le moins de religion et de lumières, s’acquit une pleine autorité sur eux. On peut voir dans Pocock[2] diverses étymologies du nom des karmatiens. Ils firent peu de chose au commencement, mais ils firent des progrès incroyables. Ils s’emparèrent de la plus grande partie des provinces d’Éraki et de Hejazi ; et se répandirent dans la Syrie, et jusques aux portes du grand Caire[3].

(B) L’an 317 de l’hégire. ] Abulfeda et Ahmed Ebn Yusef marquent cette année, et disent qu’on ne recouvra la pierre qu’en 339 : mais Safioddin abrège le temps : il met l’enlèvement de la pierre à l’an 319, et la restitution à l’an 335[4].

(C) D’une manière si outrée. ] Ahmed Ebn Yusef dit que jamais la religion mahométane n’a souffert une affliction comparable à celle-là[5].

(D) À quelque chose de plus solide. ] Ils avaient espéré d’attirer à eux les caravanes des pèlerins, car ils s’étaient imaginé que ces bonnes gens iraient au lieu où serait la pierre. Voilà pourquoi ils ne voulurent point la mettre à rançon : ils n’écoutèrent ni les prières ni les promesses. Mais, voyant qu’on ne discontinuait point d’aller à la Mecque, et que personne ne venait faire ses dévotions à la pierre qu’ils avaient chez eux, ils la rendirent. Ce ne fut pas sans s’y réserver quelque droit ; car, lorsqu’ils dirent qu’ils n’avaient rendu qu’une fausse pierre, ils prétendirent sans doute jeter des scrupules dans les esprits, et partager pour le moins les pélerinages, tôt ou tard. Ceux de la Mecque en prévirent les conséquences, et s’avisèrent de publier que leur pierre avait passé par l’épreuve et y avait été vérifiée.

  1. C’est notre année 891.
  2. Pocock., Notæ in specimen Histor. Arab., pag. 371. Ce Specimen fut imprimé à Oxford en 1650.
  3. Pocock., Notæ in Specimen Histor. Arab., pag. 371.
  4. Ibidem, pag. 119.
  5. Ibid.

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