Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Accurse 1

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ACCURSE[* 1], professeur en jurisprudence au treizième siècle, était Florentin. Il s’acquit un très-grand nom par les gloses qu’il composa sur le corps du droit. On dit qu’il ne commença que sur le tard à étudier la jurisprudence, et qu’il avait bien quarante ans (A) lorsqu’il se mit à ouïr les leçons du fameux Azo. Il s’était appliqué avant ce temps-là à d’autres études. Les progrès qu’il fit dans le droit civil furent si grands, qu’il devint un célèbre professeur en cette science. Il l’enseigna à Bologne, et puis s’enfonçant dans la retraite, il composa une glose continue sur tout le droit, laquelle parut si commode et si utile aux jeunes gens, qu’on ne parla plus des gloses qui avaient précédé celle-là, et qui sans doute n’étaient point si bien disposées, ni si complètes. Les contradictions que l’on remarque dans Accurse viennent, selon quelques-uns, non pas de son inconstance ou d’un défaut de mémoire, mais de ce qu’en rapportant les diverses opinions de ceux qui l’avaient précédé, il ne faisait connaître les auteurs que par la première lettre de leur nom. On veut que cette lettre, étant disparue de divers endroits, ait été cause que les lecteurs aient pris pour son sentiment ce qu’il n’avait dit que comme témoin de la doctrine d’un autre. Son autorité était autrefois si grande (B) que quelques-uns l’ont nommé l’idole des avocats[a]. La plupart des interprètes ont pris autant[b] ou plus[c] de soin d’expliquer sa glose que de commenter le texte même des lois. Quelques critiques, grands amateurs de la politesse du langage, ont horriblement crié contre la barbarie de cet auteur (C) ; mais on convient assez généralement que c’était un grand génie, et que ses défauts viennent du siècle où il a vécu (D). Il vécut fort à son aise, ayant belle maison à la ville, belle maison à la campagne, et deux fils qui étudiaient bien, comme on le verra bientôt. Il y a des gens qui lui donnent une fille fort savante (E), et installée à la profession du droit civil. Il mourut l’an 1229 (F), à l’âge de soixante-dix-huit ans. Son tombeau se voit a Bologne, dans l’église des Cordeliers, avec cette inscription très-courte et très-simple : Sepulchrum Accursii, glossatoris legum, et Francisci ejus filii[d]. Il disait qu’on n’avait que faire de la théologie pour connaître les choses divines (G), puisque les lois romaines nous en instruisaient assez. M. Moréri allègue très-mal le sieur Catel (H). François Hotman n’a pas eu raison de dire qu’Odofred enseigna Azo et Accurse ; car Odofred et Accurse furent tous deux disciples d’Azo, et puis professeurs en même temps à Bologne. Albéric Gentil a remarqué cette faute de François Hotman[e].

  1. * Chauſepié raconte qu’ayant perdu son nom et son surnom, il retint seulement celui d’Accorso.
  1. Tiré de Panzirol. de Claris Legum Interpr. lib. II, cap. XXIX, pag. 147 et seq.
  2. Arth. Durk de Usu et Author. Juris Civ. Rom. lib. I, cap. V, apud Pope Blount. Cens. celeb. Autor, pag. 286
  3. Forsteri Hstor. Juris Civil. lib. III, cap. XII.
  4. Panzirol. de Cl. Leg. Interpr. Lib. II, cap. XIX, pag. 146.
  5. Alberic. Gentil. in Dialog. de Juris Interpretibus, fol. 60.

(A) Et qu’il avait bien quarante ans. ] D’autres disent qu’il n’en avait que vingt-huit. Jam quadragenarius, vel, ut alii scribunt, XXVIII annos natus, jus civile ab Azone audivit. C’est ainsi que parle Panzirole dans la page 147 de la seconde édition, qui est celle de Venise, en 1655[1]. M. Pope Blount, citant Panzirole et Konig, met trente-sept ans, et non vingt-huit [2]. La citation de Konig est bonne ; mais celle de Panzirole ne l’est pas, à moins que mon édition ne soit différente de la première. Forsterus aurait été plus propre à être cité ; car il rapporte qu’Accurse devint disciple d’Azo à l’âge de trente-sept ans[3]. Voyez ci-dessous la remarque (F).

(B) Son autorité etait autrefois si grande. ] Je ne saurais rien alléguer ici de plus à propos ni de plus divertissant qu’un passage cité par un des jurisconsultes modernes qui ont le moins estimé les glossateurs : Nostis quanta sit auctoritas glossatoris. Nonne heri dixit Cyn. glossam timendam propter præscriptam idololatriam per advocatos, significans quòd sicut antiqui adorabant idola pro diis, ita advocati adorant glossatores pro evangelistis. Volo enim potiùs pro me glossatorem quàm textum ; nam si allego textum, dicunt advocati diversæ partis et etiam judices, credis tu quòd glossa non ita viderit illum textum sicut tu, et non ita benè intellexerit sicut tu ? Ego recordor (et sit illud pro novo) quod, dùm essem scholaris, eram satis acutus, et dùm semel essemus multi socii in unâ collatione, ausus fui unum textum allegare contra sententiam doctoris mei : tantam audaciam habui. Dixit unus socius : Tu loqueris contra glossam quæ dicit sic, Et ego respondi : Etsi glossa dicit sic ego dico sic, ignarus auctoritatis glossatorum. Credebam enim quòd essent communes apostillæ, quales sunt in libris grammaticæ, sicut super Virgilio et Ovidio : sed tamen non ita est ; fuerunt enim glossatores maximæ scientiæ viri et auctoritatis. Etsi aliud non esset quàm glossarum ordinatio, et de quibus potest dici id quod arbitror de nullo dici passe, videlicet quòd totum corpus juris viderunt. Magis ergo standum est eis qui viderunt, quàm nobis qui non vidimus[4]. Hotman cite quelques autres passages du même auteur, qui confirment la même chose, et qui nous apprennent que, devant, les juges, la glose, mise en balance contre le sentiment de deux interprètes, l’emportait toujours. Si sententia glossatoris duobus doctoribus est contraria, profectò in judiciis prævaleret sententia ipsius glossæ[5].

(C) Crié contre la barbarie de cet auteur. ] Louis Vivès est un de ceux-là. [6]. Voyez aussi Bernartius dans son Traité du profit qu’apporte la lecture de l’histoire. Il s’est trouvé parmi les jurisconsultes du seizième siècle bien des auteurs qui ont censuré cette barbarie. Il semble que l’Alciat les ait mis en branle, et qu’il ait commencé de donner du goût pour l’union des belles-lettres et du droit civil. Budée[* 1], l’un des plus ardens censeurs d’Accurse, a contribué aussi à cela[7]. On ne peut nier que l’ignorance des belles-lettres n’ait fait tomber les glossateurs dans plusieurs bévues. Albéric Gentil s’est fort déclaré leur partisan : il n’a pas voulu avouer qu’Accurse ait mis en usage la maxime. græcum est, non potest legi[8], qui lui a été reprochée[9]. Il croit que ces paroles ne se trouvent nulle part dans ce glossateur, et il le fait plus habile dans la langue grecque qu’on ne le pense ordinairement. Quoi qu’il en soit, le proverbe græcum est, non potest legi, passe pour avoir tiré son origine de la coutume des glossateurs. On prétend que, lorsqu’ils tombaient sur un mot grec, ils cessaient d’interpréter, et en donnaient pour raison que c’était du grec qui ne pouvait être lu ; et après avoir ainsi sauté cette fosse, ils reprenaient l’explication du latin.

(D) Que c’était un grand génie, et que ses défauts viennent du siècle où il a vécu. ] Je ne citerai que deux auteurs. Hanc significationem in animo habuit F. Accursius, glossatorum veterum coryphæus, homo ingenii prorsùs stupendi, qui in tantis disciplinarum tenebris ipsam disciplinarum disciplinam accuratissimè intellexit, cùm non jurisdictionem, sed jurisditionem scribendum censuit[10]. Voilà ce que dit un Allemand : voyons ce qu’a dit un Français. Antiqui (interpretes juris) inter quos Accursius et Bartolus principatum tenent, de sermone non valdè anxii, rerum quas tractant curam solam habuerunt : quas cùm nossent, quantùm in illà barbarie et codicum depravatione nosse poterant, explicare nisi inconditè et barbarè nequiverunt, quod non tam eis quàm seculo illi tribuendum, quo linguæ et bonæ litteræ prorsùs jacebant[11]. Notez que Barthius donne à Accurse le prénom Franciscus : il n’est pas le seul qui le fasse[12]. J’avais suivi ces gens-là dans la première édition ; mais je les abandonne dans celle-ci.

(E) Une fille fort savante. ] Panzirole n’en parle que par un on dit. Filiam quoque habuisse dicitur, quæ jus civile Boloniæ publicè docuit[13]. Dès qu’un fait de cette nature est douteux, il s’en faut très-peu qu’il ne soit faux ; car de telles choses sont trop singulières pour demeurer dans l’incertitude quand elles sont véritables. Ainsi je n’ajoute pas beaucoup de foi à ce que je viens de lire dans le Théâtre de Paul Fréher, qu’Accurse eut quelques filles qui, à cause de leur excellente érudition, furent employées à faire des leçons publiques à Bologne[14]. Fréher agréera, s’il lui plaît, que je me défie de Jean Frauenlobius, dont il cite un livre allemand.

(F) Il mourut l’an 1229. ] Vous ne voyez rien de semblable dans le Théâtre de Paul Fréher, qui a été compilé avec tant de peine et pendant un si long temps. Vous y voyez, au contraire, qu’Accurse florissait l’an 1236, qu’il mourut l’an 1279[* 2], et qu’il fit les gloses sur les Authentiques l’an 1236[15]. Il est cité lui-même pour ce dernier fait par Jean Fichbard, dans la Vie des jurisconsultes[16]. Cette citation est fausse ; car voici une observation qui m’a été communiquée de bon lieu[17]. « Volaterran dit qu’Accurse commença d’étudier en droit à quarante ans, et qu’il mourut l’an 1279, en la soixante-dix-huitième année de son âge[18] ; d’où il s’ensuivrait qu’il serait né l’an 1201. Cependant Accurse lui-même nous apprend, sur l’Authentique ut præp. nom, imp. au mot indictiones, qu’il écrivait actuellement en l’année 1220 ; et sur la loi pénultième au code de accusationibus, qu’il écrivait en l’année 1227 : ce qu’il n’aurait pu faire si le calcul de Volaterran avait lieu ; autrement, Accurse aurait travaillé sur le droit long-temps avant que d’y avoir étudié. Ces époques de 1220 et de 1227 excluent celle de 1236, qui est fautive, et qui ne peut être admise par ceux qui mettent la mort d’Accurse en 1229. »

(G) Qu’on n’avait que faire de la théologie pour connaître les choses divines. ] Coringius l’en a censuré comme il fallait. Voici ses paroles : Ridicula est Accursii gloriato in gl. ad I. 10, sect. 2. ff. de J. et J., nihil opus esse theologiæ studio ad cognoscenda divina, ut quæ ex legum romanarum libris affatim queat peti[19].

(H) M. Moréri allègue très-mal le sieur Catel. ] Comparons le texte de ces deux auteurs l’un avec l’autre : il ne faut que cela pour connaître la bévue. Catel ayant dit que Montpellier est une des premières villes de France, en laquelle le droit romain a été lu publiquement, ajoute : « Car nous trouvons que le grand et ancien jurisconsulte Placentin, qui vivoit avant le glossateur Accurse, a lu publiquement le droit dans la ville de Montpellier, de laquelle il fait souvent mention dans sa Somme, qu’il composa (selon qu’il en a escrit sur les Institutes), demeurant à Montpellier ; ainsi qu’ont remarqué ceux qui ont escrit sa vie. Il mourut dans Montpellier le 12 février 1192, et est enterré dans le cimetière Saint-Barthélemi[20] ». Or, voici les paroles de Moréri : Le sieur Catel soutient qu’Accurse mourut à Montpellier en 1192. Ce qu’il ajoute a bon besoin de correction : D’autres, dit-il, comme Fischard, et Trithème, le placent dans le siècle suivant ; même le dernier dit qu’il professait à Bologne en 1240. Mais peut-être se sont-ils trompés, en confondant ce grand homme avec François Accurse son fils, qui avoit beaucoup de science et de mérite, et qui fut professeur en droit à Bologne, et conseiller de Richard, roi d’Angleterre. On a dû placer le père au XIIIe. siècle, et on ne courait en cela précisément aucun risque de le confondre avec le fils : de sorte que le doute de M. Moréri est très-mal fondé. Il n’y avait point en ce temps-là un roi d’Angleterre nommé Richard.

  1. * Joly dit qu’il faut écrire et prononcer Budé. C’est ce qu’a fait Bayle, à l’article de ce personnage Ce n’est donc qu’une faute d’impression que relève Joly.
  2. * Joly critique cette date de 1279, ainsi que celle de 1229 qu’on lit dans le texte. Il ajoute que d’autres disent 1259 ou 1260, mais qu’il est pour 1245.
  1. Panzirol. de Clar. Leg. Interpret. lib. II, cap. XXIX.
  2. Pope Blount, Cens. Celebr. Autor. pag. 286.
  3. Forst. Histor. Juris civil. lib. III, cap. XII.
  4. Raphael Fulgosius in L. Si in Solutum, C. de Action. et Oblig. apud Fr. Hottomanum, Præf. Consiliorum.
  5. Idem. ibid. apud. eundem.
  6. Ludov. Vives, de Causis corrupt. Artium, lib. I, p. 52. et lib. VII, pag. 206. Vide etiam Brassicanum inter Epistol. Eobani Hessi.
  7. Voyez Pasquier, Recherche de la France, liv. IX, chap. XXXIX, pag. 901, qui donne le premier rang à Budée, et le second à Alciat.
  8. Alb. Gentilis, de Juris Interpret. fol. 29
  9. Vide Sich. in Prœfat ad Codicem Theodosianum ; et Alciatum, cap. XVI, lib. II, Dispunct.
  10. Barthii Animad. ad Claudian. in Rufin, lib. II, vs. 85, pag. 1200, 1201.
  11. Rolandus Maresius, Epist. XL, lib. I, pag. 176, 177, edit. Leips. A. 1687.
  12. Arthus Duck et Pope Blount le font aussi. Voyez Pope Blount, Cens. cel. Aut. pag. 286.
  13. Panzirol de Cl. Leg. Interpr. lib. II, cap. XXIX, pag. 149.
  14. Paul. Freher. Theatr. Viror. Erudit. pag. 784.
  15. Idem, ibid.
  16. Apud Freher. ibid..
  17. C’est par M. de la Monnaie.
  18. Volaterr. lib. XXI, pag. 781. Il remarque qu’Accurse commença cette étude sous l’empire de Frédéric II. Or cet empereur régna depuis l’an 1212 jusqu’à 1250.
  19. Conring. de Civili Prudentiâ, cap. III, apud Pope Blount Cens. cel. Aut. pag. 286.
  20. Catel, Mémoires de l’Histoire du Languedoc, pag. 293.

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