Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Agricola 2

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AGRICOLA (George), médecin allemand, excella dans la connaissance des métaux. Il naquit à Glaucha, dans la Misnie, le 24 mars 1494. Les découvertes qu’il fit dans les montagnes de Bohème, après son voyage d’Italie, lui donnèrent une passion si ardente de connaître à fond tout ce qui concerne les métaux, que lors même que par le conseil de ses amis il se fut engagé à pratiquer la médecine à Joachimstal[a], il donnait le plus de temps qu’il pouvait à l’étude des fossiles. Pour mieux satisfaire cette passion, il se transporta à Chemnits, où il s’appliqua tout entier à cette étude. Il y dépensait non-seulement la pension qu’on fut avait obtenue de Maurice, duc de Saxe, mais aussi une partie de son bien ; de sorte qu’il remporta de ses travaux beaucoup plus de gloire que de profit. Il composa plusieurs ouvrages sur la matière qui lui tenait le plus au cœur, et quelques autres sur divers sujets (A). Il examina ce que Budé, Léonard Porcius et Alciat avaient observé touchant les poids et les mesures, et y remarqua bien des fautes. Alciat se voulut défendre et n’y trouva point son compte. Bodin soutient qu’en comparaison d’Agricola les Aristote et les Pline n’ont été que des aveugles sur les questions métalliques[b]. Il ne faut pas oublier que lorsque le duc Maurice et le duc Auguste allèrent joindre en Bohème l’armée de Charles-Quint, Agricola les servit pour leur témoigner sa fidélité, quoiqu’il fallût qu’il abandonnât le soin de son bien, ses enfans, et sa femme qui était enceinte[c]. Il mourut à Chemnits le 21 novembre 1555, très-bon papiste. L’ardeur avec laquelle il combattit sur ses vieux jours la doctrine protestante, dont il n’avait point paru fort éloigné au commencement (B), le rendit si odieux aux luthériens, qu’ils le laissèrent cinq jours sans sépulture (C). Il fallut qu’on allât tirer de Chemnits ce cadavre, pour le transporter à Zeits, où il fut enterré dans la principale église[d]. Voilà des fruits du zèle aveugle (D).

  1. C’est-à-dire, la vallée de Joachim. C’est une ville de Misnie,
  2. Bodin, in Method. Hist. Voyez dans Pope Blount, Censura celebrior. Authorum. pag. 413, un grand nombre d’éloges très-honorables d’Agricola.
  3. Uxore prægnante cum dulcissimis liberis domi relictâ, fortunis etiam omnibus posthabitis, cùm jusjurandum, quo eis erat devinctus, nullo modo negligendum putaret, in exercitu corum penè senex militavit. Melch. Adam, Vitæ Medic., pag. 79.
  4. Id. ibid., pag. 77 et seq.

(A) Il composa plusieurs ouvrages sur la matière qui lui tenait le plus au cœur, et quelques autres sur divers sujets. ] Voici les titres de quelques-uns : De Ortu et Causis Subterraneorum. De naturâ eorum quæ effluunt ex Terrâ. De naturâ Fossilium. De medicatis Fontibus. De subterraneis Animantibus. De veteribus et novis Metallis. De re Metallicâ. Je compte pour un ouvrage de politique, sa Harangue de Bello Turcis inferendo[1] ; pour un ouvrage de controverse, son Traité de Traditionibus Apostolicis ; et pour un ouvrage de médecine, son Traité de Peste. Melchior Adam ignore si ces deux derniers ouvrages ont jamais été imprimés : je l’ignore aussi, quant au traité de controverse ; mais je sais que l’autre parut à Bâle, l’an 1554, et qu’il avait été depuis imprimé deux fois avant que Melchior Adam publiât son livre. Voyez Mercklin dans son Lindenius renovatus.

(B) Il n’avait point paru fort éloigné, au commencement, de la doctrine protestante. ] Il avait désapprouvé, non-seulement le trafic sordide des indulgences, mais aussi plusieurs autres choses. Voici quatre vers de sa façon, qu’on afficha en l’an 1519 dans les rues de Zwickaw[2] ; ils regardent les indulgences de Rome :

Si nos injecto salvabit cistula nummo,
Heu nimiùm infelix tu mihi pauper eris !
Si nos, Christe, tuâ servatos morte beasti,
Jam nihil infelix tu mihi pauper eris.


Melchior Adam a cru que quatre choses empêchèrent la conversion d’Agricola. 1o Les écrits téméraires de quelques théologiens. 2o La vie scandaleuse de quelques sectateurs de la réforme. 3o Le brisement des images et la révolte des paysans. 4o. L’inclination naturelle qu’il avait pour la pompe des cérémonies[3]. De ces quatre choses, les trois premières dégoûtèrent entièrement Érasme du parti des protestans. Un grand nombre d’autres personnes qui avaient soupiré après la réformation de l’Église, s’achoppèrent au même piége qu’Érasme ; et de là vient que Théodore de Bèze rencontre tant de personnes dans son chemin, qui avaient d’abord goûté la bonne semence, et puis s’étaient replongées au bourbier[4]. Quand on parle de cela à des gens qui peuvent entendre raison, on les voit dire que dans l’état où étaient les choses, il n’y avait pas moyen de se soutenir ni de s’avancer avec un style débonnaire, et par la pure patience ; et qu’ainsi la Providence de Dieu, dont les voies sont toujours infiniment sages, laissa voir l’homme dans le grand ouvrage de la réformation, afin de parvenir plus naturellement à son but, qui était, comme l’expérience nous l’apprend, d’empêcher qu’aucune des deux religions n’achevât de ruiner l’autre. C’est bien dit. Il y a certains moyens qui, par cela même qu’ils sont fort propres à faire la moitié de l’œuvre, sont incapables de la faire toute,

(C) Il le laissèrent cinq jours sans sépulture. ] Scaliger a condamné avec raison cette conduite. Agricolam, dit-il[5], quo nihil doctius, Lutherani mortuum sepelire noluerunt, quia manserat Pontificius. Italus quidam scripsit et hortatus est, ut sepelirent hominem christianum ; barbaries magna. Je n’oserais soutenir qu’il est faux qu’un Italien ait exhorté par une lettre à cet office d’humanité ; mais je n’y vois aucune apparence : la mémoire de Scaliger ou celle de ses pensionnaires ont confondu apparemment les objets. Il y a une lettre de Matthiole, où il fait ses doléances de ce qu’un véritable vieillard tel que George Agricola n’avait pu trouver dans sa patrie autant de terre qu’il en fallait pour couvrir son corps. Id. Matthiolus ad Caspar. Nœviun Med. (lib. 2. Epist.) queritur, hunc præclarum probumque senem in patriâ tantum terræ non invenisse, quo suum operiretur cadaver.[6]. De cela on a pu forger qu’un Italien exhorta par une lettre ceux qui avaient le corps de ce savant homme à l’inhumer. Qu’on ne s’étonne point que je fasse peu de cas de ce que dit ici le grand Scaliger ; car quel fond pourrais-je faire sur lui concernant Agricola, puisqu’il avait dit un autre jour que c’était un grand impie qui n’avait mérité qu’à peine d’être enterré ? Non minùs eruditus et in censendâ metallorum naturâ curiosus fuit quàm verè impiùs, nulli addictus religioni, ut post mortem vix sepeliri meruerit[7].

(D) Voilà des fruits du zèle aveugle. ] Il n’y a point aujourd’hui de protestant qui ne condamne la conduite que l’on tint envers ce cadavre ; et je ne doute pas que dès ce temps-là la plupart des luthériens ne la condamnassent. Melchior Adam paraît en jeter toute la faute sur le ministre du lieu. Il est maintenant plus aisé de voir le désordre de ce faux zèle ; le temps a calmé les ressentimens qui, comme des tempêtes impétueuses, dérobaient la vue du ciel :

Eripiunt subitò nubes cœlumque diemque
Teucrorum ex oculis : ponto nox incubat atra[8].


À quoi ne se porte-t-on pas pour user de représailles, et lorsqu’on a sujet de parler ainsi ?

Res dura, et regni novitas, me talia cogunt Moliri[9].


Le sieur Freher remarque qu’Agricola se mit tellement en colère dans une dispute de théologie, qu’il gagna une fièvre chaude qui l’emporta[10]. Il ne cite que Melchior Adam, qui n’en dit rien. Il faut croire qu’Agricola avait irrité les luthériens par des marques d’une aversion excessive. Pierre Albinus le représente[11] comme un catholique romain obstiné. Comparez cela, je vous prie, avec le premier Scaligerana.

  1. Imprimé à Bâle, l’an 1538.
  2. Il y enseignait le grec.
  3. Melch. Adam, Vit. Medicor., pag. 80.
  4. Voyez son Histoire des Églises.
  5. In Scaligeranis, pag. 5.
  6. Melch Adam. Vit. Medicor., pag. 82.
  7. Scaligerana prima, pag. 73.
  8. Virgile Æneid., lib. I, vs. 88.
  9. Dido apud Virgilium, Æn. lib. I, vs. 563.
  10. Paul. Freheri Theatr. Viror. Illustr., p. 1238.
  11. Dans La Chronique de Misnie.

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