Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alamandus

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ALAMANDUS (Louis), en français Aleman, archevêque d’Arles et cardinal du titre de sainte Cécile, a été un des grands hommes du XVe. siècle. Ceux qui parlent des affaires où il fut mêlé, l’appellent ordinairement le cardinal d’Arles. Il n’était point Bourguignon, comme l’ont débité quelques auteurs ; mais il ne s’en fallait guère, puisque le pays de Bugei lui a donné la naissance. C’est ce que Guichenon a fait voir dans son histoire de Bresse, comme M. Moréri l’a remarqué. Pour ne pas répéter ce qu’il en dit, je m’arrêterai à d’autres choses. Le cardinal d’Arles présida au concile de Bâle, qui déposa Eugène IV, et qui élut l’antipape Félix V[a]. Il a été fort loué par Énée Silvius, comme un homme tout-à-fait propre à présider à de telles compagnies, ferme et vigoureux, illustre par sa vertu, savant, et d’une mémoire admirable pour récapituler tout ce que les orateurs et les disputans avaient dit [b]. Un jour qu’il harangua contre la supériorité du pape sur le concile, il se fit admirer de telle sorte que plusieurs l’allèrent baiser, et que d’autres s’empressèrent à baiser sa robe. On élevait son habileté jusqu’au ciel : habileté qui avait fait qu’encore qu’il fût Français, il avait surpassé les Italiens, quelque fins qu’ils fussent [c]. Il savait fort bien employer les machines de la dévotion ; car un jour de session, il fit porter par les prêtres, dans l’assemblée, toutes les reliques qui se purent trouver à Bâle, et les fit mettre à la place des évêques absens. Cela produisit un tel effet, que lorsqu’on vint, selon la coutume, à invoquer le Saint-Esprit, chacun se mit à pleurer. Il ne fit pas moins pleurer les assistans lorsqu’il officia le jour d’une autre session, et que la tête chauve toute nue, il distribua la communion à tous ceux qui se présentèrent, leur donna à tous le baiser de paix, et les exhorta à communier dignement [d]. Il fut inflexible à tout pendant la peste qui s’éleva dans la ville : la mort d’une partie de ses domestiques, et les prières de personne ne le purent obliger de sortir ; il aima mieux sauver le concile au péril de sa vie, par sa présence, que sauver sa vie, au péril du concile, par son absence[e]. Il était extrêmement laborieux, et si sobre, qu’il y eut des conclavistes qui ne purent souffrir qu’en diminuant leur ordinaire, on leur représentât l’exemple de ce cardinal. La réponse que fit là-dessus un Polonais vaut la peine d’être lue (A). Il ne faut pas demander si le pape Eugène foudroya le président d’un concile où il avait été déposé. Il le priva de toutes ses dignités, et le traita de fils de la gehenne (B). Cependant Louis Alamandus ne laissa pas de mourir en odeur de sainteté (C), et de faire tant de miracles après sa mort, qu’à la requête des chanoines et des célestins d’Avignon, et sur les instances du cardinal de Clermont, légat à latere de Clément VII, il fut béatifié par ce pape, l’an 1527[f]. Oderic Raynaldus a prétendu qu’il se repentit de tout ce qu’il avait fait dans le concile de Bâle ; mais on ne saurait donner nulle preuve de ce repentir[g], ni contredire ce point de fait, qu’un an avant sa mort[h] il fut un de ceux qui, au concile de Lausanne, parlèrent du concile de Bâle comme d’une assemblée sainte et sacrée[i]. Il mourut à l’âge de soixante ans[j], le 16 de septembre 1450[k]. Les uns disent que ce fut en Savoie, à l’abbaye de Hautecombe, où les moines lui bâtirent une chapelle, et l’invoquèrent durant la célébration de la messe[l] ; les autres disent qu’il mourut à Salon [m]. Son corps est à Arles : la bulle de Clément VII en permit la translation des lieux humides et souterrains à tout autre plus commode dans la même église. Je vois des gens qui assurent, après Jacques-Philippe de Bergame[n], que Louis Alamandus publia plusieurs opuscules dignes de lui ; mais je ne vois personne qui marque le titre de ces opuscules, ni les bibliothéques où ils sont[* 1].

Les jansénistes qui ont critiqué Oderic Raynaldus au sujet du prétendu repentir de notre Louis Aleman, se sont exposés eux-mêmes à la censure (D).

  1. * Joly remarque qu’aucun outrage de ce cardinal n’était connu avant 1739, que le père Montfaucon mit au jour sa Bibliotheca bibliothecarum Manuscriptorum nova, où il apprend que l’on conserve à Bâle une Pièce du Cardinal.
  1. Il était duc de Savoie, et se nommait Amédée.
  2. Æneas Silvius, de Gestis Basileensis Concilii, lib. I.
  3. Prudentiam ejus magnoperè commendabant, qui licèt origine esset Gallicus, Italos tamen hâc die summâ homines astutiâ superâsset. Æneas Silvius, de Gestis Concil. Basil., lib. I.
  4. Idem, lib. II.
  5. Idem, ibid. Je rapporte ses paroles latines, dans la remarque (A).
  6. Voyez-en la Bulle dans Laun. Epist., XI, part. I, pag. 79, 80. Edit. Cantabr., ann. 1689, in-fol.
  7. Launoius, ibid., pag. 81.
  8. C’était l’an 1449
  9. Sacri Basileensis Concilii Diploma Concilii Lausanensis, apud Raynaldi Annal. Ecclesiast., ad ann. 1449.
  10. Voyez la Bulle de Clément VII, dans Laun. Epistolar, pag. 79, 80.
  11. Ex ejus Epitaphio.
  12. Petrus Monodus in Amedeo Pacifico, cap 86 (il fallait dire 76), apud Laun. Epist., pag. 81.
  13. Moréri.
  14. Jacobus Philippus Bergom. Chronicor. lib. XV.

(A) La réponse..... d’un Polonais vaut la peine d’être lue. ] « Quelle comparaison ! » s’écria-t-il lorsqu’on lui proposa l’exemple de Louis Alamandus. « Vous me parlez d’un Français, sobre, qui n’a point de ventre, ou, pour mieux dire, qui n’est point homme : je puis voir à travers le rideau qui nous sépare tout ce qu’il fait ; je ne l’ai jamais vu encore, ni manger ni boire ; il ne dort ni nuit ni jour, il lit perpétuellement, ou il négocie ; il ne songe à rien moins qu’à son ventre : ce n’est point mon homme ; je n’ai rien de commun avec de semblables gens. » Quos inter (ce sont les paroles d’Enée Silvius au sujet de la nourriture de ceux qui étaient entrés dans le conclave) Cracoviensis archidiaconus diminutionem (cibariorum) tulit. Cui cùm aves et arietinæ carnes afferrentur, substractæ aviculæ sunt, orante in portâ famulo ut quod plus esset, id Domino dimitteretur ; sperabat namque ex ariete partem, ex avibus autem non sperabat : Dominus tamen aviculam præoptâsset. Ideòque cùm spolium sensit, utique conquestus est publicèque testatus, nunquàm se diem, postquàm Sacerdos fuit, tulisse pejorem. Ac cùm rogaretur ne admirationem haberet, quoniam id obtigisset cardinali Arelatensi. « Proh ! inquit, cardinalem mihi æquiparas, hominem gallicum, parcum, eventrem, aut, ut veriùs loquar, non hominem. Ego apud eum meo infortunio sum locatus, omnia quæ facit perlustris mihi cortina indicat, nec adhuc bibere eum, aut comedere vidi ; et quod mihi molestius est, insomnes noctes insomnesque dies ducit (quamquàm nulla est apud nos dies) aut legit semper, aut negotiatur. Nulla ci minor quàm ventris est cura : mihi nihil cum eo commune est[1]. » Voilà comment sont bâtis ceux qui dans les plus grandes affaires sont capables de surmonter les obstacles les plus forts. Cela demande des gens laborieux et détachés des plaisirs des sens, et intrépides. Donnons en latin le témoignage de la fermeté de Louis Alamandus contre la crainte de la peste : Neque illum preces, neque domesticorum funera, flectere potuerunt, volentem potiùs cum vitæ periculo salvare concilium, quàm cum periculo concilii salvare vitam ; sciebat enim, quoniam se recedente pauci remansissent, facilèque committi fraus in ejus absentiâ potuisset[2].

(B) On le traita de fils de la géhenne.] Dans une bulle donnée à Florence, l’an 1442, on l’appelle iniquitatis filium, rebellionum facinorum multorum reum, et l’on y dit que les conciles de Ferrare et de Florence l’avaient condamné et dépouillé de toutes ses dignités : A Ferrariensi et Florentino conciliis dominatum et universis dignitatibus privatum fuisse[3].

(C) Cependant il ne laissa pas de mourir en odeur de sainteté. ] Cet exemple et celui de Pierre de Luxembourg, béatifié parla même bulle de Clément VII[4], sont un peu embarrassans pour les controversistes du parti romain ; car enfin, si, selon leur prétention, tout homme qui n’est point uni au pape, est hors de l’Église, comment se peut-il faire que non-seulement on se soit sauvé dans les deux obédiences, mais qu’on y ait aussi mérité le grade de saint ? La meilleure réponse qu’on puisse faire est de dire, que la distinction du vrai pape et du faux pape étant au-dessus des forces des particuliers, et une pure question de fait, l’erreur était invincible, et par conséquent ne devait point préjudicier à ceux qui étaient dans la bonne foi quant à la question de droit. Mais gare les répliques et les conséquences qui naissent de là en faveur d’autres erreurs !

(D) Les jansénistes qui ont critiqué Raynaldus..... se sont exposés eux-mêmes à la censure. ] Ils allèguent d’abord les injures dont ce continuateur de Baronius a chargé le cardinal d’Arles, et ils observent ensuite, qu’il a esté contraint d’avouer en deux divers endroits, l’an 1426, n. 26, et l’an 1450, n. 20, que Dieu a fait reconnoître la sainteté de ce cardinal par des miracles si visibles et si bien attestez, que Clément VII l’a mis au nombre des bienheureux....[5]. La manière dont cet autheur se tire de ce mauvais pas, continuent-ils, est tout-à-fait horrible, « et ne peut estre fondée que sur une maxime très-pernicieuse, qui est que des gens coupables de crimes publics puissent devenir Saints, et estre reconnus pour Saints par l’Église, sans qu’ils ayent donné aucun témoignage de se repentir de leurs crimes, et que toutes choses, au contraire, fassent voir qu’ils y ont persévéré. Car si le cardinal d’Arles a commis des crimes, et a deu estre estimé un très-meschant homme, en faisant tout ce qu’il a fait dans le concile de Basle, jamais homme n’a esté plus constant dans ses crimes ; puisque, lors même que les pères du concile de Basle, où il présidoit, se réunirent à Nicolas V, ce ne fut point en reconnoissant en aucune sorte qu’ils eussent mal fait, ny de résister à Eugène, ny de le déposer, ny d’élire Amédée ; mais ce fut au contraire, en protestant qu’ils n’avoient rien fait que pour le bien de l’Église, et qu’ils ne s’unissoient à Nicolas V, qu’en l’élisant de nouveau, après la cession volontaire de Félix : et l’union se fit sans qu’on les obligeast à rien désavouer de tout ce qu’ils avoient fait ; mais ce fut, au contraire, Nicolas V qui confirma ce qui avoit esté fait à Basle. De sorte que, si tout ce qu’a fait le cardinal d’Arles dans le concile avoit esté criminel, jamais homme n’auroit témoigné plus d’opiniastreté dans le crime. D’où il s’ensuit que, si cela n’a pas empesché qu’il ne devinst Saint, il faudroit dire que la persévérance dans les plus grands crimes n’empesche pas qu’on ne soit Saint ; ce qui est horrible. Et, cependant, c’est une suite nécessaire de ce discours de Raynaldus, l’an 1450, n. 20. Hoc anno, dit-il, Ludovicum Alamandum archiepiscopum Arelatensem..... vitâ cessisse tradunt, atque miraculis post mortem coruscâsse affirmant, eumque Clemens VII veluti Beatum coli permisit exarato diplomate Pontificio 9. Apr. an. 1527. Itaque adoranda est divina misericordia, quæ exiguo temporis fluxu Ludovicum ipsum nefandi et perniciosissimi schismatis auctorem, propagatorem hæreseos, qui ex erroneâ conscientiâ innumera in Dei Ecclesiam mala invexerat, ac tot annorum cursu in pertinaciâ obfirmatus profanaverat sacramenta, pœnitentem ac reversum in gremium Ecclesiæ ad sanctitatis culmen brevi evexit. Si cet autheur s’estoit contenté de dire que le grand zèle qu’avoit ce saint homme pour la réformation de l’Église l’avoit emporté à des actions trop violentes, quoy qu’il les fist par un bon motif, cela auroit esté supportable, et ne seroit pas si contraire aux témoignages que Dieu a rendus de sa sainteté. Mais de le faire passer pour méchant homme, pour un hérétique, et pour un schismatique opiniastre qui auroit profané les sacremens par une infinité de sacriléges, et vouloir qu’ensuite en un an ou deux il soit devenu Saint à canoniser, sans avoir donné aucune preuve de son repentir de tant de crimes qu’on luy impute, c’est avoir une estrange idée de la sainteté, ou plustost, c’est aimer mieux allier ensemble la malice et la sainteté, que d’avouer qu’un pape s’est trompé, en déclarant un homme méchant, lors même que Dieu l’a déclaré saint. Mais la bulle de Clément VII, de la béatification de ce saint homme, rapportée par Ciaconius, suffit pour confondre cet escrivain, puisque le pape luy rend témoignage, non d’avoir fait une grande pénitence des crimes qu’il auroit commis, mais d’avoir rendu à Dieu son âme très-pure, après avoir vescu soixante ans. »

Ces messieurs censurent très-justement Raynaldus à l’égard de la hardiesse avec laquelle il assure le repentir d’Aleman, et ils réfutent d’une manière démonstrative sa prétention ; mais ils ont tort de l’accuser de ce dogme horrible qu’ils étalent si pompeusement : il n’est point vrai qu’il joigne ensemble la sainteté et l’impénitence ; car il suppose, au contraire, que ce cardinal se repentit, et il reconnaît en cela une adorable miséricorde du bon Dieu.

Au reste, si je dis ici que M. Claude a reproché aux jansénistes d’avoir soufflé le chaud et le froid touchant Oderic Raynaldus[6], ce n’est que pour faire voir qu’on leur attribue les Remarques que je leur ai attribuées.

  1. Æneas Silvius, de Gestis Basileensis Concilii, lib. II.
  2. Id. ibid.
  3. Vide Launoium, Epist. XI partis I, num. 45, pag. 80.
  4. Voyez M. Claude, Défense de la Réformation, IIIe. partie, vers la fin.
  5. Remarques sur le XVIIIe. tome des Annales Ecclésiastiques, pag. 213. Ces Remarques sont imprimées avec un Recueil de diverses Pièces pour la défense des censures de la Faculté de Théologie de Paris, contre un bref et une bulle d’Alexandre VII. Je me sers de l’édition de Genève (on a mis au titre, à Munster, chez Bernard Raesfeld) en 1667, in-8°.
  6. Claude, Préface de la Réponse à la Perpétuité de la Foi défendue, pag. xxviij, xxix.

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