Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alcinous

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ALCINOUS, roi des Phæaques, dans l’île qu’on nomme aujourd’hui Corfou, était fils de Nausithoüs [a], et petit-fils de Neptune et de Péribée (A). Il épousa Arète, sa nièce, fille unique de Rhexenor, fils de Nausithoüs, et en eut cinq fils et une fille nommée Nausicaa, de laquelle Homère dit beaucoup de bien[b]. Il loue encore davantage la mère, et il en fait une héroïne. Il fait aussi de fort longues descriptions du palais et des jardins d’Alcinoüs. À son dire, il y avait les plus excellens fruits du monde dans ces jardins : et cela, sans vicissitude d’hiver et d’été, mais tous les mois de l’année. C’est sans doute par ses jardins qu’Alcinoüs a principalement immortalisé sa mémoire (B). Il reçut avec beaucoup de civilité Ulysse (C), que la tempête avait jeté sur la côte des Phæaques : il lui offrit sa fille, et le fit mener à Ithaque, chargé de présens. Or, comme pendant le festin où il l’admit, celui-ci fit cent contes à dormir debout à toute la compagnie, on croit que cela fit naître quelques proverbes (D) qui étaient en usage parmi les anciens. Quoi qu’il en soit, le royaume d’Alcinoüs était un vrai pays de Cocagne : on y aimait la bonne chère et les commodités de la vie (E) : ce qui n’empêchait pas que les gens n’y fussent agiles et fort bons hommes de mer[c], et qu’Alcinoüs ne fût un prince très-juste, comme cela paraît par ces paroles : Ἀλκίνοος κραίνεσκε δικαιότατος βασιλήων[d].

  1. Homer. Odysseæ lib. VI et VII. Il ne faut pas dire Nasitoüs, comme Moréri.
  2. Homer. Odysseæ lib. VI, vs. 62.
  3. Homer. Odyss., lib VI, vs. 270 ; lib. VII, vs. 35, 107 ; lib. VIII, vs. 247, 253, et passìm alibi.
  4. Orpheus.

(A) Il était petit-fils de Neptune et de Péribée. ] Britannicus nous assure qu’Alcinoüs était fils de Phæax, et que Phæax l’était de Neptune et de Corcyre[1]. Je vois bien dans Étienne de Byzance le dernier de ces deux faits ; mais non pas que ce fils de Neptune et de Corcyre ait été le père d’Alcinoüs.

(B) C’est par ses jardins qu’Alcinoüs a principalement immortalisé sa mémoire. ] Tous les poëtes parlent à l’envi de ses jardins ; M. Lloyd en cite plusieurs passages ; contentons-nous de celui de Juvénal :

.............Illa jubebit
Poma dari, quorum solo pascâris odore,
Qualia perpetuus Phæacum autumnus habebat[2] ;


et joignons-y ce témoignage d’un auteur en prose : Antiquitas nihil priùs mirata est quàm Hesperidum hortos, ac regum Adonis[3] et Alcinoï[4]. M. Lloyd cite Théophile, patriarche d’Antioche, qui a parlé de ces jardins dans son troisième livre ad Autolicum ; mais il avertit que l’on y doit corriger la leçon Antinoüs, et substituer Alcinoüs. Il cite aussi ces paroles de saint Grégoire de Nazianze :

. . . Ἠ δὲ τράπεζα καὶ ἄλσεος Ἀλκινόοιο
Τερπνοτέρη[5].
Tua Alcinoi mensa est jucundior horto.


Je n’ai point remarqué que les poëtes aient feint que ce prince fût le gardien des vergers, comme M. Moréri le débite. Charles Étienne l’a jeté dans cette erreur ; car on voit dans son Dictionnaire un Alcinoüs différent du roi des Phæaques, et caractérisé par la charge de Hortorum custos ; ce que l’auteur prouve par le IIe livre des Géorgiques de Virgile, et par des vers d’Ovide et de Stace, où il ne s’agit point de cela, mais uniquement des jardins d’Alcinoüs. Apparemment cette bévue doit sa première origine à la faute de quelque copiste ou de quelque imprimeur, qui aura mis custos au lieu de cultor.

(C) Il reçut avec beaucoup de civilité Ulysse. ] Plusieurs auteurs, comme Ravisius Textor[6], et Decimator[7], attribuent cette réception à Nausicaa, fille d’Alcinoüs, sans en faire aucune part au père. Ils ne considèrent pas qu’elle ne donna que des habits et des conseils à Ulysse hors de la ville, et qu’elle avait père et mère, qui firent tous les honneurs de l’accueil et de l’hospitalité. Voyez l’article Nausicaa.

(D) On croit que les contes d’Ulysse chez Alcinoüs firent naître quelques proverbes. ] Moréri dit qu’Ulysse compta (je copie son orthographe) la fable des Ciclopes, des Lestrigons et des autres, comme on dit, le coude sur table. Ce qui donna occasion à ce proverbe des anciens, qu’Érasme n’a pas oublié, « La Table d’Alcinoë, » ou, comme l’exprime Platon, « Est-ce que je vous dois raconter la fable d’Alcinoüs ?  » Tout cela ne vaut rien : 1°. ce des autres est une expression obscure et tout-à-fait négligée. En 2e. lieu, le proverbe de la fable d’Alcinoüs ne vint point de ces contes d’Ulysse, mais de la bonne chère qu’Alcinoüs faisait ordinairement. Voyez la remarque suivante. De plus, il n’est pas vrai que Platon s’exprime par une interrogation : il déclare simplement qu’il ne dira point l’apologue d’Alcinoüs[8]. Il est encore plus faux que ce qu’il dit soit en d’autres termes la même chose que la table d’Alcinoüs. Il est certain qu’on trouve dans l’Indice des Adages d’Érasme, Alcinoi Mensa, et Alcinoi Apologus, comme deux proverbes différens. Le premier n’est point en titre dans le corps du livre : il n’est rapporté que comme un petit accessoire de l’adage Sybaritica Mensa[9] et il est tiré de ces paroles de Grégoire de Nazianze : Οὐκ ὡς Λωτοϕάγου πενίαν ἀλλ᾽ ὡς Ἀλκινόου τράπεζαν, Non ad Lοtophagorum inopiam, sed Alcinoï mensam. Hadrien Junius, qui a fait un recueil de proverbes après Erasme, où il a mis Alcinoi Horti comme un proverbe capital, cite dans l’explication de celui-là cet autre passage du même père touchant la table d’Alcinoüs :

Καὶ δόμον αἰγλήεντα καὶ Ἀλκινόοιο τράτεζαν,
Non si marmoreum dederis lectum Alcinoïque


Lloyd cite un autre passage où ce saint docteur emploie la même phrase. Quant à l’Alcinoï Apologus, Érasme le rapporte deux fois. Premièrement, il l’explique d’un conte de vieille, de longis et anilibus fabulamentis ; et il se fonde sur les fables qu’Ulysse débita à la table d’Alcinoüs : Prodigiosas ac deridiculas fabulas et portentosa mendacia de Lolophagis, Læstrigonibus, Circe, Cyclopibus, atque id genus aliis plurimis miraculis, fretus videlicet Phæacum inscitiâ barbarieque[10]. Mais ailleurs [11], il nous apprend qu’il avait trouvé une autre signification de ce même adage dans le IVe. livre de la Rhétorique d’Aristote[12], et qu’il veut suspendre sa décision jusqu’à ce qu’il y voie plus clair, ou par les Commentaires de saint Grégoire de Nazianze sur ces livres d’Aristote[13], ou par quelque autre moyen. Je ne vois presque personne qui fasse attention à ce dernier passage d’Érasme. On s’arrête au premier comme si c’était là que l’on trouve le vrai sens : il s’en faut bien qu’on l’y rencontre ; car pour peu qu’on voie ce que dit Érasme sur les paroles d’Aristote, on se défie entièrement de l’explication qu’il avait donnée en un autre endroit. J’avoue que ce passage d’Aristote est obscur, qu’on le lit différemment, et qu’il n’est pas peut-être sans quelque lacune ; mais il n’y a nulle apparence que par l’apologie d’Alcinoüs, on s’y doive figurer des contes de Ma Mère l’Oie. Gilbert Cousin, qui a fait un recueil de proverbes depuis Érasme, se figure néanmoins cela, quoiqu’il ne considère la chose que selon la citation d’Aristote [14]. Il y a un passage d’Élien, où Alcinoi Apologi, Ἀλκίνοου ὰπόλογοι, ne se peut prendre que pour les discours qu’Ulysse fait à ce prince dans l’Odyssée[15].

(E) On aimait dans son royaume la bonne chère, et les commodités de la vie. ] C’est de quoi Alcinoüs ne fit point mystère à Ulysse : Nous aimons, lui dit-il, les repas, la musique, la danse, le changement d’habits, les bains et le lit.

Αἰεὶ δ᾽ ἡμῖν δαίς τε ϕίλη κίθαρίς τε, χοροί τε
Εἱματά τ᾽ ἐξημοιϐὰ, λοετρά τε θερμὰ, καὶ εὐναί[16].

Semper autem nobis conviviumque gratum, citharaque, chorique,

Vestesque ad permutandum alternatìm, lavacraque calida, et cubilia.


Horace exprime cela en cette manière :

..............Alcinoïque
In cute curandâ plus æquo operata juventus,
Cui pulchrum fuit in medios dormire dies, et
Ad strepitum citharæ cessatum ducere curam[17].


Il n’est pas besoin d’avertir que, par Alcinoï juventus, il faut entendre les jeunes gens du royaume d’Alcinoüs. Athénée parle quelquefois de la vie voluptueuse des Phæaques.

  1. Britann. in Juvenal, Satir. V, vs. 151.
  2. Juven. Satir. V, vs. 149.
  3. Je ne sais si Pline a bien entendu ce qu’il avait lu touchant les jardins d’Adonis. Ils n’étaient pas ce qu’il s’imagine. Voyez l’article Adonis, Remarque (E).
  4. Plinius, lib. XIX, cap. IV.
  5. Gregor. Nazianz. Carm. ad Vitalian.
  6. In Epithet.
  7. In Sylvà Vocabul. et in Thesauro Linguarum.
  8. PIato, de Republ., lib. X.
  9. C’est le LXVe. de la IIe. centurie de la IIe. chiliade.
  10. Erasm. Adagior. centur. IV, chil. II, num. 32, pag. 469.
  11. Idem, centuria I, chiliade V, num. 82, pag. 1057.
  12. Il est dans le chap. XVI du livre III, dans l’édition de Genève, en 1605.
  13. Je n’ai jamais ouï parler de ces Commentaires.
  14. Cognat. in Proverb. num. 210 : il cite, comme Érasme, le IVe, livre de la Rhétorique d’Aristote.
  15. Ælian. Var. Histor., lib. XIII, cap. XIII.
  16. Homeri Odysseæ lib. VIII, vs. 248.
  17. Horat. Epist. II libri I, vs. 28, seqq.

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