Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alcman

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ALCMAN, poëte lyrique, florissait dans la 27e. olympiade[a]. Les uns disent qu’il était de Lacédémone, les autres qu’il était né à Sardes, ville capitale de la Lydie. Ce qu’il y a de bien sûr, c’est qu’il a eu droit de bourgeoisie dans Sparte (A), et que les Lacédémoniens se sont fait honneur d’avoir fourni à la Grèce un bel-esprit comme celui-là (B). Il avait fait quantité de vers dont il ne nous reste que peu de chose, cité par Athénée, ou par quelque autre ancien auteur. Il était d’un tempérament fort amoureux, et il passe pour le père de la poésie galante (C). Il semble même que l’on ait dit qu’il fut le premier qui introduisit la coutume de chanter des vers d’amour dans les compagnies[b]. On nous à conservé le nom de l’une de ses maîtresses[c] : elle s’appelait Mégalostrata, et se mêlait de versifier. S’il s’en fût tenu là, on n’aurait pas eu tant de sujet de se plaindre ; mais on parle aussi d’un Chæeron, duquel i fut amoureux[d]. Alcman a été l’un des grands mangeurs de son siècle [e]. Cette qualité aurait eu de fâcheux inconvéniens, si la poésie avait été en ce temps-là sur le pied qu’on la vue souvent, peu propre à faire vivre son maître. Il mourut d’une maladie assez singulière ; car il fut mangé des poux[f]. Il ne faut pas le distinguer du poëte Alcmæon (D) ; et je ne vois point la nécessité de reconnaître deux Alcmans, l’un de Lacédémone, l’autre de Messène (E).

  1. Suidas, in Ἀλκμάν.
  2. Athen., lib. XIII, pag. 600.
  3. Id. ibid.
  4. Idem. lib. X, pag. 416.
  5. Id. ibid, et Ælian. Var. Histor., lib. I, cap. XXVII.
  6. Aristotel de Histor. Anim., lib. V, cap. XXXI ; Plin., lib. XI, cap. XXXIII ; Plutarch. in Syllâ, pag. 474.

(A) Il a eu droit de bourgeoisie dans Sparte. ] Cela paraît par une épigramme que Plutarque a insérée dans son Traité de l’Exil[1]. On y fait dire à Alcman, que s’il avait été élevé dans Sardes, la patrie de ses ancêtres, il serait un pauvre prêtre de la déesse Cybèle, destitué de ses parties viriles ; mais qui se voit à présent citoyen de Lacédémone, bien instruit aux lettres grecques, ce qui le rend supérieur aux rois de Lydie. L’interprète latin a mal traduit le premier vers de cette épigramme,

...Σάρδεις ἀρχῖος πατέρων νόμος.
...O ! mea majorumque meorum patria Sardes ;


car il faudrait conclure de cette version, qu’Alcman était né à Sardes [2] ; ce que l’on ne peut conclure des paroles grecques : et voilà comment un traducteur est quelquefois un semeur de zizanie lorsqu’il y pense le moins. Celui qui a mis en latin l’épigramme grecque, ne songeait pas qu’en ajoutant le mot mea, qu’il croyait être sans conséquence, il serait cause que plusieurs s’opinâtreraient à soutenir qu’Alcman n’est point né à Lacédémone. Combien y a-t-il d’auteurs qui ne consultent que les versions, et qui prennent dans les livres grecs toutes les preuves que les versions leur fournissent, soit que l’original le souffre, soit qu’il ne le souffre pas ! M. de Saumaise a savamment corrigé cette épigramme[3] ; mais je ne vois pas trop ce que veulent dire ceux qui nous renvoient à lui, comme à un juge qui a terminé le procès de la patrie d’Alcman. Il s’agit dans ce procès, si ce poëte est né à Lacédemone, ou à Sardes dans la Lydie. Suidas soutient le premier parti[4] ; Cratès soutient le second[5] ; Velleius Paterculus [6] et Élien[7] nient ce que Suidas affirme. À quoi sert l’épigramme pour terminer ce procès, puisqu’elle ne nous apprend pas où est né Alcman, mais seulement qu’il n’a pas été élevé dans Sardes, la patrie de ses ancêtres ; qu’il a été élevé à la manière des Grecs, et qu’il jouit de la bourgeoisie de Lacédémone ? Cela peut signifier également ces deux choses : ou qu’Alcman fut transporté en Grèce pendant son enfance, où que son père s’y fut établir avant que ce garçon lui fût né. En ce dernier cas, rien n’empêcherait qu’Alcman n’eût reçu le jour dans la ville de Lacédémone. Scaliger a été dans ce sentiment ; mais il s’est fondé sur une mauvaise raison. Ego, dit-il[8], Laconem fuisse arbitror, quùm Laconicâ dialecto usus sit. S’il se fût souvenu de l’épigramme que Plutarque a rapportée, il n’eût pas manqué de voir la fausseté de cette raison. Alcman n’ayant pas été élevé dans la Lydie, mais en Grèce, et demeurant à Lacédémone, a dû se servir de la dialecte dorique, qui était celle de Sparte. Quelque rude qu’elle fût, il ne laissa pas de s’en servir à faire de bons poëmes. Ὧ ποιήσαντι ἄσματα, οὐδεν ἐς ἡδονὴν αὐτῶν ἐλυμήνατο τῶν Λακώνων ἡ γλῶσσα, ἥκιςα παρεχομένη τὸ εὔϕωνον[9]. Cui in Canticis pangendis nihil omninò Laconica lingua obfuit, etsi nihil ea in vocibus appellandis habet suavitatis.

(B) Les Lacédémoniens se sont fait honneur d’avoir fourni à la Grèce un bel-esprit comme celui-là. ] Le passage de Paterculus, que j’ai cité, le prouve ; ces paroles de Stace :

Et tetricis Alcman cantatus Amyclis[10],


le prouvent aussi. Joignez à cela le sépulcre qu’ils dressèrent à Alcman, proche du temple d’Hélène[11].

(C) Il passe pour le père de la poesie galante. ] Cela paraît par ce passage d’Athénée[12], Ἀρχύτας δε ὁ Ἁρμονιακὸς, ὥς ϕησι Χαμαιλέων, Ἀλκμᾶνα γεγονέναι τῶν ἐρωτικῶν μελῶν ἡγεμόνα, και ἐκδοῦναι πρῶτον μελὸς, ἀκόλαςον ὄντα καὶ περὶ τὰς γυναίκας καὶ τὴν τοιαύτην Μοῦσαν εἰς τὰν διάτριϐας. Archytas Harmoniacus scribit, ut ait Chamæleon, amatoriis versibus condendis omnium principem et ducem Alcmanem fuisse, erga mulieres petulantissimum, et ante omnes in vulgus eam musam et ea carmina edidisse, qui in hominum congressu ac conventiculis canerentur.

(D) Il ne faut pas le distinguer du poëte Alcmæon. ] Saint Jérôme, dans la Chronique d’Eusèbe, après avoir parlé d’Alcmæon sous la 30e. olympiade, parle d’Alcman sous la 42e., et se sert de cette circonspection, ut quibusdam videtur. Scaliger a corrigé au premier passage Alcmæon par Alcman. Il est visible, par le règne d’Ardys, roi de Lydie, sous lequel Cratès a placé Alcman, que ce poëte florissait environ la 30e. olympiade, temps auquel on met Alcmæon dans la Chronique d’Eusèbe. Si cette raison ne suffit pas pour montrer qu’il faut réduire ces deux noms à une même personne, on vous prouvera invinciblement qu’Alcmæon, Ἀλκμαίων, et Alcman, Ἀλκμάν, ne diffèrent que de dialecte ; et que le premier se doit convertir au second, par les règles de la dialecte dorique. Voyez le Commentaire de Saumaise sur Solin, à la page 885. L’Alcman de la 42e. olympiade est une chimère. On le place là, parce qu’on avait lu des auteurs qui s’étaient trompés sur l’âge d’Alcman.

(E) Je ne vois point de nécessité de reconnaître deux Alcmans, l’un de Lacédémone, l’autre de Messène. ] Suidas est, je pense, le seul qui le fait. Or, son autorité n’est pas fort grande, lorsqu’il ne cite personne, et qu’il ne marque point de circonstances. Voilà le cas de son Alcman de Messène, il n’en dit rien. Souvenons-nous qu’il a dit que le véritable Alcman était né à Messoa, ἀπὸ Μεσσόας. Ce lieu n’est pas autrement célèbre ; et c’est ce qui aura fait juger à quelques copistes, qu’il fallait lire ἀπὸ Μεσσήνης, dans les auteurs qui avaient débité la même chose que Suidas. Leur prétendue correction aura forgé un nouvel Alcman, que l’on aura cousu aux centons de Suidas. Cette conjecture me paraît plus vraisemblable que celle de Lilius Gyraldus. Il ne reconnaît qu’un Alcman ; mais il le veut natif de Messène, et il corrige dans Suidas ἀπὸ Μεσσόας par ἀπὸ Μεσσήνης. Scaliger rejette avec raison cette conjecture[13].

  1. Oper. Moralium pag. 599.
  2. Amiot a fait la même faute.
  3. Salmas. Exercitat. Plinian., pag. 885.
  4. Il le fait naître à Messoa, qui était un quartier de Lacédémone, selon Strabon, corrigé par Saumaise, Exercit. Plinian., pag. 885.
  5. Apud Suidam, in Ἀλκμάν.
  6. Alcmana Lacones falsò sibi vindicant. Patercul., lib. I, sub fin.
  7. Æliani Var. Hist., lib. XII, cap. I.
  8. Scalig. Animadv. in Euseb., num. 1360.
  9. Pausan., lib. III, pag. 96.
  10. Stat. Sylv. III, lib. V, vs. 153.
  11. Pausan., lib. III, pag. 96.
  12. Athen., lib. XIII, pag. 600. Vide etiam Suidam, in Ἀλκμάν.
  13. Scalig. Animadv. in Euseb., num. 1360.

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