Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ammonius 1

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AMMONIUS. Plusieurs écrivains ont porté ce nom. Athénée cite deux ouvrages de très-différente nature, composés par un auteur qu’il appelle Ammonius. L’un traite des autels et des sacrifices [a] ; l’autre traite des courtisanes d’Athènes (A). Il ne dit point positivement que ces deux livres soient du même Ammonius ; mais d’autre côté il ne dit rien qui insinue le contraire ; et quant au reste il ne touche rien ni sur la patrie ni sur le siècle de cet auteur. On sait par une autre voie la patrie de celui qui a composé l’ouvrage des autels et des sacrifices (B). Il était de Lampria[b]. Le Suidas que nous avons aujourd’hui ne parle que d’Ammonius Saccas ; mais il ne faut point douter que le véritable Suidas n’ait fait mention d’un Ammonius différent de celui-là ; car ce qu’on trouve dans son Dictionnaire ne peut pas avoir été dit d’un seul homme. Il est impossible que le même Ammonius ait abjuré la foi chrétienne, et qu’il ait succédé à Aristarque dans l’école d’Alexandrie, avant l’empire d’Auguste. Voilà les deux choses que l’on trouve dans Suidas sur le chapitre d’Ammonius. Aurait-il été assez ignorant pour les croire compatibles ? Je n’y vois point d’apparence. Quelqu’un [c] a conjecturé qu’il faut supposer une lacune dans ce passage [d], et que Suidas pourrait bien avoir parlé de l’Ammonius d’Athénée dans cette lacune. Si cela était véritable, il faudrait dire que le Traité des Sacrifices et des Autels, ou celui des Courtisanes d’Athènes, ou tous les deux, ont été écrits par un grammairien qui fut successeur d’Aristarque. Le second Ammonius dont je veux parler est un philosophe d’Égypte [e]. Plutarque, dont il avait été précepteur, fait souvent mention de lui. Voyez en particulier la page 70 et la 385e de ses Œuvres morales, à l’édition de Francfort, en 1620. Mais on avance très-faussement dans le Moréri, qu’il en a parlé avec éloge, surtout sur la fin de la Vie d’Aristote (C). M. Moréri n’est pas plus heureux par rapport à Ammonius, fils d’Herméas (D), auquel il donne, entre autres livres, un ouvrage composé sous l’empire de Valentinien. Cet Ammonius était fils et frère de philosophe [f]. Les savans croient qu’il a fleuri sous l’empire d’Anastase, au commencement du VIe. siècle, et que c’est lui qui a composé les Commentaires que nous avons sous le nom d’Ammonius sur quelques Traités d’Aristote, et en particulier sur le livre de Interpretatione[g]. L’auteur de ce dernier Commentaire dit, dès l’entrée, qu’il a été disciple de Proclus. C’est à lui que quelques-uns attribuent cette Vie d’Aristote qui court sous le nom d’Ammonius [h]. C’est lui sans doute qui a été réfuté par Zacharie de Mitylène. Voyez la remarque (H) de l’article suivant. C’est de lui aussi que l’on entend[i] un passage de Photius, où il est parlé d’un Ammonius qui se plaisait extrêmement à expliquer les vieux poëtes et à faire des remarques critiques sur la langue grecque [j]. Cela fait croire à quelques-uns qu’il lui faut attribuer le Traité qu’on a de la Différence des mots grecs[k] : mais M. Ménage le donne à Hérennius Philon[l]. Le même Ammonius duquel Photius a dit ce qu’on vient de rapporter avait un âne d’un goût merveilleux pour la poésie ; car il aimait mieux ne point toucher à la nourriture qu’il avait devant lui, et souffrir la faim, que d’interrompre son attention à la lecture d’un poëme[m]. Le troisième Ammonius dont je veux parler était un poëte qui vivait au Ve. siècle. Il composa un poëme sur la guerre qu’on avait faite à Gainas, roi des Goths ; et l’ayant récité devant l’empereur Théodose le jeune, il en fut fort applaudi[n]. Il faut mettre dans des articles séparés, non-seulement quelques modernes qui ont eu le nom d’Ammonius, mais aussi un ancien philosophe qui lui a donné plus d’éclat que tous les autres.

  1. Athen., lib. XI, pag. 476.
  2. C’était une ville de l’Attique.
  3. Jonsius, de Scriptor. Hist. Philos., pag. 169, et dans l’Index.
  4. Gesner le cite dans sa Bibliothéque, sans faire paraître qu’il en ait senti l’absurdité.
  5. Eunapius, Proœmio Vitar. Sophist.
  6. Suidas, in Ἐρμείας. Voyez ci-dessous l’article Hermias.
  7. Vossius, de Philosoph. Sectis, pag. 90 et 113. Labbe, de Script. Ecclesiast., tom. I, pag 59.
  8. Jonsius, Hist. Philos., pag. 300.
  9. Id. ibid.
  10. Photii Biblioth., num. 242, p. 1040.
  11. Jonsius, Hist. Philos., pag. 300.
  12. Menagius in Diogenem Laërtium, lib. II, num. 5.
  13. Photius, Biblioth., num. 242, ex Damascio, in Vitâ Isidori Philosophi.
  14. Socrates, Histor. Ecclesiast., lib. VI, cap. VI, et ex eo Nicephorus, lib. XIII, cap. VI.

(A) On a, sous le nom d’un Ammonius, un Traité des courtisanes d’Athènes. ][1]. Ceux qui, dans ces derniers temps, ont fait des livres intitulés le Putanisme de Rome, ou de quelque autre grande ville, n’ont pas été des auteurs originaux. L’antiquité avait vu quantité d’ouvrages de cette nature, qui heureusement sont demeurés par les chemins. Il n’en est parvenu aucun jusqu’à nous.

(B) On sait par une autre voie la patrie de celui qui a composé l’ouvrage des Autels et des Sacrifices. ] On ne la sait point par la voie d’Harpocration, comme M. Lloyd l’assure ; mais par la voie de celui qui a composé le livre de Differentiis Vocum. Vossius, et plusieurs autres l’appellent Ammonius. Si M. Lloyd avait bien copié Vossius, il n’aurait pas dit Ammonius historicus ὲν τῷ περὶ βωμῶν καὶ θυσιῶν citatur ab Harpocratione in Ἀμαζόνιον, uti et in voce Ἐσχάρα. Ex quo etiam discimus Lampriensem fuisse, ut Gesnerus falsò Alexandrinum vocet. Voilà de ces fautes d’abréviateur, dont je parle si souvent. Vossius, après avoir dit jusqu’au mot Ἐσχάρα ce que je viens de citer de Lloyd, ajoute ἐν πρώτῳ περὶ θυσιῶν ab Ammonio lib. de Differ. Voc. in βωμός. Ubi et Λαμπριεὺς fuisse dicitur, ut Gesnerus falsò Alexandrinum vocet[2]. Parce que Lloyd n’a pas voulu rapporter tout le passage de Vossius, et qu’il en a sauté une ligne, il est tombé dans un grand mensonge ; car il n’est pas vrai qu’Harpocration nous apprenne que l’Ammonius qu’il cite fût de Lampria. Si l’on voulait sauter quelque chose, c’est à la dernière ligne que l’on devait s’adresser, dans laquelle Vossius a dit un mensonge. Gesner ne dit pas qu’Ammonius, l’auteur du livre des sacrifices, fût Alexandrin. Il y a un troisième passage d’Harpocration[3] où notre Ammonius est cité : Ἀμμώνιος ἐν τετάρτῃ περὶ βωμῶν γράϕει ταῦτα ; Ammonius libro quarto de aris ista scribit. C’est ainsi que le docte Maussac a corrigé le texte d’Harpocration : il met βωμῶν au lieu de κώμων, personne qu’on sache n’ayant jamais dit que cet auteur ait fait un livre de oppidis vel pagis. M. de Valois approuve cette correction[4]. On aurait pu soupçonner que puisque Ammonius fit un livre touchant les courtisanes d’Athènes, il en fit un aussi sur les festins de débauche, περὶ κώμων ; et ainsi il ne serait pas nécessaire de prétendre que, selon la leçon ordinaire d’Harpocration, le livre d’Ammonius concernait les bourgs ou les peuples d’Attique : cependant je ne trouve rien de plus vraisemblable que la correction de Maussac. Elle a paru telle à Vossius, qui la débite comme si elle venait de lui. M. de Valois cite un passage du scoliaste d’Hermogène, où l’auteur du livre des Autels est appelé Ammonius Lamprien[5].

(C) On avance très-faussement dans le Moréri, que Plutarque a parlé d’Ammonius avec éloge, à la fin de la Vie d’Aristote. ] Cette Vie d’Aristote est une chimère. Il fallait dire Thémistocle, et non pas Aristote. Or, il est bien vrai que Plutarque, à la fin de la Vie de Thémistocle, fait mention d’Ammonius ; mais il est très-faux qu’il le loue : il n’en dit là ni bien ni mal.

(D) Moréri n’est pas plus heureux par rapport à Ammonius, fils d’Herméas. ] Il s’y embarrasse dans trois ou quatre grosses fautes pour le moins. 1°. Il ignore que Proclus a fleuri sous Théodose le jeune, et long-temps après ; car, s’il l’avait su, aurait-il dit qu’Ammonius, disciple de Proclus, fit un livre sous l’empire de Valentinien ? Aurait-il été un copiste si fidèle des erreurs du père Rapin[6] ? 2°. Quelle manière de marquer les empereurs ? Il y en a eu trois de ce nom ; et c’est le premier que l’on entend, lorsqu’on dit tout court Valentinien. Ce premier Valentinien mourut l’an 375 : jugez si le disciple de Proclus a pu écrire cet empereur. 3°. Si M. Moréri avait entendu l’auteur dont il se servait, je veux dire le père Labbe, il aurait appris qu’Ammonius, disciple de Proclus et fils d’Herméas, a fleuri sous l’empereur Anastase, qui ne commença de régner que plus de 35 ans après la mort de Valentinien troisième. 4° Le père Labbe a observé qu’il est souvent fait mention d’un Ammonius dans les Chaînes des pères grecs sur l’Évangile de saint Jean, et sur d’autres livres de l’Écriture ; et il croit qu’Ammonius, fils d’Herméas est différent de celui-là. Au lieu de ces choses, M. Moréri nous conte que quelques auteurs attribuent à Ammonius, fils d’Herméas, l’Explication des pères grecs sur l’Évangile de saint-Jean.

  1. Athen., lib. XIII, pag. 567.
  2. Vossius, de Histor. Græcis, pag. 502.
  3. Au mot θόλος.
  4. Henr. Valesius, Notis in Notas Maussaci ad Harpocration, pag. 111.
  5. H. Valesius, Notis in Notas Maussaci ad Harpocrat., pag. 111.
  6. Proclus sous Julien ; le second Ammonius, son disciple, qui a si bien écrit sur le livre de l’interprétation d’Aristote, sous Valentinien. Rapin. Compar. de Platon et d’Aristote, p. 391.

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