Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Antonio

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ANTONIO (Nicolas), chevalier de l’ordre de saint Jacques, et chanoine de Séville, a fait beaucoup d’honneur à la nation espagnole par la Bibliothéque des écrivains espagnols, qu’il fit imprimer à Rome en deux volumes in-folio, l’an 1672. C’est un très-bon livre en son genre (A), et personne peut-être n’a mieux réussi que don Nicolas Antonio dans ces sortes de recueils [* 1]. Il naquit à Séville, l’an 1617, d’un père que le roi Philippe IV fit président de l’amirauté établie dans cette ville l’an 1626. Ayant étudié dans sa patrie les humanités, la philosophie et la théologie, il alla étudier en droit à Salamanque, et s’attacha principalement aux leçons de Francisco Ramos del Manzano, qui a été depuis conseiller du roi, et précepteur de Charles II. On ne peut mieux juger de ses progrès, que par les desseins qu’il conçut en fait de livres, et par la manière dont il a exécuté une partie de ses projets, malgré les embarras d’affaires qui lui étaient inévitables dans la charge qu’il a exercée à Rome. Il y était en qualité d’agent général du roi son maître ; et il avait d’ailleurs des procurations spéciales, tant de l’inquisition d’Espagne que des vice-rois de Naples et de Sicile, et du gouverneur de Milan, pour négocier à la cour de Rome les affaires qu’ils y avaient. Le dessein de la Bibliothéque des écrivains espagnols comprend deux parties. La première regarde tous les auteurs de cette nation, qui ont vécu avant la fin du XVe. siècle : l’autre regarde ceux qui ont vécu après la fin de ce siècle-là. Cette dernière partie, ayant été plus tôt prête que la première, a été publiée avant l’autre. Elle parut à Rome, comme je l’ai déjà dit, en deux volumes in-folio, l’an 1672. Je ne sais point si l’auteur a pu trouver le loisir qui lui était nécessaire pour mettre la dernière main à l’autre partie, et à un second dessein qui n’était pas moins pénible que celui-là. Il travaillait à un ouvrage dont voici le titre : Trophœum Historico-Ecclesiasticum Deo Veritati erectum ex manubiis Pseudo-Historicorum qui Flavii Lucit Dextri, M. Maximi, Helecæ, Braulionis, Luitprandi, et Juliani nomine circumferuntur ; hoc est, Vindiciæ veræ atque dudùm notæ Hispanarum rerum Historiæ, Germanarum nostræ gentis laudum non ex Germano-Fuldensibus Chronicis emendicatarum in libertatem et puritatem plena Assertio. Il a raison de dire que c’est un ouvrage, non-seulement d’une vaste discussion, mais aussi dont les suites sont dangereuses [a] ; car où sont les agens qui veuillent être désabusés des fables qui ont flatté long-temps la vanité d’une nation ? À quoi ne s’exposent point ceux qui osent s’opposer au torrent d’une tradition également fabuleuse et glorieuse [b] ? Personne n’ignore les vacarmes des Provençaux contre M. de Launoi, qui avait voulu les guérir de leurs erreurs à l’égard de la Madeleine et du Lazare. Peut-être que don Nicolas Antonio ne prétendait guère toucher à certaines fables pieuses (B), connaissant trop bien l’indocilité de son pays à cet égard, et l’humeur intraitable de l’inquisition. Il insinue qu’il avait encore d’autres ouvrages en tête. Mais n’oublions pas celui qu’il fit imprimer à Anvers, l’an 1659, De Exilio, sive de pœnâ Exilii exulumque conditione et juribus, in-folio [c].

Voilà ce que j’avais dit de don Nicolas Antonio dans la première édition. Depuis ce temps-là, j’ai su qu’étant retourné à Séville, après avoir étudié en droit à Salamanque, il s’enferma dans le royal monastère des bénédictins, et y travailla pendant plusieurs années à la Bibliothéque d’Espagne, et se servit pour cet effet des livres de Benoît de la Serna, qui en était alors abbé, et doyen de la faculté de théologie de Salamanque. Qu’en 1659, il fut envoyé à Rome par le roi Philippe IV, pour y avoir soin des affaires du royaume, en qualité d’agent général... [d]. Que le cardinal d’Aragon, ambassadeur à Rome, obtint pour lui du pape Alexandre VII un canonicat de l’église de Séville, dont il employa le revenu en aumônes et en livres ; qu’il en amassa plus de trente mille volumes ; de sorte que sa bibliothéque ne cédait qu’à celle du Vatican ; qu’avec ce secours, joint à un travail continuel et à une application infatigable, il acheva sa Bibliothéque d’Espagne en quatre volumes in-folio... [e]. Qu’après avoir fait imprimer les deux premiers volumes, il fut rappelé à Madrid par le roi Charles II, pour y exercer la charge de conseiller de la Creusade, ce qu’il fit avec une grande intégrité jusqu’à sa mort, arrivée en 1684..... Qu’il ne laissa point d’autre bien en mourant que la nombreuse bibliothéque qu’il avait transportée de Rome à Madrid ; qu’au contraire, sa succession s’est trouvée tellement chargée de dettes, que ses deux frères, qui sont chanoines de Salamanque, et ses neveux, ont été hors d’état de faire imprimer sa Bibliothéque d’Espagne, et l’ont envoyée à D. le cardinal d’Aguirre, qui a eu la générosité de se charger des frais de l’impression (C), et d’en donner le soin à M. Marti son bibliothécaire, qui y a ajouté des notes sous le nom de cette éminence. Je viens de voir un livret, où j’ai appris que les jésuites se sont plaints de cet ouvrage de don Nicolas Antonio (D).

  1. * Malgré cet éloge de Bayle et ceux de Baillet, de Clément, etc., l’ouvrage d’Antonio laisse beaucoup à désirer ; ce qui surtout est incommode, c’est la traduction des titres des ouvrages qu’il eût été plus simple de rapporter chacun dans sa langue.
  1. lmmensæ molis, ac forsan invidiæ Opus.
  2. Voyez la remarque (D) à la fin.
  3. Tiré de sa Bibliotheca Hispanica, tom. II, pag. 118, 119.
  4. Journal des Savans du 10 juin 1697 ; pag. 420, édit. de Hollande.
  5. Là même, 421, 422.

(A) Sa Bibliothéque des écrivains espagnols est un très-bon livre en son genre [1]. ] J’ai cité M. Baillet, qui en fait connaître le prix en détail. C’est avec raison qu’il en a loué jusqu’aux tables ; car elles sont très-bien entendues et très-utiles. L’auteur y a mis une petite préface, qui témoigne son bon goût et son jugement : il y rapporte la pensée d’un écrivain espagnol, indicem libri ab autore, librum ipsum à quovis alio conficiendum esse. On fait tout le contraire : les auteurs se déchargent sur le dos d’autrui de la peine de composer les tables alphabétiques, et il faut avouer, que ceux qui ne sont pas laborieux et dont le talent ne consiste qu’en un grand feu d’imagination, font bien de laisser composer à d’autres l’indice de leurs ouvrages ; mais un homme de jugement et de travail réussira mieux aux tables de ses écrits, qu’un étranger. Il y a cent bons conseils à donner sur la composition de ces tables : on a raison de croire qu’elles sont l’âme des livres.

(B) Il ne prétendait pas toucher... certaines fables pieuses. ] Je me trompe peut-être, car M. Baillet en parle ainsi : Sa critique est fort saine et fort solide en plusieurs endroits, surtout quand il s’agit des traditions fabuleuses des premiers catéchistes qui ont planté la foi en Espagne, et de ces faux historiens que l’imposture nous a produits pour la séduction des Espagnols, et dont notre savant auteur nous a promis une critique particulière [2]. Cela me rendrait plus décisif, si je ne trouvais à la suite de ces paroles de M. Baillet cette autre remarque : On pourrait néanmoins le soupçonner d’avoir été un peu trop indulgent pour quelques opinions communes et vulgaires qui sont abandonnées des critiques qui ont le meilleur goût. Quoi qu’il en soit, on ne peut révoquer en doute qu’il n’ait voulu abolir l’autorité de tous les auteurs supposés dont son titre fait mention [3]. Il ne serait pas le premier qui aurait écrit sur ce ton-là ; car voici ce que j’ai lu dans les feuilles de M. l’abbé de la Roque : Depuis un siècle, on a osé y fabriquer (il parle de l’Espagne) et publier de fausses chroniques, pour se jouer de la crédulité des savans, ou des simples. Cela, bien loin de diminuer, relève la gloire de M. le marquis d’Agropoli, lequel a si bien frondé et exterminé le Dexter, qui est la plus ancienne de ces fausses chroniques, dans ses Dissertationes Ecclesiasticas, por el honor de los antiguos tutelares, contra las fictiones modernas, imprimées à Sarragosse, en 1671 [4].

(C) Le cardinal d’Aguirre.… a eu la générosité de se charger des frais de l’impression de deux volumes de sa Bibliothéque des auteurs espagnols. ] Il était l’ancien ami de l’auteur, et il avait étudié avec lui dans l’académie de Salamanque. La république des lettres lui doit être extrêmement obligée des frais qu’il a faits pour l’impression d’un tel livre, qui comprend deux volumes in-folio. Ils ont été imprimés à Rome, et ont paru en 1696. Vous en trouverez de bons extraits dans le Journal des Savans [5], et dans celui de Leipsick [6]. Voici le titre de l’ouvrage : Bibliotheca Hispana vetus, sive Hispanorum qui usquàm unquàmve scripto aliquid consignaverunt Notitia, complectens scriptores omnes qui ab Octaviani Augusti imperio usque ad annum M. D. floruerunt : auctore Nicolao Antonio, Hispalensi jurisconsulto, ordinis sancti Jacobi equite, patriæ ecclesiæ canonico, regiorum negotiorum in urbe et romanâ curiâ procuratore generali, demùm Matriti consiliario regio. Opus posthumum. Nunc primùm prodit jussu et expensis eminentissimi et reverentissimi Domini D. Josephi Saenz, cardinalis de Aguirre.

(D) Les jésuites se sont plaints de la Bibliothéque Espagnole de don Nicolas Antonio. ] Un imprimé [7] qui a pour titre : Calumnia convicta, seu Epistola familiaris Cleandri ad clarissimum et eruditissimum virum Evaristum, super memoriali nuper porrecto, hispano idiomate ad regem catholicum à patre Joanne de Palazol societ. Jesu, nomine et jussu Thyrsi Gonzales ejusdem soc. generalis præpositi, et qui est daté de Dilingen, le 25 de juin 1698, m’apprend que les jésuites ont représenté au roi d’Espagne que l’une des cinq propositions de Jansénius a été louée comme catholique dans l’ouvrage de don Nicolas Antonio. Ils font semblant de ne vouloir pas attaquer le cardinal de Aguirre, qui a soutenu les frais de l’impression de cet ouvrage ; mais il est facile de s’apercevoir qu’ils l’attaquent indirectement. Ils supposent qu’un janséniste a corrompu en cet endroit-là le texte d’Antonio. Voici le fond de l’affaire. Cet auteur reconnaît pour catholique cette proposition de Prudence, évêque de Troyes, que le sang de Jésus-Christ a été versé pour tous les croyans, mais non pas pour ceux qui n’ont jamais cru, qui ne croient et qui ne croiront jamais : Quòd sanguis Christi effusus sit pro omnibus credentibus, sed non pro iis qui nunquàm crediderunt, nec credunt, nec credituri sunt. L’auteur de l’imprimé montre que cette proposition a pu être considérée comme catholique, et qu’ainsi l’on n’a eu aucune raison de rendre suspecte la foi de don Nicolas Antonio, ou celle de M. le cardinal d’Aguirre. Notez que cette éminence s’est fort déclarée contre les casuistes relâchés [8], et qu’on croit que c’est la cause des mauvais offices que les jésuites tâchent de lui rendre.

Apparemment ce ne seront pas les seules plaintes que l’on portera aux tribunaux contre ces deux tomes de la Bibliothéque d’Espagne. Je ne les ai point encore vus, et je doute qu’il y en ait aucun exemplaire dans les Provinces-Unies [9] ; mais je sais pourtant que l’auteur s’est déclaré avec la dernière force contre le prétendu Luitprand, et contre Higuera, qui le mit au jour, et qu’il a fait main basse sur Aubert de Séville, sur les Chroniques de Dexter, sur Maxime, sur Julien, etc. Un jésuite espagnol [10] le remarque dans un ouvrage qu’il a publié en faveur de ses confrères d’Anvers, compilateurs des Acta Sanctorum. C’est là que j’ai vu quelques passages de don Nicolas Antonio sur ce sujet. Mais comme le marquis d’Agropoli, grand d’Espagne à double titre, n’a pu combattre ces historiens fabuleux, sans s’exposer au chagrin d’être déféré à l’inquisition comme un écrivain traître à sa patrie [11], je ne puis comprendre que les moines de ce pays-là soient capables de laisser en repos la mémoire de notre Nicolas Antonio.

  1. Voyez le jugement avantageux qu’en a fait M. Baillet, au tome II des Jugemens des Savans, num. 128. Le Journal des Savans du 6 juillet 1676, donne un chétif article de cet excellent ouvrage.
  2. Baillet, Jugemens des Savans, tom. II, pag. 154.
  3. Voyez la remarque (D), à la fin.
  4. Journal des Savans, du 13 janvier 1687, pag. 11. Voyez la remarque (D), à la fin.
  5. Aux mois de juin et juillet 1697.
  6. Acta Eruditor. Lipsiens, mensium junii et julii, 1697.
  7. De 27 pages in-12.
  8. Voyez sur cela plusieurs extraits de ses livres dans le Mémorial d’un janséniste, que je citerai à l’article de Bellarmin, remarque (H).
  9. J’écris ceci le 8 de février 1699.
  10. Antonius Xaramilius, in Apologiâ pro Veritate, pag. 160, 161. Cet ouvrage, traduit d’espagnol en latin par le jésuite Pierre Cant, a été imprimé à Anvers, l’an 1698.
  11. Voyez l’article Vespasien, remarque D.

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