Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aprosio 1

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APROSIO (Angelico), né à Vintimiglia, dans la Rivière de Gênes, le 29 d’octobre 1607, a eu beaucoup de réputation parmi les savans, et a composé un très-grand nombre de livres. Il est sorti beaucoup de personnes de lettres de sa famille [a]. Il n’avait que quinze ans lorsqu’il se jeta dans l’ordre des augustins, et il s’y fit tellement considérer, qu’il parvint enfin à la charge de vicaire général de la congrégation de Notre-Dame de Consolation à Gênes [b]. Dès qu’il eut achevé ses études, on le jugea propre à enseigner : ainsi il enseigna la philosophie pendant cinq ans ; après quoi il voyagea en divers endroits de l’Italie, et se fixa, l’an 1639, à Venise, au couvent de Saint-Étienne, où il enseigna les humanités [c]. Une des choses qui lui ont été autant glorieuses, a été la bibliothéque des augustins de Vintimiglia, qui fut son ouvrage, et une preuve éclatante de son amour pour les livres, et de l’habitude qu’il s’était faite de les bien connaître [d]. Il a publié un livre touchant cette bibliothéque, qui est fort recherché des curieux (A). Au reste, il se plaisait extrêmement à se déguiser sous des noms forgés à plaisir à la tête de ses ouvrages ; peut-être n’osait-il écrire sous son véritable nom sur des matières aussi peu conformes à la vie religieuse, que l’étaient les différens des beaux esprits touchant l’Adonis du cavalier Marin (B), ou choses semblables (C). Peut-être se plaisait-il naturellement à la recherche de différentes allusions, où à mettre en peine ceux qui aiment à ôter le masque à un auteur déguisé. Il aimait assez lui-même cette occupation (D). Quoi qu’il en soit, si vous consultez les auteurs qui nous ont donné le catalogue des écrivains de Ligurie [e], vous trouverez par le titre de ses ouvrages qu’il se donnait mille faux noms, tantôt celui de Masoto Galistoni, tantôt celui de Carlo Galistoni, tantôt celui de Scipio Glareano, tantôt celui de Sapricio Saprici, tantôt celui d’Oldauro Scioppio, etc. On dit qu’on trouve sa Vie dans l’ouvrage intitulé La Biblioteca Aprosiana. Plusieurs auteurs lui ont donné de grands éloges, et quelques-uns ont passé peut-être les limites de la raison [f]. Il fut agrégé, entre autres académies, à celle de gli Incogniti de Venise, comme il paraît par le livre intitulé Le Glorie de gli Incogniti, overo gli Huomini illustri dell’ Accademia de’i Signori Incogniti di Venetia (E), où l’on voit son éloge assez amplement. Il était encore en vie, l’an 1680, lorsqu’Oldoïni publia son Athenæum Ligusticum.

  1. Voyez l’article suivant.
  2. Michel Justiniani, Scrittori Liguri, pag. 63.
  3. Philippus Elssius, in Encomiastico Augustiniano, apud Justinianum, pag. 63.
  4. Raffael Soprani, li Scrittori della Liguria, pag. 21.
  5. Raffael Soprani et Michel Justiniani, en 1667 ; Augustin Oldoïni, en 1680.
  6. Magnifica ejus ét planè invidenda elogia adferuntur à Gregorio Lecti, ltaliâ regnante, part. IV, lib. III, pag. 377. Polyhist. Morhofii, pag. 38. Voyez aussi pag. 14.

(A) Il a publié un livre touchant la bibliothéque des augustins de Vintimiglia qui est fort recherché des curieux. ] M. Morhof avait fort ouï parler de ce livre ; mais il ne savait pas qu’on l’eût imprimé. Il en fait mention en divers endroits de son Polyhistor. [1], publié l’an 1688, et toujours comme un homme qui croyait que cet ouvrage n’était point encore sorti de dessous la presse. Il est néanmoins certain que la Biblioteca Aprosiana fut imprimée à Bologne, l’an 1673, et que Martin Fogelius [2], professeur à Hambourg, en avait un exemplaire, comme M. Morhof avait pu le voir dans le Catalogue des livres de ce professeur ; car il cite ce Catalogue [3], qui fut imprimé l’an 1678. Voilà ce que M. Placcius observe dans son Invitatio amica, publiée à Hambourg, l’an 1669. Il ajoute qu’il a fait mention de cet ouvrage d’Aprosio dans ses Pseudonymes [4], et il nous renvoie aux notes sur le catalogue de Rhodius [5]. En effet, il nous apprend à la page 150 de ses Pseudonymes, qu’il savait par une lettre de M. Magliabecchi à Martin Vogelius, qu’Aprosio, déguisé sous le nom de Cornelio Aspasio Antivigilmi tra i vagabondi di Tabbia detto l’Aggirato, avait publié un livre in-12, l’an 1673, intitulé Biblioteca Aprosiana, passa tempo autonnale. Dans les notes sur le Catalogue de Rhodius on révoque en doute ce que Scavenius avait dit, qu’Aprosio avait composé un livre intitulé Bibliotheca Apocryphorum, où il restituait beaucoup d’ouvrages à leurs véritables auteurs [6]. On doute de cela, parce que l’on n’a point vu dans les listes des ouvrages d’Aprosio cette Bibliotheca Apocryphorum, mais seulement Bibliotheca Aprosia. Or, on croit qu’il aura été facile à Scavenius de métamorphoser Aprosia en Apocripha. Il est un peu étrange que le père Oldoïni n’ait point fait mention de la Bibliotheca Aprosiana, passa tempo autonnale, puisqu’il n’a publié son Æthenæum Ligusticum qu’en l’année 1680. Il est bien vrai qu’il met entre les écrits d’Aprosio, Biblioteca Aprosiana et Antiquitates Abintimillienses ; mais c’est d’une manière très-propre à nous persuader que cet ouvrage n’était point encore imprimé. M. Tessier, en 1686, a laissé plus de sujet d’être en doute que de décider quelque chose [7]. M. Morhof remarque que M. Leti cite un auteur qui a cité le IIe. tome de la Bibliothéque Aprosienne : Producit idem Leti ex abbate Libanoro, pag. 379, locum quo tomus secundus Bibliothecæ Aprosianæ citatur, quo multi continentur ab Hieron. Savanorolâ manuscripti libri [8].

Cette citation de M. Leti est fort juste : et par-là, et par d’autres considérations, je suis fort persuadé que M. Morhof n’allègue point sur la foi d’autrui l’Italia regnante, mais qu’il l’avait lue lui-même. D’où vient donc qu’il ne sait pas que la Biblioteca Aprosiana fut imprimée à Bologne, chez les Manolessi, l’an 1673, in-12 ? M. Leti ne l’affirme-t-il pas positivement dans la page 377 de la IVe. partie de son Italia regnante, et ne cite-t-il pas d’assez longs passages de ce livre d’Aprosio ? Il ajoute que l’auteur, ayant raconté sa vie jusqu’à la page 262, nomme après cela, jusqu’à la page 666, divers auteurs qui lui avaient donné leurs ouvrages [9] ; et que ce premier volume contient seulement les écrivains dont les noms commencent, ou par la lettre A, ou par la lettre B, ou par la lettre C [* 1]. Il croit que les volumes suivans seront imprimés bientôt ; mais on l’avait assuré que le second ne l’était pas, d’où il conclut que le père Libanori, qui le cite, n’en avait vu que le manuscrit [10]. Cet ouvrage de M. Leti fut imprimé l’an 1676.

(B) Il n’osait peut-être mettre son nom à ses écrits sur les différens touchant l’Adonis du cavalier Marin. ] Le cavalier Stigliani ayant publié le livre de l’Occhiale, ou de la lunette, qui est une censure piquante de l’Adonis, se vit attaqué de toutes parts [11]. On s’aperçut alors combien l’Italie était infatuée de l’Adonis : on courut à cette querelle comme au feu ; mais parmi tant de gens qui prirent la plume pour le cavalier Marin, personne ne témoigna plus de zèle pour l’Adonis, ni plus de feu contre les ennemis de ce poëme, que le père Aprosio de Vintimiglia, ermite de saint Augustin [12]. Il publia l’Occhiale Stritolato di Scipio Glareano per risposta al signor cavaliere Fra Tomaso Stigliani [13] ; La Sferza Poetica di Sapricio Saprici, lo scantonata Accademico Heteroclito per risposta alla prima censura dell’ Adone del cavalier Marino, fatta dal cavalier Tomaso Stigliani [14] ; Del Veratro, Apologia di Sapricio Saprici, per risposta alla seconda censura dell’ Adone del cavalier Marino, fatta dal cavaliere Fra Tomaso Stigliani. Cet ouvrage est divisé en deux traités [15] : ce fut un ellébore donné en deux prises. Il avait écrit contre le même Stigliani, Il Vaglio Critico di Masoto Galistoni da Terama sopra il Mondo nuovo del cavalier Fra Tomaso Stigliani da Matera [16] ; Il Buratto, Replica di Carlo Galistoni al Molino del sig. Carlo Stigliani [17].

Notez que Masoto Galistoni da Terama est l’anagramme de Tomaso Stigliani da Matera, et qu’au lieu de mettre au titre, in Trevigi, per Girolamo Righettini, on mit in Rostock, per Willermo Wallop, parce que ce Righettini était un libraire de peu de nom. L’Aprosio raconte cela dans les pages 112 et 113, du Biblioteca Aprosiana [18].

(C) Ses écrits traitaient de matières éloignées de la vie religieuse. ou choses semblables. ] Je ne pense pas que les disputes sur l’Adonis du cavalier Marin fussent plus éloignées de la profession monastique, que les ouvrages suivans : Annotazioni di Oldauro Scioppio all’ Arte degli Amanti dell illustrissimo signor Pietro Michele nobile Veneto [19] ; Lo Scudo di Rinaldo, overo lo specchio del disinganno, Opera di Scipio Glareano [20] ; Le Bellezze della Belisa tragedia dell’ illustrissimo signor D. Antonio Muscettola, abbozzate da Oldauro Scioppio Accademico Incognito, Geniale, etc. [21]. Il y a plusieurs semblables compositions parmi les écrits non imprimés d’Angelico Aprosio ; mais il ne faut pas dissimuler, 1o. qu’on y voit aussi les leçons qu’il fit sur le prophète Jonas, dans l’église de Notre-Dame de la Consolation, à Gênes, l’an 1649, et l’an suivant [22] ; 2o. Qu’il publia en 1643, sous le nom d’Oldoro Scioppio, la traduction italienne qu’il avait faite des Sermons espagnols d’Augustin Osorius.

(D) L’occupation de démasquer les auteurs déguisés lui plaisait assez. ] Ce n’était pas tout-à-fait sans fondement que Scavenius débita qu’Aprosio avait fait un livre intitulé Bibliotheca Apocryphorum, où il restituait plusieurs ouvrages à leurs véritables auteurs ; car c’est à lui qu’on attribue deux écrits, dont l’un a pour titre, La Visiera alzata Necataste di alcuni scrittori che andarono in maschera fuori del tempo di carnevale ; et l’autre, qui n’est que la suite du précédent, s’appelle Pentecoste di alcuni autori anonimi e pseudonimi scoperti per Mantissa della Necataste della Visiera alzata. Le père Oldoïini ne nous apprend point si ces deux ouvrages étaient imprimés ou non ; il dit seulement qu’Aprosio les a écrits sous un autre nom : et l’on ne pourrait pas conclure qu’ils étaient imprimés, de ce qu’il cite dans la page suivante, La Visiera alzata evulgata sub nomine Friani Forbottæ ; car il fait assez connaître que ce Forbotta est distinct d’Angelico Aprosio [23]. On ne peut raisonnablement douter que les deux ouvrages qu’il attribue à notre Aprosio ne soient ceux dont il est parlé dans le journal de Leipsic [24]. Ils furent imprimés à Parme, en 1689. Le nom qui paraît à la tête est Jean Pierre Villani de Sienne, académicien humoriste, infécond, et genialis. Il paraît qu’ils avaient été dédiés dès l’an 1678 à messieurs Magliabecchi.

(E) Il paraît par le livre delle Glorie de gli Incogniti, qu’il fut agrégé à cette académie. ] Il fut imprimé à Venise, l’an 1647, in-4o. Le père Labbe a cru que Jean Francois Lauredan en était l’auteur [25] ; mais d’autres ne le croient pas, et ils se fondent, entre autres raisons, sur ce que l’éloge de Lauredan, qui est dans ce livre, est trop pompeux, pour devoir être attribué à Lauredan même [26]. On suppose que les vers qui sont à la tête de l’ouvrage, et qui félicitent Lauredan, non pas comme l’auteur du livre, mais comme le fondateur de l’Académie de gli Incogniti, ont été cause de l’erreur du père Labbe.

  1. * La Biblioteca Aprosiana est, dit la Biographie universelle, comme divisée en deux parties : la première contient différentes particularités de la vie de l’auteur, et la seconde, une table alphabétique des personnes qui lui avaient fait présent de quelque livre avec le titre entier du livre, accompagné le plus souvent de circonstances curieuses et quelque fois intéressantes ; mais cette table ne contient que les trois premières lettres de l’alphabet. La traduction latine publiée par J. C. Wolf, Hambourg, 1734, in-8o., ne contient que la seconde partie, et non tout l’ouvrage, comme Joly le donne à entendre.
  1. Pag. 38, 59, 144.
  2. Ou Vogelius.
  3. Polyhist., pag. 37.
  4. Num. LXXIV.
  5. Pag. 27, 28.
  6. Voyez la remarque (D).
  7. Teissier, Catalog. Auctor. Bibliothec., etc., pag. 18.
  8. Morhof. Polyhist., pag. 38.
  9. Narrando la sua Vita con l’inserirvi varie curiosià intorno ad amici suoi. Leti, Ital. regn., parte IV, pag. 378.
  10. Là même, pag. 379, 380.
  11. Voyez Baillet, Jug. sur les Poët., tom. IV, pag. 198.
  12. Là même, pag. 200.
  13. Imprimé à Venise, en 1641.
  14. Imprimé à Venise, en 1643.
  15. L’un imprimé en 1645, l’autre en 1647, à Venise.
  16. Imprimé à Trévise, en 1637.
  17. Imprimé à Venise, en 1642.
  18. Leti, Italia regnante, parte IV, pag. 360.
  19. Imprimé à Venise, en 1612.
  20. Ibid.
  21. Imprimé à Lovano, ou Loano, en 1664.
  22. Soprani, Scrittori della Liguria, pag. 23.
  23. Oldoïnus, in Append., Athen. Ligust.
  24. Mense jul., 1690, pag. 363.
  25. Labbe, Bibliot. Bibliothecar., pag. 118, edit. anni 1678.
  26. Placius, de Anonymis, pag. 115. Voyez dans le même volume le Catal. de Rhodius, pag. 23, 26.

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