Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Chalvet

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CHALVET (Matthieu de), en latin Calventius, président aux enquêtes au parlement de Toulouse. Son article ; tiré des Éloges de Sainte-Marthe [a], se voit dans le Dictionnaire de Moréri : je le donnerai néanmoins tout entier, parce que je puis l’assortir d’un plus grand détail de circonstances. Je dis donc que Matthieu de Chalvet, issu de la famille des Chalvets, de Roche-Montez en la haute Auvergne, naquit l’an 1528, au mois de mai. Il fut amené à Paris l’an 1539 ; par M. Lizet son oncle, qui était alors avocat général au parlement de Paris [b], et qui le fit étudier aux bonnes lettres pendant six ans sous Oronce Finé, sous Tusan, sous Buchanan, et sous quelques autres savans personnages. Il alla à Toulouse l’an 1546, pour y apprendre le droit civil, et logea avec Turnèbe ; Mercérus et Govéa [c]. Il fit un voyage en Italie l’an 1550, pour y continuer ses études, et fut disciple d’Alciat à Pavie, et de Socin à Boulogne. Étant revenu en France, il fut achever à Toulouse son cours ès lois, et il fut compagnon des sieurs Roaldes et Bodin, lisant ensemble le droit aux écoles publiques avec réputation. Ayant pris ses degrés de docteur dans cette université, il résolut d’aller à Paris pour établir sa fortune ; mais, quoiqu’il fût poussé à cette résolution par les lettres de M. Lizet, il ne l’exécuta point : il trouva plus à propos de se fixer à Toulouse, où il épousa en 1552, Jeanne de Bernuy fille du seigneur de Palficat, baron de Villeneuve. Il fut reçu conseiller au parlement de la même ville l’an 1553, puis créé juge de la poésie française, et mainteneur des jeux floraux. Il fut fait président des enquêtes par la nomination du parlement en 1573. Comme il avait l’âme tranquille et innocente, il se retira en sa maison en Auvergne durant les premières et dernières fureurs des guerres civiles, pour ne voir les désordres qu’il prévoyait devoir arriver dans Toulouse. Ce fut dans cette retraite qu’il se mit à lire et à traduire Sénèque (A), pour se consoler des misères publiques, et pour employer utilement son loisir. Sans compter ses talens corporels, il eut entre plusieurs bonnes qualités une grande fidélité pour son prince (B). C’est ce qui le fit estimer très-particulièrement du roi Henri IV, qui en 1603 le fit conseiller en ses conseils d’état et privé. L’année suivante, il résigna sa dignité de président à François Chalvet sieur de Fenouillet, l’un de ses fils, et se retira chez soi pour ne penser plus qu’à prier Dieu, et à couler doucement le reste de ses jours parmi le repos et les livres. Il vécut après cette heureuse retraite deux années, avec tant de satisfaction qu’il disait souvent à ses parens, que tout le long du reste de sa vie passée il avait aucunement vécu (C).... Il mourut chrétiennement à Toulouse, le 20 de juin 1607, âgé de soixante-dix-neuf ans [d]. Plusieurs auteurs lui ont donné des éloges (D).

  1. Lib. V, pag. m. 130 et seq.
  2. Il fut ensuite premier président de ce même parlement. Voy. l’art. tome IX Lizet.
  3. Et non pas Goudan, comme il y a dans l’écrit d’où je tire cet article.
  4. Tiré du Sommaire de sa Vie, au-devant de sa traduction de Sénèque.

(A) Il se mit à lire et à traduire Sénèque. ] Il dédia cette traduction à Henri IV, l’an 1603. Elle fut réimprimée in-folio, à Paris, chez Guillaume Loyson, l’an 1624, et chez Jean Richer, l’an 1634. « M. de Sainte-Marthe dit qu’il a fait éclater son industrie, sa fidélité, et son application, dans sa traduction de Sénèque [* 1]. M. Huët témoigne pourtant qu’il ne s’est pas beaucoup soucié de s’assujettir à son auteur, et de le rendre mot pour mot ; et qu’au lieu qu’il n’y a rien de plus sec et de plus concis que Sénèque ; on ne trouve presque rien de plus étendu et de plus ample que ’cette version [* 2]. » C’est M. Ballet qui s’exprime ainsi [1] [* 3].

(B) Sans compter ses talens corporels, il eut entre plusieurs bonnes qualités une grande fidélité pour son prince. ] « Durant les études de sa jeunesse, il relâchait souvent son esprit par les plus honnêtes exercices du corps, auxquels il s’était instruit en Italie : étant fort bon homme de cheval, beau danseur, et le meilleur joueur de paume de son temps. Il tempérait aussi l’austérité de la doctrine des lois par la douceur de la poésie latine et française, ès quelles il n’était point des derniers, comme il paraîtra par ses vers, si ses héritiers ne les envient point au public [2]............. Il eut force amis : aussi les savait-il bien cultiver ; mais surtout il eut une singulière et parfaite amitié entre M. du Faur de Saint-Jory premier président de Toulouse, et lui, tant pour l’amour des lettres, que pour leur prochaine affinité. Il avait la taille haute et carrée, l’œil riant, le poil blond, le visage doux et vénérable, le maintien grave, modeste, et plein de majesté ; le propos et la conversation des plus agréables du monde [3]. Aucun presque ne l’abordait, qu’il n’en restât comme charmé ; car il était d’un naturel affable, courtois, bienfaisant, franc, sans hypocrisie, sans ambition, sans avarice, s’employant beaucoup plus volontiers pour autrui que pour ses affaires propres, craignant Dieu, détestant et condamnant toutes sortes de vices, et principalement les violences et les nouveautés, même celles de la religion. Il aimait l’ordre, la droiture, et la paix........ Parmi les confusions de la France, il persévéra constamment en l’obéissance de son prince, le parti duquel, comme le jugeant seul juste et légitime, il a toujours fidèlement suivi. Aussi, lorsque le parlement fut transféré de Toulouse à Castelsarrasin, il fut choisi entre tous, pour aller de sa part saluer le roi à Lyon l’an 1594, de quoi le roi fut merveilleusement content, comme il témoigna par le gracieux accueil qu’il lui fit, et par un présent qu’il lui donna : et lui s’estima bien heureux d’avoir été le premier officier du parlement de Toulouse que le roi vit depuis son avénement à la couronne, et depuis le commencement de la réduction du Languedoc à son service. Derechef en l’an 1603 il fut délégué par le même parlement devers sa majesté, pour plusieurs affaires importantes : auquel voyage, pour une honorable récompense de ses longs services, le roi, de son propre mouvement, et sans qu’il l’eût demandé, le fit conseiller en ses conseils d’état et privé, dont il prêta le serment ès mains de M. le chancelier de Bellièvre, auquel il appartenait de quelque alliance [4]. »

(C) Il trouvait tant de satisfaction depuis sa retraite, qu’il disait souvent, que tout le long du reste de sa vie il n’avait aucunement vécu. ] Il se pouvait donc comparer à un homme illustre qui fut préfet du prétoire sous l’empereur Hadrien. Je parle de Similis, qui n’était monté à cette charge qu’à regret, et qui s’en défit volontairement, après quoi il se retira à la campagne, et mourut au bout de sept ans. Il voulut que l’on mît sur son tombeau, ici gît Similis, dont l’âge a été fort long ; mais qui n’a vécu que sept années [5]. Voyez plusieurs recueils touchant de pareilles choses dans les Méditations historiques de Camerarius, au chapitre V du IIIe. livre du Ier. volume.

(D) Plusieurs auteurs lui ont donné des éloges. ] Je n’en donnerai pour preuve que les quatre premiers vers d’une épigramme latine, que Pierre le Loyer lui adressa :

Cum sua quisque tibi culto munuscula versu
Offerat, et genio dedicet illa tuo,
Haud ego postremos inter numerabor amicos,
Et levia, at saltem munera grata dabo.

Cette épigramme est à la suite des vers français par lesquels l’auteur dédia sa comédie du Muet insensé à ce président aux enquêtes. Voici comment il le loue,

Quand j’aurois autant d’or qu’en versent le Pactole
Et le Tage espagnol en leur arène molle :
Quand je tiendrois à moi tous les biens plantureux
Et les riches thresors des Attales heureux,
Encor je n’oubliray le doux soin qui m’amuse,
Et le désir ardent que je porte à la muse :
Encor le dieu Phébus et son docte savoir,
Pourroient d’un feu gentil ma poitrine esmouvoir,
Et encor, mon Chalvet, chère teste et sacrée,
L’honneur de ton Auvergne, et le mignon d’Astrée,
Je chanteray ton nom et je voudray semer
Par mes vers tes honneurs aux deux coins de la mer.
Soudain que je t’eus veu et gousté la doctrine,
Et les grâces des dieux mises dans ta poitrine,
Aussitôt j’eus ou cueur vouloir de t’honorer,
Et en quelque façon une fois te montrer
Combien j’ai en amour tes mœurs et ta science,
Et ton parler humain et ta douce éloquence,
Et combien je l’estime, à cause que te vois
Honorant le sçavoir de ces braves Grégeois,
Ces Grégeois anciens, qui du milieu de Grèce
Nous ont icy coulé l’amour de la sagesse [6].

  1. (*) Sammarth, Elogior. lib. V, pag. 150.
  2. (*) Huetius, de claris Interpret., lib. II, pag. 185.
  3. * Joly reproche à Baillet d’avoir rendu le jugement de Huet sur Chalvet plus sévère qu’il n’est, et à Bayle de n’avoir pas consulté le texte de Huet.
  1. Baillet, Jugement des Savans, tom. IV, pag. 535, 536.
  2. Sommaire de la Vie de Matthieu de Chalvet, au-devant de son Sénèque.
  3. Voyez sur tout ceci les vers latins de Critton, professeur royal, au-devant de sa version de Sénèque.
  4. Sommaire de la Vie de M. de Chalvet.
  5. Xiphilin., in Hadriano, pag. m. 266.
  6. Œuvres et Mélanges poétiques de Pierre le Loyer, fol. 122 verso, édit. de Paris, 1579.

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