Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Charnacé

La bibliothèque libre.

◄  Charles-Quint
Index alphabétique — C
Charpentier (Pierre)  ►
Index par tome


CHARNACÉ [a] (le Baron de), s’acquitta heureusement de diverses ambassades sous le règne de Louis XIII (A). Il n’était pas moins brave soldat qu’habile négociateur, et il eut tout à la fois en Hollande le caractère d’ambassadeur, et la charge de colonel. Il fut tué faisant les fonctions de cette dernière au siége de Bréda l’an 1687 (B). Il n’est pas vrai que la perte de sa femme ait produit en lui l’effet funeste dont on a parlé dans le Mercure Galant (C).

  1. Son nom de baptême était Hercule.

(A) Il s’acquitta heureusement de diverses ambassades sous le règne de Louis XIII. ] « Il était du choix du cardinal de Richelieu, ce qui doit d’abord donner une opinion très-avantageuse de l’ambassadeur. Mais celui dont je parle n’avait pas besoin de ce préjugé. Les négociations qu’il a faites avec Gustave-Adolphe, roi de Suède, qui produisirent le traité de Berwalt, le 23 janvier 1631, et qui firent un si grand effet en Allemagne, en sont des preuves bien convaincantes, quand il n’y en aurait point d’autres. C’est lui qui fit passer les armes de Suède dans l’empire, et qui jeta les premiers fondemens de l’alliance qui a été si utile et si glorieuse aux deux couronnes, et qui l’est encore à celle de Suède. Il continua de négocier avec le même roi et avec le chancelier Oxenstern, jusqu’après la bataille de Lutzen, qui le fit retirer en France. Il avait aussi négocié avec l’électeur de Bavière à Munich, mais avec peu de succès, à cause de la mauvaise humeur de Saint-Étienne[1], parent du père Joseph, qui étant jaloux de voir en cette cour-là un plus habile homme que lui, traversait toutes ses négociations, au grand préjudice des affaires du roi leur maître. Ce fut Charnacé qui signa, le 25e. jour d’avril 1634, le traité de la Haye, après lequel il fut jugé à propos de faire celui du 8 janvier de l’année suivante, où il intervint comme un des commissaires du roi. Par le traité de 1634, le roi promit de faire lever et d’entretenir au service des états un régiment d’infanterie, et une compagnie de cavalerie, dont le commandement fut donné à Charnacé, qui, mêlant la profession de colonel à celle d’ambassadeur, voulut se trouver au dernier siége de Bréda, où il fut tué dans la tranchée[2]. Comme on ne voit pas dans ces paroles de Wicquefort l’occasion de l’ambassade de Hollande, il faut qu’un autre livre nous la fournisse. Lisez la vie du cardinal de Richelieu ; vous y verrez que Charnacé alla en Hollande pour empêcher que les états n’écoutassent les propositions de trêve que les Espagnols leur faisaient. Il ménagea si adroitement l’inclination de MM. les directeurs et députés des états, et leur sut si bien représenter les artifices et les mauvais desseins des Espagnols..... qu’ils résolurent enfin de préférer, par nécessité autant que par raison, la continuation de la guerre à la trêve, À quoi ne contribua pas peu l’ordre qui avait été donné à Charnacé, non-seulement de solliciter le prince d’Orange, que l’on savait être assez porté, par intérêt, à la continuation de la guerre ; mais encore d’offrir à messieurs les états un secours de dix ou douze mille Suédois, nation belliqueuse, et alliée de la France, qui s’en était heureusement prévalue depuis trois ans ou environ, qu’Adolphe-Gustave, roi de Suède, avait fait descente en Allemagne, et avait rempli de terreur cette grande province [3].

(B) Il fut tué faisant les fonctions de colonel au siége de Bréda, l’an 1637. ] Nous avons vu dans la remarque précédente ce que M. de Wicquefort en a dit : ajoutons-y ces paroles d’un autre auteur[4] : « M. de Charnacé fit tout ce qu’il put pour porter le prince d’Orange à assiéger une autre place, plus importante pour l’avantage commun des alliés, que celle-là. En quoi cet ambassadeur avait lui-même plus d’intérêt qu’il ne croyait, puisque ce siége lui devait être fatal, y ayant été tué d’un coup de mousquet à la tête, qu’il reçut à l’attaque d’une corne. On le regretta fort à la cour, tant pour ses bonnes qualités, et pour les grands services qu’il rendait à l’état, que pour l’alliance qu’il avait avec le maréchal de Brézé, à cause de Jeanne de Brézé, son épouse. Son cœur fut apporté en France, et est enterré dans l’église des carmes d’Anvers, avec une épitaphe où sa mort est marquée le 1er . de septembre. »

(C) Il n’est pas vrai que la perte de sa femme ait produit en lui l’effet funeste dont on a parlé dans le Mercure Galant. ] L’abbé Deslandes, grand archidiacre et chanoine de Tréguier, a fait insérer une lettre dans le Mercure Galant[5], où il assure que Charnacé, étant en Allemagne auprès de Gustave, fut si touché de la nouvelle qu’il apprit de la mort de son épouse, de la maison de Brézé, qu’il en perdit la parole pour toute sa vie. Chacun voit que c’est une fable. Gustave périt à la bataille de Lutzen, l’an 1632, et Charnacé déployait en Hollande toute sa plus fine rhétorique l’an 1634, pour empêcher qu’on ne conclût une trêve avec l’Espagnol. Était-ce l’affaire d’un homme muet ? On ne saurait rectifier ce faux conte, en changeant le temps et le lieu où Charnacé apprit la mort de sa femme ; car nous avons vu qu’il tâcha de persuader qu’on n’assiégeât point Bréda, mais une place dont la perte fût plus pernicieuse à l’Espagne. Ses conseils furent inutiles : on fit le siége de Bréda ; et il y perdit la vie. Où trouverons-nous donc le temps qu’il n’a pu parler ? Nous verrons ailleurs[6] que l’abbé Deslandes n’a pas débité un conte moins apocryphe touchant Fernel.

  1. Wicquefort, pag. 170 du tom. I du Traité de l’Ambassadeur, dit ceci : Charnacé et Saint-Étienne, étant à la cour de Bavière de la part de la France en l’an 1632, se portèrent à de si grandes extrémités, qu’ils se voulurent battre en duel, tellement que leur division les rendit inutiles auprès de l’électeur.
  2. Wicquefort, Traité de l’Ambassadeur, tom. II, pag. 442.
  3. Auberi, Hist. du cardin. de Richelieu, liv. IV, chap. XLII, pag. m. 390, 391.
  4. Là même, liv. V, chap. LII, pag. 596, 597.
  5. Au mois de novembre 1693.
  6. Dans la remarque (G) de l’article de Fernel, tome VI.

◄  Charles-Quint
Charpentier (Pierre)  ►