Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Domitia

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DOMITIA LONGINA, fille de l’illustre Domitius Corbulon [a], se rendit indigne par son impudicité d’avoir un tel père. Domitien ayant été déclaré César se donna toutes sortes de licences. Il débaucha plusieurs femmes, et trouvant Domitia fort à son goût, il l’obligea d’abandonner son mari [b]. Il la garda quelque temps sur le pied de concubine, et puis il l’épousa solennellement. [c]. La dignité d’impératrice ne l’empêcha pas de devenir amoureuse d’un comédien (A). Cela fut cause que l’empereur la répudia : mais comme il ne pouvait se passer d’elle, il la reprit un peu après [d] ; et, pour cacher cette bassesse, il allégua que le peuple avait souhaité qu’il fît revenir Domitia : Id populus curat scilicet. On prétend que cette femme, se défiant de l’humeur farouche de son mari, chercha les moyens de s’en défaire, et qu’elle trempa dans la conspiration où il périt (B). On soupçonna Titus, frère de Domitien, d’avoir eu affaire avec elle : mais on la tint pour justifiée lorsqu’elle l’eut nié avec serment ; car au lieu de nier de semblables aventures, elle avait accoutumé de s’en vanter (C). Elle eut beaucoup de considération pour Josephe, à qui elle ne cessa de faire du bien [e]. Quant à son premier mari [f], il n’en fut pas quitte pour l’avoir perdue : Domitien, non content de lui avoir enlevé sa femme, lui ôta aussi la vie [g]. On lit dans Procope, touchant la femme de Domitien, un fait fort digne de louange (D). La question est si cela est véritable.

  1. Xiphil., in Vespas., pag. m. 217.
  2. Sueton., in Domit., cap. I.
  3. Xiphil., in Vespas., pag. 217.
  4. Sueton., in Domit., cap. III.
  5. Joseph., de Vitâ suâ, sub fin.
  6. Il s’appelait Ælius Lamia.
  7. Sueton., in Domit., cap. X.

(A) La dignité d’impératrice ne l’empêcha pas de devenir amoureuse d’un comédien. ] Ce comédien s’appelait Pâris : il fut tué en pleine rue par les ordres de Domitien, à cause qu’il avait eu la hardiesse de jouir de l’impératrice. Domitien eut envie de faire égorger sa femme, pour la punir de cet infime commerce ; mais par le conseil d’Ursus il se contenta de la chasser. Xiphilin ne nous en dit pas davantage [1] ; c’est de Suétone que nous apprenons que Domitien la fit revenir bientôt. Uxorem Domitiam ex quâ in secundo suo consulatu ilium tulerat, alteroque anno à consulatu filiam, Augustam eandem Paridis histrionis amore deperditam repudiavit, intraque breve tempus impatiens discidii quasi efflagitante populo reduxit [2]. Il y a beaucoup d’apparence que Dion n’avait point oublié cette conduite de Domitien, et que c’est au mauvais goût de Xiphilin qu’il faut s’en prendre, si on ne la trouve pas dans son abrégé de Dion. Je soutiens que la suppression d’un tel fait marque un mauvais goût, car on connaît beaucoup mieux les mauvaises qualités de Domitien, lorsqu’on sait qu’il eut la bassesse de redonner la dignité d’impératrice à une femme qui s’était prostituée à un farceur : c’est un témoignage très-sensible de déréglement, qui attire sur la mémoire de ce tyran le mépris et l’horreur dont elle est digne. Et comme il est du devoir d’un historien de faire connaître le caractère de ses acteurs par les traits les plus marqués, qui témoignent l’étendue de leurs vertus ou de leurs vices, il est clair que Xiphilin n’a eu guère de discernement, s’il ne s’est point cru obligé de conserver le rappel de Domitia ; car je suppose qu’il l’a trouvé dans l’histoire qu’il abrégeait. Qu’on ne m’allègue point l’office qu’il faisait d’abréviateur : une ligne lui suffisait pour nous apprendre que Domitia fut rappelée. Le principe qu’on vient de poser n’est point favorable à Suétone par rapport à notre Domitia. Cet historien supprime qu’elle fut pendant quelque temps la concubine de Domitien : il veut qu’elle n’ait quitté son premier mari qu’afin d’épouser ce prince. C’est exténuer sa faute, c’est nous empêcher de connaître jusqu’où s’étendait le déréglement de cette femme. Est-ce là le devoir d’un historien ?

(B) On prétend.... qu’elle trempa dans la conspiration où Domitien périt. ] C’est Aurélius Victor qui le remarque : Adscitâ etiam in consilium tyranni uxore Domitiâ, ob amorem Paridis histrionis à principe cruciatus formidante [3]. Il est surprenant que les autres écrivains aient ignoré cela.

(C) Elle nia avec serment d’avoir eu affaire à Titus : .….. au lieu de nier de semblables aventures, elle avait accoutumé de s’en vanter. ] Voilà le comble de l’impudence. Suétone s’est comporté en historien de bon goût, puisqu’il a marqué par un trait aussi singulier que celui-là le caractère de cette femme. Quidam opinantur consuetudinem recordatum (Titum) quam cum fratris uxore habuerit, sed nullamhabuisse persanctè Domitia jurabat, haud negatura si qua omninò fuisset, immò etiam gloriatura, quod illi promptissimum erat in omnibus probris [4].

(D) On lit dans Procope... un fait fort digne de louange. ] Procope [5] raconte que la femme de Domitien, n’ayant jamais approuvé la conduite tyrannique de son mari, et n’ayant fait du mal à personne, était fort considérée des sénateurs. Ce qui fut cause qu’après que l’on eut assassiné Domitien, ils la prièrent de venir au sénat, et qu’ils lui offrirent tout ce qu’elle souhaiterait de la succession de ce méchant prince. Elle ne demanda autre chose que la permission de l’ensevelir, et de lui ériger une statue. Après que cela lui eut été accordée, elle fit chercher toutes les parties du corps de Domitien dispersées et déchiquetées, et les rejoignit ensemble le mieux qu’il lui fut possible. Ce cadavre ainsi rajusté fut le modèle de la statue qu’elle fit dresser à son mari dans la rue qui conduisait au Capitole. Cette statue était là au temps de Procope, et représentait la barbarie qui avait été exercée sur Domitien. Le but de sa femme n’avait été que de conserver un monument de l’action barbare des assassins. Tristan a raison d’admirer que cette merveille, si elle est vraie, ait été dissimulée par tant d’historiens [6].

  1. Xiphil., in Domit., pag. m. 230, 231.
  2. Sueton., in Domit., cap. III.
  3. Aurel. Victor, in Epitome Imperatorum.
  4. Sueton., in Tito, cap. X.
  5. Dans son Histoire secrète, citée par Tristan, Comment. historiques, vol. I, pag. 346.
  6. Tristan, là même.

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