Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Hénault

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HÉNAULT [* 1] ( N.), poëte français au XVIIe. siècle, « auteur du sonnet de mademoiselle de Guerchi (A), et maître de madame Deshoulières, a eu assez de réputation à Paris de son vivant, et elle subsiste encore, quoiqu’il soit mort il y a quatorze ans [a]. Il est vrai que son mérite n’étant pas imprimé (B), pour parler comme M. Ménage, sa réputation n’a pu s’étendre comme celle de bien d’autres, qui à Paris n’ont jamais joui d’une réputation aussi grande que la sienne. C’est un homme d’esprit et d’érudition, aimant le plaisir avec raffinement, et débauché avec art et délicatesse ; mais il avait le plus grand travers dont un homme soit capable : il se piquait d’athéisme et faisait parade de son sentiment avec une fureur et une affectation abominables. Il avait composé trois différens systèmes de la mortalité de l’âme (C), et avait fait le voyage de Hollande exprès pour voir Spinosa, qui cependant ne fit pas grand cas de son érudition. À la mort les choses changèrent bien ; il se convertit, et voulait porter les choses à l’excès : son confesseur fut obligé de l’empêcher de recevoir le viatique au milieu de sa chambre, la corde au cou. D’Hénault n’était point de naissance : son père était boulanger, et lui avait été d’abord receveur des tailles de Forez où il n’avait pas bien fait ses affaires. Il a montré à madame Deshoulières tout ce qu’il savait et croyait savoir : on prétend qu’il y paraît dans les ouvrages de cette dame (D). » Voilà l’extrait d’une lettre qu’un habile homme me fit l’honneur de m’écrire le 27 avril 1696. Il m’en écrivit une autre, le 9 de juillet 1697, dans laquelle il me fit savoir que d’Hénault a fait un factum de M. Clodoré, gouverneur de la Martinique, contre M. de la Barre, gouverneur des îles d’Amérique, et un manifeste de M. de Gadagne pour l’affaire de Gigéri. Vous trouverez dans le Furetieriana une élégie [b] et une églogue [c] de cet auteur. L’élégie est précédée de cet éloge : M. d’Hénault était estimé de tout le monde ;..... il était parfaitement honnête homme, et amoureux. Il composa un sonnet qui donna lieu à M. Colbert de faire une belle action (E). Il fut marié, et il laissa une fille qui est pensionnaire dans un couvent de Paris. Nos remarques sont remplies de plusieurs particularités qu’on nous a communiquées. Recourez-y.

  1. * Il était né à Paris, dit Leclerc, et s’appelait Jean Hesnault.
  1. C’est-à-dire en 1682.
  2. À la page 77 de l’édition de Hollande.
  3. À la page 238.

(A) Auteur du sonnet sur mademoiselle de Guerchi. ] Avant que je publiasse, dans la remarque (G) de l’article de Spinosa, l’extrait de la lettre où ces paroles sont contenues, j’avais déjà observé [1] que l’on croyait que le sonnet de l’Avorton était de M. Hénault, et qu’il avait été composé pour mademoiselle de Guerehi. Mais dès que mon Dictionnaire eut paru à Londres, il y eut un savant anglais qui me fit l’honneur de m’écrire, 1°. qu’il savait d’original que ce sonnet avait paru deux ou trois années avant la mort de mademoiselle de Guerchi ; 2°. que des personnes qui prétendaient le savoir très-bien l’avaient assuré qu’il fut fait par Subligni, auteur de la fausse Clélie. Je communiquai cela à l’habile homme qui m’avait écrit la lettre dont j’avais inséré un extrait dans l’article de Spinosa. Il me répondit que M. Lucas l’avait assuré que le sonnet de l’Avorton était fait vingt ans devant l’accident de mademoiselle de Guerchi ; mais que tous les autres gens à vers qu’il avait consultés disaient qu’il fut fait sur un avortement de cette personne, autre cependant que celui qui lui coûta la vie. Vingt de mes amis, ajouta-t-il, qui ont vécu avec Hénault, m’ont assuré que le sonnet était positivement de lui, et qu’il l’avouait. Subligni [* 1] était encore au collége quand cette pièce parut : sa veuve et sa fille m’ont confirmé qu’il n’en était pas l’auteur. Établissons pour un fait certain que c’est un ouvrage de notre Hénault ; car nous verrons ci-dessous qu’il a été mis dans le recueil des ouvrages de ce poëte ; mais doutons beaucoup qu’il ait été fait pour la demoiselle de Guerchi. Il passe pour un chef-d’œuvre, quoiqu’il soit contre les règles [2], et que l’on y trouve même un barbarisme [3],

(B) Son mérite n’étant pas imprimé. ] Ceci s’est trouvé faux : « M. d’Hénault lui-même de son vivant a fait imprimer un petit recueil de ses ouvrages, à Paris, chez Barbin, en 1650, in-12, Œuvres diverses...... par le sieur D. H. Il est dédié à M. Doort, sans autre qualité : il contient de la prose et des vers, et des lettres en prose et en vers à Sappho, qui pourrait bien être madame Deshoulières. Le sonnet de l’Avorton s’y trouve... Il ne faut pas oublier la première pièce du livre, qui a pour titre : de la Consolation à Olympe. Elle me fournira deux observations de critique, l’une que les compilateurs des Œuvres de Saint-Évremont, trompés peut-être par quelqu’un ou par une prétendue conformité de style, ont mis cette lettre entière qui est très-longue, au nombre des ouvrages de Saint-Évremont ; et bien des gens qui se disent connaisseurs ont pris cela pour une pièce vraiment de lui. C’est un exemple que vous pouvez ajouter à ceux que vous avez ramassés des erreurs où cette conformité induit tous les jours des critiques. La seconde observation tombe à-plomb sur un nouveau censeur....... qui a voulu donner un jugement des ouvrages de Saint-Évremont [* 2].... Cet homme a donné tout de son long dans le piége tendu par le compilateur. Il attaque cette lettre de consolation à Olympe par le style, par les pensées, par les sentimens, et il emploie le quart de son livre à cette belle répréhension. » Voilà ce que j’ai trouvé dans un recueil de remarques qu’un jeune avocat au parlement de Paris, m’a fait la faveur de m’envoyer, l’an 1698, et qui me convainquent qu’il a de l’esprit infiniment, et une exacte connaissance de beaucoup de faits curieux, et très-propres à ce Dictionnaire [4] [* 3].

(C) Il avait composé trois différens systèmes de la mortalité de l’âme. ] Donnons encore un morceau de ce recueil de remarques dont je viens de faire mention. « Hénault dit, dans son épître dédicatoire, vous savez que je suis un homme tout intérieur ; que je ne me félicite guère de l’opinion d’autrui ; que mes maximes ou mes erreurs sont assez différentes de celles du reste du monde. Il commence à découvrir par-là ce qu’il était. Plusieurs de ses vers sont des imitations des chœurs de Sénèque, entre autres de l’acte II de la Troade, où la mortalité de l’âme est établie : cette matière était son goût.

» Comme se perd en un moment
» Cette portion d’air dans les corps enfermée,
» Que le plus actif élément
» Développe et pousse en fumée ;
» Comme au souffle des aquilons
» On voit bientôt évanouie
» Une grosse nuée ou de grêle ou de pluie,
» Qui d’un déluge affreux menace les vallons ;
» Ainsi s’épand cette âme vaine
» Qui meut tous les ressorts de la machine humaine.
» Tout meurt en nous quand nous mourons :
» La mort ne laisse rien, et n’est rien elle-même ;
» Du peu de temps que nous durons
» Ce n’est que le moment extrême, etc.


» Je suis surpris que cela ait été imprimé avec privilége. Cet homme avait le cœur tendre ; il disait à sa maîtresse :

» Sappho fit des vers comme vous,
» Faites l’amour comme elle.


» Il veut qu’elle renonce à la gloire.

» Pour moi, je ne suis point la dupe de la gloire ;
» Je vous quitte ma place au temple de mémoire,
» Et je ne conçois point que la loi du trépas
» Doive épargner mon nom et ne m’épargner pas.
» Je me mets au-dessus de cette erreur commune ;
» On meurt, et sans ressource et sans réserve aucune
» S’il est après ma mort quelque reste de moi,
» Ce reste un peu plus tard suivra la même loi,
» Fera place à son tour à de nouvelles choses
» Et se replongera sans le sein de ses causes.


» Ce n’est point là une traduction, c’est un original, et c’est ainsi que cet homme mettait dans ses ouvrages les semences de ses erreurs. Dans les deux pièces qu’on a mises dans le Furetieriana vous trouverez aussi ces mêmes opinions qu’il tâchait de fourrer partout. Aux impiétés il ajoutait des impuretés assez grossières. Il s’en trouve dans une pièce intitulée, le bail d’un cœur à Cloris, qui est dans ce recueil ; et assurément cette Cloris-là pouvait bien être une Janneton de La Fontaine [* 4]. Ces vers sont plus hardis que tous les contes, et méritaient mieux les condamnations du juge de police. »

(D) On prétend qu’il y paraît dans les ouvrages de cette dame. ] On a pu voir dans la première édition de ce Dictionnaire, à la page 1088 du IIe. tome [* 5], que celui à qui les paroles de ce texte appartiennent, ajoute tout aussitôt : j’ai vu entre autres remarquer ces vers de l’idylle du Ruisseau [* 6] :

« Courez, ruisseau, courez, fuyez et reportez
« Vos ondes dans le sein des mers dont vous sortez :
« Tandis que pour remplir la dure destinée
« Où nous sommes assujettis,
« Nous irons reporter la vie infortunée
« Dans le sein du néant d’ou nous sommes sortis. »


Il est sûr qu’une personne qui parlerait de la sorte dogmatiquement, nierait l’immortalité de l’âme. Mais, pour l’honneur de madame Deshoulières, disons qu’elle n’a suivi que des idées poétiques qui ne tirent point à conséquence. C’est ainsi qu’à l’imitation des anciens poëtes, elle a dit ailleurs [5], qu’aprés notre mort notre âme erre sur les rivages de l’enfer. Ce n’eût pas été sa croyance, si M. d’Hénault lui eût enseigné ses impiétés. Ne jugeons point d’elle par des phrases poétiques. Ce n’est pas qu’on ne puisse cacher beaucoup de libertinage sous les priviléges de la versification. L’avocat dont j’ai parlé a fait une note sur ce passage. Vous avez rapporté des vers de madame Deshoulières, suspects de libertinage, m’a-t-il écrit, mais on vous en a fait oublier un [* 7] qui n’est pas le moins fort, et qui se trouve dans l’édition de ses poésies. Il faut dire la vérité : il y a bien d’autres pièces morales et même chrétiennes et saintes, qui corrigent celle-là dans ses ouvrages. Il fallait pourtant qu’on la fît passer pour une libertine ; car elle s’en plaint dans son épître au père de la Chaise, sur les faux dévots. C’était un très-grand esprit, l’honneur de son sexe, et la honte du nôtre.

Notez que, sous prétexte qu’elle débite que nous sommes sortis du néant, on ne pourrait pas prétendre qu’elle croyait la création ; car M. Hénault fait assez connaître [6] que par néant il n’entend point la privation de l’existence, mais la simple privation de la vie. En ce sens-là il n’admettait point la création.

(E) Il composa un sonnet qui donna lieu à M. Colbert de faire une belle action [* 8] ] Le recueil de remarques cité ci-dessus me fournit encore un bon commentaire. « Pour revenir à M. Hénault, c’est de lui dont M. Despréaux parle dans deux endroits de la satire IX. Je le déclare donc, Haynault [* 9] est un Virgile [* 10]. Mais M..... m’a dit lui-même qu’il le trouvait assez bon poëte, et que sa meilleure pièce, non pas pour la matière, mais pour la composition, était un sonnet contre M. Colbert qui commençait par ce vers, ministre avare et lâche, esclave malheureux. M. Colbert fit là-dessus une très-belle action : on lui parla de ce sonnet qui fit du bruit dans ce temps-là ; il demanda s’il n’y avait rien contre le roi : on lui dit que non, et là-dessus il répondit qu’il ne s’en souciait guère, et qu’il n’en voulait point mal à l’auteur. Cela n’est-il pas plus beau que le sonnet ? »

  1. (*) Il s’est fait estimer au palais : on a de lui quelques pièces de théâtre et la Critique de l’Andromaque.
  2. (*) Dissertation sur les ouvrages de Saint-Évremont, 1698, in-12, à Paris, par le sieur Dumont. C’est un masque : on l’attribue à M. Cotolendi, auteur de l’Arlequiniana ; quelques-uns croient que M. Érard, fameux avocat, n’y a pas peu de part.
  3. (*) M. Bayle ne rapporte pas dans cette remarque les vers suivans, qui sont dans ses Œuvres diverses, etc.

    E Senecæ Thieste, actus II, Chorus.

    Illi mors gravis incubat,
    Qui notus nimis omnibus,
    Ignotus moritur sibi.

    IMITATION.

    Heureux est l’inconnu qui s’est bien su connaître ;
    Il ne voit pas de mal à mourir plus qu’à naître ;
    Il s’en va comme il est venu :
    Mais, hélas ! que la mort fait une horreur extrême
    À qui meurt de tous trop connu,
    Et trop peu connu de soi-même !
    Rem. crit.

  4. (*)

    Mais les gens de delà les monts
    Auront bientôt pleuré cet homme,
    Car il défend les Jannetons,
    Chose très-nécessaire à Rome.

    La Fontaine, Œuvres posthumes, en parlant d’Innocent XI.

    Quand l’objet en mon cœur a place,
    Et qu’à mes yeux il est joli,
    Dono nomen quod libet illi.

    Idem, ibidem. [Ce latin doit faire un vers de même mesure que les deux précédens qui ne sont que de six syllabes. Lisez donc, do nomen, dans les Œuvres posthumes de la Fontaine. Rem. crit.

  5. * Bayle qui, dans la première édition de son Dictionnaire, n’avait pas consacré d’article à Hénault, en parlait dans la remarque (F). de- venue la remarque (G), de l’article Spinosa, tom. II, pag. 1087-1088. Cette remarque se composait alors : 1°. du passage guillemété qu’on lit dans le texte de l’article Hénault, et qui est l’extrait d’une lettre de Marais ; 2°. de la suite de l’extrait que Bayle rapporte en cette remarque (D), et des réflexions qui viennent après jusques et compris le mot versification ; 3°. de ce qui forme aujourd’hui le premier alinéa de la remarque (G), de l’article Spinosa. Voyez cette remarque, tom. XIII, et la note que j’y ajoute.
  6. (*) Il est à la page 164 du Ier. tome des Poésies de madame Deshoulières. Vous le trouverez aussi dans le Courrier Galant, du mois de mai 1693, pag. 552.
  7. (*)

    Nous irons reporter la vie infortunée,
    Que le hasard nous a donnée,
    Dans le sein du néant d’où nous sommes sortis.

  8. * Leclerc est porté à croire que ce sonnet n’est pas de Jean Hesnault, mais de Mathurin Hénaut, dont Loret parle dans sa Muse historique, du 3 septembre 1661. Jean Hesnault est auteur d’une belle traduction en vers de l’Innovation à Vénus, de Lucrèce. Cette traduction avait été imprimée, dès 1694, dans un Recueil de pièces curieuses et nouvelles. La Monnoie la croyait inédite, lorsqu’il la publia dans son Recueil de pièces choisies, 1714, deux vol., petit in-8°. Boileau a parlé de Hesnault, dans sa satire IX, vs. 97, et dans le chant III du Lutrin, vs. 48. Ce n’est que dans les éditions, à partir de 1701, que Hesnault figure dans le Lutrin. La Monnoie raconte que lorsqu’on demandait à Boileau pourquoi il avait ainsi immolé Hesnault, il répondait qu’ayant d’abord mis Boursault, puis Perrault, et s’étant ensuite réconcilié avec eux, il leur avait substitué Hesnault, qui, mort depuis 1682, ne pouvait plus former aucune plainte. Cependant dans l’Esquisse en prose de la satire IX, esquisse publiée par Saint-Marc, en 1747, Hesnault est déjà indiqué. La composition de l’Esquisse est antérieure à la satire elle-même, qui est de 1667. Il faut donc, ce me semble, ou que le propos de Boileau soit faux, ou que l’Esquisse, telle qu’elle est publiée, ne soit pas telle que l’auteur l’avait composée.
  9. (*) Il l’appelle ainsi pour le déguiser.
  10. (*) L’édition d’Amsterdam, 1695, lit Quinault, et ici, et déjà plus haut, dans la même satire : et Haynault n’y est nommé nulle part. Rem. crit.
  1. Dans l’article Patin, lettre (d). J’ai ôté cela dans cette seconde édition. [Celle de 1702.]
  2. Voyez les Amitiés, Amours et Amourettes de M. le Pays, liv. III. lettre IV.
  3. Voyez le père Bouhours, Manière de bien penser, pag. 373, édition de Hollande.
  4. Voyez, tom. VII, pag. 395, la fin de la remarque (Q) de l’article du troisième duc de Guise. [Cet avocat est Marais. Voyez aussi la lettre que lui écrivait Bayle, sous la date du 2 octobre 1698.]
  5. Voyez, tom. XII, l’article Plotin, rem. (A).
  6. Voyez le sonnet de l’Avorton.

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