Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Macron

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MACRON (Nævius Sertorius), s’acquit une grande autorité sous l’empire de Tibère. Il fut l’un des principaux instrumens de la ruine de Séjan, et son successeur à la charge de capitaine des gardes[a]. Il le surpassait en finesse, et principalement lorsqu’il s’agissait de faire périr un ennemi (A). Il refusa les honneurs qui lui furent décernés par le sénat après la mort de Séjan[b], et je pense que la politique eut plus de part à ce refus que la modestie. Il se chargea d’une commission odieuse dans l’instruction des procès que les délateurs faisaient aux gens ; car il présidait à la question qui était donnée pour découvrir les coupables, et pour avoir des témoignages. On envoyait ensuite au sénat les preuves qu’il avait recueillies par cette voie, et l’accusation des délateurs, de sorte qu’on ne laissait à la compagnie que le soin de prononcer la sentence[c]. Il y eut des temps où aucun des accusés ne fut absous, et quelques-uns même furent condamnés sans que l’on sût par les lettres de Tibère, et par les certificats de Macron, touchant les dépositions des torturés, en quoi consistait le crime : on ne suivait point d’autre règle que ce qui semblait conforme aux désirs de l’empereur et de son capitaine des gardes[d]. Chacun voit que Macron avec une telle conduite avait besoin de l’avis de Tibère ; car il avait tout à craindre sous un changement de gouvernement. Il sentit bien cela ; et de là vint qu’aussitôt qu’il eut réfléchi sur l’âge et sur les infirmités de cet empereur, il travailla à gagner les bonnes grâces de celui qui succéderait à l’empire. Il fit sa cour à Caligula ; et, pour mieux s’insinuer dans sa faveur, il se servit des cajoleries de sa femme Ennia (B). Il faisait en sorte qu’elle lui donnât de l’amour, et l’assurât de l’empire pourvu que ce jeune prince lui promît de l’épouser. Tibère n’ignora point cette trame, et s’ouvrit assez là-dessus par un reproche qu’il fit à Macron (C), et il voulut même renverser tout ce projet ; mais les difficultés qu’il y trouva l’engagèrent à laisser faire les destins[e]. Le médecin Chariclès ayant dit à Macron que Tibère ne passerait pas deux jours, on se hâta de préparer toutes choses dans l’intérêt de Caligula[f]. Dans ces entrefaites il courut un bruit que l’empereur était mort, et tout aussitôt Caligula se mit en marche pour aller prendre possession de l’empire. Il était environné de beaucoup de courtisans qui venaient en foule le féliciter. On entendit tout d’un coup que Tibère était revenu de la défaillance que l’on avait prise pour sa mort. Cette nouvelle consterna les courtisans de Caligula : ils s’écartèrent les uns d’un côté, les autres de l’autre, et dissimulèrent le mieux qu’ils purent. Quant à lui, il se crut perdu, et il attendait avec un profond silence sa dernière heure ; mais Macron sans s’étonner donna ordre qu’on étouffât Tibère, et que tout le monde se retirât[g]. Ni lui, ni sa femme, ne jouirent pas long-temps de la faveur qu’ils s’étaient promise sous le nouvel empereur qui leur était si obligé. Ils furent contraints l’un et l’autre de s’ôter la vie (D). Le mari avait obtenu un fort beau gouvernement[h] ; mais il ne sut point apprivoiser l’humeur farouche de Caligula.

  1. Dio, lib. LVIII, pag. m. 718.
  2. Idem, ibid., pag. 722.
  3. Idem, ibid., pag. 727.
  4. Idem, ibid., pag. 730.
  5. Voyez la remarque (C).
  6. Tacit., Annal., lib. VI, cap. I.
  7. Ex Tacito, ibid.
  8. Celuy d’Egypte. Voyez Dion, lib. LIX, pag. 743.

(A) Il surpassait Séjan en finesse, et principalement lorsqu’il s’agissait de faire périr un ennemi. ] La haine de Macron était bien terrible. Mamercus Scaurus en fit une triste expérience. C’était un homme de mauvaise vie, mais illustre par sa naissance, et grand orateur. Il fut entrepris par Macron, sous prétexte qu’il avait fait une tragédie dont quelques vers pouvaient concerner la conduite de Tibère. D’autres l’accusèrent de magie et d’adultère. Il prévint sa condamnation en se tuant, et il fut animé à cela par son épouse qui se tua elle aussi. Lisez ces paroles de Tacite. Mamercus dein Scaurus rursùm postulatur, insignis nobilitate et orandis caussis, vitâ probrosus, nihil hunc amicitia Sejani, sed labefecit haud minùs validum ad exitia Macronis odium, qui easdem artes occultiùs exercebat : detuleratque argumentum tragœdiæ à Scauro scriptæ, additis versibus qui in Tiberium flecterentur. Verùm ab Servilio et Cornelio accusatoribus, adulterium Liviæ, magorum sacra objectabantur. Scaurus, ut dignum veteribus Æmiliis, damnationem anteit ; hortante Sextiâ uxore : quæ incitamentum mortis, et particeps fuit[1]. Dion fournit des circonstances qui éclaircissent ce qui concerne la tragédie dont l’empereur se fâcha. Elle avait pour titre Atrée, et contenait des paroles d’Euripide qui conseillaient à un sujet de supporter la folie de son roi[2]. Tibère s’imagina que cette pièce de théâtre avait été faite contre lui, et qu’à cause des meurtres qu’il avait commis, on le désignait sous le nom d’Atrée. Je ferai de l’auteur un Ajax, dit-il. La menace fut suivie de l’effet : mais au lieu de se servir de ce prétexte, il accusa Scaurus d’avoir couché avec Liville[3].

Ajoutons un autre exemple de la force de l’inimitié de Macron. Il voulait du mal à Lucius Arruntius, et le voyant enveloppé dans un procès de crime d’état, il se prévalut de l’occasion, il présida à l’examen des témoins et à la question des esclaves [4], et il fit tellement connaître que les effets de son animosité ne pourraient pas être éludés, que l’accusé se fit mourir sans attendre que la cause fût jugée. Il est bon de voir ce qu’il répondit à ceux qui lui conseillèrent de chicaner le terrain. J’ai assez vécu, leur dit-il, et je n’aurais rien de bon à me promettre d’une plus longue vie, les temps seraient encore plus malheureux sous le successeur de Tibère ; tout est à craindre sous Caligula gouverné par Macron. Tacite représenta cela plus au long et plus noblement ; mettons donc ici ses paroles : elles servent à faire connaître celui qui est le sujet de cet article. Arruntius cunctationem et moras suadentibus amicis : Non cadem omnibus decora, respondit : sibi satis ætatis : neque aliud pœnitendum, quàm quòd inter ludibria et pericula anxiam senectam toleravisset, diù Sejano, nunc Macroni, semper alicui potentium invisus ; non culpâ, sed ut flagitiorum impatiens. Sanè paucos et supremos principis dies posse vitari ; quemadmodum evasurum immincutis juventam ? An cùm Tiberius post tautam rerum experientiam, vi dominationis convulsus et mutatus sit : C. Cæsarem vix finitâ pueritiâ, ignarum omnium, aut pessimis innutritum, meliora capessiturum, Macrone duce ? qui ut deterior ad opprimendum Sejanum dilectus, plura per scelera Remp. conflictavisset. Prospectare jam se acrius servitium, eoque fugere simul acta et instantia. Hæc vatis in modum dictitans, venas resolvit [5]. Notez qu’Arruntius et deux autres[6] furent accusés comme complices de la conjuration d’Albucilla, femme qui n’était pas moins décrite pour ses impudicités[7] que l’étaient il y a quarante ans les héroïnes de Bussi[8]. Je crois que l’accusation fut fondée sur ce que ces trois Romains étaient reconnus pour des galans d’Albucilla[9] : on concluait apparemment qu’ils avaient su sa conspiration, puisqu’ils avaient avec elle un mauvais commerce de galanterie. Ordinairement parlant, cette manière de raisonner est assez juste ; et si l’on ne voit guère de femmes dans des procès de crime d’état, sans qu’elles aient des galanteries, on n’en voit guère non plus qui n’aient communiqué leur complot à leurs galans. La liaison de ces choses est un fait dont on devine facilement les raisons, et l’on voit aussi sans beaucoup de peine pourquoi les femmes qui ressemblent à donna Hippolyte d’Aragon, baronne d’Alby[10], sont celles qui s’engagent le plus fréquemment à une conspiration. N’oublions pas qu’Albucilla se voulut tuer ; mais elle n’eut pas la force de se donner un bon coup. Albucilla inrito ictu à semet vulnerata, jussu senatûs in carcerem fertur[11]. Tacite, qui nous apprend que le sénat la fit porter en prison, s’arrête là, et ne dit point ce qu’elle devint. Il observe que presque toutes les preuves qui furent envoyées contre les trois accusés, étaient des suppositions de Macron. C’est qu’on le connaissait pour l’ennemi déclaré d’Arruntius. Sed testium interrogationi, tormentis servorum Macronem præsedisse, commentarii ad senatum missi ferebant : nullæque in eos imperatoris litteræ, suspicionem dabant, invalido ac fortassè ignaro, ficta pleraque ob inimicitias Macronis notas in Arruntium[12]. Il est assez probable que Macron se comporta très-injustement dans cette affaire : mais il n’eût pas pu éviter, non pas même par l’observation exacte des procédures juridiques, que l’on ne le soupçonnât d’avoir opprimé des innocens ; car lorsqu’un monarque, ou ses favoris, ou ses ministres, sont haïs du peuple, on ne veut presque jamais croire que ceux qu’ils punissent soient coupables. C’est ce qu’on a vu en France sous le ministère du cardinal de Richelieu[13].

(B) Il se servit des cajoleries de sa femme Ennia. ] C’est l’opinion de Tacite : Supremi Tiberio consules, Cn. Acerronius, C. Pontius magistratum occepere, nimiâ jam potentiâ Macronis : qui gratiam C. Cæsaris nunquàm sibi neglectam, acriùs in dies fovebat, impuleratque post mortem Claudiæ, quam nuptam et rettuli, uxorem suam Enniam immittendo, amore juvenum inlicere, pactoque matrimonii vincire ; nilil abnuentem dùm dominationis apisceretur [14]. Mais Suétone narre le fait autrement. Il veut que Caligula ait fait toutes les avances auprès de la femme de Macron, et l’ait engagée par une promesse de mariage à lui procurer les bons offices de son mari. Quam (spem successionis) quo magis confirmaret, amissâ Juniâ ex partu, Enniam Næviam[15] Macronis uxorem, qui tùm prætorianis cohortibus præerat, sollicitavit ad stuprum, pollicitus et matrimonium suum, si potitus imperio fuisset : deque eâ re et jurejurando et chirographo cavit. Per hanc insinuatus Macroni, veneno Tiberium aggressus est [16]. Dion a mieux aimé se conformer à la narration de Tacite qu’à celle de Suétone ; car il a dit que Caligula fut attiré par le mari même à faire l’amour à la femme[17]. Tournez-vous de quelque côté qu’il vous plaira, vous rencontrerez partout de la probabilité. On ne choquera point la vraisemblance en disant que Macron, plus ambitieux que jaloux, porta sa femme à mettre Caligula dans ses filets, et à ne lui rien refuser de tout ce qui serait propre à captiver un jeune prince impudique. Si Macron avait fait cela, il aurait pris un parti qui n’est rien moins qu’une rareté parmi les courtisans, et en général parmi ceux qui veulent faire fortune. L’une de leurs maximes est celle que Tirésias donnait à Ulysse :

......Scortator erit ? cave te roget. Ultrò
Penelopen facilis potiori trade[18].


Aujourd’hui l’on ne ferait pas semblant de dormir[19] ; mais l’on passerait dans une autre chambre, si l’on voyait son Mécène disposé à caresser. On se rendrait plus commode que ce Galba qui donnant à souper à Mécenas, favori d’Auguste, et voyant qu’il commençait à escrimer des yeux et de petits regards amoureux avec sa femme, il laissa tout doucement aller sa tête sur le coussin, comme faisant semblant de dormir[20]. Supposez d’un autre côté que Calligula se défiant des intentions de Tibère, et ne voyant rien encore de sûr pour lui à l’égard de la succession impériale, tâcha de corrompre la femme de Macron, et s’imagina que s’il la mettait dans ses intérêts par une promesse de mariage, elle engagerait son mari à le servir ; vous supposerez une chose très-probable. Une pareille conduite a été tenue cent et cent fois. Supposons enfin qu’Ennia, persuadée que Caligula succéderait à Tibère, tâcha de lui donner de l’amour à l’insu de son mari, et n’épargna rien pour fomenter l’espérance d’être un jour impératrice, nous trouverons encore une grande probabilité. Je crois néanmoins que la narration de Tacite est préférable à celle de Suétone, n’en déplaise à Philon qui assure[21] que Macron ignora les galanteries de son épouse.

(C) Tibère............ s’ouvrit assez là-dessus par un reproche qu’il fit à Macron. ] Vous quittez le soleil couchant, lui dit-il, et vous regardez le soleil levant[22]. C’est ainsi que va le monde, et c’est l’un des plus grands chagrins de la vieillesse des princes. Je ne donne point le détail des mesures que Tibère voulut prendre, lorsqu’il eut su les intrigues de Macron ; il suffit de rapporter ces paroles de Tacite : Gnarum hoc principi : eoque dubitavit de tradendâ republicâ primùm inter nepotes…..……. Mox incertus animi, fesso corpore, consilium, cui impar erat, fato permisit, jactis tamen vocibus, per quas intelligeretur providus futurorum. Namque Macroni non abditâ ambage, Occidentem ab eo deseri, Orientem spectari exprobravit, etc.[23].

(D) Ils furent contraints l’un et l’autre de s’ôter la vie. ] Dion Cassius, rapportant les choses qui firent blâmer Caligula, n’oublie point l’ingratitude de cet empereur à l’égard de Macron et d’Ennia. Elle fut si grande qu’il les réduisit à la dure nécessité de se tuer. Il ne se souvint, ni de l’amour qu’Ennia avait eu pour lui, ni des services que Macron lui avait rendus, et qui avaient été d’une si grande importance, qu’il était monté par-là sur le trône sans aucun collègue. Il ne se contenta point de lui enlever la vie, il le diffama, et se servit même d’une accusation dont la honte rejaillissait principalement sur sa personne ; car il déclara que Macron lui avait servi de maquereau : Καὶ ἐς αἰσχύνην ἧς αὐτὸς τὸ πλεῖςον μετεῖχε κατέςησε· προαγωγείας γὰρ ὲγκλημα αὐτῷ πρὸς τοῖς ὰλλοις ἐπήγαγε[24]. Et eâ infamiâ oneravit, cujus ipse maximâ in parte futurus esset, objecto nimirùm eo crimine quod stuprorum conciliatores fuissent[25]. Voilà ce qu’on trouve dans le LIXe. livre de Dion Cassius : et prenez garde que cet historien avait remarqué, que c’est une chose plus dure de contraindre les gens à se faire mourir eux-mêmes, que de les livrer au bourreau. Il fait cette observation contre Tibère, qui pour ne paraître pas l’auteur de la mort des accusés, les engageait par des motifs assez tentans[26] à prévenir leur condamnation en s’ôtant la vie. Προκαλουμένου διὰ τούτου τοὺς ἀνθρώτους τοῦ Τιϐερίου αὐτοέντας γενεσθαι, ἵνα μὴ αὐτὸς σϕᾶς ἀποκτείνειν δόκη· ὥσπερ οὐ πολλῷ δεινότερον ὂν αὐτοχειρίᾳ τινὰ ἀποθανεῖν ἀναγκάσαι, τοῦ τῷ δημίῳ αὐτον παραδοῦναι. Alliciente per hæc Tiberio homines ad consciscendam sibi ipsis mortem, ne ipse eos necâsse videretur : quasi verò non longè graviùs sit adigere aliquem ad manus sibi inferendas, quàm spiculatori eum tradere.[27]. On voit aussi dans Suétone la mort violente de Macron et d’Ennia parmi les grands crimes de cet empereur. Et in primis ipsum Macronem, ipsam Enniam adjutores imperii quibus..... pro meritorum gratiâ cruenta mors persoluta est[28]. Si l’on ne connaissait Macron que par le portrait que l’on en trouve dans un ouvrage d’un auteur juif, on le plaindrait d’avantage ; car on le prendrait pour un honnête homme, et l’on ne saurait rien des mauvaises qualités que Tacite et Dion Cassius lui attribuent.

Philon a fait une liste des crimes de Caligula, dans laquelle il a mis au premier rang le meurtre du petit-fils de Tibère, et au second la mort de Macron. Il dit que Tibère, ayant découvert, par la sagacité et par la pénétration de son esprit, le naturel corrompu de Caligula, n’avait nulle envie de lui laisser l’empire romain ; mais que Macron s’appliqua si adroitement à lui lever tous ses soupçons, et à lui faire l’apologie de ce jeune prince, que cela prévint toujours le coup fatal qui l’eût pu exclure. Lorsque les raisons de Macron n’agissaient pas assez fortement, il s’offrait d’être caution de tout ce qu’il alléguait en faveur de Caligula. Cette promesse était de grand poids ; car il avait donné de très-grandes preuves de son zèle pour la famille impériale, et pour la personne de Tibère en particulier, lorsqu’il avait eu la commission de faire périr Séjan. Ce qu’il fit pour Caligula, auprès de Tibère, égalait ou surpassait tout ce qu’on peut mettre en œuvre pour un frère ou pour un fils. Deux choses l’y engagèrent ; car il voyait que son amitié était cultivée par Caligula avec toutes sortes de soin, et il avait une femme qui le sollicitait incessamment de ne perdre aucune occasion de servir et d’obliger ce jeune prince. L’auteur que j’abrége remarque que la raison qui engageait cette femme à prendre si fort à cœur les intérêts de Caligula, était une chose dont on ne parlait pas[29] : mais il la fait assez entendre, lorsqu’il ajoute qu’une femme, et surtout quand elle est infidèle, à beaucoup de force sur l’esprit de son mari ; car comme elle se sent coupable, elle redouble ses caresses et ses flatteries. Macron, continue t-il, ne savait pas son déshonneur domestique, et s’imaginait que l’amitié conjugale rendait son épouse si caressante envers lui. Δεινὸν δε γυνὴ γνώμην ἀνδρὸς παραλύσαι καὶ παραγαγεῖν, καὶ μάλιςα μαχλάς· ἕνεκα γὰρ τοῦ συνειδότος κολακικωτέρα γίνεται ὁ δε τὴν διαϕθορὰν μὲν τοῦ γάμου καὶ τῆς οἰκίας ἀγνοῶν, τὴν δε κολακείαν εὔνοιαν ἀκραιϕνεςάτην εἶναι νομίζων, ἀπατᾶται. Est autem ad impellendum virum efficax impudica mulier, ut que blandior si propter conscientiam. At ille ignarus probri domestici, et ratus ab amore conjugali proficisci eas blanditias decipitur[30]. Or se souvenant très-bien qu’il avait sauvé Caligula plus d’une fois, il lui donnait des avis fort librement : il voulait en bon ouvrier, que la durée de son ouvrage lui fît honneur ; c’est pourquoi il corrigeait par ses bons avertissemens, et le mieux qu’il lui était possible, les défauts de l’empereur qu’il avait créé, et lui faisait connaître les devoirs et la véritable gloire de ceux qui occupent un tel poste. Caligula se montrait rebelle à ces leçons, et se vantait hautement de n’avoir aucun besoin d’un tel pédagogue. Voilà comment Macron lui devint odieux. Ce méchant prince ne songea qu’à s’en défaire, et qu’à chercher des prétextes qui eussent un air plausible. Il crut en avoir trouvé de tels, lorsqu’il allégua que Macron disait : Caligula est mon ouvrage ; c’est ma créature autant ou plus que la créature de ceux qui l’ont engendré. Mes prières ont arrêté trois fois les ordres que Tibère voulut donner de le tuer : c’est moi qui suis cause qu’il succéda seul à l’empire après la mort de Tibère. Macron ne vécut guère depuis : il fallut qu’il se tuât de sa propre main. Sa femme fut exposée à la même nécessité, et ne trouva aucune ressource dans l’amour que Caligula avait eu pour elle. Aussi est-ce une passion sur laquelle il n’est pas permis de compter ; elle est sujette à trop de dégoûts. Λέγεται ὅτι ἠναγκάςη, ὁ δείλαιος, αὐτοχειρια κτεῖναι ἑαυτὸν, καὶ τὴν αὐτὴν ἀναδεξασθαι συμϕορὰν ἡ γυνὴ, καίτοι ποτὲ νομισθεῖσα διὰ συνηθείας ἀυτῷ γενέσθαι. Βέϐαιον δἒ οὐδέν ϕασι τῶν ἐν ἐρωτι ϕίλτρων εἶναι διὰ τὸ τοῦ πάθους ἁψίκορον. Fertur miser coactus seipsum interficere, uxor quoque habuisse eundem exitum, quamvis putaretur constuprata a Cæsare, sed negant in amore firmum præsidium, propter crebra ejus affectûs inconstantissimi fastidia[31]. Toute la famille de Macron fut exterminée en même temps[32].

Trois choses, dont chacune était capable de le ruiner, concoururent à sa perte. Il avait sauvé la vie, et procuré un grand empire à Caligula ; il s’en vantait ; il le censurait. Il y a très-peu de grands qui puissent aimer ceux à qui ils ont trop d’obligation [33] ; et l’on ne voit guère que ceux qui élèvent sur le trône un particulier, conservent long-temps ses bonnes grâces. Ils lui deviennent odieux, ou parce qu’on n’aime pas les personnes qui croient avoir le droit de tout demander, ou parce qu’ils vantent trop leurs services, et se plaignent de n’en être pas récompensés dignement. Je vous laisse à penser si Caligula, l’âme du monde la plus mal faite, pouvait supporter longtemps un bienfaiteur qui étalait toute l’importance de ses services, et qui se donnait la liberté de lui donner des avis de gouverneur ?

  1. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XXIX, ad ann. 787.
  2. Ἳνα τὴν τοῦ κρατοῦντος ἀϐουλίαν ϕέρη. Ut stultitiam emperantis ferret. Dio, lib. LVIII, pag. m. 730.
  3. Ex Dione, ibidem.
  4. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XLVII.
  5. Idem, ibidem, cap. XLVIII, ad ann. 790.
  6. Cn. Domitius et Vibius Marsus.
  7. Multorum amoribus famosa Albucilla. Tacit., Annal. lib. VI, cap. XLVII.
  8. On écrit ceci l’an 1700.
  9. Connectebantur ut conscii et adulteri ejus. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XLVII.
  10. Voyez, dans le Recueil de diverses pièces curieuses pour servir à l’Histoire, la Conjuration de cette dame sur la ville de Barcelone en faveur du roi catholique, en l’an 1645, 1646, 1647 et 1648, pag. 43 et suiv., édit. de Hollande, 1664.
  11. Tacit., Annal., lib. VI, c. XLVIII.
  12. Idem, ibid., cap. XLVII.
  13. Voyez, tom. IX, pag. 448, la remarque (F) de l’article de Louis XIII.
  14. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XLV, ad ann. 790.
  15. Il faut lire, comme Casaubon l’a fort bien conjecturé, Nævii Macronis.
  16. Sueton., in Calig., cap. III.
  17. Ἐς ἔρωτα αὐτὸν τῆς ἑαυτοῦ γυναικὸς Ἐννίας Θρασύλλης προῦτῆκτο. Eum in amorem uxoris suæ Enniæ Thrasyllæ pellexerat Dio, lib. LVIII, in fine.
  18. Horat., sat. V, lib. II, vs. 75.
  19. ....Doctus spectare lacunar,
    Doctus et ad calicem vigilanti stertere naso.
    Juven., sat. I, vs. 56.

  20. Plut., in Amatorio, pag. 759, 760. Version d’Amyot.
  21. Voyez la remarque (D).
  22. Dio, lib. LVIII, in fine.
  23. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XLVI.
  24. Dio, lib. LIX, pag. 743.
  25. C’est ainsi que Xylander et Léonclavius ont traduit : mais il eut mieux valu traduire Objecto nimirùm ei (Macroni) præter alia eo crimine, quòd stuprorum conciliator fuisset.
  26. Ceux qui attendaient leur condamnation mouraient dans des tourmens très-cruels, et tous leurs biens étaient confisqués ; mais rarement confisquait-on les biens de ceux qui s’étaient tués avant la fin du procès. Voyez Dion, lib. LVIII, pag. 723.
  27. Dio, lib. LVIII, pag. 723.
  28. Sueton., in Calig., cap. XXVI.
  29. Ἡ Μώκρωνος γυνὴ διὰ σιωπωμένην ἀιτίαν. Uxor Macronis propter quiddam tectum silentio. Philo. de Legatione, pag. 997.
  30. Idem, ibidem, E.
  31. Philo, de Legatione, pag. 1000, D.
  32. Tiré de Philon, in libro de Legatione ad Caium, pag. 997 et seq.
  33. Beneficia eò usquè læta sunt, dùm videntur exsolvi posse : ubi multum antevenêre, pro gratiâ odium redditur. Tacit., Ann., lib. IV, cap. XXVIII. Voyez, dans la Vie de du Plessis Mornai, pag. 257, une traduction de cela, appliquée au froid accueil qu’il avait reçu du roi Henri IV.

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