Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Maignan

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MAIGNAN (Emmanuel), l’un des plus grands philosophes du XVIIe. siècle, était religieux minime, natif de Toulouse [* 1]. Il abandonna les opinions de l’école, et les combattit fort solidement. Il n’était ni cartésien, ni gassendiste ; mais il s’accordait avec les deux chefs de ces deux sectes à rejeter les accidens, les qualités, et les formes substantielles, et à cultiver la physique expérimentale. Il entendait bien les mathématiques ; et il avait joint à toutes ces sciences celle de la théologie, jusques au point d’être capable de l’enseigner dans Rome même [a]. Il a eu beaucoup de disputes à soutenir contre les péripatéticiens ; et il était d’autant plus propre à leur tenir tête, qu’il gardait beaucoup de la méthode des scolastiques dans ses écrits. La manière dont il explique la conservation des accidens sans sujet dans le mystère de l’Eucharistie, est plus heureuse que celle de M. Descartes (A). J’ai lu dans quelqu’un des journalistes qu’on travaille à faire sa vie. Si je l’avais lue, j’eusse fait très-volontiers un long article de cet habile minime. Je dirai un mot de ses écrits (B). On l’a confondu avec un autre philosophe nommé Magnen (C). Cet article était déjà à l’imprimerie, lorsque j’ai découvert le père Maignan hors de sa place [b] dans le Supplément de Moréri.

Depuis la première édition de ce Dictionnaire j’ai vu un écrit [c] qui a pour titre : de Vitâ, Moribus et Scriptis R. patris Emmanuelis Maignani Tolosatis, ordinis Minimorum ; philosophi, atque mathematici præstantissimi Elogium. Il a été composé par le père Saguens [d], et imprimé à Toulouse, l’an 1697. J’en tirerai un bon supplément. Emmanuel Maignan, né le 17 de juillet 1601, était d’une ancienne et noble famille (D). Il fit espérer dès le berceau qu’il aurait de l’inclination pour les lettres et pour les sciences ; car rien n’était aussi propre à l’empêcher de pleurer et de crier, que d’avoir en main quelque livret. Il en remuait les feuillets et en considérait les caractères avec beaucoup de plaisir, et l’on s’aperçut dès qu’il eut passé l’âge de cinq ans, qu’il méprisait les petits plaisirs de l’enfance, et qu’il prêtait une attention merveilleuse aux prières et aux instructions du catéchisme. Cela fit qu’on s’appliqua plus soigneusement à le mettre sous la direction d’un précepteur domestique. Il fit ses classes au collége des jésuites, et s’acquitta très-diligemment de tous les devoirs d’un bon écolier, soit à l’égard des exercices littéraires, soit à l’égard des exercices de religion. Il fit paraître dans toute sa conduite ce grand fonds de pudeur et d’honnêteté qui fait craindre la contagion des entretiens sales ; et de là vint qu’il s’éloigna peu à peu du commerce de ses condisciples, et qu’il aima mieux renoncer aux divertissemens de son âge, que d’exposer son innocence à quelque péril [e]. Ses heures de récréation étaient employées à des promenades dans le couvent des minimes ; où il rencontrait un bon vieillard qui lui parlait de l’affaire du salut. Ce furent des semences de la vie religieuse à laquelle il se consacra quelque temps après, et il y fut encore fortement déterminé par une disgrâce qui lui arriva lorsqu’il était en rhétorique : il avait composé un poëme pour disputer le prix d’éloquence, et il crut qu’on lui avait fait une injustice en adjugeant à un autre la victoire. Les réflexions qu’il fit pendant son chagrin le fortifièrent tellement dans la pensée de quitter le monde, qu’il demanda l’habit de minime. On ne le fit point postuler longtemps ; et s’étant fort bien acquitté des épreuves du noviciat, il fut reçu à l’émission de ses vœux à l’âge de dix-huit ans, c’est-à-dire l’an 1619. Il fit son cours de philosophie sous un professeur très-attaché à la doctrine d’Aristote, et il ne perdit aucune occasion de disputer vivement contre tout ce qui lui était suspect d’hétérodoxie dans la physique de cet ancien philosophe. Cela fut pris pour un bon augure par son professeur, qui bientôt après découvrit avec un fort grand étonnement que son disciple entendait très-bien les mathématiques, sans que personne lui en eût fait des leçons (E). Il avait été en cela son propre maître. Il fut tout autre dans son cours de théologie que dans celui de philosophie ; car au lieu qu’en celui-ci il s’était montré fort incrédule, et avait soumis toutes choses à un examen sévère, et aux discussions les plus subtiles de la dispute, il se soumit humblement aux dogmes théologiques [f] : mais pour ce qui est des raisons péripatéticiennes que l’on employait pour les éclaircir, et pour les prouver, il ne se crut pas obligé de les admettre sans les avoir examinées ; et s’il ne les trouvait pas solides, il les rejetait, et ne faisait nul scrupule de préférer les secours de Platon à ceux d’Aristote. Les preuves qu’il donna de son esprit pendant les six années qu’il fut sur les bancs, le firent juger capable de monter en chaire pour y remplir les fonctions de professeur, et il s’acquitta de cet emploi si subtilement et si solidement, qu’il fit voler sa réputation au delà des Pyrénées et des Alpes ; et c’est pourquoi le général des minimes le fit venir à Rome, l’an 1636, pour une semblable profession. Sa capacité dans les inventions de mathématiques et dans les expériences physiques, éclata bientôt, et surtout par une contestation qui s’éleva entre lui et le père Kircher, et qui fut décidée de telle sorte que la gloire de l’invention, le sujet de la dispute, ne fut pas ôtée à notre minime (F). Son livre de Perspectivâ horariâ, imprimé à Rome, l’an 1648, aux dépens du cardinal Spada, fut fort estimé. Personne n’avait encore entrepris un pareil ouvrage [g]. On y trouvait la méthode de faire des télescopes, qu’il avait inventée. Il l’expliqua fort au long, et n’imita point ceux qui cachent comme un mystère les inventions de leur art, et qui meurent avec leur secret. Il n’eut point cette maladie ; car s’il se présentait des ouvriers qui voulussent faire suivant ses découvertes et sa méthode quelques instrumens de dioptrique ou autres, il leur communiquait le plus agréablement du monde ce qu’il savait là-dessus. Il ne revint de Rome à Toulouse qu’en 1550, et on le revit dans sa patrie avec une joie universelle. Il fut créé provincial cette même année, quoiqu’il souhaitât avec passion de n’être pas détourné de ses études par les soins d’aucune charge. Il publia son cours de philosophie l’an 1652. C’est un ouvrage où il a pu se promettre pour le moins le nom de restaurateur ; et si sous prétexte qu’il expliqua la physique par les quatre élémens, on lui conteste la gloire de l’invention pour la donner à Empédocle [h], on ne peut nier qu’il n’ait fait à l’égard de cette hypothèse, ce qu’a fait Gassendi à l’égard de celle des atomistes. La charge de provincial étant expirée au bout de trois ans, notre minime eut plus de loisir pour travailler à une théologie philosophique ; mais une longue maladie, et puis quelques voyages pour les affaires de l’ordre, retardèrent l’exécution de ce dessein. Nous verrons dans les remarques en quel temps parurent les deux tomes de cet ouvrage (G). Si l’auteur avait eu de l’ambition, il aurait trouvé un beau moyen de se satisfaire lorsque le roi souhaita de l’attirer à Paris. Ce fut en 1660, après que sa majesté eut vu elle-même dans la cellule de ce religieux, une infinité de machines et de curiosités (H). Le cardinal Mazarin, qui les avait vues avec le roi, fit savoir le lendemain au père Maignan les intentions de ce prince, par M. de Fieubet, premier président au parlement de Toulouse. Le minime témoigna si modestement et si humblement l’inclination qu’il avait à passer toute sa vie dans l’obscurité du cloître où il avait été revêtu de l’habit de l’ordre, que l’affaire en demeura là. Il eut donc la satisfaction d’éviter l’éclat à quoi l’on avait voulu l’engager, et il s’occupa tranquillement à faire des livres, et des expériences, et des leçons. Il était consulté par les plus grands philosophes, et il avait mille réponses à faire ou de vive voix, ou par écrit. Jamais homme n’aima moins que lui l’oisiveté : il travaillait même en dormant ; car ses songes l’appliquaient à des théorèmes (I), dont il suivait les déductions, jusqu’à ce qu’il fût parvenu à les démontrer : et il lui arriva bien des fois de s’éveiller subitement à cause du grand plaisir que lui donnait la démonstration qu’il avait trouvée. La bonté de ses mœurs, et la pureté de ses vertus, ne le rendaient pas moins digne d’estime, que son esprit et sa science. Il mourut le 29 d’octobre 1676 [i]. N’oublions pas qu’étant allé à Paris, l’an 1657, il fut admis avec de grands témoignages d’honneur aux conférences philosophiques [j] chez M. de Mommor, maître des requêtes [k], et qu’il composait avec beaucoup de facilité, et sans ratures [l].

  1. * Leclerc prétend que Bayle aurait dû omettre toute la première partie de cet article, et s’en tenir uniquement à la seconde.
  1. Voyez la remarque (B)
  2. Sous le mot Magnan.
  3. De 51 pages in-4°.
  4. Minime, natif de Toulouse, qui a été disciple du père Maignan, et qui a enseigné la philosophie de ce maître à Toulouse, à Bordeaux et à Rome, assez long-temps. Il a publié, en 1700, un ouvrage de 286 pag. in-12, intitulé : Accidentia profligata, species instauratæ, sive de speciebus panis ac vini post consecrationem Eucharisticam duntaxat manentibus, Opus Philosophico-Theologicum, où il soutient d’une grande force l’opinion du père Maignan sur les espèces sacramentales.
  5. Ad omnes vitæ suæ actus et usus advocabat honestum ac modestum illum pudorem, qui abhorret ab omni inquinamento lascivientis colloquii. Quarè capit paulatim dectinare à sociis, præeligens omni jôco abstinere, quàm facere vel levissimum verecundiæ suæ periculum Saguens, in Elogio Em, Maignani, pag. 5.
  6. Submississimam è contra istis (exercitationibus Theologicis) fidem offert ; refugitque ut à leviusculâ dubitatione, sic ab omni curiosâ indagine, ex quo audiit scrutatorem majestatis oppressum iri à gloriâ, Idem, ibid., pag. 10.
  7. Opus verè eximium et ad illa usquè tenpora intentatum. Ibid., ibid., pag. 17.
  8. Le père Saguens, pag. 25, veut que Platon, et non pas Empédocle soit l’auteur de la Physique élémentaire, et il cite pour cela le Timée de Platon et Eusèbe de Præp. Evangel., lib. XV.
  9. Tiré du P. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani.
  10. Il est souvent parlé de ces conférences dans les lettres de Sorbière.
  11. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani, pag. 46.
  12. Eloquar ne an tacebo incredibilem illam conscribendi sine lituris ullis cogitata sua rapiditatem : Appendicem tertiam tribus horis, quartam conscripsit tribus hebdomadis. Idem, ibid., pag. 48.

(A) La manière dont il explique la conservation des accidens sans sujet... est plus heureuse que celle de M. Descartes. ] M. Rohault a prétendu le contraire ; mais c’était à cause qu’il ne voyait pas la grande difficulté qui résulte de l’explication qu’il prenait pour la meilleure. Voici comment il rapporte celle du père Maignan « Il n’y a rien de si facile que d’expliquer de quelle manière les accidens du pain et du vin subsistent sans le pain et le vin. Car il n’y a qu’à dire en un mot, que le pain et le vin étant ôtés, Dieu continue de faire dans nos sens les mêmes impressions qu’ils faisaient avant qu’ils fussent changés. Aussi c’est en cette manière que ce mystère est expliqué par un célèbre théologien de l’ordre des Minimes, nommé le père Maignan [1]. » Ce que M. Rohault trouve à redire dans cette hypothèse est qu’elle admet deux miracles où il n’en faut qu’un. Quoiqu’il soit vrai, dit-il [2], que Dieu peut produire dans nos sens les impressions du pain et du vin, après qu’ils ont été changés par la transsubstantiation, il n’est plus besoin néanmoins après cela d’avoir recours à un nouveau miracle, comme il semble que fait ce bon père : parce qu’il s’ensuit de l’essence même du mystère (qui est, que le pain est effectivement changé au corps de Jésus-Christ), qu’on doit continuer de sentir toutes les mêmes apparences qu’on sentait auparavant ; c’est-à-dire que les accidens du pain et du vin doivent subsister. Ce cartésien prétend [3] que le corps de Jésus-Christ occupe de telle sorte la place du pain, que les mêmes intervalles précisément qui servaient de lieu au pain, sont ceux où le corps de Jésus-Christ se range, laissant à la matière qui remplissait les pores du pain, les mêmes espaces qu’elle remplissait auparavant. Il s’ensuit de là que les parties du corps de Jésus-Christ prennent la figure, la situation, et en général tous les autres modes du pain, et par conséquent qu’elles sont du pain ; car, selon M. Rohault, l’essence du pain, ou la forme qui le distingue de tout autre corps, n’est qu’un certain assemblage de modifications. Il y a donc nécessairement du pain partout où se trouve cet assemblage. Or il se trouve dans le corps de Jésus-Christ au sacrement de l’Eucharistie : ce corps donc n’est autre chose que du pain ; et ainsi ce grand mystère consisterait à détruire un morceau de pain, et à remettre un autre morceau de pain à la place de celui qui a été anéanti. Cela est absurde, et tout-à fait éloigne de la doctrine du papisme. Il est vrai que dans cette supposition il ne faut point de miracle pour expliquer comment subsistent les apparences du pain à l’égard de tous nos sens : ce doit être une suite naturelle de la situation du corps de Notre-Seigneur dans l’espace du pain détruit ; mais cet avantage ne résultant que d’une hypothèse qui enferme des absurdités incompatibles avec le dogme de la Transsubstantiation, ne peut point faire que le cartésianisme égale ici l’explication du père Maignan, quoiqu’elle ait besoin d’un miracle particulier pour la continuation des apparences du pain et du vin de l’Eucharistie.

(B) Je dirai un mot de ses écrits. ] Il fit imprimer, à Toulouse, un cours de Philosophie en quatre volumes in-8°., l’an 1652. Il l’a redonné au public, in-folio [4], l’an 1673, avec beaucoup d’additions, et l’a dédié au président d’Onoville, si loué dans le voyage de MM. de Bachaumont et la Chapelle. Il y a joint entre autres choses la critique des tourbillons de M. Descartes, et une dissertation sur la trompette à parler de loin, inventée par le chevalier Morland. On a aussi de lui un ouvrage de théologie intitulé Philosophia Entis sacri, et une Perspectiva horaria, imprimée à Rome, l’an 1648, in-folio, etc. Voici ce qu’on trouve dans M. Baillet à l’égard de ce dernier livre. M. Carcavi manda à M. Descartes qu’il y avait à Rome un minime nomme le père Maignan, plus intelligent et plus profond que le père Mersenne, qui lui faisait espérer quelques objections contre ses principes. Ce père... s’appelait Emmanuel, et était Toulousain de naissance. Mais il demeurait pour lors à Rome, où il enseignait la théologie au couvent de la Trinité du mont Pincio, qu’on appelle autrement des Minimes français. Il avait mis au jour depuis un an [* 1] en latin, un ouvrage curieux divisé en quatre livres, touchant les horloges et les cadrans solaires : et il avait écrit vers le même temps au père Mersenne, encore vivant [* 2], que par ses principes physiques il avait trouvé géométriquement la même proportion des réfractions que celle de M. Descartes. Mais il ne croyait pas que les principes qu’il établissait pour le mouvement d’un corps lumineux qui s’enfle et qui se désenfle, fussent véritables : ni même quand on supposerait ces principes, qu’il fit possible que les réfractions se fissent comme il est certain qu’elles se font. C’est sur quoi le père Maignan avait principalement envie de faire des objections à M. Descartes : selon qu’il pouvait l’avoir mandé à M. Carcavi un an après [5]. N’oublions point la Dissertatio theologica de usu licito pecuniæ, publiée par notre minime l’an 1673, in-12. Elle fut censurée par quelques évêques.

(C) On l’a confondu avec un autre philosophe nommé Magnen. ] Quelques-uns (je me sers des termes de M. Baillet [6]) ont confondu mal à propos Emmanuel Maignan avec Jean Chrysostome Magnen, professeur de Pavie, qui avait publié, en 1648, le Démocrite ressuscité, qui fit croire aux Hollandais que c’était un philosophe cartésien. M. Baillet cite Revii Statera, pag. 243. Ce Jean Chrysostome Magnen était de Luxeuil, dans la Franche-Comté, et professait la médecine à Pavie. Outre le Democritus reviviscens, imprimé à Leyde l’an 1648, in-12, et dont l’épître dédicatoire est datée du 30 avril 1646, j’ai vu de lui un Traité de Mannâ [7], imprimé à la Haye, l’an 1658, in-12, et dont l’épître dédicatoire est datée du 5 avril 1648. Ces éditions de Hollande ne sont pas les premières.

(D) Il était d’une ancienne et noble famille. ] Son père, conseiller du roi, référendaire et doyen de la chancellerie de Toulouse, comptait parmi ses ancêtres les barons de Maignan, qui ont fait une très-grande figure dans l’Armagnac. Il épousa la fille d’Emmanuel de Alvarez, professeur royal en médecine, dans l’université de Toulouse. Voilà le père et la mère du minime dont nous parlons, et voici le texte de son élogiste. Pater ei fuit Petrus Maignanus consiliarius regius, referendarius et Decanus in cancellariâ Tolosanâ, vir æquitatem servans, et conspicuus splendidissimi generis antiquâ nobilitate indubitati. Siquidem, ut omnes novimus, Maignani Tolosates isti stirpem sua trahunt ex illis, quos Eluza urbs nunc obscura, sed antiquitate celeberrima ad Gelisam amnem sita in Comitatu Arminiaco barones suos strenuos, opulentos, magnificos per mullas non interruptarum generationum successiones reverenter, ac peramanter complexa est. Matrem habuit Gaudiosam de Alvarez, charam filiam celeberrimi illius medici Emmanuelis de Alvarez, quem Tolosa urbs litterarum omnium amantissima precibus ac pollicitationibus multis ex Lusitaniâ advocavit perfuncturun munere regii professoris. Hic originem suam ducebat ex antiquissimi familiâ Alvareziorum de Buhendyâ in regno Lusitaniæ, et fuit parens lustricus Maignan nostri, qui ex illo nomen Emmanuelis obtinuit [8].

(E) Il entendait très-bien les mathématiques, sans que personne lui en eût fait des leçons. ] Voici un second exemple de ce qu’on verra ci-dessous dans l’article de M. Pascal. Le père Saguens n’a pas manqué de confirmer l’un par l’autre. Voyons le détail qu’il donne. Ce sont de ces faits particuliers qu’il faut principalement recueillir, et insérer dans des ouvrages semblables à ce Dictionnaire. Multò celsiorem de illo opinionem accepit (magister Ruffatius [9]), quùm occasione dati schematis mathematici, quo ipse ad explanationem reconditioris cujusdam physici mysterii lucem afferebat, intellexit eum esse geometram ; stupuitque, et curiosè requisiit causam, ac methodum comparatæ, et eò usquè occultatæ eruditionis. Verùm ut responsuri juvenis modestiæ parcam, dicam ipse ego paulo liberius, quod multò post ad suadenda rerum mathematicarum studia enarrabat sibi obtigisse, ut intrà horas unius anni liberas, seu recisas a tempore ad cætera chori, et scholæ ministeria usitato, tot theoremata, ac problemata geometrica per se ipsum adinveniret, ut deinceps non plura deprehenderit contineri totis sex prioribus libris Euclideorum elementorum. An non diceres illum talem fuisse, qui nist extitissent elementa Euclidis, edidisset ? Simile quid refertur de clarissimo viro Pascalio inter geometras hujus sæculi celeberrimos annumerando : ita ut videatur utrique Deus præstantissimæ illius disciplinæ anticipationem copiosissiman contulisse. Tum neque mirum est, inquiebat Maignanus, quòd leves istos mathematici tyrocinii conatus ultrà promoverim : an nescitis crucem mathescos meæ magistram habui ? Cùm enim frustratus omni instrumentorum figuris exarandis inservientium apparatu nec normam haberet, nec circinum : circini quidem vice, duobus tignulis ligneis ex parte unâ liberè affixis infixerat ex alterâ duas acus sutorias. At pro normâ, aut quòd oportunum nihil occurreret, aut potiùs quòd mallet sua schemata omnia apposito crucis signo communiri, ut à plerisque more catholico illud appingitur summis capitibus paginarum, cruce ligneâ utebatur [10].

(F) Dans une contestation qui s’éleva entre lui et le père Kircher.... la gloire de l’invention ne fut pas ôtée à notre minime. ] Le père Saguens s’arrête sur deux ouvrages d’une merveilleuse invention, et d’un artifice tout-à-fait industrieux, qui furent faits dans le monastère de l’ordre, à Rome, par Emmanuel Maignan. L’un était un ouvrage d’optique, et l’autre de catoptrique. Le premier était une perspective dont on trouve la description dans le Thaumaturgus Opticus du minime Niceron [11]. L’autre était une représentation du ciel avec tous les cercles astronomiques, catoptrica anacamptica, complectiturque integram cœli faciem suis omnibus ad res astronomicas spectantibus circulis interstinctam [12]. Le père Kircher ne l’eut pas plus tôt considérée, qu’il dit à un gentilhomme allemand qui l’accompagnait : De quoi vous étonnez-vous, n’est-ce pas la figure de mon livre ? Quid stupes, an non hæc est figura mei libri ? Un minime qui entendit cela, et qui comprit que le père Kircher s’attribuait toute la gloire de l’invention, répondit assez brusquement, au contraire, c’est le livre de votre figure, Imò hic est liber tuæ figuræ, et rapporta bientôt la chose au père Maignan qui, comme il était fort humble, se contenta de dire qu’il ne se sentait coupable d’aucun larcin, à moins qu’on ne supposât que ses mains avaient dérobé l’ouvrage à son esprit [13]. La chose n’eût point passé plus avant, si les amis de l’un et de l’autre ne l’eussent jugée digne d’une plus ample information, attendu qu’il s’agissait, ou de la gloire d’un mathématicien allemand, ou de celle d’un mathématicien français ; car la principale louange est toujours celle de l’inventeur. Le père Maignan allait perdre son procès, lorsqu’un jésuite raconta ingénument qu’il avait vu un semblable ouvrage en France fait par le père Maignan. Ainsi les savans de Rome laissèrent à chacun des concurrens toute la gloire de l’invention. Ce n’est là qu’un abrégé de ce que vous pourrez voir plus au long dans ce latin du père Saguens [14] : Totaque res ibi substitisset, nisi visa fuisset communibus amicis digna diligentiori examine ; quodque ducebant vertendum ad gloriam non mediocrem aut germani, aut galli mathematici. Omninò enim in quovis artium, et doctrinarum genere primum fuisse ità gloriosum est ; ut id posteritas omnis, quia imitari non potest, invidiâ dignum putet. Primus labor plerumque sibi aut totum honorem vindicat, aut secundo non nisi magnâ ex parte imminutum relinquit : vel quòd difficultatem penè omnem, quam in rebus inveniendis maximam esse constat, exhauriat : vel quòd non parùm emolliat : vel denique quòd præstantioris cujusdam ingenii aciem, judiciique demonstret. Ecce itaque inter doctos certatur, et ambigitur uter è duobus eximiæ illius primæ excogitationis catoptricognomonicæ laudem sit relaturus, gravissimoque tandem judicio declinabant ad partes Kircheri, qui prior typis nuper ea commiserat : nisi in testem acerrimum compellatus occurrisset alius R. P. ejusdem societatis mathematicus, qui feliciter Roman accesserat, et ingenuè enarrabat vidisse se multos antè annos in Galliâ, et in conventu quidem hujus Aquitanicæ provinciæ nostræ Albaterrensi tale quoddam opus Catoptricum à Petro Maignano elaboratum. Res ita erat ; et Maignanus quidem me audiente non semel retulit cogitationem illam horographicam sibi adhuc juniori subito immoderatoque impetu occurrisse ; tantâque voluptate mentem occupâsse, qui nullam majorem in vitâ sensisset. Hinc eruditorum Romanorum cohors suam utrique palmam contulit, protulitque paria esse in gignendis fortunatissimi ingenii viris Germaniæ Galliæque imperia.

Il n’est pas impossible qu’une même chose soit inventée par deux personnes, sans que l’une soit en rien aidée de l’autre.

(G) Nous verrons... en quel temps parurent les deux tomes de sa théologie Philosophique. ] Le premier fut imprimé l’an 1662, et le second l’an 1672. Il y aurait eu moins d’intervalle entre la publication de l’un et la publication de l’autre, si l’auteur n’avait été obligé de répondre à quelques écrits qu’on publia contre lui. Le premier antagoniste qu’il repoussa fut un [15] jésuite du collége de Toulouse, qui, dans son ouvrage de Cycloïde avait prétendu que le père Maignan s’était trompé à l’égard de plusieurs dogmes touchant la structure et la pesanteur des corps, l’accélération du mouvement, et l’égalité des angles d’incidence et de réflexion, etc. Le minime soutint qu’il y avait du paralogisme dans la démonstration du jésuite, et ce fut là un long sujet de dispute dont le résultat contribua notablement à confirmer cet aphorisme de physique géométrique, un excellent physicien, médiocrement versé en géométrie, réussit mieux à éclaircir la physique qu’un excellent géomètre peu physicien. Plus proderit, inquit Maignanus, in rebus physicis peritissimus physicus mediocriter in geometricis versatus quàm peritissimus geometra parùm physicus. Tum addit : At si utroque genere excellat, nihil prorsùs optabilius esse potest [16]. Cette réponse du père Maignan fut imprimée comme un Appendix, et fut suivie d’un second Appendix, où il réfuta les répliques du jésuite, et où il mêla de fort bonnes observations touchant la propagation successive de la lumière, la scintillation des étoiles fixes, et les larmes de Hollande. Le troisième Appendix servit de réponse à une dissertation que M. Ducasse publia contre la raison que le père Maignan avait donnée pourquoi les larmes de Hollande se brisent en mille pièces dès qu’on en rompt le petit bout [17]. L’expérience en fut faite dans le couvent des Minimes l’an 1662, en présence de beaucoup de personnes. Le quatrième Appendix fut une réponse à un écrivain [18] que le jésuite avait chargé en mourant des intérêts de sa cause. Cet écrivain s’attacha à des accessoires, et abandonna le principal de la dispute, qui était l’accusation de paralogisme. Il se plaignit du père Maignan comme d’un auteur qui avait choqué les plus célèbres jésuites, Suarez, Vasquez, Mendoza, Zacchi, etc. Le minime satisfit à toutes ces plaintes, et n’oublia pas de représenter tout de nouveau les preuves de l’accusation de paralogisme. Ce quatrième Appendix fut imprimé en 1667, à Bordeaux, où l’auteur était allé pour les affaires de l’ordre. Le cinquième Appendix fut une réponse au père Théophile Raynaud, qui avait écrit contre l’hypothèse dont notre minime s’était servi pour expliquer la conservation des accidens du pain et du vin de l’Eucharistie. Ce jésuite avait témoigné qu’il n’entendait rien dans l’état de la question, puisqu’il avait cru que l’opinion du père Maignan était la même que celle d’un certain Sicilien nommé Chiavetta. On répondit dans le même Appendix à deux autres adversaires, qui étaient le père Vincent Baron, et le père Nicolas Arun, tous deux jacobins. Ces cinq Appendix, imprimés en divers temps, furent redonnés au public tous ensemble l’an 1652 [19]. J’ai déjà parlé [20] de la seconde édition de son Cours de Philosophie, et des deux Traités dont elle fut augmentée, l’un contre les tourbillons de M. Descartes, l’autre touchant la trompette du chevalier Morland. J’ajoute ici que ce père inventa une machine dont il fit voir le jeu à plusieurs savans, et qui renversait ce que Descartes suppose touchant la manière dont l’univers s’est formé, ou aurait pu se former, et touchant l’effort de s’éloigner du centre du mouvement par des tangentes [21].

(H) Sa majesté vit elle-même dans la cellule de ce religieux une infinité de machines et de curiosités. ] Le détail qu’on va donner peut servir à faire connaître l’industrie et la diligence du père Maignan. Properabat rex ad celebrandas nuptias suas.... Sed casu Tolosæ parumper constitit : nec inter res, quæ oculis regiis dignæ censebantur, infima fuit cellula cænobitica patris Maignani, quæ inter religiosæ egestatis angustias, si quid mathesis pulchrum coluit, includebat ; tubos omnis generis, telescopicos, microscopicos ; polioptricos, hygroscopicos, thermometricos ; ut non adjiciam machinamenta pneumatica, hydraulica, magnetica multa, sileamque de planispheriis, tabellis opticis, fabrefactis tùm ad figurati torni industrias, tùm ad vires staticas attinentibus ingeniosissimis plurimis : speculisque ustoriis, qualia nec capacioris sphæræ, nec nitidioris formæ, nec demùm incendii pernicioris ullibi tunc temporis prodebantur. In quo copiosissimo supellectilis mathematicæ apparatu non tam mirabatur rex suo cum aulico comitatu manum artificem, quæ totum elaboraverat, quàm mentem ad multò plura et utiliora reipublicæ molimina perficienda instructam. Quare recogitare apud se ipsum occœpit, quantus matheseos fulgor per universam Galliam irradiaret, si vir ille bonus ex Tolosenâ, ut sic loquar, eremo in popularem regiæ civitatis, et Aulæ frequentatiorem educeretur [22].

(I) Ses songes l’appliquaient à des théorèmes. ] Voici un fait qui confirme une observation qu’on a vue ci-dessus [23]. Il est d’ailleurs de la nature de ceux dont je parle au commencement de la remarque (E). Rapportons-le donc selon les termes de l’original. Mentem laboribus istis ita feliciter assuefecerat (Maignanus) ut emensa diem studio, in nullan nocturnæ corporeæ quietis partem veniret. Quod rarum aliis, frequentissimum Maignano fuit, ut idem assequeretur somni, et somnii alicujus cruditi initium redeunte mente ad solita sua theoremata, nec absistente donec de illis demonstrationem obtinuisset, cujus inopinata voluptas dormienti sæpé fuit pro suscitabulo. Tum ne illa fulguris al instar emicaret et fugeret, cretam suo sub cervicali recondebat, quâ notulis, quantùm id tenebreæ patiebantur, in paratâ chartâ exaratis eam sisteret [24]. Si mous étions au temps des pointes, nous dirions que c’était un géomètre à qui le bien venait en dormant.

  1. (*) En 1648, in-fol., à Rome, Perspectiva Horaria, etc.
  2. (*) Lettre MS. de Maignan à Mersenne, du 17 juillet 1648, pag. 612 du 1er. vol. des Lettres MS. à Mersenne Variorum.
  1. Rohault, Entretiens sur la Philosophie, pag. 48.
  2. Là même, pag. 55.
  3. Là même, pag. 55, 57 et suiv.
  4. Imprimé à Lyon, chez Jean Grégoire.
  5. Baillet, Vie de Descartes, tom. III, pag. 379, 380, à l’ann. 1649.
  6. Là même.
  7. On le joint avec celui de Tabacco du même auteur.
  8. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani, pag. 3.
  9. C’est le nom du minime sous lequel le père Maignan fit son cours de philosophie.
  10. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani, pag. 8 et 9.
  11. Idem, ibidem, pag. 15.
  12. Idem, ibidem.
  13. Nullius hâc in re, inquit, furti mihi sum conscius, nisi fortè manus meas opus quod elaboraverunt, menti subripuisse quis finxerit. Saguens, in Elog. Emmanuelis Maignani, p. 16.
  14. Idem, ibidem.
  15. Nommé Lalouvère.
  16. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani, pag. 35.
  17. Voyez la Physique de Rohault, Ire. part., chap. XXII, num. 47 et suiv., pag. m. 191.
  18. Le père Courboulez jésuite du collége de Toulouse.
  19. Tiré du père Saguens, pag. 34 et seq.
  20. Dans la remarque (B).
  21. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani, pag. 42.
  22. Saguens, in Elogio Emmanueli Maignani, pag. 31, 32.
  23. Tom. IX, pag. 383, dans la remarque (G), num. II, de l’article Lotichius (Pierre).
  24. Saguens, in Elogio Emmanueli Maignani, pag. 47, 48.

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