Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Mancinellus

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MANCINELLUS (Antoine) fut un très-bon grammairien au XVe. siècle. Il enseigna dans le collége de Rome, et puis alla à Venise par le conseil de Pomponius Lætus [a], et continua de publier divers écrits de littérature (A). On dit qu’ayant fait une harangue contre les mauvaises mœurs d’Alexandre VI, ce pape en fut si irrité qu’il lui fit couper la langue et les mains [b]. Les deux auteurs que je cite pour ce fait-là sont l’un bon catholique, et l’autre bon protestant. J’en citerai un troisième [* 1] qui circonstancie (B) un peu plus la chose.

  1. * À toutes les autorités citées par Bayle, Leclerc oppose une simple dénégation. Joly qui ne laisse pas échapper une occasion de montrer son papisme, dit que le père Niceron dans le tome XXXVII (lisez XXXVIII) de ses Mémoires, place à 1512 le Juvénal de Mancinelli, comme si les ouvrages ne s’imprimaient que du vivant des auteurs. Joly ajoute que lui-même a cité ailleurs une édition de 1498, que J.-A. Fabricius date de 1497. J’ajouterai que Harles en cite une de 1492. La Monnoie, cité par Leclerc, observe qu’à la fin du Sermonum Decus il est fait mention d’une chose arrivée à Rome l’an 1503. Or cette année étant celle de la mort du pape Alexandre VI, Leclerc conclut que Mancinelli a dû survivre au pape. Mais le chapitre où l’on parle du fait arrivé en 1503 est intitulé : Monstrum gemellorum. L’événement eut lieu le 16 des calendes d’avril, c’est-à-dire, le 17 mars. Alexandre VI n’est mort que le 18 août 1503. Le fait raconte par Mancinelli étant antérieur de cinq mois à la mort du pape, on ne peut, de l’observation de la Monnoie, rien conclure contre les trois auteurs cités par Bayle.
  1. Voyez les vers que Gesner rapporte folio 59 verso, de sa Bibliothéque.
  2. Du Preau (ou Prateolus), Histoire de l’Église, tom. II, folio 304 verso ; Crespin, de l’État de l’église, pag. m. 502.

(A) Il continua de publier divers écrits de littérature. ] Vous trouverez le titre de la plupart dans la Bibliothéque de Gesner, qui remarque entre autres choses que le Commentaire de Mancinellus sur le premier livre de la Rhétorique de Cicéron ad Herennium fut imprimé à Venise, l’an 1497, en présence de l’auteur. J’ajoute que Mancinellus fit des notes sur Horace, sur Juvénal, sur Suétone, etc., et des corrections aux Élégances de Laurent Valla. Il composa aussi des harangues, et des vers latins qui ont été insérés au IIe. tome du Deliciæ Poëtarum Italorum.

(B) Je citerai un troisième auteur qui circonstancie un peu plus la chose. ] M. du Plessis-Mornai, alléguant ceux qui parlèrent contre le papat, sous Alexandre VI, cite d’abord un passage de Jérôme Paul, Catalan, et puis il ajoute [1] : « Antoine Mancinel fut encore plus hardi. Un jour solennel, sur le point de la procession, monté sur un cheval blanc, selon la coutume, il fit une harangue à Rome devant tout le peuple, contre Alexandre VI, reprenant ouvertement ses abus, scandales et abominations, et après avoir fini en jeta des exemplaires devant le peuple ; Alexandre le fait prendre et lui couper les deux mains ; dés qu’il fut guéri, retourne, et en une autre fête en fait une autre plus hardie ; lors Alexandre lui fait couper la langue dont il mourut [* 1]. » Coëffeteau n’a pu opposer à cela que cette remarque : Qu’il ne sait ce qu’il en doit croire. Il y a peu de personnes qui fassent si bon marché de leur vie, au moins de gaieté de cœur, si ce ne sont des esprits mélancoliques [2]. Il a ignoré sans doute que le Hieronymus Marius, qu’on avait cité, et qu’il appelle Hierosme le Maire, était un auteur qui se sauva d’Italie pour professer librement la religion protestante. C’est en un mot le Jérôme Massarius, dont on verra ci-dessous l’article. Le jésuite Gretser [3] ne l’a connu qu’à demi ; mais il n’a pas laissé de le récuser comme un ennemi des papes. Je ne sais point si cette aventure de Mancinellus peut être prouvée par aucun autre témoin que par celui-là ; mais je ne doute point que le témoignage de tous ceux de ma connaissance qui en ont parlé, ne dérive ou médiatement ou immédiatement de lui. J’ai lu dans le Diarium de Burchard une chose qui a du rapport à celle-là : c’est que le premier dimanche de l’Avent 1502, le duc de Valentinois, fils du pape Alexandre VI, fit couper la main et le bout de la langue à un certain homme masqué qui avait médit de lui. On vit pendant deux jours cette main pendue à une fenêtre, le bout de la langue attaché au petit doigt. Eâdem die serò quidam mascheratus usus est per Burgum quibusdam verbis inhonestis contra ducem Valentinum, quod dux intelligens fecit eum capi et duci ad curiam sanctæ Crucis, et circa nonam noctis fuit ei abscissa manus et anterior pars linguæ, quæ fuit appensa parvo digito manûs abscissæ, et manus ipsa fenestræ curiæ sanctæ Crucis appensa, ubi mansit ad secundum diem [4]. Bien des choses aussi dissemblables que ces deux-là ont servi de fondement les unes aux autres par une métamorphose à quoi les faits historiques sont forts sujets. Je n’affirme pas que cela ait lieu en cette rencontre ; mais, afin que l’on puisse rechercher si quelque mélange d’accidens a pu faire ici du désordre, je rapporterai une histoire que Thomasi raconte immédiatement après celle de l’homme masqué à qui l’on coupa la langue et la main.

« Le pape et le Valentinois, ayant appris qu’un frère d’un certain Jean Lorenzo, de Venise, homme pour lors assez fameux à raison de sa science, avait translaté en latin, et même envoyé à Venise, afin qu’on les imprimât, quelques libelles qu’il avait fait mettre en grec [5], contre la vie de l’un et de l’autre, par ledit Jean Lorenzo, qui était mort depuis peu, ils donnèrent ordre de le prendre, n’oubliant rien pour faire que cela se fît en secret et avec toute la diligence possible : ils commandèrent encore qu’on lui enlevât en même temps tout ce qu’il pouvait avoir de meubles ou d’écrits, soit qu’ils fussent à lui ou à son frère. De quoi la république fut promptement avertie, comme étant très-particulièrement intéressée dans les personnes et les biens de ces frères ; c’est pourquoi elle envoya d’abord ordre à son ambassadeur d’intercéder en son nom auprès du pape, tout autant qu’il lui serait possible, pour la délivrance de ce prisonnier. L’ambassadeur s’acquitta de sa commission le plus tôt possible, pressant extraordinairement sa sainteté dans une longue audience qu’elle lui donna, et en lui présentant les lettres du sénat, de lui accorder l’élargissement de celui qu’il demandait ; à quoi le pape répondit qu’il ne s’était pas imaginé que la république s’intéressât si fort pour le prisonnier, et qu’il avait un déplaisir extrême de ne pouvoir pas l’accorder à ses demandes : d’autant que le procès et la vie de celui pour qui on intercédait étaient déjà terminés, puisqu’il avait été étranglé et jeté dans le Tibre quelques nuits auparavant [6]. »

Il me reste à dire qu’Augustin Niphus, parlant des bons mots qu’il faut éviter afin de n’encourir pas quelque péril, se sert de l’exemple de Jérôme Mancionus, Napolitain, à qui César Borgia fit couper la langue[7].

  1. (*) Hieronymus Mari us in Eusebio Captivo.
  1. Du Plessis, Mystère d’Iniquité, pag. 567.
  2. Coëffeteau, Réponse au Mystère d’Iniquité, pag. 1213, 1214.
  3. Gretser., in Exam. Myster. Plessæani, pag. 552.
  4. Burchard, in Diario, pag. 78, 79. Voyez aussi Thomaso Thomasi, dans la Vie de César Borgia, pag. 367.
  5. Cet endroit n’a pas été bien traduit ; l’original italien porte que ces livres avaient été composés en grec, par Jean Lorenzo, et qu’ils furent trouvés parmi ses papiers.
  6. Thomaso Thomasi, Vie de César Borgia pag. 368, 369.
  7. Cùm Hieronymus Mancionus Neapolitanus adversùs Cæsarem Borgiam usus esset talibus aculeatis sermonibus et à Cæsare linguæ mutilatione in illum animadversum est. Aug. Niphus, de Aulico, lib. I, in fine, pag. m. 337.

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