Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Marca

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MARCA (Pierre de), l’un des plus illustres ornemens de l’église gallicane, naquit à Gant dans le Béarn, le 24 janvier 1594. Il fut baptisé par un prêtre au diocèse de Tarbes (A) ; et il fit ses classes [a] et son cours de philosophie [b] sous les jésuites : et puis il étudia en droit [c] pendant trois ans, après quoi il fut reçu, l’an 1615, conseiller au conseil souverain de Pau. Il ne fut pas le premier de sa famille qui eut des charges dans la robe (B). Tous ses collègues étaient de la religion [d] : mais les choses changèrent bientôt de face ; le temps vint bientôt que personne ne put être admis dans ce conseil érigé en parlement, qui ne fût de la religion romaine [e]. Pierre de Marca eut beaucoup de part aux intrigues qui produisirent ce changement. Il se maria avec une demoiselle de l’ancienne maison des vicomtes de Lavedan ; mais l’ayant perdue l’an 1632, après en avoir eu plusieurs enfans [f], il ne voulut point se remarier. Il fut fait président au parlement de Béarn, l’an 1621, et conseiller d’état, l’an 1639. Trois ans après le roi le nomma à l’évêché de Conserans. On s’était déja servi de sa plume pour un ouvrage de grande importance (C). Il fut envoyé en Catalogne, l’an 1644, pour y exercer la charge de visiteur général et d’intendant. Il l’y exerça jusques à l’année 1651, avec tant d’habileté, qu’il se fit aimer des Catalans d’une manière qui a peu d’exemples (D). Il alla prendre possession de son évêché au mois d’août 1651. L’année suivante il fut nommé à l’archevêché de Toulouse ; et il écrivit au pape une lettre qui méritera une remarque (E). Il prit possession de l’archevêché de Toulouse sans aucune pompe, au mois de mars 1655. Il assista l’année suivante à l’assemblée générale du clergé de France, et y fut contraire aux jansénistes (F). Il se préparait à la résidence l’an 1658, lorsque pour lui ôter tous les scrupules qui eussent pu le troubler, s’il eût demeuré plus longtemps à Paris, le roi le fit ministre d’état. Il suivit la cour au voyage de Lyon ; et puis ayant assisté aux états de Languedoc, il s’en alla à Toulouse au mois d’avril 1659. Il présida aux états de la province dans la même ville pendant que le roi y était, et présenta les cahiers à sa majesté. L’année suivante il alla en Roussillon, pour y régler les limites avec les commissaires du roi d’Espagne. Ces conférences furent d’un caractere tout particulier ; car il y fallut employer beaucoup de critique sur quelques paroles de Pomponius Méla, et de Strabon (G). Il fit un voyage à Paris au mois de septembre de la même année ; et il y mourut le 29 de juin 1662, peu après avoir obtenu les bulles pour l’archevêché de cette ville (H), auquel il avait été nommé sans aucune brigue, dès que le roi eut reçu la démission du cardinal de Rets. Il laissa le soin de ses manuscrits à M. Baluze, qui était à lui depuis le 29 de juin 1656 [g]. Il ne pouvait pas choisir un plus digne dépositaire ; car M. Baluze a fait voir depuis ce temps-là, qu’avec un grand zèle pour la gloire du défunt il avait toute la capacité que demandait la publication de ce dépôt (I). Il promettait la vie de son Mécène, comme un ouvrage fort ample où l’on verrait le détail des belles actions et des grandes qualités de ce prélat. Je crois qu’il n’a pas exécuté ce dessein. Le public y a perdu beaucoup ; quoique la lettre que j’ai citée [h], et où j’ai pris le narré chronologique que l’on vient de voir, explique fort nettement et avec quelque étendue les vertus, le mérite et les actions de cet archevêque. Quelque temps après on vit paraître sa vie, composée par l’abbé Faget, qui l’accompagna de trois ou quatre dissertations ; ce qui fit naître une dispute entre lui et M. Baluze (K). Il y a dans l’ouvrage de cet abbé beaucoup de petites particularités, que l’on apprend avec assez de plaisir quand on se plaît à connaître tout ce qui regarde les grands personnages. On y voit de quelle manière M. de Marca renonçait à tous les plaisirs de la jeunesse pour l’amour des livres, pendant qu’il était écolier. Il sut bien prédire à ses camarades, qui perdaient leur temps à de vaines occupations, la différence qu’il y aurait un jour entre leur gloire et la sienne (L). Ce fut à Toulouse qu’il jeta les fondemens de son grand savoir : il n’oublia pas à y devenir bon grec (M), ce qui l’a fort distingué des autres savans. L’une de ses principales qualités était de se faire jour dans les matières les plus embrouillées, sans avoir besoin de guide (N).

  1. À Auch.
  2. À Toulouse.
  3. Idem.
  4. Stephanus Baluzius, in Vitâ Petri de Marca, pag. 12.
  5. Ibid., pag. 13.
  6. L’aîné, Galactoire de Marca, succéda à la charge de son père, je veux dire à celle de président au parlement de Pau.
  7. Tiré d’une lettre latine de M. Baluze, écrite à Sorbière, de Vitâ, Rebus gestis, Moribus, et Scriptis illustrissimi viri Petri de Marca imprimée à Paris, l’an 1663, in-8°.
  8. Elle a été augmentée à la tête du livre de Concordiâ Imperii et Sacerdotii, édition de 1669.

(A) Il fut baptisé par un prêtre au diocèse de Tarbes. ] L’exercice de la religion romaine était interdit dans le Béarn, depuis l’édit de l’an 1569 ; de sorte que le peu de catholiques qui restaient dans le pays étaient contraints, faute de prêtres, de faire baptiser leurs enfans aux temples de ceux de la religion [1]. Jacques de Marca ne voulut point suivre leur exemple. Il fit porter son fils au monastère de Saint-Pierre de Genères, dans la Bigorre. Ce fut là que notre archevêque fut baptisé par un religieux bénédictin, qui faisait la charge de curé de la paroisse. Ceci réfute Patin, qui dit quelque part que ce prélat était né de la religion. Voyez la remarque suivante.

(B) Il ne fut pas le premier de sa famille qui eut des charges dans la robe. ] La famille de Marca doit son origine à Garsias de Marca, qui commandait la cavalerie de Gaston, prince de Béarn, au siége de Saragosse, l’an 1118. Ses descendans s’attachèrent à la profession des armes ; mais on trouve environ l’an 1440, un Pierre de Marca, bon jurisconsulte, qui après avoir été le procureur général du prince son maître, dans tous ses états, fut fait président de ses conseils[2]. J’ai lu dans un livre qui fut imprimé du temps de la ligue, qu’un de Marqua, second président au parlement de Pau, ne put jamais être reçu ou remis en son état.…… qu’il n’eût fait la protestation ordinaire contre la messe, et ce avec la profession de la foi calvinienne, ordonnée par la feue reine de Navarre, mère de Henri-le-Grand[3]. Ceci réfute Gui Patin, qui assure que notre M. de Marca était de bas lieu. Rapportons le passage : il contient bien des mensonges ; car, pour ne rien dire du reste, il est faux que ce prélat ait jamais été ni ministre ni jésuite. Nous aurons ici un exemple des faux bruits qui courent contre les grands : on ne saurait trop ramasser de ces exemples, afin d’accoutumer un peu le monde à l’esprit d’incrédulité à cet égard. « On nous apprend ici que l’archevêché de Toulouse a été conféré à M. de Marca, évêque de Conserans, moyennant cinquante mille écus qu’il a donnés au cardinal Mazarin. Voilà une grande fortune pour cet homme ambitieux. Il était de bas lieu : après avoir étudié, il devint ministre du parti des réformés[4], dont il était. S’étant changé il devint jésuite : puis ayant quitté la société il se maria, et devint conseiller au parlement de Pau, puis président ; ensuite il vint à Paris, et par la faveur de M. le chancelier Séguier, il fut fait conseiller d’état ordinaire, après intendant de justice en Catalogne, puis évêque de Conserans, après avoir long-temps attendu ses bulles, qu’il ne pouvait avoir de Rome, à cause de la querelle qu’il avait avec les jésuites, depuis qu’il les avait quittés, et qu’enfin il n’a eues qu’en se raccommodant avec eux. À la fin le voilà archevêque de Toulouse. Quand il aura payé ses dettes, si un bonnet rouge se présentait à vendre, il est sûr qu’il l’achèterait aussi. Je ne saurais mieux comparer M. de Marca, qu’à défunt M. le Jay, qui, de très-peu de chose, était devenu premier président au parlement de Paris[5]. »

(C) On s’était déja servi de sa plume pour un ouvrage de grande importance. ] L’Histoire du Béarn, qu’il publia l’an 1640, confirma extrêmement la bonne opinion qu’on avait conçue de son savoir et de sa grande capacité. On crut donc qu’il serait fort propre à travailler sur une matière délicate et importante qui se présenta peu après. Le volume des libertés de l’église gallicane, que Pierre du Puy avait mis au jour, alarma les partisans de la cour de Rome, et il y en eut qui tâchèrent de persuader que c’était les préliminaires d’un schisme médité par le cardinal de Richelieu ; comme si cette éminence eût songé à l’érection d’un patriarcat dans le royaume, afin que l’église gallicane ne dépendît point du pape. Un théologien français, sous le nom d’Optatus Gallus[6], écrivit sur ce sujet, et insinua que le cardinal avait gagné un grand personnage, qui ferait l’apologie de cette érection. Ce grand personnage n’était autre que notre Pierre de Marca. Sequens mensis Martius materiam præbuit novis sermonibus, ob editionem libelli Parœnetici ad Antistites regni, de cavendo schismate, quod præ foribus adesse nunciabat Optatus Gallus. Sub eo namque nomine latere voluit auctor : salis alioqui cognitus, si larvam illi detrahere liberet. Occasionem turbandi sumebat ex editione voluminum de Libertatibus ecclesiæ gallicanæ, quæ anno superiore prodierant curâ clariss. viri Petri Puteani ; atque item ex rumore vulgi, disserentis eam cardinali Richelio mentem esse, ut omisso episcopo romano, patriarcha in Galliis constituatur. Aiebat prætereà, magnum virum in partes tractum promissis ingentibus, qui scripto defenderet quæ pro eâ causâ cardinalis facturus erat, neque dubitatur, quin Marcam intelligeret [7]. Le roi comprenant qu’une accusation de cette nature le rendait odieux, par le contre coup de la haine à quoi elle exposait le cardinal, donna ordre à M. de Marca de réfuter cet Optatus Gallus, et de garder un certain milieu qui ne donnât point d’attente aux libertés de l’église gallicane, et qui fît voir qu’elles ne diminuent point la révérence due au saint siége. Il accepta cette commission, et l’exécuta par le livre de Concordiâ sacerdotii et imperii, sive de Libertatibus ecclesiæ gallicanæ, qu’il fit paraître l’an 1641 [8]. Il déclara dans sa préface, qu’il n’entrait point dans les discussions du droit, et qu’il s’arrêtait seulement à celles du fait ; c’est-à-dire qu’il faisait voir seulement les bornes qui, de tout temps, avaient séparé les deux empires, celui du prince temporel, et celui du prince spirituel [9] : mais quoiqu’il eût ramassé un nombre infini de témoignages touchant la puissance du pape, son livre ne laissa pas de déplaire aux ultramontains, tant ils ont l’oreille tendre. Quoram aures teneritudine quâdam plus trahuntur, ut ait auxiliaris præfectus apud antiquum scriptorem Vitæ sancti Hilarii episcopi Arelatensis [10]. La cour de Rome se montra fort difficile à l’égard de l’expédition des bulles qu’on lui demandait pour cet auteur, nommé depuis peu à l’évêché de Conserans : elle fit entendre qu’il fallait avant toutes choses qu’il adoucît quelques endroits de son ouvrage, et l’on fît examiner ce livre avec une grande exactitude. Holstenius, l’un des examinateurs, déclara qu’il y trouvait plusieurs choses qui avaient besoin d’être expliquées, et quelques autres qui blessaient secrètement les droits de l’Église. Holstenius quidem quamplurima in eo contineri retulit, quæ explicatione indigerent ; quædam etiam esse quæ romana jura violent, sed in occulto. Tanto quippè ac tam singulari artificio librum hunc esse perfectum, ut distingui vix possit, quæ pars ejus ecclesiæ romanæ faveat, quæve noceat [11]. L’un des autres examinateurs rendit un meilleur témoignage : il assura que ce livre prouvait avec tant de force l’autorité du siége de Rome, que l’auteur en devait être récompensé. Son approbation demeura cachée, et jamais M. de Marca n’en put avoir une copie. Après la mort d’Urbain VIII, le cardinal Bichi sollicita fortement Innocent X d’accorder les bulles à l’évêque de Conserans ; mais l’assesseur du saint office réveilla le souvenir des plaintes qu’on avait faites contre le livre de Concordiâ sacerdotii et imperii, ce qui fut cause que le pape fit examiner l’ouvrage tout de nouveau. Innocentius naturâ cunctator, et qui per imprudentiam nihil eorum prætermitti volebat que ad dignitatem sedis apostolicæ pertinere existimabat, librum hunc examinandum deintegrò commisit cardinalibus Barberino, etc. [12]. M. de Marca, voyant que les choses traînaient en longueur, et n’en espérant point une bonne issue à moins qu’il ne fît satisfaction à la cour de Rome, publia un livre [13], où il expliqua ses sentimens selon l’esprit des ultramontains, et il écrivit au pape une lettre fort soumise, avec de grandes promesses de fidélité. Il avoua qu’il avait rempli dans son ouvrage les devoirs d’un président au parlement, beaucoup mieux que ceux d’un évêque ; mais il vaut mieux rapporter les propres termes dont il se servit. Fateor eo in libro principis partes pro muneris mei ratione fovisse, præsidemque potiùs implevisse quàm episcopum.…. et ne libri publicati invidia desideriis meis obesset, libello altero Barcinone edito, quem huic chartæ adjunxi, hallucinationes meas deprecatus sum ; Opus censuræ beatitudinis vestræ submisi quam pronâ mente amplexurum voveo, et assertorem vindicemque libertatis ecclesiasticæ futurum[14]. Il n’oublia pas dans son livre le grand service qu’il prétendait avoir rendu aux ultramontains, en publiant la décrétale du pape Vigile[15]. La cour de Rome, selon ses finesses ordinaires, continua d’user de remises depuis cette ample satisfaction ; mais enfin M. de Marca obtint ses bulles au mois de janvier 1645. Il fut ordonné prêtre à Barcelone, au mois d’avril 1648, et sacré évêque à Narbonne, au mois d’octobre suivant. On le mit à l’épreuve cette année-là, et il fit voir qu’il avait promis de bonne foi un grand zèle pour les intérêts du pape. On voulut savoir son sentiment sur une question qui faisait du bruit[16], et il le donna tel qu’Innocent X le souhaitait. Mota erat temporibus illis gravis quæstio, de duplici capite in ecclesiâ, plerisque unicum tantum caput, videlicet B. Petrum, in eâ constituentibus ; quibusdam verò censentibus Paulum quoque ecclesiæ caput cum Petro fuisse. Cùm hæc quæstio distraheret in partes ingenia hominum eruditorum, atque interim dignitas romanæ sedis tentari videretur : Innocentius, qui apprimè noverat Marcam in primis ecclesiasticæ antiquitatis peritum esse, ratus prætereà evenisse occasionem quâ ejus animum ergà sedem romanam experiretur, aperire sententiam jubet. Ille nihil cunctatus, Exercitationem Barcinone v kalendas junii anno m. dc. xlvii. scripsit de singulari primatu Petri, quæ nondùm edita est : quam Innocentio, ad quem statim missa est, valdè placuisse ex eo intellectum est, quòd eam publicè legi jussit, ac singularem quandam de Marcæ in sedem romanam propensione accepit opinionem[17].

Concluons deux choses de ce narré : la 1re., que c’est une servitude très-fâcheuse à la cour de France, que d’avoir besoin des bulles du pape pour établir des évêques ; car cela fait que ceux qui seraient capables de bien maintenir les libertés de l’église gallicane, et les intérêts du roi dans ses démêlés avec Rome, n’osent employer toutes leurs forces. Ils aspirent aux prélatures, et ils voient qu’ils n’y pourront jamais parvenir s’ils se rendent trop odieux à la cour de Rome ; ou du moins qu’il faudra qu’ils fassent des satisfactions honteuses. Il n’y a pas long-temps[18] que cela est arrivé à quelques membres de l’assemblée du clergé de l’an 1682. La 2e. chose que je veux conclure est que M. Sallo n’a pas eu raison de prendre pour un artifice ce qu’on fit à Rome, l’an 1664, contre la nouvelle édition de l’ouvrage de M. de Marca. On prétendit que M. Baluze avait publié ce livre ex retractatis scriptis Petri de Marca. Cela n’était pas sans fondement. Ce prélat ne chanta-t-il pas la palinodie dans l’écrit publié à Barcelone ? n’écrivit-il pas au pape pour lui demander pardon ? Rapportons les termes du décret, et la réflexion de M. Sallo. Decretum sacræ Indicis congregationis, quo damnati, prohibiti, ac respectivè suspensi fuerunt infrà scripti omnes libri Romæ, 17 novembris 1664. De Concordiâ sacerdotii et imperii, seu de Libertate ecclesiæ gallicanæ liber, à Stephano Baluzio impressus Parisiis, anno 1663. Perperàm adscriptus Petro de Marca, ex cujus retractatis scriptis aliorumque erroneis sententiis operâ præfati Baluzii editus est[19]. « La cour de Rome ayant toujours ses visées, il n’est pas trop sûr de s’attacher scrupuleusement à ses censures. C’est pourquoi ce décret ne doit pas empêcher qu’on ne fasse toujours autant d’estime qu’on faisait du livre des Libertés de l’église gallicane, composé par feu M. de Marca. En effet, il ne contient que des maximes très-constantes, et qui peuvent passer pour des lois fondamentales de cette monarchie. De même on n’aura pas moins bonne opinion de la sincérité de M. Baluze, quoiqu’on l’accuse dans ce décret d’avoir faussement attribué ce livre à M. de Marca. Car il est visible que la congrégation n’a usé de cette adresse, que parce qu’elle n’a pas osé attaquer directement la mémoire de ce grand archevêque ; cet qu’elle s’est imaginé qu’il serait plus facile de décrier son livre, en substituant à sa place une personne d’une dignité moins relevée dans l’église [20]. »

Pour achever l’histoire de cet ouvrage, il me reste à dire que M. Baluze en a procuré deux éditions depuis la mort de l’auteur ; l’une l’an 1663, et l’autre l’an 1669. Ces éditions sont plus amples que la première, et vous comprendrez en quoi si vous consultez ce latin [21]. Opus de Concordiâ sacerdotii et imperii…. altero ab ipsius obitu anno augustiori habitu adornatum, iterùm emisit in lucem Baluzius, et non saltem priores quatuor libros recensuit, additionibus ab auctore compositis auxit, ac suis notis, ubi occasio tulit, illustravit : sed et integrum tomum alterum nunquàm anteà editum ex autographo summi viri descriptum addidit, nonnulla antiquitatis illustria monumenta adjecit, integrosque in eo libros, quod gallicè essent scripti, in latinam linguam vertit. Cùmque opus hoc tanto favore eruditorum fuerit exceptum et communi approbatione commendatum, ut intrà breve tempus distracta exempla fuerint, istud anno MDCLXIX recognitum emendatius copiosiusque litterato iterùm orbi dedit. Il l’a fait encore réimprimer, augmenté et corrigé, l’an 1704 [22]. Le sieur Deckhérus fit de grosses fautes quand il parla de l’écrit d’Optatus Gallus, et de celui de notre M. de Marca : elles furent critiquées dans une lettre ajoutée à la nouvelle édition de son livre, l’an 1686 [23].

Notez que l’auteur du fameux ouvrage de Libertatibus Ecclesiæ gallicanæ, imprimé l’an 1685, ne juge pas fort avantageusement de la conduite de l’auteur du Concordia sacerdotii et imperii. « lI insinue qu’il y a eu de l’obliquité dans les manières de M. de Marca, et qu’encore qu’il écrivit en homme qui voulait faire sa cour en France, il ne laissait pas de se ménager le mieux qu’il pouvait avec Rome ; car il semble en certains endroits qu’à force de citations il a établi la chose ; mais tout d’un coup il se jette de l’autre côté, en citant des exemples et des témoignages contraires aux premiers, ou en resserrant les premiers par mille modifications, et après cela on voit encore qu’il exténue le second parti. D’abord il accorde tout, ensuite il le regagne insensiblement, mais de telle sorte qu’il fait pencher la balance du côté du siècle [24]. »

(D) Il se fit aimer des Catalans d’une manière qui a peu d’exemples. ] Cela parut par les prières et par les pèlerinages qu’ils firent pour sa guérison, l’an 1647. La ville de Barcelone fit un vœu public à Notre-Dame de Mont-serrat, et y envoya en son nom douze capucins et douze filles. Celles-ci firent le voyage les cheveux pendans et à pieds nuds. M. de Marca fut persuadé que tant de vœux et tant de prières avaient obtenu sa guérison, et il ne sortit point de Catalogne sans aller faire ses dévotions à Mont-serrat [25]. Il y alla l’an 1651, et y fit un petit Traité de origine ac progressu cultûs B. Mariæ Virginis in Monteserrato, qu’il laissa dans les archives du monastère [26]. On le laissa perdre, parce peut-être que l’auteur n’y adoptait pas toutes sortes de traditions. Il en envoya une copie, l’an 1660, à François Crespus, professeur en théologie à Lérida, qui travaillait à l’Histoire de ce couvent de Mont-serrat. Il l’avertit d’user d’un peu plus de discernement que ne font les Espagnols. Paucis agit de antiquitate loci ; admonetque Crespum, ne in eâ historiâ scribendâ, falsis, uti Hispani solent, testimoniis utatur ; quæ Gallis, inquit, fabularum istiusmodi detegendarum peritissimis, ludibrium debent, et reliquæ narrationi, licet alioqui veræ, auctoritatem demunt [27]. Cette Dissertation a vu le jour l’an 1681, par les soins de M. Baluze. Notez que M. de Marca, ce grand auteur, ne dédaignait pas d’exercer sa plume sur des choses qui étaient plus convenables à un moine qu’à un conseiller d’état. Il l’était quand il composa l’Histoire de Notre-Dame de Bétaram [28], à la prière d’un prêtre dévot, nommé Charpentier, qui était le fondateur de cette chapelle, comme il le fut depuis de celle du mont Valérien, près de Paris. Cette Histoire fut publiée à Barcelone [29].

(E) Il écrivit au pape une lettre qui méritera une remarque. ] La translation d’un évêque d’un siége à un autre a besoin d’une faveur particulière de la cour de Rome : c’est pourquoi M. de Marca, évêque de Conserans, se voyant nommé à l’archevêché de Toulouse, rendit ses respects au pape le plus adroitement qu’il lui fut possible ; et quoiqu’il sût qu’Exupère, évêque de Toulouse, n’était pas le même Exupère qui avait commandé en Espagne, ne laissa pas de le débiter comme un fait certain, dans la lettre qu’il écrivit à Innocent X. Il trouvait à faire par ce moyen un parallèle agréable entre le pape Innocent Ier. et le pape Innocent X, et entre lui-même et cet Exupère [30] : c’est pourquoi il ne balança point à étaler ce beau mensonge, qu’il crut propre à chatouiller le pape, et à le lui rendre plus favorable. Quelqu’un observa que c’était une fausseté ; mais M. de Marca, averti de cette critique, ne fit qu’en rire, et traita de petit esprit un tel censeur, qui ne voyait pas la différence entre une lettre de compliment et une histoire. M. Baluze a si bien narré ceci, et en termes si bien choisis, que ce serait faire tort aux lecteurs habiles que de ne pas rapporter ici son latin. On y trouvera une plus ample matière de réflexions que dans le précis que j’en ai donné. Sciebat sanè vir eruditissimus diversum ab Exuperio episcopo Tolosano fuisse Exuperium illum, qui præsidatum in Hispaniis egit. Quis enim ignorat ? Verùm cùm argumentum esset accommodatissimum ad rem quam tractabat, sciretque prætereà principum aures ita esse formatas, ut nihil nisi jucundum lætumque accipere velint, vim aliquam inferre veritati non abnuit, ut pontificem alioqui difficilem ac morosum, sibi faventem ac propitium habere posset. Quod ideò retuli, ut eatur obviam scrupulosæ cujusdam scriptoris diligentiæ ; qui in adversariis suis adnotavit lapsum heic esse Marcam : de quo admonitus a me vir optimus paucis antè obitum mensibus, risit hominis supinilatem, qui non animadverteret cujusmodi argumentum in eâ epistolâ tractaretur. Neque enim historia scribebatur. Non displicet profecto hominibus eruditis, quod oratores veri limites nonnunquàm excedunt in compositione verborum, ut auditorum aures aliquâ voluptate permulceant, et alliciant [31]

(F) Dans l’assemblée du clergé de 1656 il fut contraire aux jansénistes. ] Ce fut un malheur pour eux que ce grand prélat eût trouve à Rome de si grandes difficultés, quand il eut besoin d’une bulle pour être évêque de Conserans. Cela lui apprit qu’il ne fallait perdre aucune occasion de réparer le dommage que lui avait fait en ce pays-là sa Concorde de l’empire et du sacerdoce. Or quelle occasion pouvait-il attendre plus favorable, que celle de seconder la cour de Rome dans les procédures contre les disciples de Jansénius ? Joignez à cela qu’on l’avait rendu suspect de jansénisme au delà des monts, et que ce mauvais office avait retardé longtemps l’expédition de la bulle qui lui était nécessaire pour être archevêque de Toulouse. Je ne sais si parmi plusieurs écrits qui ont été composés sur la calomnie, on s’est jamais avisé d’en faire sur l’utilité de ce crime. Ceux qui voudraient s’exercer sur cette matière seraient bien blâmables, s’ils oubliaient l’avantage que l’on retire de la calomnie dans les disputes de religion ; car il y a tel homme fort agissant qui se tiendrait neutre, ou qui tâcherait de pacifier les choses par des voies équitables, si on ne le décriait comme un fauteur d’hérétiques. Alors, pour se disculper, et pour prévenir le désavantage qu’une telle réputation lui apporterait, il est obligé de s’ériger en persécuteur[32]. D’où que pût venir le zèle de M. de Marca contre le parti des jansénistes, il est sûr qu’ils eurent en lui un adversaire redoutable. Alexandre VII l’en remercia très-affectueusement. M. Baluze va nous l’apprendre. Cleri Gallicani comitia Parisiis habebantur. Illuc itaque Marca se conferens anno m. dc. lvi. perhonorificè in eo cœtu susceptus xiii kalend. aprileis, deinceps in plurimis occasionibus ostendit quantâ ingenii vi polleret, et quàm præclarâ eruditione ac doctrinâ præditus esset. Nam auctoritatem romani pontificis, quam per summum nefas aliqui deprimere conabantur, fortiter et strenuè vindicavit adversùs œmulos. Gnarum in Alexandro VII, qui post absoluta demùm comitia, honorificas ad Marcam litteras die xvii novembris anni m. dc. lvii scripsit, quibus et grates esit, ob assertam sedis apostolicæ dignitatem, et ut deinceps pergeret in eâdem reverentiâ, verbis amantissimis hortatus est. Jansenismum verò, tum maximè vires suas colligentem, sic industriâ et auctoritate suâ repressit, ut ob hocipsum promeritus sit iram hominum ejus sectæ, qui ne mortuo quidem pepercerunt[33]. Il ajoute qu’avant la clôture de cette assemblée[34] il parut une satire contre M. de Marca, laquelle fut suivie d’une autre quelque temps après. Infaustis auspiciis prodiit libellus famosus, sub titulo epistolæ ad illustrissimum dominum de Marca, archiepiscopum Tolosanum, quo ejus fama atrociter proscindebatur, et auctoritas romanæ sedis per summam audaciam apertè violabatur. Libellum hunc secutus est alius, haud moderatior ; et ipse, ut prior, absquè auctoris nomine[35]. Ses amis lui conseillèrent, les uns de répondre à ces libelles, les autres de n’y point répondre : il prit sur lui d’examiner quel parti serait le meilleur, et enfin il se résolut au silence[36]. Il se contenta de voir en concorde l’empire et le sacerdoce par rapport à ces deux libelles ; car ils furent condamnés au feu et à Paris et à Rome. Voici le titre de trois écrits qui parurent contre lui : Lettre de l’auteur des Règles très-importantes, à monseigneur de Marca, archevêque de Toulouse, 1657 ; Réponse à la Lettre de monseigneur l’archevêque de Toulouse, sur la délibération du clergé du 14 novembre 1656 ; Réponse à une lettre qui a été publiée depuis peu sur ce qui s’est passé dans l’assemblée du clergé, le 14 novembre 1656. Le premier de ces trois écrits avait été précédé par celui-ci : Règles très-importantes tirées de deux passages, l’un du concile de France, et l’autre de Glaber, rapportés par monseigneur de Marca, archevêque de Toulouse. Cela n’est point satirique.

Je viens de jeter les yeux sur un ouvrage[37], où j’ai trouvé une chose qui témoigne que les jansénistes ne sont pas revenus encore de leur colère[* 1]. On raconte dans ce livre-là, que l’archevêque de Rouen[38] voulut pacifier les disputes du jansénisme pendant l’assemblée générale du clergé en 1657. « La négociation n’alla pas loin. M. de Rouen eut audience sur ce sujet-là, le 3 de mai, du cardinal Mazarin, qui, comme ce prélat le rapporta le même jour à M. de Bagnols, témoigna vouloir bien accommoder l’affaire ; et qu’ils étaient convenus, son éminence et lui, de traiter de tout cela avec M. de Marca, archevêque de Toulouse, qui apparemment n’en fit pas un secret au père Annat. Après une seconde audience, que M. de Rouen eut du cardinal dés le lendemain, ce prélat rapporte qu’ayant été deux heures entières en conférence avec ce premier ministre et avec M. de Toulouse, son éminence avait témoigné plus de fermeté que par le passé, et plus d’opposition au projet d’accommodement, et que M. de Toulouse en avait parlé cruellement, traitant de chimère la distinction du droit et du fait. Cela est fort croyable. Car ce prélat tout politique était le père de l’inséparabilité du droit et du fait, vraie chimère dont il était amoureux, ou dont il faisait semblant de l’être, parce qu’elle servait à ses fins. Ce prélat n’avait garde d’abandonner ses desseins pour suivre M. de Rouen dans les siens. Il en savait plus que lui en matière de politique et d’intrigues ; il avait ses liaisons formées et ses mesures prises avec le père Aunat, sur un autre plan que celui-là, qui ne pouvait être du goût de ce père ; enfin il avait pour ces sortes d’affaires, et pour beaucoup d’autres, toute la confiance du cardinal et tout l’appui de la cour. Aussi M. de Rouen n’eut-il garde de pousser l’affaire, quand il eut mieux connu le terrain [39]. »

(G) Il fallut employer beaucoup de critique sur quelques paroles de Pomponius Méla et de Strabon. ] Il fut dit par le traité des Pyrénées, que les limites de la France et de l’Espagne, au comté de Roussillon, seraient les mêmes que celles qui séparaient anciennement les Gaules d’avec l’Espagne. Il fallut donc examiner où les anciens géographes finissaient les Gaules de ce côté-là. L’érudition de notre archevêque fut d’un grand secours. Vous trouverez le détail de toutes ces conférences dans un ouvrage posthume de cet auteur [40].

(H) Il mourut à Paris... peu après avoir obtenu les bulles pour l’archevêché de cette ville. ] Le peu de temps qu’il vécut depuis sa nomination à l’archevêché de Paris, obligea quelqu’un à faire un sixain qui est su de tout le monde :

Cy git l’illustre de Marca,
Que le plus grand des rois marqua
Pour le prélat de son église :
Mais la mort qui le remarqua,
Et qui se plaît à la surprise,
Tout aussitôt le démarqua.

(I) M. Baluze, avec un grand zèle........ avait toute la capacité que demandait la publication de ce dépôt. ] Pour être convaincu de la vérité de ce fait, on n’a qu’à voir les préfaces, les notes, les additions, etc., dont il enrichit les œuvres posthumes de son Mécène, à mesure qu’il les publie. J’ai déjà parlé des nouvelles éditions qu’il a procurées du fameux ouvrage, de Concordiâ imperii et sacerdotii. Il faut maintenant que je dise qu’il publia trois ou quatre dissertations de ce savant homme, l’an 1669 [41]. Elles concernent l’autorité du pape, et celle des patriarches et des primats ; un canon fort difficile du concile d’Orange, et le premier établissement de la foi chrétienne dans les Gaules. Il en publia plusieurs autres, l’an 1681, dont vous verrez le sujet dans le journal de Leipsic [42]. L’an 1688, il publia un in-folio qui a pour titre : Marca Hispanica, sive Limes Hispanicus, hoc est Geographica et Historica Descriptio Cataloniæ, Ruscinonis, et circumjacentium Populorum, Auctore illustrissimo viro Petro de Marca. Tous les journalistes en ont fait mention.

(K) Sa Vie, composée par l’abbé Faget…., fit naître une dispute entre lui et M. Baluze. ] L’abbé Faget, ancien agent du clergé, et fils d’une tante maternelle de M. de Marca, fit imprimer à Paris, l’an 1668, la Vie de ce prélat, avec un traité sur l’Eucharistie, un autre sur le Sacrifice de la Messe, un autre sur l’Érection du patriarcat de Constantinople, un autre en français sur le Sacrement de l’Eucharistie, et sur quelques autres sacremens. Il était l’auteur de la Vie, mais non pas des Dissertations qu’il y joignit : elles venaient de la plume de feu M. de Marca. Il ne put jamais obtenir l’approbation de la faculté de théologie, qu’en consentant que tout le traité français serait retranché, et qu’on ferait des cartons pour changer diverses choses dans les autres. L’imprimeur, qui était de la religion, n’ignora pas que l’on faisait ces cartons afin d’ôter certaines choses qui favorisaient les protestans. Que fit-il ? il conserva tous les endroits qui devaient céder la place aux cartons, et par ce moyen il livra à M. Claude un exemplaire tout tel qu’il l’avait imprimé, avant que les commissaires de la faculté de théologie y fissent des changemens [43]. Sur cet exemplaire, ou sur un semblable [44], on a fait une édition de l’ouvrage dans les pays étrangers, comme M. Baluze l’avait prévu [45]. On a joint à cette édition les lettres que M. Baluze et M. Faget écrivirent l’un contre l’autre. Car il faut savoir que M. Baluze ne crut point se devoir taire, quand il vit que la probité et l’orthodoxie de feu M. de Marca allaient être mises en compromis. Il écrivit coup sur coup deux lettres au président de Marca [46]. Voici un passage de la première [47] :« Vous savez, Monsieur, que ses ennemis ont méchamment publié que dans les affaires qui passaient par ses mains, il ne regardait pas tant la vérité et la justice que son intérêt et son ambition, ayant toujours tâché de s’agrandir de plus en plus dans l’église, et que ces considérations ont été cause qu’il a souvent trahi la vérité pour flatter la cour de Rome. Nous faisions notre devoir pour dissiper ces discours, et pour empêcher qu’ils ne fissent aucune impression dans l’esprit des personnes raisonnables. Mais M. Faget d’un coup de plume a renversé, s’il en est cru, tout ce que les véritables serviteurs de feu monseigneur l’archevêque avaient pu établir pendant plusieurs années. » Voyons un autre passage ; il est pris de la seconde lettre [48]. Je me sens obligé de vous donner avis que le livre que M. Faget a fait imprimer, fait un grand bruit en cette ville, à cause de quelques expressions qu’on y a coulées, qui semblent favoriser l’erreur des calvinistes et des luthériens touchant le sacrement de l’Eucharistie, qui est un des points les plus essentiels de notre religion, et aujourd’hui le plus controversé. S’il est vrai, ce que j’ai de la peine à croire, que feu monseigneur ait composé les traités que M. Faget a fait imprimer sous son nom, dont il se vante dans la préface et dans la Vie d’avoir les originaux écrits de la main de l’auteur, nous ne saurions empêcher que feu monseigneur ne passe dans l’esprit de beaucoup de gens pour hérétique au sujet de l’Eucharistie ; et par conséquent sa réputation en recevra un très-grand dommage......... Vous ne sauriez croire combien cette édition donne de sujet de parler à toute sorte de gens ; les huguenots en témoignant beaucoup de joie, comme d’une chose qui est venue très à propos pour fortifier leur opinion, et les ennemis de feu monseigneur prenant de là occasion de déchirer sa mémoire et de flétrir sa réputation. L’abbé Faget, traité avec le dernier mépris dans ces deux lettres, en fut outré, et en publia deux autres toutes pleines de sa colère. Je ne m’y arrête pas ; je toucherai seulement un point qui se rapporte à un fait dont j’ai parlé dans le corps de cet article. M. Faget [49] nie que M. de Marca ait confié à M. Baluze ses manuscrits. Il est bon de voir ce que fit M. Baluze, quand il se vit démenti sur ce chapitre. Je vous marquerai, écrivit-il à M. l’évêque de Tulle, que lui ayant fait faire des reproches par un bon prêtre de Rouergue de sa connaissance, appelé Guibert, de ce qu’au préjudice de la vérité qui lui est connue, il a avancé dans cette Vie, que j’avais supposé lorsque j’avais publié que feu monseigneur l’archevêque m’avait donné ses papiers en mourant, et m’avait commis l’édition de ses ouvrages, il répondit qu’il lui importait pour sa réputation de faire voir que cela n’était pas : parce, dit-il, que si cela demeurait constant, il s’ensuivrait que feu monseigneur n’aurait pas eu bonne opinion de lui, et n’aurait pas cru qu’il fut capable de prendre soin de l’édition de ses œuvres. Ce qu’il a encore dit en termes généraux à une personne de grand mérite et de grande vertu, que vous connaissez, qui m’a fait l’honneur de me le dire. Voilà, Monseigneur, le beau principe sur lequel il a fondé sa calomnie et son imposture. Sans prendre parti là-dedans[50], je dirai qu’en général il y a mille faussetés imprimées qui n’ont d’autre fondement que le point d’honneur ; car dès qu’on voit qu’une exposition naïve de la vérité nous ferait tort dans le monde, on conte les choses tout autrement qu’elles ne sont arrivées.

(L) Il sut bien prédire à ses camarades…….. la différence qu’il y aurait un jour entre leur gloire et la sienne. ] Un jeune homme de votre condition, lui disaient-ils, ne doit point fuir les compagnies, ni renoncer au jeu, au bal, et à tels autres divertissemens. Vous êtes un homme enterré. Le temps viendra, leur répondit-il, où je ferai parler de moi, et où vous serez dans les ténèbres. Exprobrabant adolescentem genere clarum non decere, à virorum et mulierum nobilium civitatis colloquiis et societate recedere, nec præstantes animi dotes exerere, non ludos, nec ludicra, neque nocturnas hyemis choreas, ut aliis solitum erat, frequentare, posseque eum, virum absconditum jure nominari. Ad que ille, quùm venisset temporis occasio, futurum se omnibus pernotum, ubi latendum illis foret, peracutè respondit[51]. L’événement a justifié cette réponse : M. de Marca est devenu l’un des plus grands hommes de son siècle, et est monté sur les théâtres les plus éminens ; et peut-être qu’aucun de ceux qui lui faisaient ces reproches n’a jamais été connu à deux lieues de sa paroisse. Voici une leçon pour les écoliers studieux, et pour ceux qui sont débauchés. Il est bon de leur mettre devant les yeux un fait comme celui-ci ; sans cela je n’eusse pas fait cette remarque.

(M) Il n’oublia pas à devenir bon grec. ] Il en donna des preuves l’an 1642, en publiant un manuscrit grec qu’il avait trouvé dans la bibliothéque du roi[52], et qu’il traduisit en latin. C’était l’épître décrétale du pape Vigile, confirmative du deuxième concile de Constantinople. Il y joignit une savante dissertation, les anathèmes du même concile, une lettre d’Eutychés à ce pape, et la réponse de ce pape[53]. Ces anathèmes et ces deux lettres n’avaient encore paru qu’en latin. La décrétale n’avait jamais été publiée en aucune langue[54]. Il se fit un grand mérite de ce travail auprès du pape ; car il remarqua dans le livre qu’il fit imprimer à Barcelonne, l’an 1646, pour lever les sujets de plainte qui retardaient l’expédition de ses bulles, il remarqua, dis-je, que la publication de la décrétale avait servi de beaucoup à confirmer l’autorité du saint siége sur les conciles œcuméniques, laquelle ne faisait que chanceler dans les écoles de France. Quid de hâc editione posteà ipse senserit, accipe ex libello ejus Barcinone edito anno m. dc. xlvi, cujus suprà mentionem feci : Sanè explicari non potest, quantùm hujus epistolæ publicatio profuerit ad firmandam apostolicæ sedis auctoritatem ergà concilia generalia quæ apud Gallicanos academiarum magistros, majorum suorum decretis inhærentes, valdò nutabat[55]. Voyez la note[56]. La dissertation fut insérée dans l’édition des Conciles, qui se fit au Lonvre, comme aussi la dissertation du même auteur, de Primatu Lugdunensi et ceteris Primatibus, cum notis ad Canones aliquot Concilii Claromontani sub Urbano II celebrati [57]. Je ne saurais croire ce que conte l’abbé Faget, que de Marca au sortir de ses études, et s’en retournant de Toulouse chez son père, confondit de telle sorte quelques gentilshommes huguenots qui l’avaient provoqué à la dispute dans la maison d’un baron, qu’il fallut qu’un ministre de Pau fort renommé pour sa science vînt à leur secours. Il proposa quelques sophismes dont le jeune écolier fit voir le faible par un passage de saint Paul [58]. Le ministre ne put répliquer autre chose, sinon que le texte de l’apôtre n’était pas tel. De Marca tirant de sa poche un Nouveau Testament grec, se mit en état de justifier sa citation ; mais le ministre déclara qu’il n’entendait rien en cette langue. Ce récit de M. Faget a tout l’air d’un conte fait à plaisir [* 2]. Allatis quibusdam argutiis, ; quarum aciem citato ex epistolis divi Pauli loco novus athletes omninò retudit. A tam expresso rei probandæ textu Ψευδοποίμην nullo alio modo explicare se potuit, quàm alter in divo Paulo legi pertinaciter contestando. Marca verò confestim in Novi Testamenti græci absquè interpretatione latinâ, quem ferè semper secum ferebat, codice, laudatum locum ipsismet, quæ attulerat verbis, conceptum indicavit. Sed cùm sibi penitùs ignotam eam linguam profiteretur pseudominister ; si non omninò caussa cecidisse, delusus saltem ab adolescente suis etiam visas est [59].

(N) Sans avoir besoin de guide. ] La plupart des savans ne sont propres qu’à cultiver les terres qui ont été déjà défrichées. Ils peuvent aplanir ou élargir un chemin que d’autres ont déja fait. Quelques-uns en très-petit nombre,

.......... ...........Quibus arte benignâ

Et meliore luto finxit præcordia Titan [60],


peuvent défricher les terres les plus incultes, et faire une route dans les forêts où personne n’avait passé. M. de Marca était de ce petit nombre choisi. Le rang qu’il tenait parmi les critiques était pour le moins aussi considérable dans la république des lettres, que celui qu’il avait parmi les prélats l’était dans l’église et dans l’état [61]. L’auteur dont j’emprunte ces paroles rapporte les louanges que le père Combéfis [62], et le père Labbe [63], ont données au grand esprit de ce prélat ; et il ajoute, que la sûreté de ses conjectures, et cette liberté de dire ses sentimens,…. lui auraient encore fait porter sa critique plus loin. s’il n’eût été retenu par les considérations que chacun sait.

  1. * Leclerc et Joly se contentent de dire que l’auteur de ce livre est fort connu, et qu’il était ennemi déclaré de M. de Marca. Ont-ils craint d’écrire le nom du père Quesnel ?
  2. * Leclerc trouve que Bayle, qui dans les triomphes des ministres protestans sur les prêtres catholiques s’en rapporte au témoignage des auteurs protestans, rejette comme suspects ceux des auteurs catholiques, quand il s’agit du triomphe des catholiques sur les protestans. Voyez la remarque (D), de l’article de Maldonat et la remarque (F) de l’article Mestrezat, dans ce volume.
  1. Stephanus Baluzius, de Vitâ et Rebus gestis Petri de Marca, pag. 8, edit. 1663, in-8°.
  2. Stephanus Baluzius, de Vitâ et Rebus gestis Petri de Marca, edit. 1663, in-8°., p. 6, 7.
  3. Réponse des vrais Catholiques français à l’Avertissement des Catholiques anglais, p. 53, édition de 1589.
  4. Notez que pour justifier Patin on ne peut pas alléguer la contrainte qui fut faite au président de Marca (voyez ci-dessus, citation (3)) ; car notre Pierre de Marca était fils d’un homme d’épée. Il n’avait donc pas été assujetti à l’abjuration, afin de conserver une charge. Voyez la Vie de Pierre de Marca, par l’abbé Faget, pag. 7, 8.
  5. Patin, lettre LXIX, pag. 294 du Ier. tome, datée du 28 juin 1652.
  6. C’était un prêtre de Paris nommé Hersens. Voyez la Vie du père Morin, pag. 52. Le jésuite Michel Rabardeau lui fit une réponse qui fut censurée à Rome. Voyez Théophile Raynaud, de bonis et malis Libris, num. 514, p. m. 293.
  7. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, pag. 23, 24.
  8. Idem, ibidem, pag. 24, 25.
  9. Sic scriptionem suam temperavit, ut relictâ discussione juris quod utrique potestati competit, ad solam facti inquisitionem, quæ fines veterunt possessorum demonstrare posset, se contulerit ; ut ipse pre fatur in admonitione ad lectorem. Idem, ibid., pag. 25.
  10. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, pag. 26.
  11. Ibidem, pag. 28.
  12. Ibidem, pag. 30.
  13. À Barcelone, l’an 1646. Quo editionis librorum de Concordiâ sacerdotii et imperii consilium exponit, opus apostolicæ sedis censuræ submittit, et reges canonun custodes, non verò auctores esse docet. Ibidem, pag. 31.
  14. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, pag. 32.
  15. Voyez la remarque (M).
  16. Celle des deux chefs de l’Église, saint Pierre et saint Paul.
  17. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, pag. 37, 38,
  18. On écrit ceci le 18 de décembre 1695.
  19. Voyez le Journal des Savans, du 12 janvier 1665.
  20. Sallo, Journal des Savans, là même.
  21. Acta Eruditor. Lipsiens., anno 1682, pag. 327.
  22. Voyez le Journal des Savans, du 12 de janvier 1705.
  23. Voyez Deckherus, de Scriptis Adespotis, pag. 384, edit. 1686.
  24. Nouvelles de la République des Lettres, juillet 1685, pag. 718 de la seconde édition.
  25. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, p. 45.
  26. Idem, ibidem, pag. 46.
  27. Idem, ibidem, pag. 48.
  28. Dans Le Béarn, au diocèse de Lescar.
  29. Tiré de la Vie de M. de Marca, composée par l’abbé Faget, pag. 43.
  30. O me felicem, quandò veteris illius atque sanctissimi sacerdotis Exuperii exemplo, (qui ex præsidatu in Hispaniis acto cathedram illam suscipiens, eam deindè rexit juxtà pium atque prudens Innocentii I ad ejus consulta (responsum) licebit per Innocentii X decretum, post gestos magistratus regios in Galliâ et Hispaniâ, episcopatus quoque curis functo mihi, Tolosanæ Sedis administrationem capessere, Baluzius, de Vitâ de Marca, pag. 53.
  31. Idem, ibid., pag. 53, 54.
  32. Conférez avec ceci l’article Ferrier, tom. VI, pag. 466, remarque (L), vers la fin.
  33. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, pag. 59.
  34. Elle finit au mois de mars 1657.
  35. Balazius, de Vitâ P. de Marca, pag. 64.
  36. Idem, ibidem, pag. 65. Il écrivit pourtant quelque chose contre ces libelles. M. Baluze en a fait part au public, l’an 1681.
  37. Imprimé l’an 1700, et intitulé : La Paix de Clément IX, etc.
  38. François de Harlai, qui est mort archevêque de Paris.
  39. La Paix de Clément IX, pag. 144.
  40. Intitulé Marca hispanica. La Bibliothéque universelle en contient l’extrait au commencement du XVe tome.
  41. Voyez le Journal de Leipzic, 1682, pag. 327.
  42. Ibidem, pag. 328. Voyez aussi le Journal des Savans, du 21 mars 1681, pag. 117.
  43. Lettre de M. Baluze à M. l’évêque de Tulle, imprimée à la fin du livre publié par M. Faget, édit. de 1669.
  44. M. Baluze, dans sa IIe. lettre au président de Marca, avoue que M. Faget avait déjà fait des présens de son livre, et que le libraire en avait déjà débité quelques-uns, avant qu’on songeât à supprimer l’édition.
  45. Pourvu qu’il en reste un exemplaire entre les mains d’un particulier, on en imprimera dix mille sur celui-là, toutes et quantes fois qu’on voudra le rendre public. Ce que je m’assure qu’on ne manquera pas de faire au plus tôt en Hollande et à Genève. Baluze, IIe. lettre au président de Marca, à la fin du livre de l’abbé Faget, édition de 1669.
  46. Fils de l’archevêque de Paris.
  47. Elle est datée de Paris, le 22 avril 1668.
  48. Datée de Paris, le 27 de mai 1668.
  49. La Vitâ Petri de Marca, pag. 118.
  50. Notez que M. Baluze, dans la Vie de M. de Marca, édit. de 1669, réfute M. Faget sur le fait du dépôt, et sur bien d’autres.
  51. Fagetus, in Vitâ Petri de Marca, p. 9.
  52. Interdùm codices manuscriptos græcos bibliothecæ regiæ, ut erat linguæ Grecæ peritissimus Marca pervolvebat. Faget., ibidem, pag. 44.
  53. Idem, ibidem.
  54. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, pag. 39.
  55. Idem, ibidem, pag. 39.
  56. Voici les termes de l’abbé Faget, in Vitâ P. de Marca, pag. 44 : Eam (decretalem) non solùm ut hactenùs incognitam ille plurimi fecit, sed etiam quòd multùm ad firmandam apostolicæ sedis auctoritatem contrà quorundam theologorum sententiam in concilia generalia prodesset.
  57. Baluzius, de Vitâ P. de Marca, pag. 40.
  58. Faget, in Vitâ P. de Marca, pag. 11.
  59. Là même, pag. 12.
  60. Juven., sat. XIV, vs. 34.
  61. Baillet, Jugement des Savans, tom. II, num. 245.
  62. Combef. Recension. Auctor. Concionat., pag. 15.
  63. Labbe, epist. dedicat. Dissert. de Scriptor. Ecclesiasticis, et tom. XI, Concil. general., ad Concil. Claromontan.

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