Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Marillac 2

La bibliothèque libre.

◄  Marillac (Charles de)
Index alphabétique — M
Marinella, ou Marinelli (Lucrèce)  ►
Index par tome


MARILLAC (Louis de), maréchal de France, fils de Guillaume de Marillac qui était frère de l’archevêque de Vienne, naquit posthume, l’an 1573 [a], ou selon d’autres, au mois de juillet 1572 [b]. Vous trouverez dans le Dictionnaire de Moréri [c] les emplois qu’il eut successivement jusqu’à ce qu’il fut arrêté en Italie, par ordre du roi, l’an 1630. On lui fit faire son procès, et il fut condamné à perdre la tête : ce qui fut exécuté à Paris, le 10 de mai 1632. La curiosité des Parisiens fut si grande, que cent mille personnes furent témoins de l’exécution, et que telle fenêtre fut louée huit pistoles [d]. L’opinion la plus commune est qu’il fut une victime innocente immolée à la passion du cardinal de Richelieu [* 1] ; mais on persuaderait cela difficilement à des personnes qui ne s’arrêtent point aux préjugés, et qui ne se rendent qu’à la certitude (A). Je ferai quelques observations là-dessus [e], et je n’imagine qu’on ne trouvera pas mauvais que je mette ici une partie des choses que M. du Châtelet publia au désavantage de ce maréchal. On en croira ce qu’on voudra ; et comme il était son ennemi, je consens qu’il passe pour un témoin très-suspect. Je ne donnerai ces choses que comme des médisances qu’il a débitées, non pas dans cette satire latine en prose rimée [f], où le jeu de l’imagination pouvait avoir trop de part ; mais dans un écrit sérieux et grave, où il réfute les apologistes de son ennemi. Il dit donc [g], que le père du maréchal de Marillac « passa de la charge de maître des comptes à celle de contrôleur général des finances, et laissa fort peu de bien à ses enfans. Celui-ci vint dans le monde avec le corps et l’esprit assez adroits, et s’occupa principalement aux exercices, qu’il apprit en perfection. N’étant pas assez riche pour subsister de lui-même, il était ordinairement auprès du marquis de Cœuvre, qui, en la plus haute faveur de la duchesse de Beaufort, eut bien de la peine à lui sauver la vie, et à obtenir son abolition, après le meurtre de Caboche, qu’il avait tué pour un faible sujet et hors d’état de se défendre. Ces grandes obligations l’attachèrent encore plus étroitement auprès de son bienfaiteur, qui lui confia le secret de ses amours, et pour ne s’y être pas fidèlement comporté, rompit tout commerce avec lui. Il vécut depuis dans la cour sur sa bonne mine, et sous le nom du beau Marillac, cherchant toutes occasions de faire paraître son adresse et sa belle taille en public, et se rendre agréable au feu roi, qui pourtant le traita toujours d’homme de peu, et chez Zamet le fit sortir un jour de sa table, où il s’était mis avec beaucoup d’autres. Toutes ces mauvaises aventures ne l’empêchèrent pas de donner dans les yeux d’une fille de la reine (B). » Il l’épousa, et il crut, après la mort d’Henri IV [h], que sous le gouvernement des femmes les choses extérieures et les apparences des vertus conjointes aux petits soins, cajoleries, assiduités, et complaisances, lui donneraient tout ce qu’il n’avait pu obtenir auparavant.......... La différence de la profession de son frère, maître des requêtes, et les courses de bagues plutôt que les coups d’épées, donnèrent à celui-ci le nom de gendarme. Il était toujours des plus assidus dans les barrières et les lices....... La reine intéressée par son alliance à le tirer hors de la nécessité, lui donna charge dans la compagnie de monseigneur le duc d’Orléans, augmenta ses appointemens, et désira que le marquis d’Ancre s’en servit. Le marquis, devenu maréchal de France........ se fit instruire en secret par Marillac de l’ordre et de la police de la guerre, et lui fit espérer une belle récompense (C). Sa mort et l’éloignement de la reine-mère laissèrent Marillac [i] chargé d’une femme, et de leur pauvreté commune... Il se voulut accommoder avec ceux qui prirent lors le timon des affaires, ne se pouvant départir des prétentions de la cour, son principal héritage. Mais ils lui firent connaître qu’il n’était pas agréable auprès du roi. Il revint donc à sa maîtresse, paré d’une fausse marque de banni pour ses intérêts ; et après quelques rebuts, il se rétablit auprès d’elle, et fut fait maréchal de camp au Pont-de-Cé (D). Il s’acquitta mal de cette charge, et néanmoins elle lui fut confirmée par le roi, à la prière de la reine-mère. Il conçut de très-grandes espérances, l’an 1624 [j], parce que Michel de Marillac, son frère, fut pourvu de la charge de surintendant des finances, et que le cardinal de Richelieu fut établi dans les affaires d’état. Le premier commandement qu’il reçut fut d’aller en Champagne auprès du duc d’Angoulême, avec un ordre de pourvoir entièrement aux vivres (E)..... Comme ce fut sa première commission ; ce fut aussi le commencement de ses voleries (F). Elles devinrent plus énormes pendant qu’il fit travailler à la fortification et au bâtiment de la citadelle de Verdun, où le roi le mit gouverneur, et lui donna sa lieutenance générale ès trois évéchés, avec pouvoir d’ordonner de tous les paiemens [k]. Il fut employé à la guerre de la Rochelle, l’an 1627 [l]. Il se trouva à la défaite des Anglais dans l’île de Rhé (G), et « servit de maréchal de camp au quartier du duc d’Angoulême, avec tant de malheur, qu’en toutes les sorties qui furent faites, et aux entreprises d’emporter le fort de Thadon, et de pétarder les grilles du côté des marais, il eut toujours besoin de venir aux excuses, et de se justifier de ne s’être pas trouvé où il devait. Il fut incessamment accusé par les gens de guerre de quelque faiblesse, et d’être la cause que les choses n’avaient pas bien réussi ; tant était forte leur opinion qu’il n’était pas si vaillant qu’il pensait [m]. » Ce fut pendant le siége de la Rochelle, que l’on commença de cabaler contre le cardinal de Richelieu. L’un des principaux moyens que l’on employa était de le rendre odieux à Marie de Médicis [n]. Marillac, demeuré à la Rochelle, contribuait de loin à tout le monopole, ce qui lui était possible : et comme il a confessé dans son procès, écrivait souvent à la reine-mère, avec une instruction à ceux de son chiffre, que M. Bouthillier, alors secrétaire de ses commandemens, ne vît point ses dépêches : qu’elles fussent détournées par le moyen des femmes de chambre, et que cette bonne princesse ne connût point la défiance qu’il avait... Ceux qui formaient cette cabale s’étaient rendus habiles dans la pratique et le gouvernement des femmes..... Marillac devait être le brave de la faction : c’est pourquoi l’on dressa une batterie pour le faire maréchal de France, et l’on persuada si bien à la reine-mère qu’il y allait de son honneur et de son service de le pousser jusque-là, qu’elle mit en œuvre de très-fortes recommandations qui forcèrent le cardinal d’arracher lui-même ce bâton des mains du roi, pour le bailler à cet importun, au siége de Privas [o]. Ce nouveau maréchal de France, et son frère qui était alors garde des sceaux, continuèrent à travailler à la ruine du cardinal : ils espérèrent de le faire échouer en Italie ; et pour cet effet ils tâchèrent d’empêcher que le roi ne s’approchât du Piémont, et dans la même vue le maréchal fit la sourde oreille aux ordres que le roi lui donnait d’amener son armée de Champagne en Italie [p] (H). Il partit enfin ; mais il retint ces troupes auprès de Lyon, pour exécuter les délibérations qui furent faites contre la personne du cardinal [q]. La guérison du roi fit avorter ce complot. Le maréchal passa les monts, et obtint le même pouvoir sur les armées, que le maréchal de la Force, et le maréchal de Schomberg [r] : mais le grand coup de la cabale ayant manqué, je veux dire que la reine n’obtint point la grâce qu’elle avait demandée au roi son fils d’éloigner le cardinal, les Marillacs furent perdus [s] ; le roi, après avoir ôté les sceaux à l’aîné, puissans et dangereux instrumens en une si mauvaise main, le fit conduire à Lisieux [t], et donna charge aux maréchaux de la Force et de Schomberg d’arrêter l’autre, et de l’envoyer prisonnier sous grande garde au château de Sainte-Menehould. Voilà quelques extraits du livre de M. du Châtelet. Il ne manqua pas de parler de l’engagement que l’aîné de ces messieurs avait pris avec la ligue (I). On voit dans le Moréri, que le maréchal refusa toujours les offres que ses amis lui faisaient de le tirer de prison, et que sa mémoire fut rétablie par arrêt du parlement après la mort du cardinal de Richelieu (K). Cela mérite une réflexion.

  1. * Joly rapporte un passage des Mémoires de d’Avrigny, qui n’a pas le dessein de se faire l’apologiste de Marillac, mais qui pense que la haine de Richelieu fut son crime principal. Ce n’est pas là critiquer Bayle ; c’est appuyer ce qu’il dit.
  1. Anselme, Histoire des grands Officiers, pag. 251.
  2. Gazette de Paris, du 17 mai 1632.
  3. Corrigez-y ce qu’on y dit qu’il servit en diverses occasions le roi Henri III. Il fallait dire Henri IV.
  4. Gazette de Paris, du 17 mai 1632.
  5. Voyez le remarque (A).
  6. Voyez l’Histoire de l’Académie française, pag. m. 245.
  7. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation du maréchal de Marillac, pag. 770 du Recueil de diverses pièces pour servir à l’Histoire, édition de 1643, in-4°.
  8. Là même, pag. 771.
  9. Là même, pag. 772.
  10. Là même, pag. 773.
  11. Là même, pag. 774.
  12. Là même, pag. 778.
  13. Là même, pag. 780.
  14. Là même, pag. 783.
  15. Du Châtelet, Observations sur la vie et condamnation de Marillac, pag. 785.
  16. même, pag. 793.
  17. Là même, pag. 799.
  18. Là même.
  19. Là même, pag. 803.
  20. Le père Anselme, Histoire des grands Officiers, pag. 104. dit qu’on le mena au château de Caen, et de là à celui de Châteaudun, où il mourut en prison, le 5 d’août 1632.

(A) L’opinion... commune est qu’il fut une victime innocente ;... mais on persuaderait cela difficilement à des personnes qui... ne se rendent qu’à la certitude. ] La remarque (F) de l’article de Louis XIII pourrait suffire à commenter ce texte-ci. Néanmoins, j’y ajouterai beaucoup de choses : et d’abord je remarquerai que présentement [1] il est beaucoup moins facile de découvrir la vérité, qu’au temps où l’on instruisait le procès de M. de Marillac, On pouvait alors former des choses à une infinité de personnes qui avaient connu ce maréchal. On pouvait prendre langue dans les lieux mêmes où il avait commandé, et savoir les noms et les qualités, les intérêts, la réputation des témoins, et les pratiques avec lesquelles ils étaient poussés de part et d’autre ou à déposer, ou à se dédire. Tout cela et cent autres choses faciles au temps du procès sont impossibles aujourd’hui ; la génération d’alors est toute passée. Nous ne pouvons nous servir que des préjugés ou des livres qui nous restent de ce temps-là. Voyons un peu ce que les fauteurs de ce maréchal pourraient dire à ceux qu’ils voudraient persuader de son innocence, et qu’ils trouveraient fort résolus à ne rien admettre que sur de bonnes preuves.

Ils diraient : 1°. que le public fut alors persuadé, et l’est encore, que le maréchal de Marillac n’était coupable que d’avoir déplu au cardinal ; 2°. qu’il est de notoriété publique que ce cardinal était si vindicatif qu’il m’épargnait rien pour satisfaire son ressentiment ; 3°. que son crédit était tel qu’il pouvait venir à bout de tous ses desseins ou par promesses ou par menaces ; 4°. que la procédure fut accompagnée de tant d’irrégularités toutes injustes et propres à opprimer les plus innocens, que cela suffit pour montrer que le maréchal n’était point coupable ; 5°. que sa mémoire fut rétablie par arrêt du parlement de Paris, après la mort du cardinal de Richelieu. La plupart des gens disputent si peu le terrain à ceux qui leur veulent persuader certaines choses, qu’ils acquiesceraient sans difficulté aux cinq raisons que l’on vient de voir. Mais il y a certains esprits de petite foi et fort durs à la détente en fait de persuasion, qui ne trouveraient point là de justes motifs de croire.

I. Ils répondraient à la première raison, que le sentiment public ne saurait être plus suspect en nulle rencontre que dans celle-ci. Le cardinal de Richelieu s’était rendu si odieux par toute la France, qu’on croyait sans aucune peine et sans aucun examen tout le mal qu’on entendait dire de sa conduite. Il était dans un poste où il est très-rare de n’être point exposé à la médisance et à la haine des peuples, et il s’y comportait d’une manière à s’attirer une infinité d’ennemis ; car il augmentait de jour en jour l’autorité souveraine, il faisait punir les grands qui osaient se soulever et cabaler. C’était les tirer d’une mauvaise coutume qui leur était fort agréable, et qui leur avait été utile assez souvent. Il foulait les peuples beaucoup plus qu’on n’avait fait sous les autres règnes. En un mot, le joug de l’autorité royale, toujours trop pesant au gré des peuples, l’était devenu plus que jamais sous son ministère. On avait donc toutes les dispositions imaginables à juger très-mal de sa personne, et l’on avalait avec joie, et comme une espèce de restaurant, toutes les satires, toutes les plaintes, tous les murmures qui courent contre sa réputation. La France était alors toute pleine de mécontens ; ce que l’on avait appelé autrefois le Catholicon, et qui avait fait tant de ravages, avait laissé des racines qui subsistaient encore. La plupart des dévots et tous les bigots enrageaient de ce que le cardinal soutenait les protestans de Hollande et d’Allemagne, et empêchait la maison d’Autriche de les subjuguer. Faisait-il du bien à certaines gens, on les en trouvait indignes : les persécutait-il, on les plaignait, et l’on déplorait l’indignité de leur sort [2] ? Quelles relations ne fit-on pas des dernières heures de ceux qu’il fit condamner ? Quel fut le soin de recueillir tous leurs discours de piété, tous leurs actes d’amour de Dieu ? Il semblait qu’on eût dessein de grossir le martyrologe, ou d’imiter ce Fannius dont j’ai parlé en un autre endroit [3]. On ne parlait de l’exécution de Lyon qu’en style de plainte. Cela était fort légitime à l’égard de M. de Thou, mais pour ce qui regarde M. de Cinq-Mars, il ne fallait pas se contenter de le plaindre, il fallait aussi détester sa vanité, son ingratitude et sa rébellion. Or, puisque les dispositions du public étaient de cette nature envers le cardinal de Richelieu, ceux qui ne veulent croire que ce qui est soutenu de bonnes preuves, ne se laisseront jamais gagner par cet argument : L’opinion générale est que le maréchal de Marillac n’a été coupable que d’avoir déplu au cardinal, donc il n’a été coupable que de cela.

II. La seconde raison n’a rien qui soit convaincant, puisque l’expérience de toutes les tyrannies nous fait connaître que les malhonnêtes gens tombent quelquefois dans la disgrâce d’un mauvais prince, ou d’un favori assez injuste pour sacrifier à sa vengeance tout ce qui a le malheur de lui déplaire. Lisez bien Tacite et les autres relations du même temps, vous trouverez des criminels parmi ceux qui furent punis sous Tibère et sous Néron. Les délateurs s’attaquèrent quelquefois à des personnes de mauvaise vie, et qu’il fut aisé de convaincre des crimes dont on les accusait. Vouloir donc conclure de ce qu’un tel a perdu la tête sur un échafaud sous un mauvais règne, qu’il était innocent, c’est admettre des conséquences trompeuses, et jouer à être la proie d’un grand sophisme. À plus forte raison se faut-il garder de cette espèce de raisonnement, lorsqu’il s’agit de Louis XIII, qui était un très-bon roi, et dont le premier ministre, quelque violent et vindicatif qu’il fût, était obligé à garder plus de mesures qu’on n’en garde dans un état tyrannique.

III. On peut répondre à la troisième raison la même chose qu’à la précédente. Ceux dont le pouvoir a été si grand, qu’ils ont trouvé assez de témoins et assez de juges pour faire perdre la vie à des gens de bien, ont eu quelquefois des ennemis qui étaient des scélérats, et qu’ils envoyaient au supplice sans rien faire qui ne fût conforme au droit et à la raison. Ainsi, quand le cardinal de Richelieu aurait été cent fois plus injuste et plus puissant qu’il ne l’était, on n’en pourrait point conclure l’innocence d’aucun de ceux qu’il fit condamner ; car peut être tirerait-on cette conclusion en faveur d’une personne qui serait du nombre de ces coupables qui périssent quelquefois au tribunal des tyrans. Il faut donc renoncer à la voie des préjugés et examiner chaque procès en particulier. C’est le seul expédient de connaître si un tel et un tel sont des victimes innocentes sacrifiées à la colère du cardinal de Richelieu.

IV. Nous voici à ce grand et unique expédient. Les personnes dont je parle, qui examinent à la rigueur ce qu’on leur propose à croire, demanderaient qu’on leur prouvât les irrégularités criantes de la procédure des commissaires qui condamnèrent notre maréchal ; et dès qu’on leur aurait répondu que tous ceux qui en pouvaient rendre témoignage sont morts : comment savez-vous donc ce fait ? répliqueraient-ils. On les renverrait sans doute à deux imprimés, dont l’un a pour titre : Relation véritable de ce qui s’est passé au jugement du procès du maréchal de Marillac, prononciation et exécution de l’arrêt contre lui donné par les commissaires de la chambre établie à Ruel, et de ses dernières paroles et actions devant et sur le point de sa mort ; et l’autre est intitulé : l’Esprit bienheureux du maréchal de Marillac, et sur le libelle intitulé : Relation de ce qui s’est passé au jugement de son procès ; prononciation et exécution de l’arrêt donné contre lui, etc. On ne connaît point l’auteur de ces deux premiers imprimés, et l’on sait que le troisième est l’ouvrage de M. du Châtelet, homme distingué par sa naissance et par ses charges [4] ; car il a été avocat général au parlement de Rennes, maître des requêtes, conseiller d’état ordinaire, et intendant de justice dans l’armée royale. Son écrit donc doit être censé de plus de poids que des pièces anonymes que l’on voit dans le recueil de ce qui fut publié pour la défense de la reine-mère. Or nous voyons que M. du Châtelet nie et réfute tout ce qu’on avait allégué de procédures injustes et irrégulières, et qu’il soutient que les plus exactes formalités furent observées dans le jugement du maréchal de Marillac. À moins donc que l’on ne nous prouve qu’il avance des faits faux, et qu’il nie des faits véritables, nous ne pouvons pas acquiescer aux deux pièces anonymes. Une chose qu’il ne nie pas, et que nous savons très-certainement, c’est que M. de Marillac ne fut point jugé au parlement de Paris, mais par une chambre de commissaires. C’est un fort grand préjugé au désavantage du cardinal : on sait bien de quoi sont capables les juges créés extraordinairement, et choisis parmi les parties adverses des accusés [5]. Cependant, puisque nous cherchons des preuves incontestables, ou plus fortes pour le moins que de grandes présomptions, nous ne prétendons pas que cela nous détermine à prononcer que le maréchal était innocent. Nous avons des exemples sous ce règne-là qui prouvent que des commissaires choisis par le cardinal de Richelieu firent tout ce qu’on eût pu attendre du tribunal le plus intègre du monde. Ceux qui jugèrent M. de Cinq-Mars suivirent dans la dernière ponctualité la pratique criminelle [6]. M. de Laubardemont, qui passe pour avoir été entièrement dévoué aux passions du cardinal, fut le rapporteur du procès. Son rapport a été imprimé [7] : on ne peut rien voir, ni de plus net, ni de plus exact, ni de plus conforme aux règles. Le fait fut conduit à la dernière évidence ; et après cela, il n’y avait point de bons juges dans le royaume qui eussent pu opiner autrement que firent les commissaires qui condamnèrent Cinq-Mars. On a vu dans le règne suivant une chambre extraordinairement créée pour juger M. de Fouquet, et l’on n’a point eu raison de dire qu’elle ait opprimé l’innocence. Encore moins le peut-on dire de celle qui instruisit le procès de M. de Luxembourg, et qui le jugea. Si l’on s’arrêtait aux préjugés, on en trouverait de favorables au cardinal de Richelieu, à l’égard des commissaires du maréchal de Marillac. Le premier homme de robe, le garde des sceaux fut mis à leur tête. Ils étaient ou maîtres des requêtes, ou présidens, ou conseillers au parlement de Bourgogne, etc. Ils renvoyaient au conseil d’état la plupart des incidens, et ne passaient outre qu’en vertu des arrêts de ce conseil ; de sorte que pour supposer que le maréchal de Marillac a été une victime innocente, il faut supposer que ses juges au nombre de vingt-trois, et la plupart des conseillers d’état, avaient conspiré la ruine d’un innocent. Cela est dur à supposer : le sens commun nous porte plutôt à croire qu’un guerrier a commis des malversations, qu’à croire qu’un si grand nombre de tels magistrats s’accorde à condamner un innocent [8]. Notez, je vous prie, qu’encore que dix des juges n’opinassent pas à la mort, tous le trouvèrent coupable. Je m’en rapporte à ce narré de M. du Châtelet : Après que chacun des juges, dit-il, avec une égale affection de faire justice, eût appuyé son opinion par toutes les meilleures raisons que le sujet pouvait fournir, et que par l’espace de deux jours, les lois et les preuses eurent été bien disputées, toutes les voix se réduisirent à ces deux avis. Treize le jugèrent digne de mort, et dix lui faisant perdre l’honneur, les charges et les biens, lui laissèrent la vie pour supplice dans un bannissement perpétuel ou bien dans une prison, au choix du roi, et en tel lieu qu’il plairait à sa majesté le faire garder, ainsi qu’il a souvent été pratiqué pour telles personnes [9]. L’un des apologistes du maréchal de Marillac confesse que le cardinal mêla parmi les nouveaux commissaires trois ou quatre personnes d’une grande intégrité ; ce qu’il fit, ajoute-t-on, pour mieux couvrir son jeu, lorsqu’il crut que sa partie était si bien faite que les voix de la condamnation emporteraient celles de l’absolution [10], N’est-ce pas reconnaître que trois ou quatre personnes d’une grande intégrité le jugèrent digne du bannissement perpétuel ou d’une prison perpétuelle ? Est-ce ainsi qu’un homme de bien opine contre celui qu’il croit innocent ? Enfin, j’observe que de tant de gens que le cardinal de Richelieu persécuta, qu’il fit bannir ou emprisonner, il y en eut peu qu’il mit en justice. C’est une marque qu’il ne se sentait pas assez fort pour trouver des témoins et des commissaires à sa poste ; il ne faisait donc créer des commissions, que lorsqu’il savait que la conduite d’un ennemi, celle de Saint-Preuil, par exemple, fournirait des preuves aux commissaires.

Il se présente deux objections qui méritent d’être discutées. On peut m’alléguer, 1°. qu’il ne faut point considérer comme en équilibre l’écrit de M. du Châtelet, et les deux pièces anonymes que j’ai citées ; 2°. que l’iniquité du cardinal est du moins visible en ce qu’il fit condamner à la mort un maréchal de France, pour des fautes qui ne méritaient pas une si rude punition, et qu’il laissait impunies quand les gens ne lui avaient pas déplu.

Sur la 1re. de ces deux difficultés il faut que j’observe que ce n’est pas sans raison que je prétends que l’écrit de M. du Châtelet égale les deux écrits anonymes. Je sais bien que, devant être l’un des juges, il fut récusé comme l’auteur d’une satire très-piquante contre MM. de Marillac, et que le maréchal sur la sellette lui fit des reproches très-capables de l’irriter [11]. Je sais de plus qu’il se reconnut pour bien récusé, et qu’il n’assista point au jugement, et qu’il fit dans la prison les remarques que j’ai citées ; qu’il les fit, dis-je, afin de se réconcilier avec la cour, et qu’elles servirent à le remettre en liberté [12]. C’était donc un homme, me dira-t-on, qui écrivait d’un côté pour satisfaire sa haine, et de l’autre pour gagner les bonnes grâces du cardinal de Richelieu. Mais, je je vous prie, par quels motifs prenait-on la plume en travaillant aux deux pièces que je balance avec celle de M. du Châtelet ? N’avait-on pas une extrême haine contre ce cardinal, et une passion ardente de favoriser le maréchal de Marillac ? Doit-on moins se défier d’un écrivain d’invectives que d’un écrivain flatteur ? Pensez-vous que ces fugitifs qui écrivaient à Bruxelles, pour la reine-mère [13], assurés de faire leur cour aux Espagnols en déchirant le cardinal, et animés d’une colère excessive de voir que les avantages qu’ils avaient attendus en s’attachant aux intérêts de cette reine, s’en étaient allés en fumée par la supériorité qu’avait eue le cardinal ; pensez-vous, dis-je, que ces écrivains soient plus croyables que ceux qui étaient aux gages de ce premier ministre, et qui l’encensaient ? Ce n’est point être partial que de les tenir pour aussi suspects les uns que les autres.

La satire et la flatterie sont les deux pestes de l’histoire, ce sont deux sources qui empoisonnent les relations des événemens humains ; mais on peut dire que la contagion d’une plume médisante et dirigée par la haine et par le ressentiment est plus pernicieuse à l’histoire que la contagion des panégyristes. Un des plus célèbres historiens de l’antiquité remarque, que les histoires que l’on avait de Tibère, de Caligula, de Claude et de Néron, n’étaient point fidèles, parce qu’elles avaient été écrites, ou de leur vivant, ou un peu après leur mort, celles-là par des personnes que la crainte faisait mentir, celles-ci par des personnes dont la haine toute fraîche produisait la même infidélité [14]. Il remarque en un autre lieu, que la vérité avait été corrompue d’un côté par les flatteurs des princes, de l’autre par les mécontens du gouvernement, et que les uns et les autres s’étaient fort peu mis en peine d’instruire la postérité ; car il fallait que les lecteurs se déterminassent à choisir, ou un historien officieux, ou un historien ennemi : mais on se garantit plus aisément de l’imposture d’un flatteur, que de celle d’un critique ; on se dégoûte promptement des plumes vénales, et l’on se repaît avidement de la médisance et de l’envie. On regarde la flatterie comme une lâche servitude ; et la malignité d’un écrivain comme un généreux amour de la liberté. Il est impossible de penser plus juste ; c’est pourquoi je donne ici l’original d’une observation si sensée [15] : Postquàm bellatum apud Actium, atque omnem potestatem ad unum conferri pacis interfuit ; magna illa ingenia cessêre. Simul veritas pluribus modis infracta, primùm inscitiâ reipublicæ ut alienæ, mox libidine assentandi, aut rursùs odio adversùs dominantes. Ita neutris cura posteritatis, inter infensos vel obnoxios. Sed ambitionem scriptoris facilè adverseris : obtrectatio et livor pronis auribus accipiuntur. Quippé adulationi fœdum crimen servitutis, malignitati falsa species libertatis inest. Il est certain, ordinairement parlant, que les éloges flatteurs tombent avec ceux pour qui on les avait faits, et que la postérité n’y est pas trompée ; mais qu’une histoire critique des grands, composée avec une malignité bien conduite, ne se perd pas. Cette espèce de mensonge impose bien plus que l’autre aux siècles suivans : son activité est éternelle. Les flatteurs mêmes recueillent cela comme de la manne plusieurs siècles après, et s’en servent pour relever le mérite de leurs héros. Ils les louent sans mesure ; mais pour faire accroire qu’ils n’aiment pas à flatter, ils déchirent sans miséricorde ceux qui ne sont plus en vie. Ils prennent le contre-pied des vieillards [16]. M. le Laboureur a découvert ce tour de souplesse dans quelques auteurs de son temps. Si je cherche, dit-il [17], chaque bon ou mauvais héros jusque dans son berceau, je le suivrai et je l’épierai encore dans ses actions particulières, aussi-bien que dans celles qui ont paru grandes aux yeux de son siècle : parce que c’est le seul moyen de détruire tout ce que la flatterie a érigé d’injustes monumens, et de rompre ou de déshonorer le malheureux commerce d’un grand nombre de plumes dédiées à un intérêt servile et déshonnête, qui ont l’imprudence d’adresser à la postérité ce qu’ils n’ont fait que pour une saison. Nous en avons toute sorte d’exemples, mais je n’en trouve point de plus condamnable que celui de quelques écrivains assez modernes, qui pour feindre d’avoir été violentés par la vérité, quand ils ont parlé à l’avantage de quelques personnes odieuses ou d’un mérite fort douteux, qui n’avaient rien de plus louable que d’être vivans et en pouvoir de leur bien faire, affectent de déchirer ailleurs les sujets les plus accomplis dont ils n’ont rien à craindre ni à espérer ; les traitent d’un style de satire plutôt que d’histoire, et répandent gratuitement sur leur mémoire tout le venin dont une lâche et avare médisance peut être capable.

Disons quelque chose sur la 2e. difficulté, et tombons d’accord qu’il y a beaucoup d’apparence que si le maréchal de Marillac n’eût point tâché de ruiner le cardinal, il n’aurait eu rien à craindre d’une chambre de justice ; et que s’il se fût attaché aux intérêts du cardinal, son péculat et ses concussions n’eussent point nui aux progrès de sa fortune. Il était peut-être moins coupable que tel et tel dont non-seulement les fautes demeurèrent impunies. Mais aussi dont les services furent amplement récompensés à la recommandation de son ennemi. Il représenta à ses juges, que tout ce dont on l’accusait consistait en faits si peu considérables, qu’on les pourrait objecter à quiconque aurait eu le moindre commandement dans les armées [18] ; et il dit, le jour de son exécution, que c’était chose étrange de l’avoir poursuivi comme on avait fait, ne s’agissant dans tout le procès que de foin, de paille, de pierres, de bois, et de chaux ; et qu’il n’y avait pas en tout cela de quoi faire fouetter un laquais [19]. M. du Châtelet réfute cela d’une manière très-forte [20] ; mais il est sûr que pour l’ordinaire ceux qui commandaient les troupes en ce temps-là se servaient de mille moyens injustes de s’enrichir. Il faut une remarque qui tend à ceci ; c’est que les fautes de ce maréchal seraient demeurées impunies, s’il n’eût encouru par d’autres endroits l’indignation de la cour. Pesez bien ces paroles[21] : « Tous les états les plus rigoureux ont souffert que les crimes communs fussent dissimulés ès personnes principales : l’éclat et le relief qu’elles ont, et les bonnes grâces du maître qui s’y joignent le plus souvent, couvrent les délits ordinaires : mais s’il arrive que la malice et la méconnaissance éteignent les faveurs qu’elles ont, elles se rendent semblables aux moindres du royaume ; leurs fautes paraissent égales, et deviennent capables des peines ordonnées contre les autres sujets. Tous les hommes employés aux grandes charges n’y viennent que par la grâce du souverain, en la main de qui toutes les lois sont des feux éclatans, pour remplir de lumière ceux qu’il lui plaît, et consommer les autres, quand bon lui semble. Les rencontres des larcins et des mauvaises intrigues ont accablé celui-ci. » Cela veut dire que l’on eût fermé les yeux sur de semblables concussions commises par un autre maréchal de France dont le reste de la conduite eût tendu au bien de l’état ; mais que les factions de celui-ci ne tendant qu’à semer la division dans la famille royale, au profit des Espagnols[22], on se crut en droit de l’abandonner aux rigueurs de la justice. Parlons franchement. Ceux qui formèrent des factions auprès de Marie de Médicis étaient indignes d’excuse ; car, au lieu d’entretenir cette princesse dans la passion de dominer, on devait lui conseiller de se tenir en repos. Elle avait assez goûté de la royauté pendant la vie de son mari, et jusques à la majorité de son fils. Le voyant majeur et marié, elle ne devait plus songer qu’à la condition tranquille d’une reine douairière, sans vouloir prescrire à Louis XIII le choix de tels ou de tels ministres, et se quereller avec eux. Je crois qu’on eût pu lui appliquer ce que Tibère dit un jour à la veuve de Germanicus : Vous comptez pour une injure tout ce qui vous empêche de régner : Nurum Agrippinam, post mortem mariti, liberiùs quiddam questam, manu apprehendit : græcoque versu, si non dominaris, inquit, filiola, injuriam te accipere existimas[23]. La Gazette de Paris content une chose singulière touchant les raisons qui engagèrent le roi à n’accorder point de lettres de grâce en cette rencontre. La mort du maréchal de Marillac, (c’est ainsi que le gazetier s’exprima dans l’article de Bruxelles, daté du 15 mai 1632) fait ici parler diversement. Toutefois la plus constante opinion est que ceux qui ont écrit, sous les noms de la reine-mère et de monsieur, les lettres pleines de menaces adressantes à ses juges pour les intimider, au lieu de lui servir, ont été causes de sa ruine. D’autant qu’elles ont empêché le roi de lui donner sa grâce, et comme contraint sa majesté de l’abandonner à sa justice, au lieu des effets de sa clémence, qu’il eût éprouvée si sa majesté n’eût appréhendé avec grande raison qu’on imputât à faiblesse et à crainte, ce qui n’eut été dû qu’à sa miséricorde[24]

Quant à la question, si le péculat peut être puni du dernier supplice, je vous renvoie à monsieur du Châtelet[25], qui a soutenu que le jugement du maréchal de Marillac n’excéda point la rigueur des lois. C’est un article qu’on a de la peine à lui passer ; et l’on approuverait beaucoup mieux qu’on ne l’approuve ce jugement-là, si on le trouvait conforme à celui qui fut rendu à monsieur de Fouquet. On publia au temps du procès de celui-ci un savant ouvrage sur le péculat.

Si l’on considère qu’encore aujourd’hui il se trouve des auteurs qui décident pour l’innocence de monsieur de Marillac [26], on ne trouvera pas mal convenables à un dictionnaire critique les discussions que je viens de proposer dans toute cette remarque ; car il est plus utile qu’on ne se figure d’accoutumer ses lecteurs à ne se pas laisser entraîner aux jugemens populaires sur la conduite des souverains. Il est surtout dangereux de s’y tromper lorsqu’on apprend que les opinions communes se fortifient par je ne sais quels apophthegmes débités sous un grand nom. Nous voici dans le cas : lisez ce qu’un habile homme vient de publier. « Ce fut sous prétexte de péculat, que le cardinal de Richelieu fit couper la tête au maréchal de Marillac. On alléguait contre ce seigneur, qu’il avait employé les deniers du roi en de superbes bâtimens dans sa belle terre de Tournebu. Cette belle terre, d’environ deux mille livres de rente, est située en Normandie sur le bord de la Seine, entre Vernon et Andely. M. de Marillac, qui la tenait de ses pères, avait entrepris d’y bâtir une maison d’environ dix ou douze mille écus, qu’il a laissée imparfaite. Un jour le prince de Condé, aïeul de M. le prince d’aujourd’hui, passant devant cette magnifique maison à moitié bâtie, et qui n’a ni portes ni fenêtres, s’arrêta tout court, et l’ayant considérée, dit aux gentilshommes de sa suite : On allègue ce bâtiment pour faire couper le cou à Marillac ; mais il n’y a pas de quoi faire donner le fouet à un page [27]. » Voyez comment on promène ce bon mot. Quelques-uns l’attribuent au cardinal de Richelieu [28], d’autres à M. de Marillac même [29], et d’autres au prince de Condé. Si ce prince parla de la sorte, il ne se piqua guère d’exactitude ; car il supposa que ce bâtiment fut la base des accusations qui firent perdre la vie au maréchal de Marillac, et peut-être que dans tout le cours du procès, il ne fut rien dit de particulier touchant la maison de Tournebu. Les juges ont bien affaire de s’informer d’une dépense à venir ; et ce serait une belle chose que de condamner un homme pour un bâtiment qui n’est pas encore fait. Mais qu’est-il besoin de dispute ? On n’a qu’à lire l’arrêt rendu par les commissaires, on verra qu’ils se fondèrent sur tout autre chose que sur un dessein de bâtiment.

(B) Il donna dans les yeux d’une fille de la reine. ] Voici la suite des paroles de M. du Châtelet [30] : « Sortie d’une branche de la maison de Médicis, auparavant que la couronne de Florence y eût entré. Elle était pauvre, médiocrement belle, et déjà divers desseins de trouver une alliance plus advantageuse avaient mal réussi. Les apparences de ne rencontrer pas mieux, et la peur, encore plus légitime pour une étrangère que pour une autre, de vivre à la suite avec cette fâcheuse qualité de vieille fille, la résolurent à l’épouser. Il est vrai que ce contrat ne fut pas bien difficile, puisqu’elle n’avait pour bien que le nom, et que son amoureux ne pouvait payer que de mine et de galanterie. Mais ils firent ensemble un fonds de grandes espérances, et joignirent aux adresses naturelles d’une Italienne élevée dans la cour, les fourbes et les détours d’un homme qui, depuis quinze ans, y avait appris tous les arts de tromper et de paraître ce qu’il n’était point. » Cette dame mourut pendant le procès de son mari. J’en vois la preuve dans le discours que le maréchal fit à ses juges. Il leur représenta les devoirs où feu la dame maréchale sa femme s’était mise pour avoir accès auprès du roi, par le moyen et la permission de M. le cardinal de Richelieu ; et il ajouta qu’elle avait été inhumainement rebutée, exilée, et pirement traitée qu’en pleine Barbarie, puisqu’elle avait été contrainte de se retirer en un village, dans une maison empruntée, où elle était morte de déplaisir, et presque sans secours [31]. Le contrat de ce mariage est du 20 de décembre 1607. Ils n’eurent point d’enfans [32].

(C) Le marquis d’Ancre, devenu maréchal de France,.... lui fit espérer une belle récompense. ] M. du Châtelet paraphrase cela malignement. Le nouveau maréchal de France, dit-il [33], prit le commandement des armées sans y aller : et pour faire croire qu’il était maître en un métier qu’il n’avait jamais appris, se fit instruire en secret par Marillac, de l’ordre et de la police de la guerre. Après un mois de conférence, ils demeurèrent tous deux si contens l’un de l’autre, et si fort satisfaits de leur courage et de leur capacité, qu’ils furent bientôt persuadés de pouvoir tout entreprendre sûrement. Ce maître d’école militaire, qui ne prétendait que se faire riche, et qui savait les moyens de profiter dans la dépense de la guerre, demanda pour première faveur à son disciple d’être commissaire général, avec un pouvoir qui lui rendait tributaires ceux qui commandaient, ou qui payaient les troupes, en leur ôtant tous les moyens de butiner sans lui. Cette belle charge, qu’il voulait rendre de si bon revenu, lui était assurée, si la mort du maréchal d’Ancre n’eût arrêté ce dessein, avec beaucoup d’autres.

(D) Il se rétablit auprès de la reine-mère, et fut fait maréchal de camp au Pont-de-Cé. ] La paraphrase qui suit n’est pas moins maligne que la précédente : « Le destin de la disgrâce, qui fait admettre et employer toutes sortes de gens, les larmes de sa femme, les avis et petits services que le parti recevait de l’autre Marillac, son frère, aide par le ministère de quelque religieuse correspondance, firent oublier toutes les choses passées. Il avait le ton et la morgue d’homme de commandement : il savait parler de retranchemens, demi-lunes, et redoutes, et se trouva là parmi tant de jeunes gens, qui les eussent mieux défendues que tracées, que faute d’autre et d’être bien connu, il fut fait maréchal de camp au Pont-de-Cé. L’expérience découvrit bientôt par l’entreprise, l’exécution et la garde des travaux, toutes également mauvaises, qu’il était beaucoup moins soldat et capitaine sur le terrain que sur le papier... La mauvaise opinion que les gens de guerre avaient eue de sa valeur en sa jeunesse, ne devint pas meilleure après la perte du combat au pont-de-Cé, qu’ils attribuèrent à son étonnement, et à son peu d’expérience [34]. » Voyez la note [35].

(E) Avec un ordre de pourvoir. aux vivres. ] « Il l’exécuta si mal, que l’appui qu’il avait de la reine-mère, et le crédit de son frère qui devenait plus puissant de jour en jour, n’empêchèrent pas qu’il ne fût accusé dès lors auprès du roi, de malversations et de larcins. Il eut recours par lettres en cette première attaque, au cardinal ; et depuis on a fait voir dans son procès, la réponse du 7 avril 1625, pleine de marques de son amitié. Elle contenait une assurance d’avoir levé de l’esprit du roi cette mauvaise impression, et lui donnait avis de se conduire si bien à l’avenir, que ces aides-là ne lui fussent plus nécessaires [36]. »

(F) Ce fut aussi le commencement de ses voleries. ] Commencement qui eut des suites continuelles, si l’on en croit notre auteur : Et se trouvera, dit-il [37], quelque publication de son innocence que l’on ait voulu faire, que désormais jusques à sa prison ; il n’a disposé, ordonné, ni traité d’aucune affaire d’argent pour sa majesté, qu’il n’y ait pratiqué tous les moyens possibles d’y profiter. Le détail qu’il donne sur cela est effroyable : on y voit des malversations si outrées et si sordides, que M. du Châtelet s’est cru obligé de satisfaire à une objection qui se présentait naturellement, vu que d’ailleurs il représentait ce maréchal comme un seigneur avide de gloire. « Il semblerait, dit-il[38], à ne prendre que l’écorce de ce discours, qu’il ne peut être fait pour un même homme : on y voit la bassesse de toutes sortes de vilenies, et les hautes pensées de l’honneur et des charges ; on y trouve aussi que Marillac a mis la main aux choses grandes, et l’a portée en même temps à la gorge des pauvres paysans pour en arracher le bien. Néanmoins il est aisé à comprendre que ce furent les fruits d’une même racine, et qu’il put être capable de ces deux extrêmes, à qui se voudra souvenir que le fond de son esprit était malicieux et superbe, et qu’il fallait pour soutenir le fait de son ambitieuse pauvreté, qu’il eut recours aux ordures qui déshonorent sa vie. Aussi qu’étant mené plus vite que ses propres espérances ne marchaient, il fut emporté par le courant impétueux de sa faction, où les femmes et beaucoup de gens incapables de la guerre eurent tant d’autorité, que lui qui prévalait de mine, de parole, et de bruit, acquit facilement l’opinion d’une grande valeur auprès d’eux, qui n’avaient aucune expérience de son métier. »

(G) Il se trouva à la défaite des Anglais dans l’île de Rhé. ] Nous allons apprendre qui fut l’auteur d’une relation anonyme qui parut en ce temps-là. « Il est remarquable que le garde des sceaux[39] se fit historien de ce qui se passa dans l’île à la défaite des Anglais, pour en faire avoir toute la gloire à son frère. Il ne voulut pas y mettre son nom, afin de rendre cette relation moins suspecte, et lui donner plus de créance contre la voix publique de tous ceux qui repassèrent après le combat. Il manqua bien de jugement, en lui faisant cette grande et seule harangue de son livre : car outre que parmi les gens de guerre il ne passait déjà que pour un homme de langue, et de peu d’effet, il justifiait le nom que les soldats lui donnèrent, de Marillac Pont-d’or, tant il avait de bonnes raisons pour ne combattre jamais. Il le fait se présenter aux ennemis pour les reconnaître, en ces termes : Qu’il en approcha malgré les salves des pelotons avancés, qu’il lui convint boire, sur quoi l’on disait à la première lecture de ce panégyrique ; qu’il les avait trouvés de mauvais goût, et qu’il n’y avait jamais tâté que cette fois-là…. En un mot, il veut qu’il soit l’auteur de toutes les actions de courage et de jugement, et ne laisse au maréchal de Schomberg que l’approbation de ses conseils, et à Thoiras les ouvertures téméraires et pleines de vengeance de la mort de ses deux frères. Néanmoins tout le monde sait qu’après cette action, que le roman de son frère lui attribue toute, il fut plus décrié qu’auparavant, etc.[40]. » Je supprime le reste ; c’est un trait trop satirique.

(H) Il fit la sourde oreille aux ordres que le roi lui donnait d’amener son arme de Champagne en Italie. ] Sa désobéissance dura « jusques au neuf ou dixième de septembre, que les exprès commandemens du roi, sous de grandes peines, le firent partir. Il mandait à ceux de Paris qu’il était là comme un bouclier pour les garantir des forces de l’empereur, qui n’attendait que son éloignement pour entrer en France. Il remplissait le royaume de lettres écrites à ses amis, contenant les causes de son retardement, qu’il excusait auprès du roi, tantôt par de fausses nouvelles, et tantôt sur l’impuissance de tirer les troupes des garnisons, sans paiement des soldats et des communautés qui les avaient nourris. Ce délai produisait un si notable dommage aux desseins du roi, que toutes les délibérations de ceux qu’il avait chargés des affaires et de l’armée delà les monts, étaient douteuses sur l’incertitude de sa venue, qu’il promettait par une dépêche, et la différait aussitôt par une autre pour des raisons frivoles et trompeuses ; et pourtant avec une telle perte d’hommes et de temps que, s’il se fût rendu aux premiers jours de juillet à Suze, ainsi qu’il était facile, et qu’il en avait le commandement, le passage de Veillane eût été sans péril, et le secours de Cazal infaillible au commencement du mois d’août. S’il eût obéi comme il le pouvait, on ne fût point tombé dans les saisons de peste et de maladie mortelle à vingt mille Français de toutes conditions, qui périrent en automne ès plaines de Piémont. L’état des assiégés et de nos troupes n’eût point forcé les généraux de consentir, en septembre, aux Espagnols, l’entrée de la ville et du château, par une trêve que le seul événement rendit excusable, et le mauvais air de Lyon, envenimé de tant d’impuretés et de misères, n’eût point mis le roi dans le péril de la mort[41]. On voit ici la confirmation d’une remarque que j’ai faite ci-dessus[42], qu’il était du bien et du service de Louis XIII, que ses troupes fussent commandées par les amis du cardinal de Richelieu ; car, n’y ayant rien de plus propre à perdre ce premier ministre que les mauvais succès de la guerre, on avait lieu d’appréhender que les ennemis de ce cardinal ne favorisassent, du moins indirectement, les ennemis de la France. Voyez de quelle manière MM. de Marillac firent en sorte que l’expédition d’Italie, dont ils le voyaient chargé, fût malheureuse[43]. Je veux croire qu’ils ne voulaient pas les prospérités des Espagnols en tant que telles, mais seulement comme le moyen de faire tomber le premier ministre. De quelque façon qu’ils les voulussent, l’intérêt de la couronne et le service de Louis XIII en souffraient.

(I) L’engagement que l’aîné de ces messieurs avait pris avec la ligue. ] Les circonstances de cela sont très-singulières. M. du Châtelet assure qu’on représenta entre autres choses au cardinal de Richelieu, qu’il ne serait pas malaisé de faire croire l’ingratitude et les déguisemens de Marillac le garde des sceaux : qu’il serait facile de persuader que celui que tout le monde a cru possédé d’une fureur si étrange que de signer la ligue de son propre sang ; qui voulut de Français être fait Espagnol ; qui de conseiller au parlement de Paris, devint recors d’un procureur, pour emprisonner la plus illustre compagnie du monde ; qui se départit de sa prétention de gentilhomme pour être député du tiers-état de la ligue, quoiqu’il fût officier en cour souveraine ; qui de conseiller lai se fit assistant comme clerc à la fulmination de la bulle contre son roi ; et qui de ligueur forcené devint domestique de la duchesse de Bar, et son confident jusques au prêche ; aurait pu prendre, en cette occasion, tous les visages, Les changemens et les résolutions les plus convenables à sa passion[44]. L’auteur qu’on réfute avait dit que le maréchal de Marillac recommanda à son neveu de servir toujours bien le roi, après Dieu toutefois. M. du Châtelet critique cela. Sur quelle autre modification, dit[45], était fondée la rébellion de la ligue ? Bussy le Clerc, Spartaque de notre âge, animé par la présence et la fureur de maître Michel de Marillac qui l’assistait, usa-t-il d’un autre prologue pour arracher le sénat de son siége, et le traîner à la prison ?

(K) On voit dans le Moréri que... sa mémoire fut rétablie..….... après la mort de Richelieu. ] Les mémoires de M. de Puységur, cités dans le Dictionnaire de Moréri, portent que le jour même que le maréchal fut arrêté, le capitaine de ses gardes lui proposa de le faire sauver, et que le maréchal répondit que quand il le pourrait, il ne le ferait pas ; qu’il ne craignait rien : qu’il avait toujours été serviteur du roi ; et qu’il lui ordonnait de bien servir, et de dire à tous ses amis d’en faire de même[46]. M. de Puységur débite cela comme l’ayant su depuis par M. de Marillac. en le gardant à Pontoise. Ceux qui liront ce qu’il rapporte quatre pages après, ne jugeront pas que le Moréri nous instruise fidèlement, ni que M. de Marillac n’ait jamais eu intention de se sauver. Le roi voulut savoir de M. de Puységur s’il voulait répondre de ce maréchal, et le conduire dans la grande salle du vicariat de Pontoise. Je dis, ce sont les paroles de M. de Puységur [47], que je n’en pouvais pas répondre ; que M. le garde des sceaux de Marillac y avait une fille religieuse, qui était fort puissante et fort aimée ; que je ne voulais pas me hasarder de le mener là ; et qu’il y avait encore une autre raison qui m’en empêchait, que je ne lui voulais pas dire, et que le roi a sue depuis, qui était que, par l’intrigue de cette religieuse et de la reine-mère, M. d’Argouges, qui était à elle, m’avait voulu donner cent mille écus pour mettre M. de Marillac en liberté.

L’autre observation de Moréri, savoir que le parlement de Paris a rétabli la mémoire du maréchal de Marillac, pourrait renverser ce que j’ai dit dans la première remarque de cet article, si ce parlement avait revu le procès, et déclaré que les juges qui condamnèrent le maréchal l’avaient opprimé volontairement, ou avaient été trompés par de faux témoins. Mais je ne saurais me persuader que l’arrêt du parlement de Paris contienne rien de semblable. J’avoue que je n’en sais point la teneur, et que je ne me souviens point d’avoir vu de livre, excepté le Dictionnaire de Moréri, où il soit fait mention de cela. Le père Anselme n’en dit rien ; et cependant c’était un homme qui cherchait à obliger les familles dont il parlait. Le sens commun dicte que si le parlement de Paris avait déclaré le maréchal de Marillac innocent de tous les crimes pour lesquels il avait été condamné à mort, c’eût été imprimer une note d’infamie à ceux qui le condamnèrent, et principalement à M. de Châteauneuf, leur président. Cette flétrissure eût été si noire, si honteuse, si abominable, qu’on ne comprend pas que M. de Châteauneuf eût pu se montrer aux yeux du public : et néanmoins ce fut après la mort du cardinal de Richelieu, c’est-à-dire au temps où, selon Moréri, la mémoire du maréchal de Marillac fut rétablie, qu’il se releva de sa disgrâce : et il faut même remarquer qu’il fut élevé, pour la seconde fois, à la dignité de garde des sceaux, l’an 1650 [48]. Voyez la note [49]. Je croirais donc aisément que l’arrêt dont M. Moréri parle ne concerne point les faits mêmes dont le maréchal fut accusé, mais seulement la procédure. Elle ne pouvait être que désagréable au parlement : car l’érection d’une chambre extraordinaire pour juger les officiers de la couronne, était quelque chose d’irrégulier et contre les droits des parlemens. Outre que le maréchal de Marillac avait souvent déclaré qu’il ne reconnaissait point pour ses juges naturels les commissaires qui lui faisaient son procès. Cela fournissait au parlement de Paris une raison spécieuse de prononcer que ce maréchal avait été mal jugé ; mais ce n’est point une preuve qu’on le déclarât innocent des crimes sur quoi la condamnation était fondée. Voici un exemple convaincant de ce que je dis. Après la bataille de Rocroi et la prise de Thionville, la cour, voulant marquer sa reconnaissance au duc d’Enghien, rendit à M. le prince de Condé la belle maison de Chantilly, et d’autres dépouilles de la succession du duc de Montmorenci, duquel madame la princesse de Condé était héritière. L’arrêt du parlement de Paris intervenu sur les lettres de Don, porte expressément que le duc de Montmorenci n’avait pas été bien jugé ; ce qui est fondé sur une des plus constantes maximes du royaume, que les ducs et pairs ne peuvent être jugés que par le roi en personne, et dans sa cour de parlement, garnie suffisamment de pairs, clercs et lais [50]. Selon ces maximes, le maréchal de Biron n’aurait pas été bien jugé, car Henri IV n’assista point en personne au jugement. Mais, laissant toute chicane, contentons-nous d’observer que ce qui fut inséré en faveur de M. de Montmorenci dans l’arrêt du parlement de Paris, n’empêche pas que sa rébellion ne doive passer pour très-certaine, et ne peut donner aucune atteinte à la probité de ses juges. Ils étaient incompétens, si l’on veut ; mais ils prononcèrent selon les lois, et contre un accusé effectivement et réellement coupable. Il arrive assez souvent que les juges subalternes font des procédures irrégulières qui sont cassées par les tribunaux supérieurs sans que l’accusé y gagne rien, si ce n’est peut-être un peu de temps : on refait les procédures avec les formalités requises, et il se trouve dûment convaincu, et la première sentence est confirmée quant au fond.

Notez que je ne veux pas nier que la mémoire de quelques personnes punies du dernier supplice n’ait été quelquefois réhabilitée de telle sorte que cela portait une déclaration juridique de leur innocence ; mais pour l’ordinaire ce sont des suites d’une révision du procès, fortifiée de nouvelles pièces justificatives et de preuves convaincantes de la corruption ou de la précipitation des juges. Sans cela le rétablissement de la mémoire des suppliciés n’est autre chose qu’une grâce accordée aux bons services que l’on a reçus ou que l’on attend d’une famille considérable. C’est une consolation qu’on lui procure, et une espèce de barrière qu’elle pourra opposer aux reproches insultans de ses ennemis. Je ne saurais dire bien précisément quelle fut l’espèce de la réhabilitation que voici : « L’an 1549, un peu après la mort du roy François premier, messire Jacques de Coucy, seigneur de Vervin, lieutenant du roy à Boloigne, et messire Odoart de Diez, mareschal de France, son beau-pere, furent condamnés, celui-là à mort, comme ayant mal defendu Montreuil contre l’Anglois ; l’autre desappointé de son estat de marechal, comme ayant trahi et rendu Boloigne au roy Henry d’Angleterre. Ces deux seigneurs furent declarez innocens, l’an 1577, du règne d’Henry troisiesme, à la poursuite de messire Jacques de Coucy, fils dudict seigneur de Vervin, et petit-fils dudict seigneur mareschal de Biez ; et la vérification et publication de leur innocence en fut faicte en jugement à la ville de Boloigne le quatorzieme de juin [51]. »

Avouons les choses comme elles sont : les lettres patentes, les édits, les arrêts des princes, contiennent souvent des honnêtetés, qui, à proprement parler, ne sont que des complimens, et qu’il ne faut interpréter qu’à la manière des complimens. Croyez-vous qu’Henri III parlât selon sa pensée, lorsqu’il déclarait [52] que le duc d’Alençon, son frère, le roi de Navarre, son beau-frère, le prince de Condé, et tous les autres seigneurs, chevaliers, gentilshommes, officiers et habitans de son royaume, qui avaient eu part aux derniers troubles, avaient été en cela ses bons et loyaux sujets et serviteurs, et qu’il témoignait d’être bien et dûment satisfait et informé de la bonne intention dudit duc d’Alençon, et n’avoir été par lui, ni par ceux qui y sont intervenus, ou qui s’en sont en quelque sorte que ce soit mêlés, lant vivans que morts, rien fait que pour son service ? Croyez-vous que Louis XIII parlât plus sincèrement, lorsqu’il déclara [53] qu’il croyait et estimait que ce qui avait été fait par le prince de Condé et par ceux qui l’avaient suivi, avait été à bonne intention et pour son service ? Pareilles clauses se mettaient régulièrement dans tous les édits de paix depuis la première guerre civile de religion sous Charles IX [54], et sont devenues un formulaire dont on se servira toutes les fois que les besoins de l’état le demanderont. Les chefs de parti, dans une guerre civile embarrassante, capitulent pour l’ordinaire si heureusement pour leurs intérêts, qu’ils emportent ou un bâton de maréchal, ou le cordon bleu, ou un gouvernement de place, outre, je ne dirai pas des lettres d’abolition, mais des lettres où l’on déclare que l’on est persuadé que ce qu’ils ont fait a été pour le service du roi. Ni le prince qui parle, ni le secrétaire d’état qui dresse l’écrit, ni le chancelier qui le scelle, n’en croient rien : cependant la nécessité des temps les force à s’exprimer de cette façon. Mais personne ne prend cela au pied de la lettre ; on continue de dire ou de penser que ces gens-là ont porté les armes contre le service du roi, et ont été de francs rebelles. Le reste passe pour des complimens sous le grand sceau, et pour des mensonges de chancellerie.

Ce que font les rois dans leurs édits et dans leurs déclarations se fait aussi quelquefois dans un parlement, ou par leur ordre, ou à leur recommandation, ou sans qu’ils s’en mêlent. Je veux dire qu’on y rétablit la mémoire des personnes, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, dans la vue que cela serve aux parens à telle fin que de raison ; mais les juges qui ont condamné ne se tiennent point pour flétris, et ne sont pas considérés comme punissables, à moins que l’arrêt de rétablissement ne soit fondé sur la révision des pièces, et n’ordonne que le procès soit fait et parfait incessamment à ces juges-là ou aux témoins. Je ne pense pas qu’il y ait personne qui ose dire que le parlement de Paris ait rien ordonné de semblable contre M. de Châteauneuf, ni contre ses assesseurs, ni contre cette multitude de témoins qu’ils examinèrent et qu’ils récolèrent. Si M. Moréri avait cité quelques auteurs, il m’aurait bien soulagé, et m’aurait peut-être mis en état d’apprendre que tout ce que je viens d’observer est inutile. Voyez la note[55]. Il faut avouer que, dans les matières historiques, ceux qui citent bien et beaucoup abrégent extrêmement le chemin de l’instruction.

  1. On écrit ceci en octobre 1700.
  2. Voyez, tom. IX, pag. 449, citation (41) de l’article Louis XIII.
  3. Tom. VI, pag. 394, remarque (A) de l’article Fannius.
  4. Voyez l’Histoire de l’Académie Française, pag. 246, 247, édit. de Paris, 1672.
  5. Voyez, tom. VII, pag. 200, la remarque (F) de l’article Grandier.
  6. Voyez, à la fin des Mémoires de Montrésor. les avis et les instructions que le cardinal de Richelieu donnait touchant ce procès, et la conduite que tinrent les juges.
  7. Voyez les mêmes Mémoires de Montrésor.
  8. Notez qu’on ne donne pas ceci pour règle : on sait bien qu’il est arrivé à plusieurs juges de se laisser corrompre ; on s’arrête ici aux circonstances de ce procès particulier.
  9. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation du maréchal de Marillac, pag. 806, 807. du Recueil de diverses pièces pour servir à l’Histoire, édition de 1643, in-4°.
  10. L’Esprit bienheureux du maréchal de Marillac, pag. m. 60.
  11. Voyez la Relation du procès et condamnation du maréchal de Marillac, pag. 7.
  12. Voyez l’Hist. de l’Acad. française, p. 248.
  13. Notez que les deux pièces anonymes dont je parle sont imprimées dans le Recueil des Pièces pour la Défense de la reine-mère.
  14. Tiberii, Caiique, et Claudii, ac Neronis res, florentibus ipsis, ab metum falsæ ; postquàm occiderant, recentibus odiis compositæ sunt. Tacit., Annal., lib. I, cap. I.
  15. Idem, Histor., lib. I, cap. I.
  16. Horace, de Arte poeticâ, vs. 173, dit que les vieilles gens louent le passé et blâment le présent.

    ....... Laudator temporis acti,
    Se puero, censor, castigatorque minorum.

  17. Le Laboureur, préface de l’Histoire de Charles VI, folio ciij verso. Conférez ce qui est dit dans les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1686, art. I, à la fin.
  18. Relation du Procès du maréchal de Marillac, pag. 8.
  19. Là même, pag. 18.
  20. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de M. de Marillac, p. 821, 822.
  21. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de M. de Marillac, p. 804, 805.
  22. Après toutes les lumières et les fortes conjectures que sa majesté put avoir, qu’il était en partie coupable des troubles et de la division qui se commençait en France pour le seul avantage des étrangers, un autre que ce fidèle historien, ou quelqu’un de ses complices, trouvera-t-il injuste qu’on l’ait poursuivi de cette sorte ? Là même, pag. 823.
  23. Sueton., in Tiberio, cap. LIII.
  24. Gazette de Paris, du 24 de mai 1632, pag. 24, édition de Rouen, in-8o .
  25. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de M. de Marillac, p. 807 et suiv.
  26. Voyez, tom. IX, pag. 448. citat. (35) de l’article de Louis XIII, ce que j’ai cité des Mémoires d’Artagnan, et joignez-y ces paroles de la page 50 du même livre : Le maréchal de Marillac, quoiqu’il ait péri malheureusement, n’en est pas moins recommandable par mille honnêtes (lisez parmi les honnêtes) gens qui savent de quelle manière arriva son malheur.
  27. Vigneul Marville, Mélanges d’Histoire et de Littérature, tom. II, pag. 15, édition de Hollande, 1700.
  28. Voyez, tom. IX, pag. 449, citat. (42) de l’article Louis XIII.
  29. Voyez ci-dessus, citation (19).
  30. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 770, 771.
  31. Relation véritable de ce qui s’est passé au procès du maréchal de Marillac, pag. 8 et 9.
  32. Le père Anselme, Histoire des grands Officiers, pag. 252.
  33. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 771.
  34. Là même, pag. 772.
  35. Notez que le Pont-de-Cé, place sur la Loire, fut attaqué et pris par le roi, le 8 d’août 1620, sur les troupes de la reine mère, qui s’était déclarée pour les mécontens. [D’Avrigny. cité par Joly, prétend que la prise du Pont-de-Cé est du 7 août.]
  36. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 773.
  37. Là même.
  38. Là même, pag. 793.
  39. C’est-à-dire Michel de Marillac, frère de celui dont il s’agit dans cet article.
  40. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 779.
  41. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 793.
  42. Tom. IX, pag. 464, remarque (X) de l’article Louis XIII.
  43. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 789.
  44. Là même, pag. 796, 797. Voyez aussi pag. 787 et 836.
  45. Là même, pag. 839.
  46. Puységur, Mémoires, pag. 83, édition de Hollande.
  47. Là même, pag. 87.
  48. Anselme, Histoire des grands Officiers, pag. 105.
  49. Le prince de Condé se souvenant que M. de Châteauneuf avait présidé au jugement de Montmorenci (conférez ce que dessus, remarque (G) tom. IX de l’article de Louis XIII, au commencement), le traversait autant qu’il pouvait, et lui fit enfin ôter les sceaux. Voyez Priolo, lib. V, cap. XVI et XXIX, et alibi. N’aurait-il pas allégué, s’il l’avait pu, l’infamie dont le parlement de Paris l’aurait noté ?
  50. Auberi. Histoire du cardinal Mazarin, liv. II, pag. 208.
  51. Richeome, Plainte apologétique, num. 50, pag. 184, 185.
  52. Édit de l’an 1576, art. XLIX, LIII.
  53. Édit du mois de mai 1616, art. XVII.
  54. Voyez M. Daillé, Réplique à Adam et à Cottiby IIe. part., chap. XVIII, pag. m. 112, 113.
  55. Balzac, dans la XIIIe. lettre du Ier. livre à M. Conrart, datée du 30 avril 1650, fait mention d’une lettre qu’il avait écrite à un gentilhomme de Languedoc, dans laquelle, dit-il, j’ai parlé de la révision du procès de M. le maréchal de Marillac, bien que personne n’y soit nommé. J’avoue que je ne sais pas ce qu’il entend par cette révision-là. Il me manque une infinité de livres et de mémoires dont j’aurais besoin.

◄  Marillac (Charles de)
Marinella, ou Marinelli (Lucrèce)  ►