Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Molsa 2

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MOLSA (Tarquinia), petite-fille du précédent, a été une des plus illustres dames de son siècle. Son esprit et son savoir, accompagnés des grâces du corps étaient soutenus par une grande vertu (A). Ayant perdu son mari sans en avoir eu des enfans [a], elle ne voulut jamais se remarier, quoiqu’elle fut encore fort jeune : elle marqua si vivement sa douleur, qu’elle mérita d’être comparée avec Artémise (B). Son père ayant reconnu qu’elle était née pour les sciences, la fit instruire par les plus excellens maîtres qu’on pût trouver (C). Elle fut extrêmement considérée à la cour du duc de Ferrare : en un mot, son mérite eut tant d’éclat, que la ville de Rome la gratifia d’un privilége dont on n’avait point d’exemples ; ce fut celui de la bourgeoisie romaine (D). Vous trouverez le détail de toutes ces choses dans les remarques.

  1. Hilar. de Coste, Élog. des Dames Illustr. tom. II, pag. 800. Il ne fait que traduire, l’Élog. de cette dame, composé par Pierre-Paul de Ribéra.

(A) Son esprit et son savoir, accompagnés des grâces du corps, étaient soutenus par une grande vertu. ] François Patrice, l’un des plus savans personnages de ce temps-là, est ma caution ; car voici ce qu’il lui écrit, après avoir étalé toutes les choses qu’elle savait. His tot tantisque ingenii ornamentis comites sese addiderunt nobilitas generis, pulchritudo eximia, mores animi insignes, pudicitia singularis [1]. Un chanoine de Latran a donné à cet éloge plus d’étendue : Elle était naturellement aimable, dit-il [2], et d’une rare beauté ; de sorte qu’étant en un âge plus avancé, son visage, sa gentillesse, et sa bonne grâce firent paraître que le dire d’Euripide est véritable : Que non-seulement le printemps, mais aussi l’automne des vraies beautés est agréable : toutefois les perfections de l’esprit surpassèrent beaucoup celles du corps, ayant égale les plus célèbres personnages en vertu et en doctrine. Elle n’a pas aussi été à aucune emme en honnêteté et en modestie, dont elle a fait toujours profession, avec d’autant plus de gloire et d’avantage, qu’elle a été honorée de la visite des plus excellens hommes de diverses nations [3], qui ayant ouï faire un grand récit de ses rares vertus, et de ses mérites, ont voulu satisfaire à leur curiosité et sont venus de bien loin pour la voir et lui parler, comme à une merveille de son siècle. Cette vanité, qui flatte si doucement l’esprit de son sexe, n’a jamais touché le sien : au contraire, elle fuyait avec une grande sagesse et modestie Les occasions qui la pouvaient faire paraître ; préférant une vie retirée du monde, à l’état que ses qualités extraordinaires lui pouvaient apporter ; le tempérament qu’elle y avait trouvé ne sentait ni la présomption de soi-même, ni le mépris d’autrui. Ces paroles sont du minime Hilarion de Coste ; mais elles ne sont que la traduction de l’italien du chanoine de Latran. Appliquez ceci aux citations que vous allez lire de ce même moine.

(B) Elle mérita d’être comparée avec Artémise. ] J’en parle ainsi sous la caution d’un grand philosophe : Proh dolor ! dit-il [4], postquàm maritus tuus Paulus Porrinus, virorum optimus ad superos migravit, Musas omnes ac Gratias, luctu ac tenebris obduxisti. Artemisiam alteram te factam dolemus. Fuit quidem illi tibi maritus incomparabilis. Sed et tu uxor illi incomparabilis et admiranda. Da locum prudentiæ, ac fortitudini tuæ, da finem lachrymis. L’épître dédicatoire dont j’ai tiré ces paroles n’est point datée ; mais le livre où elle se trouve fut imprimé à Bâle, l’an 1581.

(C) Son père..... la fit instruire par les plus excellens maîtres qu’on put trouver. ] « [5] Camille Molsa, chevalier de ordre de Saint-Jacques d’Espagne, qui était fils du grand François-Marie Molsa de Modène, orateur et très-excellent poëte latin et italien...ayant remarqué dès sa jeunesse la bonté et l’excellence de son esprit, l’envoya avec ses frères pour apprendre les principes de la grammaire. Jean Politiano, natif de Modène, très-docte en toutes les sciences, très-vertueux et de sainte vie, fut son maître. Elle apprit encore les lettres humaines, à bien écrire, et à composer correctement sous la conduite de Lazare Labadimi, célèbre grammairien de ce temps-là, comme elle l’a élégamment réduite en pratique par ses compositions en prose et en vers latins. Elle se rendit savante en la rhétorique d’Aristote sous Camille Corcapani. Le mathématicien Antoine Guarini, lui enseigna la sphère. Elle apprit la poésie de François Patricio, philosophe fameux, la logique et toute la philosophie de P. Latoni, et du même, l’entière et la parfaite connaissance de la langue grecque. Rabbi Abraham lui enseigna les principes de la langue hébraïque. L’aïeul de ce rabbin avait appris la même langue au grand Molsa, l’aïeul de Tarquinie, ensuite de quoi, par ses propres soins et l’inclination que ces grands hommes voyaient en son esprit pour l’étude, elle y fit un notable progrès, jusque-là que les plus subtiles questions de la théologie ne lui étaient point difficiles. Jean-Marie Barbier, homme de grand savoir et fort judicieux, la forma dans la politesse de la langue toscane, en laquelle elle a non-seulement composé plusieurs vers faciles et élégans, mais aussi diverses lettres et autres œuvres fort estimées par les plus polis et les plus savans d’Italie. Avec ses inventions particulières elle a mêlé quantité de traductions d’œuvres grecques et latines, dans lesquelles elle a exprimé si heureusement et si proprement les pensées des auteurs, qu’elle a mis ses lecteurs en doute si elle n’avait pas une plus parfaite connaissance de ces langues-là que de la sienne propre. Elle commença à apprendre la musique pour s’entretenir et divertir de ses études plus sérieuses ; de sorte qu’elle surpassa de beaucoup toutes les dames qui avaient chanté avec un grand applaudissement et ravi les oreilles d’admiration. La conduite de sa voix, qu’elle avait acquise par les vraies règles des bons livres et des meilleurs auteurs, dont plusieurs ont eu cette louable ambition de lui pouvoir montrer quelque chose rare de cette profession, comme firent entre autres Giaches d’Uverto, Lusasco Lusachi, et Horace, dit de la Viole, duquel instrument outre le luth Tarquinia avait coutume de jouer une partie, y joignant une autre avec sa voix, et avec tant d’adresse et de science, que l’on n’en saurait pas souhaiter davantage, si bien qu’Alfonse II, duc de Ferrare [6], prince très-judicieux, et qui avait une extrême passion pour toutes les belles et les bonnes choses, demeura ravi d’admiration, ayant trouvé beaucoup plus de merveilles en cette dame que l’on ne lui en avait pas rapporté. Peu après elle institua ce célèbre concert des dames qui l’ont grandement respectée, et après la mort de son mari lui ont fait l’honneur de l’appeler toujours en leur compagnie, afin que par sa présence elle perfectionnât ce chœur de musique qu’elle avait si bien commencé. » Ces paroles d’Hilarion de Coste sont traduites de l’italien d’un chanoine régulier de Saint-Jean de Latran [7]. Il ne marque pas assez bien ce que Patrice enseigna à cette dame. C’est pourquoi je rectifie sa narration par les paroles de Patrice même, qui nous apprennent qu’il lui enseigna la langue grecque, et qu’il lui fit lire Platon. Tout ce qu’il dit à la louange de Tarquinia, par rapport à l’érudition, mérite d’être rapporté, et peut servir de supplément à la narration de Ribéra. Non tu, dit-il [8], ut aliæ solent, summis labris libros attigisti. Tu non modò Hetruscam politissimam linguam, sed latinam, sed græcam, optimè calles. Tu in hâc non modò historicos atque oratores, sed et philosophos, sed et Platonem ipsum, Jovis eloquium æmulantem, sed et poëtas quoslibet, sed et Pindarum, sine hæsitatione ullâ, et legis et intelligis. Hanc tu, quôd omnium hominum admirationem vincat, in Platone, tribus mensibus me prælegente edidicisti. Tu in Latina omnium generum carmina pangis, in Hetrusca poemata condis, quam salita, Jupiter, atque arguta ! Tu logicas omnes spinas demetisti. Tu moralem philosophiam, Plutarchicam, Aristotelicam, Platonicamque obibisti. Tu magnos profectus in physiologiâ fecisti. Tu theologiam catholicam, toto pectore hausisti. Quid musicen omnis generis referam ? In quâ te omnis, non modò musicorum, sed et musarum chorus et admiratur, et stupet. Te ne virorum quidem ullus in musicâ præstantissimorum, non modò non superat, sed nec adæquat. Cùm ad hendecachordum canis, cùm acutam gravemque eodem utramque tempore, alteram ad lyram pulsas, alteram cantas, gratiæ te omnes ornant, circumstant, stupescuntque. Quas utinam possem ita exprimere, ut qui hæc legeret, te audire putaret. Sed, Dii boni ! quæ eloquentia ? quæ argutiæ ; qui sales ? quæ jucunditas in conversando, quæ humanitas, quæ urbanitas ? Longè meritò judiciosissimus Benedictus Manzolius civis tuus, et episcopus regiensis te, non solùm patri tuo Camillo viro eloquentissimo, sed etiam avo tuo, viro usquéquaque magno Francisco Mario Molziæ audet præferre.

(D) La ville de Rome la gratifia… de la bourgeoisie romaine. ] « [9] Tout l’univers a donné un applaudissement. universel à ses mérites, mais particulièrement le sénat et le peuple romain, par un authentique témoignage et reconnaissance, l’ayant, dans un décret du sénat (où il est fait mention de toutes ses qualités et de ses mérites) honorée du titre d’Unique, lui donnant à elle le droit de citoyenne romaine, et à tous ceux de la maison de Molsa, comme vous verrez par les paroles de ce privilége et de cette patente.... Quod Fabius Matheus Franciscus Soricius Equ. Dominicus Coccia Cons. de Tarquiniâ Molsâ Mutinense Camilli filiâ civitate romanâ donanda ad senatum retulêre S. P. Q. R. de eâ re ita fieri censuit. Etsi novum atque inusitatum est in civium numerum à senatu fœminas cooptari, quarum virtus, ac fama domesticorum parietum finibus contineri cùm debeat, rarò publicis in negotiis usui reipublicæ esse solet ; tamen si aliqua inter eas unquàm extiterit, quæ non solùm cæteras sui ordinis, sed viros etiam virtutibus penè omnibus supergrediatur, æquum est, ut novo exemplo, novique inusitatisque meritis, novi itidem honores inusitatique persolvantur. Cùm itaque Turquinia Motsa Mutinæ antiquissima ac florentissima populi romani colonia, Camillo patre in equitum ordinem D. Jacobi ab Hispaniæ regibus institutum, ob merita ac nobilitatem adjecto, genita [10], celebres illas romanas heroinas æmuletur, virtutibusque exprimat, ut ei nihil prater patriam romanam deesse videatur, ne hoc unum ad absolutam ejus gloriam desiderari possit, senatus populusque romanus civitate donandam censuit, etc. Ribéra n’a mis que ces paroles latines dans l’éloge de Tarquinia Molsa, et toute cette patente en italien, où sont rapportées toutes les qualités et les études de cette héroïne, la noblesse de sa maison, et les faits de ses ancêtres dont j’ai parlé ci-dessus. Le décret a été rendu au Capitole, le 8 décembre M. D. C., Curtio Martolo étant pour lors chancelier du sénat et du peuple romain, Angelo Fosco, chancelier du sénat et du peuple. »

  1. Franciscus Patricius, in epist. dedicatoriâ tertii tomi Discussion. Peripateticarum.
  2. Pierre Paul de Ribéra, ubi infrà, citat. (7). Selon la version d’Hilarion de Coste, Élog. des Dames illustres, tom. II, pag. 800.
  3. Confirmons cela par ces paroles de François Patrice, discussionum peripateticarum epist. dedicatoria : Elegantes ac docti viri quique non cives tantùm tui, sed quotquot Italia, quotquot Europa protulit, Mutinam visunt, ut te Mutinæ visant, ut mirentur, ut colant, cerebrum Jovis penè supremi alteram Minervam.
  4. Francisc. Patricius, ibid.
  5. Hilar, de Coste, Éloges des Dames illustres, tom. II, pag. 799, 800, et suiv.
  6. Confirmez cela par ces paroles de Patricius, ubi suprà, citat. (3). Quanti te serenissimus Alphonsus Atestinus II princeps noster ? Quanti te principes mulieres Lucretia atque Leonora, sorores ejus faciunt ?
  7. Nommé Pierre Paul de Ribéra de Valence. Il a fait l’éloge de notre Tarquinia dans le XIVe livre d’un ouvrage qui a pour titre : Le Glorie immortali de’ Triomli, ed heroiche imprese d’ottocento quaranta cinque donne illustri antiche e moderne, dotate di conditioni e scienze segnalate : Cioè in sacra scrittura, theologia, profetia, filosofia, retorica, grammatica, medicina, astrologia, leggi civili, pittura, musica, armi, ed in altre virtu principali.
  8. Patricius, epist. dedicat. Discuss. Peripatetic.
  9. Hilar. de Coste, Éloge des Dames illustres, tom. II, pag. 802, 803.
  10. Hilarion de Coste a traduit ceci misérablement : Et parce, dit-il, que Tarquinia Molsa, native de Modène, (ancienne et florissante colonie du peuple romain) et qui pour ses mérites et sa noblesse a été fille de Camille, chevalier de l’ordre de Saint-Jacques, institué par les rois d’Espagne.

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