Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Morlin

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MORLIN (Joachim), sectateur rigide de Luther (A), naquit l’an 1514. Il fit les fonctions de ministre en divers lieux [a], et nommément à Arnstad, d’où les magistrats le chassèrent, l’an 1543 [b], à cause qu’ils ne s’accommodaient pas de son zèle trop ardent (B). Il fut appelé à Konigsberg dans la Prusse, pour y être professeur ; et il y fut le tenant contre Osiander, qui soutenait une doctrine nouvelle sur la justification. Il combattit cette nouveauté avec une ardeur extrême et par ses écrits et par ses sermons ; mais il succomba sous le crédit de son adversaire, qui le fit chasser de la Prusse, l’an 1552, nonobstant les intercessions du peuple [c]. Il se retira à Brunswick, où il fut donné pour collègue au fameux Chemnice. Il se mêla dans les disputes du temps (C), et il fut de presque toutes les conférences où l’on agita les matières du franc arbitre, et de la nécessité des bonnes œuvres, etc. Il retourna dans la Prusse, l’an 1566, et y fut créé évêque de la province de Sambie, par le roi de Pologne, Sigismond Auguste, et par Albert, duc de Prusse, qui n’était plus infatué de son Osiander. Il exerça cette charge tout le reste de sa vie, et mourut l’an 1571, ayant voulu se faire tailler contre l’avis de ses médecins. Il publia plusieurs livres [d] (D), et laissa un fils aussi amateur que lui des disputes théologiques (E). J’ai oublié de dire que, quand il fut reçu docteur en théologie à Wittemberg, l’an 1540, on lui proposa une question que Luther avait dressée, touchant l’usage des biens d’église (F).

  1. Melch. Adam., in Vit. Theol. p. 456.
  2. Seckendorf, Hist, Lutheran., lib. III. pag. 468, num. 9. Voyez aussi Micrælius, Syntagm. Hist. Eccles., pag. 771.
  3. Etsi plebs ad principem pro eo supplex intercederet. Melch. Adam., in Vit. Theol., pag. 456.
  4. Tiré de Melch. Adam., Vit. Theologor., pag. 456.

(A) Sectateur rigide de Luther. ] Je le remarque après Melchior Adam. Fuit Lutheri sectator et acer doctrinæ ejus in toto ministerio suo custos... in articulo de cœnâ sententiam Lutheri retinuit, quod Christi corpus in, sub, aut cum pane sit [1].

(B) Son zèle trop ardent. ] Mélanchthon, qui le connaissait sans doute, le représente d’un naturel trop impétueux, et trop adonné aux contestations. Ayant ouï dire qu’Héshusius s’en retournait à Rostoch, avec le dessein de se trouver à la dispute de Brême, il crut que Morlin était l’auteur de tout ce manège. Je lui ai souvent prédit, ajoute-t-il, qu’il exciterait plus de tempêtes qu’il n’en pourrait apaiser. Cogitavi horum consiliorum architectum esse Morlinum, et is habet socios harum technarum artifices. Seribam Davidi Chytræo ne instituant disputationem theatricam, quæ non parvos motus excitatura sit, si procedat. Tibi etiam hortator sum, ut si te in certamen vocabunt postules tibi quoque concedi ut accersas Petrum Martyrem, me, et alios quosdam amicos. Novi genesim Morlini : et sæpè ei prædixi, eum moturum, quæ sedare non poterit [2].

(C) Il se mêla dans les disputes du temps. ] L’auteur que je cite dans les remarques précédentes, a raison de dire qu’il n’y a presque point eu de siècle où les disputes des théologiens aient été plus fréquentes qu’elles le furent du temps de notre Morlin. Mettons à part les grandes disputes des catholiques romains, et des protestans : considérons seulement le luthéranisme. Bon Dieu ! quelles divisions ne vit-on pas entre les théologiens de ce parti-là, et avec quelle chaleur et quelle aigreur ne furent-elles pas soutenues ? Tout ce que l’Afrique et l’Asie ont produit d’esprits ardens n’étaient que flegme, en comparaison de ces docteurs germaniques. On dit que notre Morlin s’opposait à la sépulture de ceux qui étaient allés aux sermons d’André Osiander, et qu’il ne voulut jamais se laisser persuader de baptiser leurs enfans. Dogma Osiandri quantoperè detestentur qui confessionis Augustanæ censeri volunt, cùm ex Wittembergensium doctorum censura, tùm ex Matthiæ Flacci, et Joachimi Merlini non scriptis magis quàm factis, abundè cuivis perspicere licet. Nam quo loco Morlinus habuerit eos, qui cùm gregis sui essent, Osiandri sermones audiebant, obscurum non est. Nec sepultura mortuos dignabatur, nec infantes eorum ut baptizaret, adduci potuit [3]. Se peut-il voir une prévention plus énorme que celle-là, et un zèle plus furieux ? Ce qu’il y a d’admirable là-dedans est que le luthéranisme se soit maintenu au milieu de tant de disputes violentes. Il a fait mentir la maxime, Concordiâ res parvæ crescunt, discordiâ maximæ dilabuntur [4]. On en pourrait tirer une preuve d’une protection spéciale de Dieu ; car il semble que, selon le train de choses humaines, ce que Jésus-Christ a dit dans son Évangile, tout royaume divisé contre lui-même sera réduit en désert, et nulle ville ou maison divisée contre soi-même ne subsistera [5], doit être véritable : s’il se trouve donc des cas où cela n’arrive point, il faut que l’on y suppose le doigt de Dieu. Cette manière de raisonner est fort spécieuse et fort probable ; mais remarquons en passant que Jésus-Christ n’a point allégué cette maxime, comme un axiome dont la vérité soit universelle, métaphysiquement parlant : elle n’a qu’une universalité morale ; et je crois même que Jésus-Christ ne s’en servait qu’ad hominem contre les Juifs. L’agrandissement de la république romaine, au milieu des divisions violentes et continuelles qui l’agitaient, n’est pas une exception moins insigne à cette règle générale, que la conservation du luthéranisme parmi les schismes qui le désolaient, et qui fournissaient tant de matière d’insultes, et de conséquences à l’ennemi commun. Revenons à notre Morlin, et rapportons ce que Melchior Adam en dit : Brunsvigæ dùm ecclesiasten agit ; variæ, ut nullum ferè seculum feracius fuit theologicarum rixarum, quàm superius, excitatæ fuerunt, super variis capitibus religionis controversiæ, utpote de necessitate bonorum operum : de libertate voluntatis humanæ : de adiaphoris : de particulâ solâ in enunciatione illâ : Fide justificamur : et de aliis. Harum causa plerisque conventibus actionibusque institutis interfuit Morlinus [6].

(D) Il publia plusieurs livres. ] Melchior Adam en donne ces titres : Psalmorum Davidis Enarratio ; Catechismus Germanicus ; Postilla et explicatio summaria evangeliorum dominicalium ; Refutatio mendacii theologorum Heidelbergensium, de Luthero ; de Vocatione ministrorum, et quatenùs magistratui fas sit eos ab officio removere ; Defensio adversùs accusationem novorum Wittembergensium theologorum : de Peccato originis contrà Manichæorum deliria ; Epistola ad Osiandrum. M. de Seckendorf [7] parle d’un livre publié par notre Morlin, l’an 1565, dans lequel se trouvent au long plusieurs choses que Luther dit en présence de quelques personnes un peu avant sa mort.

(E) Il laissa un fils aussi amateur que lui des disputes théologiques. ] Il s’appelait Marc Jerôme Morlinus. Il s’agrégea à la faction de Wigandus contre Héshusius, dans la dispute de abstracto [8].

(F) On lui proposa une question... touchant l’usage des biens d’église. ] M. de Seckendorf a inséré dans son Histoire du Luthéranisme [9] la question qui fut proposée. On demandait si les revenus destinés à l’entretien des ministres de l’Évangile, et aux écoles, devaient être ôtés à ceux qui combattaient l’Évangile, c’est-à-dire aux moines et au clergé romain [10]. Celui qui faisait cette question, y ajouta les raisons qui le tenaient en suspens. D’un côté, dit-il, ce n’est pas aux ministres de l’Évangile de contraindre personne, et on ne saurait ôter leurs biens aux impies sans se servir de violence. D’autre côté, nous savons que saint Augustin a soutenu, que l’empereur avait eu raison de donner aux orthodoxes les revenus ecclésiastiques des donatistes. Les magistrats sont obligés de faire en sorte que chacun jouisse de ce qui lui appartient. Or les revenus dont il s’agit n’appartiennent pas à des chanoines impies, mais à la vraie église : il faut donc que les magistrats orthodoxes en usent avec ces impies comme avec des larrons [11]. S’ils ne le font pas, les bons pasteurs et les pauvres écoliers périront. Si Morlinus avait envie de répondre conformément à l’intention de Luther, il ne lui était pas difficile de prendre bientôt sa dernière résolution : car il paraissait aisément que Luther était d’avis qu’on destinât à l’entretien des ministres et des écoles les biens de l’église romaine.

  1. Melch. Adam., in Vitis Theolog., pag. 457.
  2. Philipp. Melancht. Epist. ad Albertum Hardenbergium, apud Melchior. Adamum, in Vitis Theolog., pag. 457.
  3. Hosius, de expresso verbo, Dei, apud Prateolum, Elencho Hæret., pag. m. 512.
  4. Sallust., de Bella Jugurth., pag. m. 214.
  5. Évang. de saint Matth., chap. XII, vs. 25.
  6. Melch. Adam., in Vitis Theolog., p. 456.
  7. Seckendorf., Hist. Lutheran., lib. III, pag. 693.
  8. Micrælius, Syntagm. Hist. Eccles., p. 77.
  9. Lib. III, pag. 313, num. 10.
  10. Ei (Morlino) ut moris est, quæstio proposita fuit per ephebum à Luthero conscripta, his verbis, utrum reditus donati ecclesiis ad Evangelii ministros alendos, etc. Ibid.
  11. Hi reditus non sunt impiorum canonicorum, sed sunt veræ ecclesiæ. Quarè magistratus ecclesiæ debet etiam pœnam sumere de impiis tanquàm prædonibus. Ibid.

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