Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Mosyniens
MOSYNIENS ou MOSYNŒCIENS [a]. C’est ainsi que l’on nommait certains montagnards qui se logeaient sur des arbres [b], ou dans quelques tours de bois [c] au voisinage du Pont-Euxin [d]. Leurs coutumes étaient si contraires à celles des autres nations, qu’ils faisaient à la vue du public ce qu’on fait ailleurs dans sa maison ; et pour ce qui est des choses que l’on fait ailleurs publiquement, ils les faisaient dans leurs logis [e]. Ils n’exceptèrent point de cette règle renversée l’œuvre de la chair (A). Leur plus haute tour de bois servait de demeure au roi, prince misérable ; car il fallait qu’il terminât tous leurs différens comme juge ; et s’il lui arrivait de mal juger, on l’emprisonnait le jour même, et on ne lui fournissait aucun aliment [f] (B). Leur royaume était électif, et ils tenaient en tout temps leur prince sous la chaîne, et sous une forte garde [g]. Ils se nourrissaient de gland, et de la chair des bêtes sauvages, et ils dressaient des embûches aux voyageurs [h], et traitaient très-mal les étrangers [i]. Ils se faisaient des marques par tout le corps [j]. Consultez Xénophon au Ve. livre de l’expédition de Cyrus le jeune. Il y a donné un long détail de leur manière de s’armer et de se nourrir, etc. Il dit qu’étant seuls ils parlaient, ils riaient et ils dansaient, tout comme s’ils eussent été en compagnie.
- ↑ C’est-à-dire habitans dans des tours. Voyez Apoll. Argon., lib. II, vs. 1020 et seq. ; et Strabon, ubi infrà.
- ↑ Strabo, lib. XII, pag. 378.
- ↑ Id. ibid.
- ↑ Pompon. Mela, lib. I, cap. XIX, et Dionysius Periegetes, vs. 766.
- ↑ Apoll. Argon., lib. II, vs. 1020 et sequent.
- ↑ Tiré d’Apollonius, ibid.
- ↑ Pompon. Mela, lib. I, cap. XIX. Voyez aussi Diodore de Sicile, lib. XIV, cap. XXXI.
- ↑ Strabo, lib. XII, pag. 378.
- ↑ Pomponius Mela, lib. I, cap. XIX.
- ↑ Idem, ibid.
(A) Ils n’exceptèrent point de cette règle renversée l’œuvre de la chair. ] Apollonius a raison de les comparer à des pourceaux, puisqu’ils n’avaient point de honte de se porter à cet acte sous les yeux de leur prochain.
Οὐδ᾽ εὐνῆς αἰδὼς ἐπιδήμιος, ἀλλά, σύες ὣς
ϕορϐάδες, οὐδ᾽ ἠϐαιὸν ἀτυζόμενοι παρεόντας,
Μίσγονται χαμάδις ξυνῇ ϕιλότητι γυναικῶν.
Nec eos in populo pudet cœtùs Venerii : sed, in vicem porcorum
Gregalium, nihil quicquam reveriti arbitros
Humi et in propatulo commiscent cum uxoribus corpora [1].
Le scoliaste observe qu’il ne faut
point entendre qu’ils s’accouplassent
ainsi en public avec toutes sortes de
femmes indifféremment, mais chacun
avec la sienne. Pomponius Méla
ne fait point cette distinction. Propatulo
vescuntur, dit-il [2], promiscuè
concumbunt et palàm. Je ne sais
point sur quoi ce scoliaste se fondait.
Aurait-il voulu se servir de la
maxime, que dans les choses douteuses
il faut toujours recourir au
sens le plus favorable, et passer in
mitiorem ? Mais les phrases d’Apollonius
semblent fort claires contre
l’exception, et autoriser nettement
Pomponius Méla. Diodore de Sicile
ne l’a guère moins autorisé [3]. Notez
qu’on trouve dans Xénophon que les
Mosynæciens, avec lesquels il fit alliance,
eurent une extrême envie
d’embrasser les garces qui suivaient
le camp des Grecs, et de le faire en
public selon leur coutume [4]. Au
reste, la monstrueuse impudence de
ces gens-là a paru dans d’autres peuples
[5].
(B) On emprisonnait le roi le jour même, et on ne lui fournissait aucun aliment. ] Rapportons les termes d’Apollonius.
Ἢν γάρ πού τί θεμιςεύων ἀλίτηται,
Λιμῷ μιν κεῖν ἦμαρ ἐνικλείσαντες ἔχουσιν.
...Nam si quid alicubi in jure dicundo deliret,
Ipsum eodem die in custodiam datum, suffocant inediâ [6].
Pintien accuse Pomponius Méla de
n’avoir pas bien compris la pensée
d’Apollonius : il prétend que ce poëte
grec a voulu dire que les Mosynæciens
enfermaient leur roi le jour
même de la sentence injuste, et le
condamnaient à mourir de faim. Pomponius
Méla dit seulement que, pour
le punir d’avoir ordonné quelque injustice,
ils le condamnaient à jeûner
un jour entier. Reges suffragio deligunt,
vinculisque et arctissimâ custodiâ
tenent : atque ubi culpam pravè
quid imperando meruêre, inediâ
diei totius afficiunt [7]. Pintien se
fonde sur le témoignage de deux auteurs
qui ont été allégués par le scoliaste,
et sur celui de Nicolas Damascène,
qu’il a lu dans les recueils
de Stobée. Mela verba illa ad famem illo die, pro illius diei accepit. At
Apollonii enarratores contrà intelligunt,
eo ipso die quo contrà jus pronunciaverit
in carcerem trudi, quoad
fame pereat, citantquæ expositionis
assertores Ephorum et Nymphodorum.
Addo ego astipulari interpretibus
Apollonii, Nicolaum de
moribus gentium referente Joanne
Stobæo [8]. Voici tout le passage du
scoliaste : Ἱςρεῖ Έϕορος καὶ Νυμϕόδωρος
περὶ τούτων, ὅτι τὸν βασιλέα αυτών
ἄδικον τι κρίναντα, ἐγκλείουσι καὶ λιμαγχονοῦσι.
Je l’ai rapporté, afin
qu’on vît que le critique étend un
peu trop ses droits ; car il est faux
que le scoliaste donne aux paroles
du texte l’explication de Pintien, et
qu’ensuite il la prouve par l’autorité
d’Éphore, et de Nymphodore : il cite
simplement ce qu’ont dit ces deux
auteurs. Je suis pourtant de l’avis de
Pintien, et je trouve qu’Isaac Vossius
l’a réfuté pitoyablement. Il suppose
que pour les fautes les plus
légères les Mosynœciens condamnaient
leur roi au jeûne d’un jour,
et que pour les fautes graves ils le
condamnaient à mourir de faim [9].
Il donne cela pour le véritable sens
des paroles d’Apollonius, et il soutient
qu’elles ont été bien interprétées
par Pomponius Méla [10]. Interpretatio
Melæ, ajoute-t-il, ut facilior
ita quoque melior. Voilà une chose
bien étrange : Apollonius aura voulu
nons instruire de la distinction que
faisait ce peuple entre les petites
fautes de son prince, et les grandes
fautes : il aura voulu que nous sussions
que pour celles-là on faisait
jeûner ce prince un jour entier, et
pour celles-ci jusqu’à la mort ; et
néanmoins il n’aura coulé dans son
récit ni phrase, ni mot, qui insinue
cette distinction. Pomponius Méla
aura très-bien expliqué le sens d’Apollonius,
et néanmoins il n’aura rien
dit de la punition des grandes fautes ;
il se sera arrêté aux idées les moins
désavantageuses à une nation qu’Apollonius
voulait décrier ; il se sera
tu absolument à l’égard du fait qui
la pouvait rendre plus odieuse ; enfin
il n’aura marqué dans ses expressions
aucune trace de la distinction
dont il s’agit. Où sont les gens qui
digèreront cela ? Pour qui est-ce
qu’Isaac Vossius prenait ses lecteurs ?
On trouverait mille fautes de cette
nature dans les meilleurs écrivains,
si l’on se donnait la peine d’éplucher
rigoureusement leurs livres.
Notez qu’il faut convenir qu’Apollonius s’est expliqué trop confusément : c’est ce qui a fait errer Pomponius Méla. Je m’étonne que Diodore de Sicile ne dise rien de cette loi ; lui qui observe que ces barbares tenaient enfermé leur prince toute sa vie dans le donjon de leur capitale [11].
- ↑ Apoll., Argon., lib. II, vs. 1025, pag. m. 243, 244.
- ↑ Pomponius Mela, lib. I, cap. XIX, pag. m. 22.
- ↑ Diodor. Siculus, lib. XIV, cap. XXXI.
- ↑ Xenophon, de Expedit. Cyri, lib. V, pag. m. 209.
- ↑ Voyez la remarque (D) de l’article Hipparchia, tom. VIII, pag. 142.
- ↑ Apollonius, Argon., lib. II, vs. 1030.
- ↑ Pomponius Mela, lib. I, cap. XIX, p. 22.
- ↑ Pintianus, Castigat. in Pomponium Melam, pag. m. 37.
- ↑ Isaacus Vossius, in Melam, pag. m. 104.
- ↑ Hic quidem videtur sensus esse verborum Apollonii que rectè interpretatus est Mela, licet contrarium, existiment Pintianus aliique viri magni. Idem, ibidem.
- ↑ Locus iste aliorum castellorum veluti caput et primaria regionis arx, fuit : in cujus parte editissimâ rex aulam habebat. Patrius autem hic mos pro lege erat, ut per totam inibi vitam rex subsistens mandata populis indè distribueret. Diodorus Siculus, lib. XIV, cap. XXXI, pag. m. 592.