Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Phaon

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PHAON, de Mitylène dans l’île de Lesbos, était un bel homme qui se fit extraordinairement aimer du sexe. La pauvre Sapho y fut prise comme bien d’autres, et le trouva si peu traitable qu’elle s’en désespéra, comme nous le dirons dans son article. Les poëtes, avec leur coutume de recourir au miracle à tout bout de champ, ont feint que cette beauté toute-puissante sur le cœur des dames lui avait été donnée par la déesse Vénus comme une récompense des services qu’elle en avait reçus lorsqu’il était maître de navire. Il la prit un jour dans son bâtiment sans s’informer qui elle était, et la passa avec toute sorte de promptitude où elle voulut [a] (A). Il ne demanda rien pour sa peine [b] ; mais il ne laissa pas d’être bien payé. Vénus fit présent d’un vase d’albâtre rempli d’un onguent dont il ne se fut pas plutôt frotté, qu’il devint le plus beau de tous les hommes [c]. Il mit en feu les femmes de Mitylène. La jeunesse lui revint, et ce qui s’ensuit [d]. Il en abusa, et il lui en coûta enfin la vie ; car on le tua sur le fait, je veux dire surpris en adultère [e]. Quelques-uns ont dit que la vertu d’une certaine herbe fut cause de l’amour que Sapho conçut pour lui (B).

  1. Élien. Hist. div., liv. XII, chap. XVII.
  2. Palæphatus, de Fabul.
  3. Élien. Hist. div., liv. XII, chap. XVII.
  4. Palæphatus, de Fabul. Lucianus, Dialog. Mortuor., tom. I, pag. 234.
  5. Élien. Hist. div., liv. XII, chap. XVII.

(A) Il passa...... Vénus où elle voulut. ] Il y a un passage de Lucien qui nous apprend, non pas où elle se fit porter, mais où elle s’embarqua. Μῶν καὶ σὐ τινα, ὥσπερ ὁ Φάων, τὴν Ἀϕροδίτην ἐκ Χίου διεπόρθμευσας͵ εἶτά σοι εὐξαμένῳ ἔδωκε νέον εἶναι καὶ καλὸν ἐξ ὑπαρχῆς καὶ ἀξιέραςον. Num tu quoque, demande Simylus à Polystrate, ut et Phaon ille Venerem à Chio transvexisti, ut optanti tibi illa dederit juvenescere, ac denuò formosum atque amabilem fieri[1] ? On pourrait recueillir de ces paroles, que Phaon demande pour récompense le retour de sa jeunesse et de sa beauté ; mais Palæphatus ne dit rien qui nous donne cette idée : il dit que Phaon avait été marinier toute sa vie, et qu’il n’avait jamais fait aucune malhonnêteté à personne, ni rien fait payer pour le passage aux pauvres gens ; qu’à cause de cela on l’admirait dans l’île de Lesbos ; que Vénus, s’étant déguisée en vieille femme, se mit dans son bâtiment ; qu’il lui fit faire le trajet en diligence, et qu’il ne lui demanda point de paiements ; mais que, de vieux qu’il était, elle le rendit un beau jeune homme. Servius touche cette histoire[2], et ajoute cette particularité empruntée de deux poëtes comiques[3], que Phaon fit bâtir un temple à Vénus sur la montagne de Leucade, d’où une femme dont il était fort aimé s’était jetée dans la mer. Au reste, Lucien a cru que Phaon était de l’île de Chio[4], et s’est trompé apparemment.

(B) Quelques-uns ont dit que la vertu d’une certaine herbe fut cause de l’amour de Sapho pour lui. ] C’est une chose étrange qu’on ne veuille pas que Sapho ait pu devenir passionnée d’un homme, par la seule force du tempérament. Vous voyez que Pline en donne pour cause un principe aussi fabuleux que l’onguent de Vénus : il a bien raison de dire que la vertu de cette herbe tient du monstre[5]. Portentosum est quod de eâ traditur, radicem ejus alterutrius sexûs similitudinem referre, raram inventu : sed si viris contigerit mas, amabiles fieri. Ob hoc et Phaonem Lesbium dilectum à Sapho. Multæ circà hoc non magorum solùm vanitates, sed etiam pythagoricorum [6]. Il s’agit de l’éryngium blanc, appelé par les Latins centum capita. Du Pinet traduit chardon à cent têtes.

  1. Lucian., Dialog. Mortuor., tom. I, pag. 234.
  2. Servius, in Æn. III, vs. 279. Corrigez dans l’édition de Leyde, 1680 :

    Venerem mutatam in navis formam,

    comme ceci, in anus formam.

  3. Menander et Turpilius.
  4. Lucianus, in Navigio, tom. II, pag. 696.
  5. Plinius, lib. XXII, cap. VIII.
  6. Le père Hardouin nous renvoie sur cela à un livre faussement intitulé : Kiranidum Kirani, pag. 37.

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