Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Sara

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SARA, sœur et femme d’Abraham (A), fut la fidèle compagne de tous ses voyages. Elle était déjà mariée avec lui, lorsqu’ils se retirèrent d’Ur de Chaldée ; pour s’en aller à Charan[a]. La stérilité dont elle avait été affligée dans sa patrie ne la quitta point dans les pays étrangers, et c’est ce qui lui fit prendre la résolution de se donner un substitut auprès d’Abraham, afin de pouvoir devenir mère en la personne de ce substitut, puisqu’elle ne le pouvait être en sa propre personne. Agar, sa servante, qu’elle choisit pour cet emploi, fut bientôt enceinte, et la paya d’ingratitude[b]. Elle se mit à la mépriser : mais Sara, ne pouvant souffrir cette insolence, usa si amplement du plein droit que son mari lui donna sur Agar, qu’elle la contraignit en peu de temps à s’enfuir de la maison. On a pu voir en un autre endroit [c] le retour de cette ingrate et les extrémités où elle se vit réduite lorsqu’elle eut été encore chassée. Nous ne répéterons point cela. Il vaut mieux dire qu’enfin, par une bénédiction particulière de Dieu, Sara devint grosse à l’âge de quatre-vingt-dix ans, et qu’elle accoucha d’un fils qui eut nom Isaac. Elle vécut cent-vingt-sept ans[d]. Il ne faut point oublier qu’elle fut très-belle ; et que sa beauté, et la complaisance qu’elle eut pour son mari de ne se point dire son épouse, mais sa sœur, l’exposèrent à deux enlèvemens (B), où sa pudicité aurait fait naufrage si Dieu n’y eût mis la main (C). Une providence toute particulière la garantit de ce naufrage, et la rendit à son mari, l’honneur sain et sauf, outre les bienfaits dont il fut comblé par les deux princes qui devinrent amoureux d’elle. Cela pouvait adoucir la fâcheuse expérience qu’il avait faite des embarras où se trouvent ceux qui traînent avec eux une belle femme, embarras quelquefois plus grands que s’ils voyageaient avec une laide. On ne peut bien disculper Abraham (D) et Sara en ces rencontres, non plus que sur l’affaire d’Agar ; et c’est à tort que l’on s’emporte contre Calvin, qui leur a dit leurs vérités là-dessus[e]. Il faut s’éloigner également de l’irrévérence de Faustus le manichéen[f], et de la superstitieuse flatterie de quelques autres. La beauté de Sara eut une singularité qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’elle dura pour le moins jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans (E). On en donne diverses raisons ; c’est, dit-on, qu’elle n’avait point eu d’enfans, et qu’elle avait renoncé à tout commerce de mariage depuis qu’elle s’était vue stérile (F). Et en cas que ces raisons ne contentent pas, on y ajoute une providence toute particulière de Dieu, qui mit à couvert, dit-on, la beauté de Sara de toutes les atteintes de la vieillesse ; entre autres motifs, afin d’éprouver la foi d’Abraham (G). C’est à quoi ne prenaient point garde ceux qui dans la chaleur de leurs homélies, exagéraient avec tant de force sa caducité (H), afin de faire trouver plus digne d’admiration le lait dont ses mamelles se remplirent. On prétend [g] qu’elle en eut une si grande abondance, qu’elle fut obligée de prendre plusieurs enfans à nourrir, et que le jour qu’Isaac fut sevré elle donna à téter à tous les enfans de ceux qui avaient été priés au festin. On ajoute qu’elle voulut nourrir elle-même son enfant, afin de réfuter tous les soupçons que son âge pouvait faire naître qu’Isaac fût un enfant supposé. Saint Chrysostome approuve cette pensée [h]. Il n’y a nulle apparence que cette sainte femme soit morte de douleur à la nouvelle qu’Isaac avait été immolé par Abraham ; et nous pouvons hardiment mettre ceci entre les fables des rabbins[i]. Josèphe témoigne que Sara mourut peu après le retour de son mari et de son fils : mais selon son propre calcul, elle aurait encore vécu douze ans ; car il dit avec l’Écriture qu’elle en avait quatre-vingt-dix quand elle enfanta Isaac, et cent vingt-sept quand elle mourut ; et d’autre côté il assure qu’Isaac était âgé de vingt-cinq ans lorsque son père le voulut sacrifier.

C’est ici que je dois montrer, 1°. qu’on accuse à tort Calvin d’avoir vomi les injures les plus grossières contre Sara (I) parce qu’elle exigea que son mari se servît de leur servante ; 2°, que saint Augustin n’a pas fait une bonne apologie de ce procédé d’Abraham (K).

  1. Genèse, XI, 29, 31.
  2. Genèse, XVI.
  3. Dans l’article d’Agar, tom. I, pag. 242.
  4. Moréri dit faussement 137.
  5. Voyez Rivet, in Exercit. LXXXVII, tom. I, Oper. pag. 333. Heidegg. Mist. Patr, tom. II, pag. 151, et ci-dessous la rem. (I).
  6. Voyez la rem. (B), citat. (17).
  7. Voyez Pererius in Genes. cap. XXI ; Salian., pag. 473, 474.
  8. Homil. XLV. in Genes.
  9. Ils le disent apud Tostatum ; Voyez Salian, pag. 489.

(A) Sœur et femme d’Abraham. ] Cela est si clair par le chapitre XX de la Genèse, que, sans la mauvaise habitude que l’on se fait de sacrifier le sens naturel des paroles de l’Écriture aux moindres difficultés qu’on envisage, il n’y aurait pas deux sentimens là-dessus. Prenons bien les circonstances du fait. Abraham étant venu au pays des Philistins, y fit passer Sara pour sa sœur. Sur cela, Abimélec, roi du pays, crut que c’était une fille à marier, ou une veuve, et qu’ainsi rien n’empêchait qu’il n’en fît l’une de ses femmes. Il la fit donc venir chez lui : mais ayant su par une révélation qu’elle était mariée avec Abraham, il la lui rendit en se plaignant de leurs mensonges, qui l’avaient exposé à un grand malheur. Je dis leurs mensonges ; car d’un côté Abraham avait dit de sa femme, c’est ma sœur ; et de l’autre, Sara avait dit de son mari, c’est mon frère. Abraham s’excusa en premier lieu sur la crainte qu’il avait eue qu’on ne le tuât s’il disait que Sara était sa femme ; en second lieu, sur ce qu’elle était véritablement sa sœur, fille de mon père, dit-il[1], bien qu’elle ne soit pas fille de ma mère. Après quoi il tâcha de justifier son épouse, en disant qu’il lui avait demandé comme une grâce que, partout où ils voyageraient, elle déclarât qu’il était son frère. J’admire qu’on ne voie pas dans ce discours que Sara était non la sœur utérine d’Abraham, mais sa sœur de père. Voici mes raisons.

I. En premier lieu, si Sara n’eût pas été la sœur d’Abraham en cette manière, l’apologie de son mari n’eût fait que tromper de plus en plus le bon prince qui lui avait reproché sa précédente dissimulation ; car il n’était pas possible qu’en ajoutant foi aux excuses de ce patriarche on ne prît Sara pour la vraie et propre sœur d’Abraham du côté du père ; et jamais homme vivant n’aurait deviné, par ce discours, qu’elle n’était que la nièce d’Abraham. J’en fais juges tous ceux qui seront capables de sentir quelles idées un tel discours a dû et pu exciter dans l’esprit d’Abimélec. Il est vrai que je demande qu’ils sachent se bien transporter dans toutes les situations, et dans toutes les circonstances de cette aventure. Il est inutile de supposer que Sara était fille d’Haran, et par conséquent petite-fille du père d’Abraham, et d’ajouter qu’un neveu est quelquefois appelé frère[2], et qu’un petit-fils est quelquefois nommé fils : cela, dis-je, ne sert de rien en cet endroit, parce que les circonstances veulent qu’Abraham n’ait pris les mots que dans leur signification la plus propre ; faute de quoi il eût dû passer pour un homme qui voulait faire illusion à Abimélec.

II. De plus, à quoi lui pouvait servir cette distinction, fille de mon père, fille de ma mère, si dans le fond il n’avait voulu signifier sinon qu’il était oncle de Sara ? Posez le cas qu’il ait pu traiter de sœur celle qui n’était que sa nièce, à quoi songe-t-il de remarquer que sa mère n’était point l’aïeule de cette nièce ? C’est, dira-t-on, qu’il voulait représenter ingénument le degré de sa parenté à l’égard de Sara. Mais pourquoi donc se sert-il du mot de fille dans une signification ambiguë ? que ne l’emploie-t-il dans son véritable sens, comme je suppose qu’il fait ? Outre que l’ingénuité dont on parle serait fort à contre-temps, elle affaiblirait l’apologie du patriarche ; car elle ferait paraître moins forts les liens de la parenté. Si l’on m’objecte que dans ma supposition cette même ingénuité affaiblit l’apologie plus qu’elle ne la renforce, je donnerai une raison pourquoi Abraham déclara que Sara n’était point sa sœur utérine. On mettait de la différence entre le mariage d’un homme avec sa sœur de père et de mère, et le mariage d’un homme avec sa demi-sœur. Les Athéniens, qui permettaient d’épouser sa sœur de père, défendaient d’épouser sa sœur utérine[3]. Solon en avait ainsi décidé. Au contraire, Lycurgue permit aux Lacédémoniens d’épouser la sœur utérine, et leur défendit d’épouser la sœur de père [4]. Quelques-uns ont dit que comme la communauté de sang est plus certaine entre un frère et une sœur utérine qu’entre un frère et une sœur de père, la permission de Solon a été, généralement parlant, moins odieuse [5] que la permission de Lycurgue. Dira-t-on après cela que dans ma supposition Abraham eût dit sans nécessité qu’il n’était point le frère utérin de sa femme, comme dans la supposition contraire il aurait dit tout-à-fait inutilement que sa mère n’était point l’aïeule de Sara ?

III. Ajoutez que si Abraham n’a voulu dire autre chose si ce n’est que son père Tharé était l’aïeul de Sara, il a pris les termes de père et de sœur dans une signification étendue et moins propre. Pourquoi donc a-t-il déclaré que sa mère n’était point la mère de Sara ? ne l’était-elle point au sens qu’il prenait le mot de père, par rapport à Tharé ; c’est-à-dire n’était-elle point l’aïeule de Sara ? On croit se tirer de cette grande difficulté en supposant qu’Haran était le père de Sara, et qu’il n’était point frère utérin d’Abraham. On donne donc deux femmes à Tharé, et l’on suppose qu’il eut Haran de l’une, et Abraham de l’autre. Par conséquent si Sara était fille d’Haran, son aïeul était le père d’Abraham ; mais son aïeule était différente de la mère d’Abraham. Je réponds que tout cela tombe par terre dès que l’on suppose que ce patriarche se sert des mots sœur et fille dans une signification étendue ; car sur ce pied-là il est certain que la mère d’Abraham est la grand’mère des enfans d’Haran, soit qu’elle ait engendré Haran, soit qu’elle ait été seulement la femme de celui qui l’engendra. Dès que vous quittez la signification propre et rigoureuse des termes qui désignent la parenté, et que vous suivez l’usage qui s’observe dans les familles, le mot de mère convient aux femmes par rapport à tous les enfans de leurs maris, et par conséquent celui de grand’mère leur convient par rapport à tous les enfans de leurs maris : de sorte que si Abraham avait pris les termes dans la signification étendue que le style de amitié où de la civilité a introduite dans les familles, il n’aurait point dû nier, comme il fit, que sa mère fût l’aïeule de Sara. On voudrait bien pouvoir dire qu’il prenait les mêmes mots tantôt dans leur signification propre, tantôt dans leur signification moins propre. Mais ne serait-ce pas supposer qu’il se jouait en sophiste de la bonne foi d’Abimélec ?

IV. Ma quatrième raison est prise de ce qu’on ne saurait supposer avec quelque fondement que Sara ait été adoptée par Tharé, Si cela était, Abraham eût pu se servir de sa distinction sans sortir de l’exactitude ; car en ce cas-là son père aurait pu être appelé le père de Sara dans une signification assez propre. Mais voici de quoi ruiner ce subterfuge : on n’y a recours qu’afin d’éviter l’inceste ; or on ne l’évite point par-là, puisque la fraternité, fondée sur l’adoption proprement dite, ne mettait pas moins d’obstacles aux mariages que la fraternité naturelle. Selon les lois, un frère qui aurait épousé sa sœur d’adoption aurait commis un inceste proprement dit[6].

V. Voilà d’où je tire l’une de mes bonnes raisons. Si quelque chose devait nous déterminer à ne prendre pas au pied de la lettre la déclaration précise que fait Abraham, que Sara est véritablement sa sœur, fille de son père, mais non pas de sa mère, ce serait le mariage incestueux qui résulte de cette fraternité. Mais cela même ne réfute-t-il pas ceux qui disent que Sara était la nièce d’Abraham [7]. Ne convient-on pas que ce degré parenté rend incestueux les mariages ? Il faut donc que nos adversaires cherchent des excuses à l’inceste d’Abraham. S’ils en trouvent, ce sera autant pour eux que pour nous ; la différence n’étant que du plus au moins, il ne nous sera pas difficile de donner à leurs raisons l’étendue qui nous sera nécessaire ; vu surtout que Jacob ne se fit pas le moindre scrupule d’être marié tout à la fois avec deux sœurs ; ce qui en d’autres temps eût été une chose abominable. Clément Alexandrin compte pour si peu de chose cette difficulté, qu’il nous dit tout froidement que les paroles du patriarche nous enseignent qu’il ne faut point épouser sa sœur utérine[8]. Il est certain qu’on ne manque point de bonnes raisons pour justifier là-dessus ce patriarche : je ne les rapporte pas : on les trouvera facilement dans d’autres livres. Je me contente d’avertir ici ceux qui voudront m’accuser de faire trop bon marché de la conscience d’Abraham, par rapport au crime d’inceste, qu’avant que de venir à moi il faudra passer sur le ventre à un grand nombre de théologiens anciens et modernes, catholiques et protestans[9]. Je ne fais pas grand cas de ce qu’on trouve dans les Annales d’Eutychius [10], que la première femme de Tharé, mère d’Abraham, avait nom Jona ; et que sa seconde femme, mère de Sara, avait nom Téhévitha ; mais c’est toujours une marque qu’il y a une ancienne tradition pour le sentiment que j’ai suivi.

VI. Autre raison. Si Sara n’était point la fille de Tharé, mais sa petite-fille, il faudrait qu’elle fût fille ou d’Haran ou de Nacor. Or elle n’est fille si de l’un ni de l’autre. En voici la preuve. Il est dit dans la Genèse[11] que la femme de Nacor s’appelait Milca, et qu’elle était fille d’Haran, père de Milca et de Jisca. Puisqu’on nomme cette dernière, sans en avoir la raison que l’on avait de nommer l’autre (car on ne lui donne point de mari comme à l’autre), il faut croire que si Haran avait eu d’autres filles, on les eût nommées tout d’un temps, et surtout que l’on n’aurait pas oublié Sara, puisqu’on venait de parler de son mariage avec Abraham. Soit donc conclu qu’Haran n’avait que deux filles, Milca et Jisca. Cette raison est si convaincante, qu’elle contraint plusieurs de nos adversaires à supposer que Sara et Jisca sont la même personne. Ils font bien de l’honneur à l’historien sacré. Ô l’admirable écrivain que ce serait, si dans trois lignes il donnait deux noms différens à une femme, sans avertir que ce ne sont que les deux noms d’une seule et même personne ! Voyez, dans le chapitre XXII de la Genèse, la liste des enfans de Nacor : vous n’y trouvez point Sara, et vous y voyez que son premier-né était venu au monde depuis qu’Abraham était sorti de son pays ; car ce fut au retour de la montagne de Morija, où Abraham avait voulu immoler son fils Isaac, qu’il ouït dire que Milca avait donné huit enfans à Nacor son mari, savoir Huts son premier-né, etc. De plus serait-il possible que, si Sara avait été fille d’Haran, l’Écriture n’eût jamais parlé de Loth comme de son frère ?

VII. Il est facile de répondre à ceux qui objectent les paroles de l’Écriture [12], où Sara est nommée la belle-fille de Tharé ; car une femme mariée se considère plutôt par les relations du mariage que par celles de la naissance.

(B) A deux enlèvemens. ] Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau[* 1]. Dans tous les deux, Abraham supprime qu’il soit le mari de Sara : il veut qu’elle dise qu’il est son frère ; il fait cela de peur qu’on ne le massacre si l’on vient à savoir qu’il est son mari, et afin qu’on lui fasse du bien pour l’amour d’elle, quand on aura cru qu’elle n’est point son épouse. Dans tous les deux, le ravisseur, puni d’en-haut avant qu’il puisse satisfaire sa passion, restitue Sara, comble de présens le mari, et lui reproche ses mensonges. Le premier de ces enlèvemens fut fait, en Égypte, par le roi Pharaon : le second fut fait, en Guérar, par Abimélec, roi des Philistins. Sara était âgée de soixante-cinq ans de le moins lorsque Pharaon l’enleva ; car elle avait dix ans moins que son mari[13], et leur voyage d’Égypte est postérieur à la sortie Charan, c’est-à-dire à la soixante et quinzième année d’Abraham[14]. Quant au voyage de Guérar, il fut fait après l’annonciation de la naissance d’Isaac, c’est-à-dire lorsque Abraham avait atteint la centième année de sa vie. Qu’on fasse tout ce qu’on voudra, cette histoire est une preuve qu’Abraham craignait plus la mort que le déshonneur conjugal, et qu’il n’était rien moins que mari jaloux. Il remet aux soins paternels de la Providence l’honneur et la pudicité de Sara : mais il prend les devans pour la conservation de sa vie, et il ne néglige pas les moyens humains. Ne vouloir pas reconnaître là l’infirmité de la nature corrompue, c’est s’aveugler volontairement. Ce patriarche aurait pu dire en cette rencontre,

Homo sum : humani nihil à me alienun puto[15].


Ceux qui croient que la crainte du péril le faisait mal raisonner se trompent : il n’y a point de crainte de Dieu en ce pays-ci, disait-il[16] ; ils me tueront à cause de ma femme. Il croyait donc que ceux qui ne feraient pont scrupule de tuer un homme en feraient un d’enlever une femme mariée. Oui, il le croyait, et avec raison. Le bien de la société, plus sans doute que l’amour de la vertu, a fait regarder le rapt d’une femme mariée comme une injustice criante dont les souverains mêmes ont eu à craindre de fâcheuses suites ; mais on ne trouvait pas fort mauvais qu’un grand seigneur s’accommodât d’une femme non mariée pour augmenter le nombre de ses concubines. Ainsi Abraham raisonnant solidement pouvait être fort assuré que pour le moins la crainte des hommes empêcherait les Égyptiens et les Philistins de lui enlever sa femme et de le laisser vivre, lui qui serait un témoin perpétuel de la violence qu’on aurait faite à une femme mariée. La conclusion raisonnable de cela était de craindre qu’on ne se défît de lui secrètement, afin de retenir Sara sans que personne pût dire qu’on l’avait enlevée à son mari ; car de public n’aurait pas eu connaissance de ce mari, si on l’eût bientôt dépêché. Cette crainte n’est pas le mauvais endroit de la pièce. Qui ne sait l’empressement qu’eut David de faire périr sous main le mari de sa maîtresse ? L’envie d’être bien traité comme frère de la belle Sara est plus blâmable que la peur d’être tué. Détestons néanmoins le brutal emportement de Faustus le manichéen[17], et contentons-nous de ce que dit saint Jérôme sur tout ceci[18]. Saint Chrysostome [19] et saint Ambroise y ont trouvé la matière d’un beau panégyrique pour la charité de Sara, qui voulut bien, en faveur de son mari, exposer sa pudicité à tous les risques du naufrage. Extrema adiit, sororem se ejus asseruit, contenta, si ita esset necesse, periclitari pudore potiùs quàm virum salute : ut tueretur maritum mentita est germanitatem, ne insidiatores pudoris ejus tanquam æmulum et vendicem uxoris necarent [20]. Origène était bien d’un autre avis : il trouvait tant de scandales dans le sens littéral, qu’il se sauva dans les types et dans les allégories. Alioquin, dit-il[21], quæ nobis ædificatio erit legentibus Abraham tantum patriarcham non solùm mentitum esse regi, sed pudicitiam conjugis prodidisse ? Quid nos ædificat tanti patriarchæ uxor, si putetur contaminationibus exposita per conniventiam maritalem ? Hæc Judæi putent, et si qui sint amici litteræ non spiritûs. D’autres recourent à l’inspiration, et prétendent qu’Abraham fut dirigé par un esprit prophétique[22]. C’est le moyen de ne demeurer jamais court. Il faudrait seulement ménager mieux ce remède, et ne s’en servir que comme de l’extrême-onction. Je vois des gens[23] qui l’appliquent à notre Sara touchant la prière qu’elle fit à son mari de coucher avec sa servante. Quant à ceux qui disent [24], pour excuser Abraham, que sa vie était si nécessaire à l’accomplissement de la promesse de Dieu, qu’il devait la conserver aux dépens de toutes choses, jusques à l’honneur de sa femme inclusivement, ils ne voient pas qu’ils se réfutent eux-mêmes ; ils emploient pour sa justification ce qui lui fait son procès ; car si sa vie était nécessaire aux décrets de Dieu, il devait être assuré que personne ne le tuerait.

Les casuistes relâchés, et protecteurs des équivoques, se prévalent extrêmement de cette conduite du patriarche. Voyez la dernière réponse aux Provinciales ; voyez, dis-je, les Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe[25].

(C) Sa pudicité aurait fait naufrage, si Dieu n’y eût mis la main. ] L’Écriture ne nous dit pas quel fut le mal qui empêcha Pharaon de jouir de Sara : elle dit seulement que Dieu le frappa de grandes plaies, ensemble sa maison[26]. À l’égard d’Abimélec, l’Écriture dit d’abord que Dieu ne fit que le menacer en songe de le faire mourir avec tout ce qui était à lui[27] ; mais, sur la fin du chapitre, elle remarque qu’à la prière d’Abraham, Dieu guérit Abimélec, sa femme et ses servantes, et qu’après cela elles enfantèrent ; car, ajoute l’Écriture, l’Éternel avait entièrement resserré toute matrice de la maison d’Abimélec, à cause de Sara, femme d’Abraham. On aurait, je pense, plutôt tué les interprètes que de les empêcher de faire des conjectures sur ces plaies de Pharaon : le champ est plus vaste cet égard que par rapport à Abimélec, vu que l’Écriture semble nous déterminer, quant à celui-ci, à une sorte de maladie. Mais apparemment on a jugé de l’un par l’autre ; et comme il est très-probable que le châtiment personnel d’Abimélec tomba sur les parties destinées à la génération, vu que ce fut là que sa femme et ses servantes furent affligées, on a cru que la chose se passa de même à l’égard de Pharaon [28]. Les rabbins[29] ont dit qu’il fut tourmenté d’une gonorrhée si violente, qu’il ne prenait pas même plaisir à songer aux femmes, tant s’en faut qu’il fût en état d’en jouir. Ils ajoutent que Sara avait un ange gardien qui frappait de telle sorte tous ceux qu’elle voulait qu’il frappât ; qu’ils n’avaient ni l’envie ni la force de s’approcher d’elle ; et que ce fut par le ministère de cet ange qu’elle fut préservée des persécutions lascives de Pharaon. Philon[30] se contente de dire que ce prince sentait des douleurs et des chagrins si insupportables, qu’il n’avait garde de songer aux plaisirs d’amour ; il ne songeait qu’à son mal et au moyen de s’en délivrer. Toute sa cour fut affligée du même fléau ; et cela parce que les courtisans avaient contribué ou applaudi à l’enlèvement de Sara. Eupolémon[31] dit que la peste gagna la maison de Pharaon, et que les devins ayant répondu que l’enlèvement d’une femme était la cause de ce mal, Pharaon rendit Sara à son mari sans l’avoir touchée. Josèphe[32] ajoute les séditions à la peste. Un moderne[33] qui lui en veut le critique sur cela assez vivement. La raison sur laquelle il se fonde est qu’une sédition populaire n’empêche pas un roi de se divertir avec une femme, et n’a point, non plus que la peste, une relation particulière avec le péché de Pharaon. Cet auteur veut donc que le châtiment de ce ravisseur ait affligé les parties qui auraient été l’instrument de sa débauche, et il confirme sa pensée par cette maxime du sage[34] : Per quæ peccat quis, per eadem et torquetur. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que Sara n’ait demeuré quelque-temps dans la maison de ses ravisseurs : cela est du moins indubitable quant au dernier enlèvement, puisqu’on eut le loisir de s’apercevoir qu’à cause d’elle il était tombé une clôture de matrice si générale chez le roi Abimélec, qu’il ne s’y parlait plus d’accouchement. De là naît cette petite difficulté : ce prince rendit Sara tout aussitôt qu’il eut été averti en songe qu’elle était mariée à Abraham ; il m’en fut donc averti qu’après l’avoir retenue quelque temps dans sa maison. Or qu’en voulait-il faire, puisque jusqu’alors il l’avait laissée en repos ? Était-ce pour cela qu’il l’avait prise ? Ceux qui font ces objections ignorent la mode des princes orientaux. Ils ont plusieurs femmes, et on leur en envoie d’autres de temps en temps ; mais il ne faut pas croire qu’ils les caressent à tour de rôle : il y en a dont le tour ne vient jamais, encore qu’elles soient très-belles. Abimélec se contenta de l’acquisition de Sara et de savoir qu’il en jouirait quand il voudrait ; mais Dieu y pourvut avant que ce prince eût choisi son heure. Disons la même chose de Pharaon. Je ne pense pas qu’il fût un assez puissant monarque pour observer les cérémonies qui se pratiquaient à la cour de Perse, où une femme qui plaisait au roi était un an à se bien laver et parfumer, avant que de lui être livrée[35]. Ne nous arrêtons donc pas à la conjecture de saint Jérôme [36], qui explique par ce moyen pourquoi Sara fut quelque temps à ne rien faire chez Pharaon : mais croyons pourtant de ce dernier roi ce nous disions tout à l’heure de celui des Philistins ; ou bien disons qu’ils furent frappés de maladie dès le premier jour de l’enlèvement. Josèphe témoigne qu’Abimélec fut si malade, que les médecins désespéraient de sa guérison. D’autres spécifient la nature de son mal : ils disent qu’il souffrait de si violentes douleurs aux parties qu’on ne nomme pas, que quand il l’aurait voulu il ne lui aurait pas été possible de remplir la loi du congrès [37]. Au reste saint Chrysostome [38] et saint Jérôme ne s’accordent guère, puisque celui-là soutient il ne fallut pas un moindre miracle de la puissance de Dieu pour faire que Sara sortit pure et nette de chez Pharaon, que pour faire que Daniel demeurât impunément au milieu des lions affamés, et les trois enfans hébreux au milieu des flammes. Il y a une petite différence à remarquer entre les deux narrations de Moïse : il a dit expressément qu’Abimélec ne s’approcha point de Sara ; et il n’a point dit si Pharaon s’en approcha ou ne s’en approcha point. Théodoret [39] a cru que l’historien sacré s’est servi de cette précaution à l’égard d’Abimélec, afin de fermer la bouche à la médisance, vu que Sara accoucha la même année qu’elle avait été chez ce prince.

(D) On ne peut bien disculper Abraham. ] Car, outre ce qui a été dit ci-dessus, ne serait-il pas le bouclier de la pernicieuse doctrine des équivoques, si une fois il était certain que ni lui ni Sara n’ont point menti ? Ceux qui combattent la mauvaise morale d’un Lessius et de quelques autres jésuites mettent en fait que c’est mentir que de faire des réponses qui ne se rapportent pas à l’intention de celui qui vous interroge. Ces réponses ont beau ne contenir que la vérité, elles ne laissent pas d’être menteuses ; car, par exemple, si un fils de Caïn, interrogé juridiquement qui il était, par des gens qui auraient eu en vue de connaître qui était son père, avait répondu que Caïn était son oncle, il n’aurait rien dit qui ne fût vrai, puisqu’il est certain que sa mère était sœur de Caïn cependant sa réponse n’aurait pas été exempte de tromperie. Il en va de même de Sara. Abimélec lui demande ce qu’elle est à Abraham : il a tout le droit imaginable d’interroger, puisqu’il est roi du pays ; son but est de savoir si Sara est une femme mariée ou non ; c’est là-dessus qu’il doit régler sa conduite par rapport à Sara. On lui répond : Je suis la sœur d’Abraham. Son mari, qui a suggéré cette réponse, dit de son côté : Je suis le frère de Sara. N’est-ce point la même chose, dans ces circonstances, que si l’on avait répondu : La relation de frère et de sœur est la principale qui soit entre nous ; et cette réponse n’eût-elle pas été une menterie formelle ? Si l’on demandait à un homme parfaitement instruit de tous les secrets d’une grande conspiration, qu’en savez-vous ? et qu’il répondit, j’en sais une telle chose, qui ne serait pas la principale ; ne tromperait-il pas, et ne mentirait-il pas ? car sa réponse serait équivalente à celle-ci : Je n’en sais que cela. Un commentateur de la Genèse[40], voulant prouver que les mariages entre le frère et la sœur étaient inconnus du temps d’Abraham, se sert de cette remarque : Dès que Sara disait qu’elle était sœur d’Abraham, on ne la croyait plus sa femme : donc ces deux relations paraissaient incompatibles. Ce raisonnement est faux ; car supposez tant qu’il vous plaira que ces mariages aient lieu dans un pays, l’usage y sera que la sœur, depuis ses noces, ne soit plus nommée simplement tout court, la sœur de son mari, mais sa femme ; de sorte de toute sœur qui ne sera point qualifiée la femme d’un tel, mais seulement sa sœur, sera censée dès lors n’être point sa femme : et voilà pourquoi Abraham et Sara trompaient nécessairement et visiblement les Égyptiens et les Philistins, en supprimant la relation de mariage, et en ne parlant que de celle de la fraternité, quoique d’ailleurs ces peuples n’ignorassent pas la compatibilité de ces relations. Mais c’était assez pour être trompés par Abraham, qu’ils sussent que l’une engloutissait l’autre, à peu près comme la qualité de père absorbait celle d’oncle en la personne de Caïn, par rapport à ses enfans. En un mot, la suppression d’une vérité est un mensonge effectif toutes les fois qu’elle est destinée à faire faire de faux jugemens à l’auditeur ; et que, selon l’usage de la langue dont on se sert, il ne peut que faire un faux jugement. Abraham et Sara sont dans ce cas. Ceux qui nient que les mariages entre le frère et la sœur fussent connus aux Chananéens devraient lire le chapitre du Lévitique, où les mariages entre certains parens sont interdits au peuple de Dieu. N’oublions pas qu’Isaac se servit de la dissimulation de son père par un semblable principe ; il dit, lui aussi, de peur qu’on ne le tuât, que Rébecca était sa sœur[41].

(E) La beauté de Sara... dura... jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans. ] On le prouve par le chapitre XX de la Genèse, où il est dit qu’Abraham étant allé au pays de Guérar n’y voulut passer que pour le frère de Sara, ce qui fut cause que le roi Abimélec la manda pour l’épouser. La naissance d’Isaac avait été déjà annoncée à ce patriarche ; or sa femme avait quatre-vingt-dix ans lors de cette annonciation : donc, etc. Je sais bien que l’Écriture ne dit pas en cet endroit que Sara fût belle ; mais il n’est pas difficile de le recueillir des circonstances de ce voyage. On sait, par le chapitre XII, que la raison qui obligea Abraham à dire en Égypte que Sara était sa sœur était qu’il la voyait belle, et qu’il craignait qu’on ne le tuât afin de mieux posséder cette beauté. Sara ne fut pas plus tôt montrée, qu’on la prit pour l’amener au roi Pharaon. Qui doute qu’Abraham n’ait dissimulé son mariage dans le pays de Guérar par un semblable motif ? Il déclare lui-même[42] qu’il avait eu peur qu’on ne le tuât à cause de sa femme ; il savait donc qu’elle était encore assez belle pour inspirer de l’amour. L’événement parle avec encore plus de clarté là-dessus ; car tout aussitôt que Sara eut été vue par le roi de Guérar, il la fit venir chez lui à dessein d’en faire sa femme. C’était sans doute pour sa beauté ; car de dire, avec le père Salian, qu’il la prit comme une vénérable veuve qui entendait le ménage, et comme la sœur d’un homme avec lequel il lui serait très-avantageux de s’allier, c’est se faire des illusions. Apparemment Abraham n’allait au pays des Philistins que pour y chercher un remède à la famine qui le talonnait ; il était donc fort facile au roi du pays de s’acquérir Abraham sans sacrifier à cela un mariage avec une veuve de quatre-vingt-dix ans. Il aurait acheté bien cher l’amitié du patriarche, si Sara eût été délabrée comme on l’est à cet âge-là. Posons donc en fait qu’elle était encore une belle femme. Un bon père capucin de Paris[43] s’est imaginé plaisamment qu’Abimélec n’enleva Sara qu’afin de s’entretenir avec elle sur la dévotion : c’était, dit-il, un homme et un prophète qui compta pour un bonheur signalé la conversation familière de Sara sur les matières de l’autre vie. Il crut que cette révérende mère lui apprendrait bien des choses concernant le règne de Dieu. Mais aurait-il été châtié pour des intentions aussi spirituelles que celles-là ? Quelles visions ! La chair et le sang auraient été sans doute plus mêlés dans leurs entretiens que la dévotion, si on l’avait laissé faire.

N’écoutons point la pensée de Hugues de Saint-Victor ? les conséquences en sont dangereuses ; n’ouvrons point de brèches dans l’Histoire sainte ; les profanes y entreraient par-là comme des loups dans la bergerie afin d’y faire mille ravages. Hugues de Saint-Victor prétend[44] que Moïse n’a point mis à sa place l’enlèvement de Sara par Abimélec, mais sous un temps éloigné du véritable de plus de trente ans. Encore un coup, soutenons que Sara avait l’âge que je lui donne lorsque Abimélec voulut l’épouser. Ne recourons pas à l’expédient de ceux qui disent[45] qu’il n’est pas plus admirable que Sara ait été belle à quatre-vingt-dix ans, que de voir aujourd’hui une belle femme âgée de quarante ; car, disent-ils, la vie des femmes en ce temps-là allait jusqu’à cent trente ans, comme aujourd’hui elle va à quatre-vingt. Ne leur en déplaise, ils ne calculent pas bien : où trouveraient-ils, selon leur supputation, cet amortissement de la matrice de Sara dont parle l’apôtre[46] ? Pourquoi n’aurait-elle plus eu ce qu’ont accoutumé d’avoir les femmes[47] ? Où serait cette foi tant célébrée par rapport à l’annonciation de la naissance d’Isaac ? Est-il si étrange aujourd’hui qu’une femme conçoive à quarante ans ? Rajustons leur calcul : quatre-vingt-dix ans sont à cent trente à peu près comme cinquante-six à quatre-vingts. C’est donc avec nos beautés de cinquante-six ans qu’il faut comparer Sara. Or j’avoue qu’encore qu’il soit très-rare qu’une femme de cinquante-six ans soit jugée digne d’être enlevée pour sa beauté, et encore moins d’être destinée au lit d’un souverain, comme un morceau friand et royal, il s’en trouve quelques-unes qui ont encore de beaux restes à cet âge. Voyez ce que j’ai rapporté ailleurs de Brantôme, concernant Jeanne d’Aragon et la duchesse de Valentinois. Ainsi, sans recourir aux miracles, qu’il faut ménager le plus qu’on peut pour les grands besoins, nous pouvons dire que la bonne constitution de Sara, et l’exemption des couches et des fonctions nourrice, ont pu la conserver belle femme jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Procope pense que quand elle fut rendue habile à concevoir elle recouvra la beauté qu’elle avait perdue[48] et que Dieu, par une faveur spéciale, lui fit tout à la fois ces deux présens. À lui Procope permis.

(F) On dit.... qu’elle avait renoncé à tout commerce de mariage depuis qu’elle s’était vue stérile. ] Citons Pérérius : Deindè id accidit Saræ ob summam ejus castitatem et continentiam, quippè quæ statim ut sensit se sterilem et invalidam ad generandum abstinuit à copulâ carnali ; ut suprà ostendimus super illis verbis quæ sunt in capite XVIII. Postquàm consenui et dominus meus vetulus est, voluptati operam dabo[49] ? Il est bon de voir sur quoi il fonde le fait. Il se sert de ces paroles de Sara : Postquàm consenui et dominus meus vetulus est, voluptati operam dabo[50] ? c’est-à-dire, selon la version de Genève, Estant vieille aurai-je plaisir ? davantage monseigneur est vieil. Ce sont deux difficultés que Sara se fit après avoir ouï la promesse qu’on faisait à Abraham, que sa femme accoucherait l’année suivante. Il faudrait donc, dit-elle, que, nonobstant mon grand âge, je requisse les caresses de mon mari, c’est la première difficulté ; mais mon mari n’est-il pas trop vieux pour cela ? c’est la seconde. De sorte que, selon Pérérius, elle eût employé à peu près la même objection que la Sainte Vierge : Comment se fera ceci, vu que je ne connais point d’homme[51] ? Je ne crois pas qu’on puisse raisonnablement nier à cet auteur que les paroles de Sara ne signifient qu’alors elle et son mari gardaient une parfaite continence ; mais tout le reste n’est que conjecture : savoir, qu’il y avait déjà quatorze ans qu’ils étaient convenus de cette abstinence mutuelle ; c’est-à-dire depuis qu’Agar était devenue la concubine d’Abraham. Mais supposons que cela soit : il en faudra inférer que Sara mit une fin aux joies du mariage quand elle fut parvenue à l’âge soixante-quinze ans. Or à quoi songeait Pérérius de tirer de là une des raisons pourquoi la beauté de cette dame s’était conservée jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans ? Intemperantia Veneris citò mulierem inveterat et vehementer deformat ac turpat[52] ; c’est-à-dire : L’usage immodéré du plaisir vénérien fait bientôt vieillir les femmes, et les enlaidit étrangement. Soit. J’en laisse la discussion aux médecins. Mais s’ensuit-il de là qu’une abstinence totale de cet exercice ait un effet tout contraire à l’égard du sexe ? je veux dire qu’elle recule la vieillesse, et qu’elle conserve la beauté. Il n’y a point de logique qui reconnaisse aucune force dans cette espèce de conséquences, généralement parlant, vu le grand nombre de choses dont les deux extrémités sont mauvaises et pernicieuses, tant pour le corps que pour l’âme. En particulier, la conséquence dont il est ici question est fortement combattue par la médecine[53]. Mais quand même on aurait la complaisance de accorder à Pérérius, de quoi lui servirait-elle par rapport à Sara, qui, selon lui, ne commença à se sevrer des droits matrimoniaux qu’à l’âge de soixante-quinze ans ?

(G) Afin d’éprouver la foi d’Abraham. ] Cela paraît d’abord étrange ; car on ne conçoit guère de plus grand bonheur temporel que la beauté perpétuelle de ce qu’on aime. Quels vœux y a-t-il aussi favorables à de nouveaux mariés, que de leur dire qu’on souhaite qu’ils ne paraissent jamais vieux l’un à l’autre ?

Diligat ipse senem quondam, sed et illa marito
Tunc quoque cùm fuerit non videatur anus[54].


Mais prenez-y garde de près, vous trouverez que pour un homme qui doit voyager en famille une belle femme n’est pas un petit fardeau ; et en tout cas Abraham en a été un exemple. Quelle peur n’a-t-il pas eue d’être tué, et à quels expédiens fâcheux cette crainte ne l’a-t-elle pas obligé de recourir ! Quoi qu’il en soit, un célèbre théologien de Zurich a parlé de cette manière : Puto pulchritudinis Saræ causam non fuisse aliam quàm supernaturale Dei donum et specialem ejusdem providentiam, qui eam in extremâ senectute voluit fieri matrem Isaci, atque simul cotem fidei et patientiæ Abrahami, quæ in hâc ob formam uxoris immissâ tentatione non parùm explorata fuit[55].

(H) Ceux qui..... exagéraient avec tant de force sa caducité. ] Saint Chrysostome prétend que la verge de Moïse, qui fit sortir d’une pierre une source d’eau, fit un miracle moins difficile que ne le fut de faire venir du lait à Sara. Non sic admirabile fuit quòd ex petrâ in deserto scaturierint fontes aquarum quando illam virgâ Moyses percussit, sicut de vulvâ jam emortuâ puerum nasci, et lactis fontes scaturire[56]. Voici les paroles d’un autre père : Portabat uterum gravem talis mater quæ inanis ambulare vix poterat.…. Marcidæ mammæ quæ in vacuos folles subducti succi detrimenta laxaverant, lactei fontis ubertate tenduntur[57].

(I) On accuse à tort Calvin d’avoir vomi les injures les plus grossières contre Sara. ] Commençons par les paroles de l’accusateur. Non est prætereundum impiè loqui Calvinum, qui Saram quasi lenam, et Abraham quasi adulterum ancillæ suæ carpit[58]. Ces paroles, et plusieurs autres qui les suivent, sont si semblables à celles de Cornélius à Lapidé, qu’il y a lieu de penser que Marin Mersenne n’a été ici qu’un copiste. Son ouvrage fut imprimé l’an 1623. Celui de l’autre le fut l’an 1616. Carpit hic Calvinus Saram quasi lenam, et Abram quasi adulterum ancille suæ Agar [59]. Cette calomnie contre Calvin vient de plus haut ; j’en ai cherché le premier auteur autant que j’ai pu, mais je n’oserais me vanter de l’avoir trouvé en la personne de Feuardent. Ce qu’il y a de bien sûr est que ce moine a précédé le minime[60] et le jésuite[61] que j’ai cités. Son accusation n’a pas été bien connue à Léonard le Cocq[* 2], qui aurait infailliblement nommé Calvin, et indiqué la Théomachie Calvinistique, s’il avait su ce que l’on y trouve. Il n’a fait ni l’un ni l’autre : ses reproches sont vagues ; ils tombent en général sur des hérétiques modernes, et il cite un autre ouvrage de Feuardent. Il dit d’abord que Faustus le manichéen blâma la conduite du patriarche Abraham comme une chose où l’on voyait l’incrédulité et une envie brûlante d’avoir des enfans[62], et puis il ajoute : Refert etiam Feuardentius in appendice ad libros Alphonsi à Castro contra hæreses, lib. I, verbo Abraham, quosdam hæreticos modernos..... non minùs impios fuisse in sanctissimum patriarcham Abraham, ut cui crimen adulteri impingant [63]. Voici les accusations précisément intentées par Calvin : « Piissimam aviam Christi Saram multis vexat contumeliis, multis jactat injuriis[* 3] : Sarai rationem alienam à verbo Dei apud se quærit. In ipso progressu non leviter peccavit, quòd orbitatis impatiens, à verbo Dei discessit. Obrepit desperatio. Connubii legem pervertit, lectum conjugalem polluendo. Nec culpâ etiam vacat Abram, quòd stulto ac præpostero uxoris consilio obsequutus est. Reprehensione digna est Abrahæ facilitas. Utriusque autem claudicat fides. Dei virtutem non debuit alligare ordini naturæ, vel restringere ad suum sensum. Et in sequentibus [* 4] : Admittit concubinam quæ instar pellicis futura erat. Ad eandem quâ ipsa fervebat impatientiam maritum sollicitat. Vacillat quidem Abrahæ fides, cùm à verbo Dei declinans, uxoris impulsu ad remedium prohibitum transferre se patitur. Momento uno tentationi succumbit. Deindè, dolosissimo schemate utens, idipsum quod negare se de illâ fingit, palàm adfirmat[* 5] : Neque enim domui suæ voluit erigere lupanar, nec ancillæ suæ productrix, vel mariti lena esse... O hominem in disputando vafrum, veteratorem et malitiosum ! Ecquid enim aliud est Abræ, uxorem prostituere ; pudicitiam ejus nudare præsidio, pudicitiam prodere (quod Calvinus palàm tribuit Abrahæ) quàm ei lenocinari ? Aut quid, conjugii legem pervertere, lectum conjugalem polluere, pellicem viro quærere et subministrare, alienam in thorum mariti inducere (quorum à Calvino insimulatur Sara), quàm domi suæ lupanar erigere ; et mariti lenam esse, quod hic simulatè Calvinus negat et damnat [64] ! » On peut remarquer deux fraudes dans la procédure de ce cordelier : il supprime les expressions où Calvin tâche d’exténuer la faute de Sara et la faute d’Abraham, c’est la première supercherie. Il assure impudemment que Calvin emploie un vilain tour de sophiste pour accuser en effet, sous un faux semblant de négation, cette sainte femme d’avoir servi de..... à son mari. C’est la seconde fraude, et elle est d’une telle atrocité, qu’on la peut nommer une affreuse calomnie. La manière ronde et franche dont Calvin juge de cette conduite de mari et de la femme fait voir clairement qu’il ne cherchait point de détours. Il en dit son sentiment avec la dernière liberté, et il se sert de tout le droit que la raison et l’Écriture nous donnent de prononcer sur la qualité d’une action. Il est donc visible qu’il parle sincèrement lorsqu’il nie que Sara ait servi...... etc. Cela paraît encore par les paroles qui suivent, et que Feuardent a supprimées. Impropriè tamen vocatur uxor, quæ præter Dei legem in alienum thorum inducitur. Quare sciamus hunc concubitum hic illicitum fuisse ut inter scortationem et conjugium quasi medius fuerit. Idem omnibus commentis accidit quæ Dei verbo assuuntur. Quamlibet enim honesto tegantur prætextu, corruptela subest, quæ à verbi puritate degenerat, eamque vitiat[65]. C’est là le langage d’un casuiste qui ne biaise point ; on doit donc être très-assuré que l’on y trouve tout le mal que Calvin a dessein de dire. Or il dit nettement que le commerce d’Abraham et d’Agar tenait le milieu entre la fornication et le mariage. Feuardent a supprimé cet endroit notable du commentaire de Calvin : Benedictionis (quam sciebat divinitùs promissan esse) potiundæ voto, conjugalem thorum spontè alteri cedit...... sic laudabile fuit votum Sarai quoad finem vel scopum in quem tendebat, ut tamen in ipso progressu non leviter peccârit....... Utriusque autem claudicavit fides, non in substantiâ quidem, sed in medio ipso (ut loquuntur ) vel agendi ratione[66].

Notez que les copistes sont fort sujets à grossir les choses. Cornélius à Lapidé et Marin Mersenne disent simplement et absolument que Calvin accuse Sara de..... et Abraham d’adultère. Feuardent s’était contenté de dire que l’accusation avait été proposée obliquement, et sous l’apparence trompeuse d’une justification.

(K) Saint Augustin n’a pas fait une bonne apologie de ce procédé d’Abraham. ] Il s’est servi de quatre raisons. La 1re. est qu’Abraham ne se porta point à cet acte par un mouvement d’amour sensuel, mais afin d’avoir des enfans : Usus est eâ (concubinâ) quippe ad generandam prolem, non ad explendam libidinem[67] La 2e. est qu’il s’y porta, non pas pour faire injure à sa femme, mais plutôt pour lui complaire, et pour lui donner la consolation que son état de stérilité l’obligeait à souhaiter. La 3e. est que cette conduite fut fondée sur le droit dont parle saint Paul dans le chapitre VII de la Ire. épître aux Corinthiens : Pareillement l’homme n’a point la puissance de son corps, mais la femme. Il n’y a ici aucune faute, ni du côté de la femme, ni du côté du mari ; celle-là donne sa servante à son époux dans la vue de la génération, celui-ci prend cette servante dans la même vue. Nulla est hìc cupido lasciviæ, nulla nequitiæ turpitudo. Ab uxore causâ prolis ancilla marito traditur, à marito causâ prolis accipitur, ab utroque non culpa luxûs, sed naturæ fructus exquiritur [68]. La 4e. raison est qu’Abraham renvoya Agar dès que sa femme le voulut. J’ai cité ailleurs[69] les paroles de saint Augustin sur ce sujet. Léonard le Cocq, commentateur de ce père, ne fait point difficulté de le réfuter. Il oppose à la première raison cet axiome de saint Paul : Il ne faut point faire le mal afin qu’il en arrive du bien[70], et la doctrine ordinaire des moralistes, qu’une bonne action demande non-seulement une bonne fin et un bon motif, mais aussi une matière qui soit légitime, Ad hoc quod sit actio honesta, requiritur non modò bonus finis et reliquæ circumstantiæ, verùm etiam quod sit circa debitam materiam[71]. Cela lui fournit la réfutation de la seconde raison ; car si le commerce du patriarche avec sa servante est mauvais en soi, il ne devient pas légitime par l’acquiescement d’Abraham aux désirs de Sara ; les conseils ni les suggestions d’une femme ne disculpent point le mari à égard des choses illégitimes : cela paraît manifestement dans la chute du premier homme, qui allégua vainement que la femme que Dieu lui avait donnée avait porté à manger du fruit défendu. La troisième raison ne vaut pas mieux que les autres ; car une femme ne peut point transporter à une autre femme le droit dont parle saint Paul, non plus qu’un mari ne peut point céder à un autre homme le droit dont parle le même apôtre. Non potest uxor jus illud quod habet in corpus viri transferre in alteram mulierem ; ut congressum viri sui cum aliâ muliere assensu suo possit facere licitum, ut nec vir potest transferre in alterum virum illud jus quod habet in uxorem[72]. Léonard le Cocq ne dit rien sur la quatrième raison ; c’est qu’il ne l’a point considérée comme un des moyens de l’apologie ; mais les plus stupides peuvent aisément connaître qu’elle ne sert qu’à montrer que le patriarche ne tenait point à cela par des liens d’impureté. C’est une très-bonne chose que de renoncer aisément et promptement à un commerce illégitime ; mais cela ne prouve point qu’on en ait joui légitimement. Ce commentateur suppose que saint Augustin n’allégua pas ces raisons comme des preuves qui établissaient la pureté du commerce d’Abraham et d’Agar, mais seulement comme des preuves qui réfutaient la prétention des manichéens, que ce patriarche, éperdument amoureux d’Agar, avait couché avec elle pour assouvir sa passion. Il suppose aussi que le même père connaissait très-bien la bonne preuve qui disculpait Abraham ; c’est qu’il y eut un vrai mariage entre Agar et son maître. Il examine ensuite les trois raisons de saint Ambroise. La 1re. est prise de ce qu’Abraham vivait avant que la loi de Dieu eût défendu l’adultère. Abraham ante legem Moysi et ante Evangelium fuit, cùm nondùm interdictum adulterium videretur, pœna criminis ex tempore legis est, quæ crimen inhibuit, nec ante legem ulla rei damnatio est[73]. La 2e., est la même que la première et la seconde de saint Augustin. La 3e. est empruntée de ce que la conjonction d’Abraham et d’Agar était l’un des types du Vieux Testament. Le commentateur remarque [74] que Sixte de Sienne[75] a trouvé dans la première raison de saint Ambroise deux principes éloignés du sentiment ordinaire des théologiens : l’un que l’action d’Abraham fut un adultère, l’autre que l’adultère était permis en ce temps-là, vu que la loi ne l’avait pas défendu. Il soutient qu’Agar était femme légitime d’Abraham, et que l’adultère était un crime avant même que les lois positives le condamnassent. Il suffisait qu’il fût opposé aux lois naturelles. Erat tamen per se illicitum et prohibitum lege divinâ naturali [76]. Quant à la troisième raison de saint Ambroise, on la réfute par cet aphorisme, que la qualité de type n’influe aucune moralité dans les choses, et ne leur ôte point par conséquent ce qu’elles ont de mauvais. Plerumque, dit saint Grégoire[77], res quælibet per historiam virtus est, per significationem culpa, et aliquando res gesta in facto causa damnationis est, in scripto autem prophetia virtutis. Saint Augustin est dans le même principe. In peccatis, dit-il [78], magnorum virorum aliquando de rerum futurarum figuram animadverti et indagari posse.

Remarquons ici quatre choses. En premier lieu, Léonard le Cocq fait tenir à saint Augustin une conduite peu judicieuse et peu sincère. Il savait, dit-on, la vraie preuve de l’innocence d’Abraham, et il la supprime ; il se contente de le disculper quant au reproche d’avoir été amoureux de sa servante. Mais cela suffisait-il ? Les manichéens n’eussent-ils pas eu d’assez grands reproches à lui faire, quand même ils seraient tombés d’accord qu’il ne conçut pas de l’amour pour Agar ? C’est donc à de tels reproches que saint Augustin a dû répondre, et c’est assurément ce qu’il a fait. Il a prétendu qu’en posant les circonstances qu’il a posées, il justifiait un homme qui couchait avec la servante de sa femme. Mais cela étant, y eut-il jamais une morale plus relâchée que la sienne ? N’abîmerait-on pas aujourd’hui les Bauni, et les Escobar, s’ils enseignaient que pourvu qu’on se proposât uniquement de laisser des successeurs, une femme pourrait animer son époux à jouir de leur servante, et un mari pourrait suivre ce beau conseil ? Ne me dites point que saint Augustin ne considère que le siècle d’Abraham ; car puisqu’il se fonde sur le droit que saint Paul donne à un mari sur sa femme et à une femme sur son mari, il prétend sans doute donner des raisons pour tous les temps. Nous avons vu ailleurs[79] ce qu’il disait de l’action d’Acindynus. Ma seconde remarque est que les lumières de Calvin sont beaucoup plus pures sur ce point-là que celles des anciens pères. Il condamne nettement et sans détour la conduite d’Abraham et de Sara. Il ne leur cherche point d’excuse dans l’usage de la polygamie, établi déjà parmi les nations ; il prétend que ce n’était pas à eux à choquer la loi qui lie les mariés un avec une. Nec valet excusatio quòd concubinam uxoris loco esse voluerit, quia fixum illud manere debuerat, mulierem viro adjunctam esse, ut essent duo in carnem unam. Tametsi jam polygamia apud multos invaluerat, legem tamen illam quâ duo inter se mutuò obligantur convellere nunquàm ne ſuit in hominum arbitrio [80]. Il observe même que cette chute d’Abraham nous doit avertir combien nous devons être sur nos gardes contre les embûches de Satan, qui nous attaque non-seulement par personnes manifestement criminelles, mais aussi par de bonnes gens. Porrò cùm Sarai tam sancta mulier instar flabelli, ad eandem quâ ipsa fervebat impatientiam maritum sollicitet ; hinc discamus quàm sedulò nobis agendæ int excubiæ ne quâ occultâ ſraude nos circumveniat Satan. Neque enim improbos tantùm et sceleratos subornat qui ex professo fidem nostram oppugnent ; sed ut incautos opprimat, clàm interdùm ac furtim per bonos et simplices nos adoritur [81]. En troisième lieu, j’observe que la liberté que Calvin a prise de censurer fortement cette action de Sara et de son époux est incomparablement plus utile à la morale chrétienne que le soin qu’ont pris les pères de justifier Abraham et son épouse. Ils ont sacrifié les intérêts généraux de la morale à la réputation au particulier ; peu s’en faut que je n’applique à tous ceux qui sont animés de cet esprit ce bon mot de Cicéron : Urbem philosophiæ proditis dùm castella defenditis[82]. Enfin je remarque que Josèphe s’est avisé de supposer une chose dont l’Écriture ne dit pas un mot ; c’est que Dieu commanda à Sara de mettre Agar au lit d’Abraham[83]. Voilà juste le Deus ex machinâ des poëtes tragiques, et l’ancora sacra du proverbe. Plusieurs commentateurs de la Genèse allèguent là-dessus l’autorité de cet historien, et remarquent que saint Augustin a insinué la même chose. Idem insinuat sanctus Augustinus lib. X. contra Faust. c. XXXII.[84]. Il n’y a point de nœud gordien qu’on ne puisse rompre par-là.

  1. * Dans le Nouveau Recueil de pièces fugitives d’Histoire et de Littérature, par M. l’abbé Archimbaud, tom. IV, art. 3, on trouve, dit Joly, une Dissertation sur l’enlèvement de Sara, où l’auteur prétend prouver que la pudicité de Sara ne souffrit aucune atteinte à son premier enlèvement dans le palais de Pharaon. Joly renvoie aussi à l’Examen du pyrrhonisme, par M. de Crousaz, pag. 744, et aux Mémoires de Trévoux, juillet 1736, seconde partie, article 80.
  2. * C’est Cocqueau, et non Le Cocq. Voyez tome VI, page 252.
  3. (*) In cap. 16, Gen., vs. 1.
  4. (*) Vers. 2.
  5. (*) Vers. 3.
  1. Genèse, XX, 12.
  2. Loth, neveu d’Abraham, est nommé son frère, Genèse, XIV, 16 ; mais cet exemple ne sert de rien à ceux qui supposent que Sara était sœur de Loth ; car le titre de frère en ce cas-là serait plutôt donné à Loth, comme beau-frère, que comme neveu.
  3. Voyez-en les preuves dans Muret, lib. XV, cap. V, Variar. Lect. ; et dans Gebbardus, in Corn. Nepotem, Vit. Cimonis. Consultez l’article de Cimon, tom. V, pag. 192, remarque (D).
  4. Voyez les mêmes auteurs.
  5. Filia patris (soror non uterina) jure conjungebatur Noachidi, quoniam inter gentes ratio consanguinitatis paternæ non habebatur. Jarchius, apud Heidegg. Hist. Patriarch., tom. II, pag. 78.
  6. Inter fratrem sororemque nuptias esse prohibitas sive eodem utroque parente, sive altero tantùm nati sint : verùm si per adoptionem soror facta sit, quandiù manet adoptio, etiam nuptias prohiberi : at si per emancipationen adoptio dissoluta sit, posse inter eos ritè iniri connubium. Justinian., lib. I Institution. Voyez l’article d’Octavie, tom. XI, pag. 208, au texte.
  7. Voyez Rivet. in Genes. exerc. LXXIII. Heidegg., Histor. Patriarch. tom. II, pag. 79.
  8. Τὰς ὁμομητρίους μὴ δεῖς ἄγεσθαι πρὸς γάμος διδάσκων. Docens eus quæ ex eâdem matre natæ sunt non esse ducendas uxores. Clem. Alexandr., Stromat., lib. II, pag. 431.
  9. À Clem, Alexandrin, à saint Jérôme, à Lipoman, à Oléaster, à Cajétan, à Sotus, au père Pétau, à Condoman, au père Abram, à Musculus, à Piscator, à Heidegger, etc.
  10. Pag. 66, apud Heidegg., pag. 78.
  11. Chap. XI, vs. 29.
  12. Genèse, XI, 31.
  13. Il est dit, Genèse, XVII, 17, qu’elle avait quatre-vingt-dix ans lorsqu’Abraham en avait cent.
  14. Genèse, XII, 4.
  15. Terent., in Heautont, act. I, sc. I, pag. m. 112
  16. Genèse, XX, 11.
  17. Il accusait Abraham, Quòd matrimonii sui infamissimus nundinator avaritiæ ac ventris causâ duobus Abimelech et Pharaoni, diversis temporibus, Saram conjugem sororem mentitus, quòd erat pulcherrima, in concubitum venditârit Vide Augustinum contra Faustum, lib. XXII, cap. XXXIII.
  18. Il l’appelle fœdam necessitatem.
  19. Homil, XXXII, in Genes. Voyez la remarque (A) de l’article Abimelech, tom. I, pag. 74.
  20. Ambros., de Abrah., cap. II.
  21. In cap. VI Geneseos, Heidegger, p. 149, prétend qu’Origène a insulté et censuré Abraham quòd per conniventiam maritalem Saram contaminationibus exposuerit. Mais comment lui attribuerait-il cela, puisqu’il rejette le sens littéral.
  22. Paulus Burgensis, apud Heidegg., p. 149.
  23. Joseph., Antiq., lib. I, cap. X.
  24. Apud Heidegger., ubi suprà.
  25. Pag. 128 et suiv., édition de Hollande, 1656.
  26. Genèse, XII, 17.
  27. Genèse, XX.
  28. Voyez Pererius, in Genes., cap. XII, vs. 17.
  29. Apud Lyranum, citante Saliano, p. 413.
  30. In lib. de Abrah.
  31. Apud Eusebium, Præp., lib. IX, cap. IV.
  32. Lib. I, cap. VIII.
  33. Salian., tom. I, pag. 413.
  34. Cap. IX, vs. 17.
  35. Esther, chap. II.
  36. Indè Tradit. hebraïc., in Genes, Vide Pererium, in cap. XII, vs. 19.
  37. Tradunt quidam eum in veretro ita esse divinitiùs percussum ut nec coire cum muliere posset ne dum vellet, et magnis eâ in parte cruciatibus afflictaretur. Pererius, in Genesim, cap. XX, sub fin.
  38. Homil, XXXI in Genes.
  39. Apud eumdem Pererium, in cap. XII, vs. 19.
  40. Pererius, in cap. XI, disputat. XVI, Bellarmini, lib. de Matrimon., chap. XXVIII, raisonne de même.
  41. Genèse, XXVI, 9.
  42. Genèse, XX, 11.
  43. Boulducus, de Eccles. ante Legem ; lib. III, cap. IV, apud Heidegger., pag. 157.
  44. Apud Pererium, I Disput. in Genes., cap. XX.
  45. Idem, ibidem.
  46. Rom. IV, 19.
  47. Genèse, XVIII, 11.
  48. Addit Procopius divinitùs cum fœcunditate Sara restauratam fuisse pristinam pulchritudinem. Cornel. à Lapide, in Genes., pag. 149.
  49. Pererius, in Genes., cap. XX, vs. 2, Torniellus, et Cornélius à Lapidé, sont de ce sentiment.
  50. Genèse, XVIII, 12.
  51. Saint Luc, chap. I, vs. 34. Zacharie, au verset 18 du même chapitre, allègue une difficulté semblable à celle de Sara.
  52. Perer., in Genes., cap. XX, disput. I.
  53. Voyez Gaspar à Reïes, Elysio jucund., Quæst. Campo, quæst. XLVI, où il soutient quòd omnimoda coitûs dimissio magna damna parit præserti in assuetis, in fœminis frequentissimè, in viris rarissimè et cum minori noxâ.
  54. Martial., lib. IV, epigr. XIII.
  55. Heidegg., Hist. Patr., tom. II, pag. 148. Avant lui, Rivet avait dit la même chose, Oper. tom. I, pag. 277 : et Pererius, in Genes., l’avait dit avant Rivet.
  56. Chrysost. Homil. XLVI.
  57. August, serm. LXVIII, de Temp.
  58. Mersennus, Observat, la Problemata Veneti, num. 119, pag. 165.
  59. Cornel. à Lapide, in Genes., cap. XVI, vs. 2, pag. 170, edit. 1623.
  60. Le père Mersenne.
  61. Cornélius à Lapidé.
  62. Crimen inurebat et quòd habendæ prolis insanâ flagrans cupiditate ; et Deo, qui id jam sibi de Sarâ conjuge promiserat minimè credens cùm pellice volutatus sit. Leonh. Coqueus, in August., de Civit. Dei, lib. XVI, cap. XXV. Il cite D. August., lib. 22, contra Faustum, cap. 30.
  63. Idem, ibidem.
  64. Feuardentius, Theom, calvinisticæ, lib. IX, cap. I, pag. m. 436,
  65. Calvin., in Genes., cap. XVI, vs. 3,' pag. m. 83, 84.
  66. Calvin., in Genes. c. XVI, vs. 1, p. 83.
  67. August, de Civitat. Dei, lib. XVI, cap. XXV.
  68. Idem, ibidem.
  69. Dans le remarque (C) de l’article Agar, tom. I, pag. 244.
  70. Épître aux Romains, chap. III, vs. 8.
  71. Leonh, Coqueus, in August., de Civitate Dei, lib. XVI, cap. XXV, pag. m. 351.
  72. Idem, ibidem.
  73. Ambros., lib. I de Abrah., cap. IV, apud Coqueum, ibidem.
  74. Leonh. Coqueus, ibid., pag. 352.
  75. Sixti Senensis Biblioth. sanctæ, lib. V, annot. XCIV, apud Coqueum, ibidem.
  76. Leonh. Coqueus, in August. de Civitate Dei, lib. XVI, cap. XXV, pag. 352.
  77. Gregor. lib. III Moral., cap. XVI, apud Coqueum, ibidem.
  78. August., lib. III de Doctr. Christ. cap. XXIII, apud eundem, ibidem.
  79. Voyez les remarques de l’article Acindynus (Septimius), tom. I, pag. 179.
  80. Calvin., in Genes. cap. XIII, vs. 1.
  81. Idem, ibidem, vs. 2. Voyez aussi ce qu’il dit un peu après.
  82. Voyez l’article François Ier., tom. VI, pag. 576, remarque (P).
  83. Σάῤῥα τοὺ θεοῦ κελεύσαντος ἐπικλκίνει μίαν τῶν θεραπενίδων. Sara Deo jubente in thalamum ejus adducit unam famularum. Joseph., lib. I Antiq., cap. XI, p. 17, C.
  84. Cornel à Lapide, in Genes., cap. XVI, vs. 2. Voyez aussi Mersennus, Observat. in Problem. Veneti, num. 119, pag. 165.

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