Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Zabarella 1

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ZABARELLA ou DE ZABARELLIS (François), archevêque de Florence et cardinal, a été l’an des plus célèbres canonistes de son siècle. Il naquit à Padoue l’an 1339 [a]. Il étudia le droit canonique à Bologne, et l’enseigna dans Padoue avec beaucoup d’applaudissement. Cette ville était alors sous la puissance de François Carrari : elle fut attaquée par les Vénitiens l’an 1406, et députa Zabarella au roi de France pour lui demander du secours ; mais elle n’en obtint point, et se vit contrainte de se soumettre à la république de Venise. L’acte de sa soumission fut fort solennel. Zabarella, à la tête de quatorze autres députés, livra au sénat dans la grande place de Venise le pavillon de Padoue, et fit une belle harangue (A). Il s’en alla à Florence quelque temps après pour y enseigner le droit canonique, et s’y fit tellement aimer, et tellement estimer, que la chaire archiépiscopale étant devenue vacante, il fut élu pour la remplir : mais cela n’eut point d’effet ; car le pape avait été plus diligent ; il l’avait déjà donnée à un autre. Zabarella attiré à Rome par Boniface IX, s’y arrêta quelque temps, et y donna son avis sur une question importante qu’on lui proposa, et qui concernait les moyens de faire cesser le schisme. Il retourna ensuite à Padoue, et fut honoré de plusieurs députations. Il refusa sagement l’évêché de cette ville qu’on lui avait conféré ; car il le refusa pour ne se pas exposer à l’indignation du sénat, qui destinait à un autre cette prélature. Le pape Jean XXIII, voulant se fortifier d’hommes doctes, le fit venir à sa cour, et lui donna l’archevêché de Florence. Il ne borna point ses libéralités à cela, puisqu’il le fit cardinal [b] en 1411. Il l’envoya en ambassade [c] avec un autre cardinal [d], et avec Emmanuel Chrysolore, à la cour de l’empereur Sigismond, qui demandait un concile, tant à cause des hérésies de Bohème qu’à cause des antipapes. Ce pontife chargea ses ambassadeurs de choisir pour la tenue du concile une ville qui ne lui fût pas suspecte. On assure qu’il leur marqua par écrit les villes qu’il souhaitait, mais qu’au moment de leur départ il déchira le papier où il les avait marquées (B), et leur donna un plein pouvoir là-dessus. Cela fut cause qu’ils laissèrent cette affaire au choix de sa majesté impériale. La ville de Constance fut choisie. François Zabarella parut beaucoup au concile qui s’y tint : il conseilla la déposition du pape Jean XXIII, auquel on attribuait quarante crimes très-insignes. Si l’on eût laissé aux cardinaux le droit d’élire, il y a beaucoup d’apparence que Zabarella eût été mis à la place du pontife déposé ; mais il fallut partager ce droit entre eux et les autres membres de l’assemblée (C). On la divisa en cinq classes, qui nommèrent chacune six personnes, lesquelles, avec l’association des cardinaux, élurent pour pape Othon Colonna, qui prit le nom de Martin V. Cela se fit l’an 1417. Zabarella mourut à Constance [e] le 5 de novembre de la même année [f]. On lui fit des funérailles magnifiques ; l’empereur et tout le concile y assistèrent : l’oraison funèbre fut prononcée par Pogge : le corps du défunt fut apporté à Padoue, et enterré dans la cathédrale, au côté gauche de l’autel de la Sainte-Vierge. Notre Zabarella fit beaucoup de livres (D), et mérita l’estime publique autant par ses bonnes mœurs (E) que par son habileté. Il institua pour son héritier Barthélemi Zabarella, son neveu [g], dont je parlerai dans une remarque (F). N’oublions pas qu’il eut, entre autres disciples, Pierre-Paul Vergério, qui fit une belle lettre, et fort exacte, sur la vie et sur la mort de son professeur [h].

  1. L’inscription de son sépulcre porte qu’il mourut à l’âge de soixante-dix-huit ans, en 1417.
  2. Il le fit cardinal diacre (et non pas cardinal prêtre comme Gesner, in Biblioth. folio 261, l’assure ) du titre de Saint-Côme et de Saint-Damien.
  3. L’an 1413.
  4. C’était Antoine de Chalant. Voyez Sponde, ad ann. 1413, num. 5.
  5. Et non dans sa patrie, comme l’assure Forsterus, Hist. Juris Civil. Rom., lib. III, cap. XXXI, pag. m. 515.
  6. Il ne florissait donc pas l’an 1418, comme l’assure Gesner, in Biblioth., folio 261.
  7. Tiré de Panzirole, de claris Legum Interpretibus, lib. III, cap. XXVIII, pag. m. 443 et seq.
  8. Panzirol., ibid., pag. 444. M. Teissier n’en parle point dans sa Bibliotheca Bibliothecarum.

(A) Il fit une belle harangue. ] Il était non-seulement un docte jurisconsulte, mais aussi un bon orateur [1]. Il harangua éloquemment, le 4 de juillet 1397, sur le mariage de Nicolas d’Est avec Giliole, fille de François Carrari, second du nom, seigneur de Padoue. Sept ans après il harangua la dame Belflore, mariée avec le fils du même Carrari, lorsqu’elle fit son entrée à Padoue, et qu’on la reçut sous le dais ; il la harangua, dis-je, au nom de l’académie[2]. Il fit aussi l’oraison funèbre de François Carrari, et celle d’Arcuanus Buzacharinus[3].

(B) Au moment de leur départ il déchira le papier où il les avait marquées. ] Panzirole, que j’ai suivi fidèlement dans le corps de cet article, attribue ce changement du pape à un coup d’inspiration[4]. Mais afin qu’on voie dans toute son étendue ce fait-là, qui est un peu trop concis de la manière qu’il le rapporte, je m’en vais citer un auteur français[5] : « On ne vit jamais mieux qu’en cette rencontre, comme la providence de Dieu renverse souvent tout d’un coup tous les desseins de la prudence humaine pour faire réussir les siens. Ce pape, comme Léonard Arétin, son secrétaire, auquel il en fit confidence, nous en assure, avait donné en apparence plein pouvoir à ses légats de s’accorder avec l’empereur sur ces deux points [6], comme ils trouveraient bon ; mais parce que d’ailleurs il ne voulait pas se mettre à la discrétion de l’empereur dans une ville où ce prince fût le maître, il avait marqué dans un papier secret certaines villes d’Italie, hors desquelles il leur défendait très-expressément d’en accepter aucune. Et néanmoins comme, en les congédiant, il les exhortait à se bien acquitter de leur devoir, et qu’il était sur le point de leur donner cet écrit qu’il tenait entre ses mains, il changea tout à coup de sentiment ; et après s’être mis sur leurs louanges avec de grands transports de tendresse et d’affection, en protestant qu’il avait une pleine et entière confiance en leur fidélité, il leur dit que, contre ce qu’il avait résolu auparavant, il ne voulait point limiter leur pouvoir, et déchira sur-le-champ devant eux cet écrit, après le leur avoir montré. Il ne fut pas toutefois long-temps sans changer d’avis encore une autre fois : car apprenant que ses légats avaient enfin consenti, selon le désir de Sigismond, que le concile général fût convoqué pour le premier jour de novembre de l’année suivante à Constance, ville d’Allemagne, et sujette à l’empereur, il en pensa désespérer, et en maudit mille fois sa fortune, ou plutôt son imprudence, d’avoir si légèrement changé de résolution, et de s’être ensuite comme livré pieds et poings liés à un prince qui serait toujours en état d’exécuter tout ce qu’il plairait au concile d’ordonner contre lui. Mais il fallut dissimuler, de peur de se rendre suspect, etc. »

(C) Zabarella eût été mis à la place du pontife déposé, mais, etc... ] Le narré de Panzirole n’est pas assez juste : il nous porte nécessairement à croire que Zabarella était en vie lorsqu’on entra dans le conclave pour l’élection d’un pontife. Cela est faux. On y entra le 6 de novembre[7], et Zabarella, selon Panzirole, était mort le 5. D’autres disent qu’il mourut le 6[8]. Ainsi je trouve que Tomasin se conforme mieux aux circonstances du temps : Zabarella, selon lui, serait parvenu au pontificat par le consentement unanime des électeurs, si la mort ne l’eût transporté au ciel. Il dit aussi que ce cardinal tint dans le concile la place du pape. Concilio convocato pontificis vices gessit. Undè omnium consensu summus pontifex dictitatus, re quoque ipsâ designatus fuisset, ni Deus opt. max. ipsum in cœlum, ibi satiùs ecclesiæ suæ profuturum evexisset[9]. Panzirole a trompé M. Doujat, qui assure que Zabarella mourut après l’élection de Martin VI[10].

(D) Il fit beaucoup de livres. ] Six volumes de Commentaires sur les Décrétales et sur les Clémentines ; un volume de Conseils ; un volume de Harangues et de Lettres ; un traité de Horis canonicis ; de Felicitate libri tres ; variæ Legum Repetitiones ; Opuscula de Artibus liberalibus ; de Naturâ Rerum diversarum ; Commentarii in naturalem et moralem Philosophiam ; Historia sui temporis ; Acta in Conciliis Pisano et Constantiensi ; in vetus et novum Testamentum ; de Schismate[11]. Ce dernier ouvrage n’est pas du goût de la cour de Rome. Les protestans l’ont publié plus d’une fois[12], avec d’autres pièces semblables, où l’on maintient la juridiction des princes sans la soumettre au pouvoir des papes. Lisez ces paroles de Bellarmin : Occasione longissimi schismatis scripsit etiam librum de Schismate, in quo sunt aliqua corrigenda : quare in Indice librorum prohibitorum, liber ejus de Schismate cum præfationibus, Argentinæ impressus ab hæreticis, prohibitus est, donec corrigatar[13]. Notez que l’on cite Zabarella sous le nom de cardinal tout court[14].

(E) Il mérita l’estime publique... par ses bonnes-mœurs. ] Non-seulement il dormait peu, et il avait un soin extrême de ne perdre point de temps, mais aussi il était d’une probité et d’une chasteté particulière. Ennemi du luxe il faisait régner dans son domestique une grande frugalité, afin de répandre au dehors ses biens sur les pauvres. Il n’avait point de connivence pour les défauts de son prochain ; car il exhortait toujours ses amis et ses disciples à la vie vertueuse. Somni parcissimus, et ne quam temporis jacturam faceret, valdè solicitus. Vir recti animi, suavissimæ consuetudinis, et integerrimæ castissimæque vitæ fuit, familiares et discipulos ad bonos mores hortari solitus ab ipsis non secùs ac pater diligebatur. Domi parcus, foris fortunas inter pauperes dividebat[15]. Je pense que l’une des choses qui le firent juger digne de l’évêché de Padoue fut la charité qu’il exerça envers les pauvres, lorsqu’il était archi-prêtre de l’église cathédrale [16]. J’ai rapporté[17] la raison qui le fit résoudre à refuser cet évêché. Ce refus le fit admirer des Padouans, et les obligea à lui résigner une très-riche abbaye qui avait appartenu à des moines. Il ne la retint que fort peu de temps : il la rendit bientôt à ses anciens possesseurs : ils en eurent une extrême reconnaissance, qu’ils perpétuèrent autant qu’il leur fut possible ; car on garde encore aujourd’hui dans ce monastère ses habits sacerdotaux, et l’on y voit ses armoiries en divers endroits[18]. Ce fut à cause de la sainteté de sa vie, autant qu’à cause de son savoir, qu’on le choisit pour archevêque de Florence, lorsqu’il n’était encore que professeur en droit canonique[19].

J’ai donné aussi[20] la raison pourquoi ce choix devint alors inutile.

(F) Barthélemi Zabarella dont je parlerai dans une remarque. ] Il était fils d’André Zabarella, frère de notre François ; et il professa le droit canon à Padoue avec beaucoup de louange. Il fut ensuite appelé à Rome où il fit paraître beaucoup de savoir, soit dans les disputes, soit dans les consultations. Il fut élevé premièrement à la prélature de Spalato, puis à l’archevêché de Florence, et enfin, par le pape Eugène IV, à la dignité de référendaire de l’église. On croit que sa fortune serait devenue encore plus haute, s’il ne fût mort avant sa vieillesse, l’an 1445. Son corps fut porté à Padoue dans le sépulcre de son oncle[21]. Je m’étonne que son nom ne paraisse pas dans l’épitaphe de notre François, et qu’au lieu du sien on y voie Johannes Jacobi viri clarissimi Filius id monumenti ponendum curavit. Panzirole et Tomasin rapportent toute l’épitaphe : ce dernier observe que l’auteur du Patavina Felicitas, et Swertius[22], l’ont rapportée avec beaucoup de fautes. On peut reprocher aussi cela à Panzirole ; car il y a dans son livre obiit Constantiæ MCCCCVIII. Il fallait mettre MCCCCXVII. Une infinité de copistes et d’imprimeurs d’inscriptions se rendent coupables de pareilles négligences. Mais revenons à notre Barthélemi. Il mourut à l’âge de quarante-six ans, le 12 d’août 1465 ; pendant l’ambassade dont Eugène IV avait honoré vers le roi d’Espagne et le roi de France. On assure qu’il était désigné cardinal[23].

  1. Voyez Tomasin, Elog., parte I, pag. 3.
  2. Tiré de Panzirole, de claris Legum Interpretibus, lib. III, cap. XXXVIII, pag. m. 443.
  3. Tomasin, Elog., parte I pag. 10.
  4. Quod divino impulsu factum esse videtur. Panzirolus, de claris Legum Interpretibus, pag. 445.
  5. Maimbourg, Hist. du grand Schisme d’Occident, liv. IV, pag. 106, édit. de Hollande. Il cite saint Antoine, archevêque de Florence, part. 3, tit. 22.
  6. C’est-à-dire le temps et le lieu du concile.
  7. Voyez Maimbourg, Hist. du grand Schisme d’Occident, liv. VI, pag. 264.
  8. Constantiæ extinctus est anno ciↄ. cccc xvii. viii. Idus novembris. Tomasin, Elog. part. I, pag. 5. Freher., in Theatro, pag. 17, copie très-mal cela, puisqu’il dit, extinctus est Idib. Nov.
  9. Tomasin, Elog., parte I, pag. 6,
  10. Doujat. Prænot. Canonic., pag. 609.
  11. Ex Tomasino, Elogior. parte I, pag. 9. Voyez aussi Oldoini, in Athenæo Romano, pag. 258.
  12. Par exemple, à Bâle, chez Jean Oporinus, l’an 1565, in-folio : je me sers de cette édition.
  13. Bellarm., de Scriptor. ecclesiast., p. m. 384.
  14. Tomasin., Elogior. tom. I, parte I, pag. 5.
  15. Panzirolus, de claris Legum Interpret., pag. 445.
  16. In cathedrali Patavinâ ecclesiâ archi-presbyteratus honore insignitus incommodis mirâ subveniebat liberalitate. Tomasin., Elogior. part. I, pag. 4.
  17. Dans le corps de l’article.
  18. Tomasin., Elog., part. I, pag. 4.
  19. Florentiam vocatus jus canonicum explanavit, ibique ob vitæ sanctimoniam ac doctrinæ præstantiam ab illius Reip. proceribus ad archiepiscopatus dignitatem conclamatus est. Tomasin., ubi suprà, pag. 3.
  20. Dans de corps de l’article.
  21. Pansir., de clar. Legum Interpret., pag. 446, 447.
  22. In Deliciis Orbis.
  23. Tiré de Riccobon, in Descriptione Gymnasii Patavini, apud Freherum, in Theatro, pag. 19.

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