Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Anagramme

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Henri Plon (p. 30-31).
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Anagramme. Il y eut des gens, surtout dans les quinzième et seizième siècles, qui prétendaient trouver des sens cachés dans les mots qu’ils décomposaient, et une divination dans les anagrammes. On cite comme une des plus curieuses celle que l’on fit sur le meurtrier de Henri III, Frère dit Jacques Clément, où l’on trouve : C’est l’enfer qui m’a créé. — Deux religieux en dispute, le père Proust et le père d’Orléans, faisaient des anagrammes ; le père Proust trouva dans le nom de son confrère : l’Asne d’or, et le père d’Orléans découvrit dans celui du père Proust : Pur sot.

Un nommé André Pujon, de la haute Auvergne, passant par Lyon pour se rendre à Paris, rêva la nuit que l’anagramme de son nom était : pendu à Riom. En effet, on ajoute que le lendemain il s’éleva une querelle entre lui et un homme de son auberge, qu’il tua son adversaire, et qu’il fut pendu huit jours après sur la place publique de Riom. — C’est un vieux conte renouvelé. On voit dans Delancre[1] que le pendu s’appelait Jean de Pruom, dont l’anagramme est la même.

J.-B. Rousseau, qui ne voulait pas reconnaître son père, parce que ce n’était qu’un humble cordonnier, avait pris le nom de Verniettes, dont l’anagramme fut faite ; on y trouva : Tu te renies. On fit de Pierre de Ronsard rose de Pindare, — L’anagramme de monde, est démon ; l’anagramme d’Amiens, en amis ; celle de Lamartine, mal t’en ira ; celle de révolution française, un Corse te finira ; en 1848, on a trouvé insolemment dans ces trois noms : A. Thiers, Odilon Barrot, Chambolle, trois Aliboron de la Chambre.

On donna le nom de cabale à la ligue des favoris de Charles II d’Angleterre, qui étaient Clifford, Ashley, Buckingham, Arlington, Lauderdale, parce que les initiales des noms de ces cinq ministres formaient le mot cabal.

On voulut présenter comme une prophétie cette anagramme de Louis quatorzième, roi de France et de Navarre : « Va, Dieu confondra l’armée qui osera te résister… »

Parfois les anagrammes donnent pourtant un sens qui étonne. Qu’est-ce que la vérité ? Quid est veritas ? demande Pilate à l’Homme-Dieu ; et il se lève sans attendre la réponse. Mais elle est dans la question, dont l’anagramme donne exactement : Est vir qui adest, c’est celui qui est devant vous.

Les Juifs cabalistes ont fait des anagrammes la troisième partie de leur cabale : leur but est de trouver dans la transposition des lettres ou des mots des sens cachés ou mystérieux. Voy. Onomancie.


  1. L’incrédulité et mécréance, etc., traité V.