Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Art notoire

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Henri Plon (p. 52-53).

Art notoire, espèce d’encyclopédie inspirée. Le livre superstitieux qui contient les principes de l’art notoire promet la connaissance de toutes les sciences en quatorze jours. L’auteur du livre dit effrontément que le Saint-Esprit le dicta à saint Jérôme. Il assure encore que Salomon n’a obtenu la sagesse et la science universelle que pour avoir lu en une seule nuit ce merveilleux livre. Il faudrait qu’il eût déjà été dicté à quelque enfant d’Israël ; car ce serait un prodige trop grand que Salomon eût lu le manuscrit de saint Jérôme. Mais les faiseurs d’écrits de ce genre ne reculent pas pour si peu.

Gilles Bourdin a publié, au seizième siècle, un grimoire obscur sous le titre de l’Art notoire. Il n’est pas probable que ce soit la bonne copie, qui sans doute est perdue.

Delrio dit que de son temps les maîtres de cet art ordonnaient à leurs élèves une sorte de confession générale, des jeûnes, des prières, des retraites, puis leur faisaient entendre, à genoux, la lecture du livre de l’Art notoire, et leur persuadaient qu’ils étaient devenus aussi savants que Salomon, les prophètes et les apôtres. Il s’en trouvait qui le croyaient.

Ce livre a été condamné par le pape Pie V. Mêlant les choses religieuses à ses illusions, l’auteur recommande entre autres soins de réciter tous les jours, pendant sept semaines, les sept psaumes de la pénitence, et de chanter tous les matins au lever du soleil le Veni Creator, en commençant un jour de nouvelle lune, pour se préparer ainsi à la connaissance de l’Art notoire[1]. Érasme, qui parle de ce livre dans un de ses colloques, dit qu’il n’y a rien compris ; qu’il n’y a trouvé que des figures de dragons, de lions, de léopards, des cercles, des triangles, des caractères hébreux, grecs, latins, et qu’on n’a jamais connu personne qui eût rien appris dans tout cela.

Des doctes prétendent que le véritable Ars notoria n’a jamais été écrit, et que l’esprit le révèle à chaque aspirant préparé. (Mais quel esprit ?) Il leur en fait la lecture pendant leur sommeil, s’ils ont sous l’oreiller le nom cabalistique de Salomon, écrit sur une lame d’or ou sur un parchemin vierge. Mais d’autres érudits soutiennent que l’Ars notoria existe écrit, et qu’on le doit à Salomon. Le croira qui pourra.


  1. Franc. Torreblanca, cap. xiv, Epist. de mag.