Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Cercueil

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Henri Plon (p. 150).

Cercueil. L’épreuve ou jugement de Dieu par le cercueil a été longtemps en usage. Lorsqu’un assassin, malgré les informations, restait inconnu, on dépouillait entièrement le corps de la victime ; on le mettait dans un cercueil, et tous ceux qui étaient soupçonnés d’avoir eu part au meurtre étaient obligés de le toucher. Si l’on remarquait un mouvement, un changement dans les yeux, dans la bouche ou dans toute autre partie du mort, si la plaie saignait, — celui qui touchait le cadavre dans ce mouvement extraordinaire était regardé et poursuivi comme coupable. Richard Cœur de lion s’était révolté contre Henri il son père, à qui il succéda. On rapporte qu’après la mort de Henri II, Richard s’étant rendu à Fontevrault, où le feu roi avait ordonné sa sépulture, à rapproche du fils rebelle, le corps du malheureux père jeta du sang par la bouche et par le nez, et que ce sang jaillit sur le nouveau souverain. On cite plusieurs exemples semblables, dont la terrible morale n’était pas trop forte dans les temps barbares :

Voici un petit fait qui s’est passé en Écosse : — Un fermier, nommé John Mac Intos, avait eu quelques contestations avec sa sœur Fanny MacAllan. Peu de jours après il mourut subitement. Les magistrats se rendirent chez lui et remarquèrent qu’il avait sur le visage une large blessure, de laquelle aucune goutte de sang ne s’échappait. Les voisins de John accoururent en foule pour déplorer sa perte ; mais, quoique la maison de sa sœur fût proche de la sienne, elle n’y entra pas et parut peu affectée de cet événement. Cela suffit pour exciter parmi les ministres et les baillis le soupçon qu’elle n’y était peut-être pas étrangère. En conséquence, ils lui ordonnèrent de se rendre près du défunt et de placer la main sur son cadavre. Elle y consentit ; mais avant de le faire, elle s’écria d’une voix solennelle : Je souhaite humblement que le Dieu puissant qui a ordonné au soleil d’éclairer l’univers fasse jaillir de cette plaie un rayon de lumière dont le reflet désignera le coupable. Dès que ces paroles furent achevées, elle s’approcha, posa légèrement un de ses doigts sur la blessure, et le sang coula immédiatement. Les magistrats crurent y voir une révélation du ciel ; et Fanny, condamnée, fut exécutée le jour même.

On voit dans la vie de Charles le Bon, par Gualbert, que les meurtriers en Flandre, au douzième siècle, après avoir tué leur victime, mangeaient et buvaient sur le cadavre, dans la persuasion qu’ils paralysaient par cette cérémonie toute poursuite contre eux à l’occasion du meurtre. Les assassins de Charles le Bon avaient pris cette précaution ; ce qui ne les empêcha pas d’être tous mis au supplice.