Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Faquir

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Henri Plon (p. 260-261).
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Faquir ou Fakir. Il y a dans l’Inde des fakirs qui sont d’habiles jongleurs. On lit ce qui suit dans l’ouvrage de M. Osborne, intitulé la Cour et le camp de Rundjet-Sing : « À la cour de ce prince indien, la mission anglaise eut l’occasion de voir un personnage appelé spécialement le Fakir, homme enterré et ressuscité, dont les prouesses avaient fait du bruit dans les provinces du Punjaub. Ce Fakir est en grande vénération parmi les Sihks, à cause de la faculté qu’il a de s’enterrer tout vivant pendant un temps donné. Nous avions ouï raconter de lui tant d’histoires, que notre curiosité était excitée. Depuis plusieurs années, il fait le métier de se laisser enterrer. Le capitaine Wade me dit avoir été témoin d’une de ses résurrections, après un enterrement de quelques mois. La cérémonie préliminaire avait eu lieu en présence de Rundjet-Sing, du général Ventura et des principaux sirdars. Les préparatifs avaient duré plusieurs jours, on avait arrangé un caveau tout exprès. Le Fakir termina ses dispositions finales en présence du souverain ; il se boucha avec de la cire les oreilles, le nez et tous les autres orifices par lesquels l’air aurait pu entrer dans son corps. Il n’excepta que la bouche. Cela fait, il fut déshabillé et mis dans un sac de toile, après qu’il se fut retourné la langue pour fermer le passage de la gorge, et qu’il se fut posé dans une espèce de léthargie ; le sac fut fermé et cacheté du sceau de RundjetSing et déposé dans une boîte de sapin, qui, fermée et scellée également, fut descendue dans le caveau. Par-dessus on répandit et on foula de la terre, on sema de l’orge et on plaça des sentinelles permanentes.

» Il paraît que le maha-rajah, très-sceptique sur cette mort, envoya deux fois des gens fouiller la terre, ouvrir le caveau et visiter le cercueil. On trouva chaque fois le Fakir dans la même position et avec tous les signes d’une suspension de vie. Au bout de dix mois, terme fixé, le capitaine Wade accompagna le maha-rajah pour assister à l’exhumation : il examina attentivement par lui-même l’intérieur de la tombe ; il vit ouvrir les serrures, briser les sceaux et porter la boîte ou cercueil au grand air. Quand on en tira le Fakir, les doigts posés sur son artère et sur son cœur ne purent percevoir aucune pulsation. La première chose qui fut faite pour le rappeler à la vie, et la chose ne se fit pas sans peine, fut de ramener sa langue à sa place naturelle. Le capitaine Wade remarqua que l’occiput était brûlant, mais le reste du corps très-frais et très-sain. On l’arrosa d’eau chaude, — et au bout de deux heures le ressuscité était aussi bien que dix mois auparavant.

» Il prétend faire dans son caveau les rêves les plus délicieux : aussi redoute-t-il d’être réveillé de sa léthargie. Ses ongles et ses cheveux cessent de croître : sa seule crainte est d’être entamé par des vers ou des insectes ; c’est pour s’en préserver qu’il fait suspendre au centre du caveau la boîte où il repose. Ce Fakir eut la maladroite fantaisie de faire l’épreuve de sa mort et de sa résurrection devant la mission anglaise, lorsqu’elle arriva à Lahore. Mais les Anglais, avec une cruelle méfiance, proposèrent de lui imposer quelques précautions de plus : ils montrèrent des cadenas à eux appartenant, et parlèrent de mettre au tombeau des factionnaires européens. Le Fakir fit d’abord de la diplomatie ; il se troubla et finalement refusa de se soumettre aux conditions britanniques. Rundjet-Sing se fâcha. — Je vois bien, dit le Fakir au capitaine Osborne, que vous voulez me perdre, et que je ne sortirai pas vivant de mon tombeau. Le capitaine, ne désirant pas du tout avoir à se reprocher la mort du pauvre charlatan, renonça à l’épreuve. » Voy. Jamambuxes.