Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Jeanne d’Arc

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Henri Plon (p. 374-376).

Jeanne d’Arc, dite la Pucelle d’Orléans, née en Champagne, à Domrémi près de Vaucouleurs, sur la lisière de la Lorraine, en 1410. Jamais la France ne fut accablée de calamités aussi grandes que durant le demi-siècle qui précéda l’année mémorable où l’on vit le courage abattu de ses guerriers, près de subir complètement le joug de l’étranger, se ranimer à la voix d’une jeune fille de dix-huit ans. Charles VII était sur le point de céder à l’ennemi Chinon, sa dernière place, lorsque Jeanne d’Arc parut, vers la fin de février 1429. Ce n’était qu’une simple paysanne. Son père se nommait Jacques d’Arc ; sa mère, Isabelle Ramée. Dès sa plus tendre enfance elle avait montré une timidité sans exemple et fuyait le plaisir pour se livrer tout entière à Dieu ; elle avait seize ans, lorsqu’un jour, à midi, elle vit dans le jardin de son père l’archange Michel, l’ange Gabriel, sainte Catherine et sainte Marguerite, resplendissants de lumière. Ces saints, depuis, la guidèrent dans ses actions. Les voix (car elle s’exprimait ainsi) lui ordonnèrent d’aller en aide au roi de France, et de faire lever le siège d’Orléans. Malgré les avis contraires, elle obéit aux voix et se rendit d’abord à Vaucouleurs. Jean de Metz, frappé de ce qu’elle lui dit, se chargea de la présenter au roi. Ils arrivèrent tous deux, le 24 février 1429, à Chinon, où Charles tenait sa petite cour. Jeanne s’agenouilla devant lui. L’étonnement fut grand ; et on hésita d’abord

Illustration du Dictionnaire infernal de Jacques Auguste Simon Collin de Plancy par Louis Le Breton, 6eme édition, 1863.
Illustration du Dictionnaire infernal de Jacques Auguste Simon Collin de Plancy par Louis Le Breton, 6eme édition, 1863.

devant une mission si merveilleuse ; mais après un examen sérieux et de savantes consultations, on donna à la jeune fille des chevaux et des hommes ; on l’arma d’une épée que, sur sa révélation, on trouva enterrée dans l’église de Sainte-Catherine de Fierbois. Elle se rendit aussitôt sous les murs d’Orléans, et combattit dès le premier jour avec un courage qui éclipsa celui des grands capitaines. Elle chassa les Anglais d’Orléans, fit ensuite, selon l’ordre qu’elle avait reçu, sacrer son roi à Reims, lui rendit Troyes, Châlons, Auxerre, et la plus grande partie de son royaume. Après quoi, elle voulut se retirer, disant formellement que sa mission était accomplie. Mais elle avait donné trop de preuves de sa vaillance, et l’armée avait trop de confiance en elle, pour qu’on lui accordât sitôt sa liberté. Ce fut la cause de ses malheurs : elle les prévit, les annonça en pleurant ; et bientôt, s’étant jetée dans Compiègne pour défendre cette place contre le duc de Bourgogne, elle fut prise par un gentilhomme picard qui la vendit à Jean de Luxembourg, lequel la revendit aux Anglais.

Pour se venger de ce qu’elle les avait trop souvent vaincus, ceux-ci l’accusèrent d’avoir employé les sortilèges et la magie à ses triomphes. On la traduisit devant un tribunal corrompu, qui la déclara fanatique et sorcière. Ce qui n’est pas moins horrible, c’est que l’ingrat monarque qui lui devait sa couronne l’abandonna ; il crut n’avoir plus besoin d’elle. Le procès se poursuivit avec activité. Durant l’instruction, Ligny-Luxembourg vint la voir, accompagné de Warwick et de Straffort : — Je sais bien, leur dit-elle, que ces Anglais me feront mourir, croyant qu’après ma mort ils gagneront le royaume de France. Mais, seraient-ils cent mille, avec ce qu’ils sont à présent, ils n’auront pas ce royaume. — Fatiguée de mauvais traitements, elle tomba dangereusement malade. Bedfort, Wincester, Warwick chargèrent deux médecins d’avoir soin d’elle, et leur enjoignirent de prendre bien garde qu’elle ne mourût de sa mort naturelle ; « le roi d’Angleterre l’avait trop cher achetée pour être privé de Ici joie de la faire brûler. »

Enfin on la conduisit à la place du cimetière de l’abbaye de Rouen. L’exécuteur l’attendait là avec une charrette, pour la mener au bûcher sous l’escorte de cent vingt hommes. On l’avait revêtue d’un habit de femme ; sa tête était chargée d’une mitre en carton, sur laquelle étaient écrits ces mots : Hérétique, relapse, apostate, idolâtre. Deux pères dominicains la soutenaient ; elle s’écriait sur la route : Ah ! Rouen, Rouen, tu seras ma dernière demeure !

On avait élevé deux échafauds sur la place du Vieux-Marché. Les juges attendaient leur victime chargée de fers. Son visage était baigné de pleurs : on la fit monter sur le bûcher, qui était fort élevé,

 
Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc
 
pour que le peuple entier pût la voir. Lorsqu’elle sentit que la flamme approchait, elle avertit les deux religieux de se retirer. Tant qu’elle conserva un reste de vie, au milieu des gémissements que lui arrachait la douleur, on l’entendit répéter le nom de Jésus, en baisant une croix de bois qu’elle tenait de ses mains enchaînées. Un dernier soupir, longuement prolongé, avertit qu’elle venait d’expirer. Alors le cardinal de Wincester fit rassembler ces cendres, et ordonna qu’elles fussent jetées dans la Seine. Son cœur, dit-on, fut respecté par les flammes : on le trouva sain et entier. En face du bûcher, s’élevait un tableau portant une inscription qui qualifiait Jeanne de meurderesse, invocatrice des démons, apostate et mal créante de la foi de Jésus-Christ.

Louis XI fit réhabiliter la mémoire de Jeanne d’Arc. Deux de ses juges furent brûlés vifs, deux autres exhumés, pour expier aussi dans les flammes leur jugement inique. Mais le procès de la Pucelle n’en sera pas moins à jamais un sujet d’opprobre pour les Anglais et aussi pour le roi Charles VII[1].


  1. Voyez, dans les Légendes des femmes, la vie de Jeanne d’Arc.