Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Loudun

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Henri Plon (p. 412-413).
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Loudun, ville de France dans le département de la Vienne, célèbre par une possession qui fit grand bruit dans le premier tiers du dix-septième siècle. Un couvent d’ursulines, qui s’occupaient de l’éducation des jeunes filles, avait été établi à Loudun en 1626. Il était tenu par quatorze religieuses, toutes de bonnes et honnêtes familles et toutes d’une vie irréprochable. Il y avait en même temps dans Loudun un prêtre nommé Urbain Grandier, d’une conduite si légère que l’évêque de Poitiers l’avait interdit a divinis le 3 janvier 1630. On savait qu’il faisait des chansons, des pamphlets et qu’il écrivait contre le célibat des prêtres. Peu après la sentence de l’évêque qui devait le ramener à des mœurs plus recueillies, le directeur des ursulines étant mort, Grandier osa se présenter pour le remplacer. La supérieure le refusa. Bientôt des phénomènes singuliers se produisirent dans le couvent : les quatorze religieuses se trouvèrent possédées ; et, chose surprenante, toutes voyaient la nuit Grandier, pour qui elles ressentaient une grande répulsion, se présenter à elles et les pousser à mal faire. Ce fut un grand bruit dans la ville ; les parents avaient retiré leurs enfants, et les ursulines vivaient dans une épouvante, dans des crises et des convulsions contre lesquelles les médecins ne pouvaient rien. Un conseiller du roi Louis XIII fut envoyé à Loudun pour connaître de ce mystère ; on exorcisa les religieuses, et les mauvais esprits qui les possédaient, contraints par les conjurations ecclésiastiques, déclarèrent que c’était Grandier qui les avait envoyés et les retenait dans les corps de ces femmes.

Une grande affluence de curieux et de savants assistait aux exorcismes. On parlait à ces simples filles en latin, en grec, en hébreu, en turc et dans d’autres idiomes de l’ancien et du nouveau monde. Elles comprenaient tout et répondaient à tout si exactement qu’un savant s’écria : « Il faudrait être fou ou athée pour nier ici la possession, » et que plusieurs hérétiques, entre autres lord Montagu, plusieurs hommes dissolus, entre autres Kériolet, se convertirent publiquement.

Un éminent écrivain du diocèse de Poitiers, M. l’abbé Leriche, a publié tout récemment, en un livre plein d’intérêt[1], l’histoire de cette possession, et ses preuves mettent à néant les pasquinades du protestant Saint-Aubin et des autres esprits avariés qui ont voulu ne pas voir. Nous emprunterons à ce livre quelques renseignements utiles. Voici les noms des religieuses : madame de Belciel, fille du baron de Cose en Saintonge, en religion sœur Jeanne des Anges, supérieure ; madame de Zazilli, en religion sœur Claire de Saint-Jean ; madame de la Motte, fille du marquis de la Motte-Baracé, en religion sœur Agnès de Saint-Jean ; les deux dames de Barbeziers, en religion sœur Louise de Jésus et sœur Catherine de la Présentation, toutes deux de l’illustre maison de Nogeret ; madame d’Escoubleau de Sourdis, en religion sœur Jeanne du Saint-Esprit ; trois autres dont les noms de famille ne sont pas connus, sœur Élisabeth de la Croix, sœur Monique de Sainte-Marthe et sœur Séraphique Archer, enfin huit sœurs laies, en tout dix-sept religieuses.

S’intéressaient, présents aux exorcismes, excepté le cardinal de Richelieu : l’évêque de Poitiers, l’archevêque de Tours, l’archevêque de Toulouse, l’évêque de Nîmes, huit prêtres pieux et savants, cinq docteurs de Sorbonne, onze pères de la compagnie de Jésus, deux pères carmes, six capucins, un dominicain, un récollet, deux oratoriens, etc., et parmi les laïques, outre le roi Louis XIII, la reine Anne d’Autriche, Laubardemont, conseiller du roi, intendant de la Touraine, du Maine et de l’Anjou, les sieurs Roatin, Chevallier, Richard et Housnain, magistrats de Poitiers, Cottreau, Burges, Péguineau, Texier, Dreux, Delabarre, Lapicherie, Riverain, Constant, Deniau, magistrats de Tours, de Chinon, de Saint-Maxent, de Laflèche. Outre huit docteurs en médecine, douze médecins appelés de tous les environs ; enfin, douze personnages éminents, entre autres lord Montagu, lord Killegrew, Kériolet, etc., etc., etc.

C’est une pareille assistance, dont nous ne nommons que les sommités, que les niais, qui nient tout, ont osé accuser de fourberie, ou de connivence ou de stupidité. Or, le crime de Grandier, après deux années d’études et d’examen consciencieux, fut reconnu ; Grandier fut emprisonné ; il s’occupait là à écrire sa défense. Mais un arrêt, rendu le 18 août 1634, le condamna au feu, comme reconnu coupable de magie et d’autres méfaits[2].

  1. Etudes sur les possessions en général et sur celle de Loudun en particulier, 1 vol. in-4 2, précédé d’une lettre du P. Ventura. Paris, 4 859, chez Henri Pion, éditeur.
  2. Voyez l’histoire d’Urbain Grandier, dans les Légendes infernales.