Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Luther

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Henri Plon (p. 420-421).
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Luther (Martin), le plus fameux novateur religieux du seizième siècle, né en \l\%k en Saxe, mort en 1546. Il dut son éducation à la charité des moines et entra chez les augustins d’Erfurt. Devenu professeur de théologie, il s’irrita de ne pas être le Judas des indulgences, c’est-à-dire de n’en pas tenir la bourse ; il écrivit contre le Pape et prêcha contre l’Église romaine. Devenu épris de Catherine Bore, religieuse, il l’enleva de son couvent avec huit autres sœurs, se hâta de l’épouser et publia un écrit où il comparait ce rapt à celui que Jésus-Christ fit, le jour de la Passion, lorsqu’il arracha les âmes de la tyrannie de Satan…

Nous ne pouvons ici faire sa vie[1], mais sa mort nous revient. Ses ennemis ont assuré que le diable l’avait étranglé ; d’autres qu’il mourut subitement en allant à la garde-robe, comme Arius, après avoir trop soupé ; que, son tombeau ayant été ouvert le lendemain de son enterrement, on n’y avait pu trouver son corps, et qu’il en était sorti une odeur de soufre insupportable. — Georges Lapôtre le dit fils d’un démon et d’une sorcière.

À la mort de Luther, disent les relations répandues chez ses contemporains, les démons en deuil, habillés en corbeaux, vinrent chercher cet ami de l’enfer. Ils assistèrent invisiblement aux funérailles ; et Thyraeus ajoute qu’ils l’emportèrent ensuite loin de ce monde, où il ne devait que passer. — On conte encore que le jour de sa mort tous les démons qui se trouvaient en une certaine ville de Brabant (à Malines) sortirent des corps qu’ils possédaient et y revinrent le lendemain ; et comme on leur demandait où ils avaient passé la journée précédente, ils répondirent que, par l’ordre de leur prince, ils s’étaient rendus à l’enterrement de Luther. Le valet de Luther, qui l’assistait à sa mort, déclara, ce qui est très singulier, en conformité de ceci, qu’ayant mis la tête à la fenêtre pour prendre l’air au moment du trépas de son maître, il avait vu plusieurs esprits horribles qui dansaient autour de la maison, et ensuite des corbeaux maigres qui accompagnèrent le corps en croassant jusqu’à Wittemberg…

La dispute de Luther avec le diable a fait beaucoup de bruit. Un religieux vint un jour frapper rudement à sa porte, en demandant à lui parler. Le renégat ouvre ; le prétendu moine regarde un moment le réformateur et lui dit : — J’ai découvert dans vos opinions certaines erreurs papistiques sur lesquelles je voudrais conférer avec vous. — Parlez, répond Luther. L’inconnu proposa d’abord quelques discussions assez simples, que Luther résolut aisément. Mais chaque question nouvelle était plus difficile que la précédente, et le moine supposé exposa bientôt des syllogismes très-embarrassants. Luther, offensé, lui dit brusquement : — Vos questions sont trop embrouillées ; j’ai pour le moment autre chose à faire que de vous répondre. Cependant il se levait pour argumenter encore, lorsqu’il remarqua que le religieux avait le pied fendu et les mains armées de griffes. — N’es-tu pas, lui dit-il, celui dont la naissance du Christ a dû briser la tête ?

Et le diable, qui s’attendait avec son ami à un combat d’esprit et non à un assaut d’injures, reçut dans la figure l’encrier de Luther, qui était de plomb[2] : il dut en rire à pleine gorge. On montre encore sur la muraille, à Wittemberg, les éclaboussures de l’encre. On trouve ce fait rapporté, avec quelque différence de détails, dans le livre de Luther lui-même sur la messe

Luther


privée, sous le titre de Conférence de Luther avec le diable[3]. Il conte que, s’étant éveillé un jour, vers minuit, Satan disputa avec lui, l’éclaira sur les erreurs du Catholicisme et l’engagea à se séparer du Pape. C’est donner à sa secte une assez triste origine. L’abbé Cordemoy pense, avec beaucoup d’apparence de raison, que certains critiques ont tort de prétendre que cette pièce n’est pas de Luther. Il est constant qu’il était très-visionnaire ; M. Michelet l’a reconnu positivement, ce qui doit suffire aux incrédules ; pour les croyants, il était très en état de voir le diable. Il est même possible que la bravade de l’encrier soit une vanterie.

  1. On trouvera cette vie de Luther dans les Légendes infernales.
  2. Mélanchthon, De examin. theolog. operum, t. I.
  3. Colloquium Lutherum inter et diabolum, ab ipso Luthero conscriptum, in ejus libro de Missa privata, etc.