Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Mégalanthropogénésie

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Henri Plon (p. 452).
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Mégalanthropogénésie, moyen d’avoir de beaux enfants et des enfants d’esprit. — On sait quels sont les effets de l’imagination sur les intelligences qui s’y laissent emporter ; ces effets sont surtout remarquables dans les femmes enceintes, puisque souvent l’enfant qu’elles portent dans leur sein est marqué de quelqu’un des objets dont leur imagination a été fortement occupée pendant la grossesse. Quand Jacob voulut avoir des moutons de diverses couleurs, il présenta aux yeux des brebis des choses bigarrées, qui les frappèrent assez pour amener le résultat qu’il en espérait. L’effet que l’imagination d’une brebis a pu produire doit agir plus sûrement encore sur l’imagination incomparablement plus vive d’une femme. Aussi voyons-nous bien plus de variété dans les enfants des hommes que dans les petits des animaux. On a vu des femmes mettre au monde des enfants noirs et velus ; et lorsque l’on a cherché la cause de ces effets, on a découvert que, pendant sa grossesse, la femme avait l’esprit occupé de quelque tableau monstrueux. Les statues de marbre et d’albâtre sont quelquefois dangereuses. Une jeune épouse admira une petite statue de l’Amour de marbre blanc. Cet Amour était si gracieux, qu’elle en demeura frappée ; elle conserva plusieurs jours les mêmes impressions, et accoucha d’un enfant plein de grâces, parfaitement semblable à l’Amour de marbre, mais pâle et blanc, comme lui. Torquemada rapporte qu’une Italienne des environs de Florence, s’étant frappé l’esprit d’une image de Moïse, mit au monde un fils qui avait une longue barbe blanche. On peut se rappeler, sur le même sujet, une foule d’anecdotes non moins singulières ; peut-être quelques-unes sont-elles exagérées. Voy. Accouchements.

En 1802, une paysanne enceinte, arrivant à Paris pour la première fois, fut menée au spectacle par une sœur qu’elle avait dans la capitale. Un acteur qui jouait le rôle d’un niais la frappa si fortement, que son fils fut idiot, stupide et semblable au personnage forcé que la mère avait vu avec trop d’attention.

Puisque l’imagination des femmes est si puissante sur leur fruit, c’est de cette puissance qu’il faut profiter, disent les professeurs de mégalanthropogénésie. Ornez la chambre des femmes de belles peintures durant toute la grossesse ; n’occupez leurs regards que de beaux anges et de sujets gracieux ; évitez de les conduire aux spectacles de monstres, etc. A Paris, où les salons de peinture occupent les dames, les enfants ont été longtemps plus jolis que dans les villages, où l’on voit rarement des choses qui puissent donner une idée de la beauté. Si aujourd’hui la population parisienne est généralement laide, on le doit aux caricatures qui s’étalent partout et s’appliquent à tout. C’est un goût qui nous vient des Anglais ; mais les iVnglais ne font pas autant de laideurs que nous. Chez les Cosaques, où tout est grossier, tous les enfants sont hideux comme leurs pères. Pour obtenir des enfants d’esprit, il n’est pas nécessaire que les parents en aient, mais qu’ils en désirent, qu’ils admirent ceux qui en ont, qu’ils lisent de bons livres, que la mère se frappe des avantages que donnent l’esprit, la science, le génie ; qu’on rarle souvent de ces choses, qu’on s’occupe peu de sottises. Voy. Imagination.

On a publié il y a quelques années un traité de Mégalanthropogénésie qui est un peu oublié, et qui mérite de l’être davantage, 2 vol. in-8o.